J. Hetzel et Compagnie (p. 15-28).

II

hadjar.


Les Touareg, de race berbère, habitaient l’Ixham, pays compris entre le Touat, cette vaste oasis saharienne située à cinq cents kilomètres au sud-est du Maroc, Tombouctou au midi, le Niger à l’ouest et le Fezzan à l’est. Mais, à l’époque où se passe cette histoire, ils avaient dû se déplacer vers les régions plus orientales du Sahara. Au commencement du XXe siècle, leurs nombreuses tribus, les unes presque sédentaires, les autres absolument nomades, se rencontraient alors au milieu de ces plaines, plates et sablonneuses, désignées par le nom d’« outtâ » en langue arabe, au Soudan et jusque dans les contrées où le désert algérien confine au désert tunisien.

Or, depuis un certain nombre d’années, après l’abandon des travaux de la mer intérieure dans ce pays de l’Arad, qui s’étend à l’ouest de Gabès, et dont le capitaine Roudaire avait étudié la création, le résident général et le bey de Tunis avaient amené des Touareg à venir se cantonner dans les oasis autour des chotts. On avait conçu l’espoir que, grâce à leurs qualités guerrières, ils deviendraient peut-être comme les gendarmes du désert. Vain espoir, les Imohagh avaient continué à mériter leur sobriquet injurieux de « Touareg », c’est-à-dire « brigands de nuit », sous lequel ils avaient été craints et redoutés dans tout le Soudan, et, au surplus, si la création de la mer Saharienne venait à être reprise, il n’était pas douteux qu’ils ne se missent à la tête des tribus absolument hostiles à l’inondation des chotts.

D’ailleurs, si, ouvertement du moins, le Targui (singulier de Touareg) faisait le métier de conducteur pour les caravanes, et même de protecteur, pillard par instinct, pirate par nature, sa réputation était trop fâcheusement établie pour ne pas inspirer toute défiance. Est-ce que, voilà bien des années déjà, le major Faing, alors qu’il parcourait ces dangereuses contrées du pays noir, ne risqua pas d’être massacré dans une attaque de ces redoutables indigènes ? En 1881, pendant cette expédition partie de Ouargla sous les ordres du commandant Flatters, ce courageux officier et ses compagnons ne périrent-ils pas à Bir-el-Gharama ? Les autorités militaires de l’Algérie et de la Tunisie devaient se tenir constamment sur la défensive et refouler sans relâche ces tribus qui formaient une population assez nombreuse.

Parmi les tribus touareg, celle des Ahaggar passait justement pour être l’une des plus guerrières. On en retrouvait les principaux chefs dans tous les soulèvements partiels qui rendent si difficile le maintien de l’influence française sur ces longues limites du désert. Le gouverneur de l’Algérie et le résident général de la Tunisie, toujours sur le qui-vive, avaient plus particulièrement à observer la région des chotts ou sebkha. Aussi comprendra-t-on l’importance d’un projet dont l’exécution touchait à son terme, l’invasion de la mer intérieure, qui fait l’objet de ce récit. Ce projet devait nuire singulièrement aux tribus touareg, les priver d’une grande partie de leurs bénéfices en réduisant le trajet des caravanes, et surtout rendre plus rares, en permettant de les réprimer plus facilement, ces agressions qui ajoutaient encore tant de noms à la nécrologie africaine.

C’est à cette tribu des Ahaggar qu’appartenait précisément la famille des Hadjar. Elle comptait parmi les plus influentes. Entreprenant, hardi, impitoyable, le fils de Djemma avait toujours été signalé comme l’un des plus redoutables chefs de ces bandes dans toute la partie qui s’étend au sud des monts Aurès. Pendant ces dernières années, maintes attaques, soit contre des caravanes, soit contre des détachements isolés, furent conduites
gafsa. — 1o la kasbah. — 2o les termil. (Photographie du Dr Tersen.) (Page 23.)

par lui, et son renom grandit au milieu des tribus qui refluaient peu à peu vers l’est du Sahara, mot qui s’applique à l’immense plaine sans végétation de cette portion du continent africain. La rapidité de ses mouvements était déconcertante, et, bien que les autorités eussent donné mission aux chefs militaires de s’emparer à tout prix de sa personne, il avait toujours su dépister les expéditions lancées à sa poursuite. Alors qu’on le signalait aux approches d’une oasis, il apparaissait soudain dans le voisinage d’une autre. À la tête d’une bande de Touareg non moins farouches que leur chef, il battait tout le pays compris entre les chotts algériens et le golfe de la Petite-Syrte. Les kafila n’osaient plus s’engager à travers le désert ou du moins ne s’y risquaient que sous la protection d’une escorte nombreuse. Aussi le trafic si important qui s’effectuait jusque sur les marchés de la Tripolitaine souffrait-il beaucoup de cet état de choses.

Et, cependant, les postes militaires ne manquaient point, ni à Nefta, ni à Gafsa, ni à Tozeur, qui est le chef-lieu politique de cette région. Mais les expéditions organisées contre Hadjar et sa bande n’avaient jamais réussi, et l’aventureux guerrier était parvenu à leur échapper jusqu’au jour — quelques semaines avant — où il tomba entre les mains d’un détachement français.

Cette partie de l’Afrique septentrionale avait été le théâtre d’une de ces catastrophes qui ne sont malheureusement pas rares sur le continent noir. On sait avec quelle passion, quel dévouement, quelle intrépidité les explorateurs, depuis tant d’années, les successeurs des Burton, des Speke, des Livingstone, des Stanley, se sont lancés à travers ce vaste champ de découvertes. On les compterait par centaines, et combien s’ajouteront encore à cette liste jusqu’au jour, très éloigné sans doute, où cette troisième partie de l’Ancien Monde aura livré ses derniers secrets ! Mais aussi combien de ces expéditions pleines de périls se sont terminées en désastres !

Le plus récent concernait celle d’un courageux Belge, qui s’était aventuré au milieu des régions les moins fréquentées et les moins connues du Touat.

Après avoir organisé une caravane à Constantine, Carl Steinx quitta cette ville en se dirigeant vers le sud. Caravane peu nombreuse, en vérité, un personnel d’une dizaine d’hommes en tout, des Arabes recrutés dans la région. Chevaux et méharis leur servaient de montures et aussi de bêtes de trait pour les deux chariots qui composaient le matériel de l’expédition.

En premier lieu, Carl Steinx avait gagné Ouargla par Biskra, Touggourt, Negoussia, où il lui fut facile de se ravitailler. En ces villes résidaient d’ailleurs des autorités françaises qui s’empressèrent de venir en aide à cet explorateur.

À Ouargla, il se trouvait pour ainsi dire au cœur du Sahara, sur cette latitude du trente-deuxième parallèle.

Jusqu’alors l’expédition n’avait pas été très éprouvée : des fatigues, et de sérieuses, oui, mais de sérieux dangers, non. Il est vrai, l’influence française se faisait sentir en ces contrées déjà lointaines. Les Touareg, ouvertement du moins, s’y montraient soumis, et les caravanes pouvaient, sans trop de risques, se prêter à tous les besoins du commerce intérieur.

Pendant son séjour à Ouargla, Carl Steinx eut à modifier la composition de son personnel. Quelques-uns des Arabes qui l’accompagnaient se refusèrent à continuer le voyage au-delà. Il fallut régler leur compte, et cela ne se fit pas sans difficultés, réclamations insolentes, mauvaises chicanes. Mieux valait se débarrasser de ces gens-là qui montraient une évidente mauvaise volonté et qu’il eût été dangereux de conserver dans l’escorte.

D’autre part, le voyageur n’aurait pu se remettre en route sans avoir remplacé les manquants, et, dans ces conditions ; on le conçoit, il n’avait pas le choix. Il crut cependant s’être tiré d’embarras en acceptant les services de plusieurs Touareg, qui s’offrirent, moyennant fortes rémunérations, et s’engagèrent à le suivre jusqu’au terme de son expédition soit à la côte occidentale, soit à la côte orientale du continent africain.

Comment, tout en gardant certaines défiances contre les gens de race touareg, Carl Steinx se fût-il douté qu’il introduisait des traîtres dans sa caravane, que celle-ci était guettée depuis son départ de Biskara par la bande de Hadjar, que ce redoutable chef n’attendait que l’occasion de l’attaquer ?… Et, maintenant, ses partisans mêlés au personnel, acceptés précisément comme guides à travers ces régions inconnues, allaient pouvoir entraîner l’explorateur là où l’attendait Hadjar…

gafsa. — Photographie du Dr Tersen.) (Page 23.)

C’est ce qui arriva. En quittant Ouargla, la caravane descendit vers le sud, franchit la ligne du Tropique, atteignit le pays des Ahaggar d’où, en obliquant au sud-est, elle comptait se diriger vers le lac Tchad. Mais, à dater du quinzième jour après son départ, on n’eut plus aucune nouvelle ni de Carl Steinx ni de ses compagnons. Que s’était-il passé ?… La kafila avait-elle pu gagner la région du Tchad, et suivait-elle les routes du retour par l’est ou par l’ouest ?…

Or, l’expédition de Carl Steinx avait excité le plus vif intérêt parmi les nombreuses Sociétés de Géographie qui s’occupaient plus spécialement des voyages à l’intérieur de l’Afrique. Jusqu’à Ouargla, elles avaient été tenues au courant de l’itinéraire. Pendant une centaine de kilomètres au-delà, plusieurs nouvelles parvinrent encore, apportées par les nomades du désert et transmises aux autorités françaises. On pensait donc que, dans quelques semaines, l’arrivée de Carl Steinx aux environs du lac Tchad se serait effectuée dans des circonstances favorables.

gafsa. — vue générale.(Photographie de M. Brichard.) (Page 23.)

Or, non seulement des semaines, mais des mois s’écoulèrent, et aucune information relative à l’audacieux explorateur belge ne put être recueillie. Des émissaires furent envoyés jusque dans l’extrême sud. Les postes français prêtèrent la main aux recherches qui s’étendirent au-delà même en diverses directions. Ces tentatives ne donnèrent aucun résultat, et il y eut lieu de craindre que la caravane n’eût péri tout entière, soit dans une attaque des nomades du Touat, soit par la fatigue ou la maladie, au milieu des immenses solitudes sahariennes.

Le monde des géographes ne savait donc que supposer, et commençait à perdre l’espoir, non seulement de revoir Carl Steinx, mais aussi de recueillir, quelque bruit le concernant, lorsque, trois mois plus tard, l’arrivée d’un Arabe à Ouargla vint éclaircir le mystère qui entourait cette malheureuse expédition.

Cet Arabe, qui appartenait précisément au personnel de la caravane, avait pu s’échapper. On sut par lui que les Touareg entrés au service de l’explorateur l’avaient trahi. Carl Steinx, égaré par eux, s’était vu attaquer par une bande de Touareg, qui opérait sous la conduite de ce chef de tribus, Hadjar, déjà célèbre par ces agressions dont plusieurs kafila avaient été victimes. Carl Steinx s’était courageusement défendu avec les fidèles de son escorte. Pendant quarante-huit heures, retranché dans une kouba abandonnée, il avait pu tenir tête aux assaillants. Mais l’infériorité numérique de sa petite troupe ne lui permit pas de résister davantage, et il tomba entre les mains des Touareg, qui le massacrèrent avec ses compagnons.

On comprend quelle émotion provoqua cette nouvelle. Il n’y eut qu’un cri : venger la mort du hardi explorateur, et la venger sur cet impitoyable chef touareg, dont le nom fut voué à l’exécration publique. Et, d’ailleurs, combien d’autres attentats contre les caravanes lui étaient attribués non sans raison ! Aussi les autorités françaises décidèrent-elles d’organiser une expédition pour s’emparer de sa personne, le châtier de tant de crimes, anéantir en même temps la funeste influence qu’il exerçait sur les tribus. On ne l’ignorait pas, ces tribus gagnaient peu à peu vers l’est du continent africain ; leur habitat tendait à s’établir dans les régions méridionales de la Tunisie et de la Tripolitaine. Le considérable commerce qui se faisait à travers ces contrées risquerait d’être troublé, détruit même, si l’on ne réduisait pas les Touareg à un état absolu de soumission. Une expédition fut donc ordonnée et le gouverneur général de l’Algérie comme le résident général en Tunisie donnèrent des ordres pour qu’elle reçût appui dans les villes du pays des chotts et des sebkha où s’étaient établis des postes militaires. Ce fut un escadron de spahis, commandé par le capitaine Hardigan, que le Ministre de la Guerre désigna pour cette difficile campagne dont on attendait de si importants résultats.

Un détachement d’une soixantaine d’hommes fut amené au port de Sfax par le Chanzy. Quelques jours après le débarquement, avec ses vivres, ses tentes à dos de chameaux, svous la conduite de guides arabes, il quitta le littoral et prit la direction de l’ouest. Il devait trouver à se ravitailler dans les villes et bourgades de l’intérieur, Tozeur, Gafsa et autres, et les oasis ne manquent point dans la région du Djerid.

Le capitaine avait sous ses ordres un capitaine en second, deux lieutenants et plusieurs sous-officiers, parmi lesquels le maréchal des logis-chef Nicol.

Or, dès l’instant que le marchef faisait partie de l’expédition, c’est que son vieux frère Va-d’l’avant et le fidèle Coupe-à-cœur en étaient aussi.

L’expédition, réglant ses étapes avec une régularité qui devait assurer la réussite du voyage, traversa tout le Sahel tunisien. Après avoir dépassé Dar et Mehalla et El Quittar, elle vint prendre quarante-huit heures de repos à Gafsa, en pleine région de l’Henmara.

Gafsa est bâtie dans le coude principal que forme l’oued Bayoeh. Cette ville en occupe une terrasse encadrée de collines auxquelles succède un formidable étage de montagnes à quelques kilomètres de là. Entre les diverses cités de la Tunisie méridionale, elle possède le plus grand nombre d’habitants, groupés dans une agglomération de maisons et de cabanes. La Kasbah qui la domine, et où veillaient autrefois des soldats tunisiens, est présentement confiée à la garde de soldats français et indigènes. Gafsa se vante aussi d’être un centre lettré et diverses écoles y fonctionnent au profit des langues arabe et française. En même temps, l’industrie y est fort prospère, tissage des étoffes, fabrication des haïks de soie, couvertures et burnous dont la laine est fournie par les nombreux moutons des Hammâmma. On y voit encore les Termil, bassins construits à l’époque romaine, et des sources thermales dont la température va de vingt-neuf à trente-deux degrés centigrades.

Dans cette ville, le capitaine Hardigan obtint des nouvelles plus précises concernant Hadjar : la bande de Touareg avait été signalée aux environs de Ferkane, à cent trente kilomètres dans l’ouest de Gafsa. La distance à parcourir était grande, mais des spahis ne comptent avec la fatigue pas plus qu’avec le danger.

Et, lorsque le détachement apprit ce que ses chefs attendaient de son énergie et de son endurance, il ne demanda qu’à se mettre en route. « D’ailleurs, ainsi que le déclara le marchef Nicol, j’ai consulté le vieux frère qui est prêt à doubler les étapes s’il le faut !… et Coupe-à-cœur, qui ne demande qu’à prendre les devants ! »

Le capitaine, bien réapprovisionné, partit avec ses hommes. Il fallut d’abord, au sud-ouest de la ville, traverser une forêt qui ne compte pas moins de cent mille palmiers et qui en abrite une seconde uniquement composée d’arbres fruitiers.

Une seule bourgade importante se rencontrait sur ce parcours entre Gafsa et la frontière algéro-tunisienne. C’est Chebika où furent confirmées les informations relatives à la présence du chef touareg. Il opérait alors au très grand dommage des caravanes qui fréquentaient ces extrêmes régions de la province de Constantine, et son dossier, si chargé déjà, s’accroissait sans cesse de nouveaux attentats contre les propriétés et les personnes.

À quelques étapes de là, lorsque le commandant eut franchi la frontière, il fit extrême diligence pour atteindre la bourgade de Négrine, sur les rives de l’oued Sokhna.

La veille de son arrivée, les Touareg avaient été signalés à quelques kilomètres plus à l’ouest, précisément entre Négrine et Ferkane, sur les bords de l’oued Djerich qui coule vers les grands chotts de cette contrée.
l’un des lieutenants se précipita sur lui. (Page 28.)

D’après les renseignements, Hadjar, que sa mère accompagnait, devait avoir une centaine d’hommes, mais, bien que le capitaine Hardigan en eût près de moitié moins, ni ses spahis, ni lui, n’hésiteraient à l’attaquer. La proportion d’un contre deux n’est pas pour effrayer des troupes d’Afrique, et elles se sont souvent battues dans des conditions inférieures.

Ce fut bien ce qui arriva en cette occasion, lorsque le détachement eut atteint les environs de Ferkane. Hadjar avait été prévenu et, sans doute, il ne se souciait pas d’affronter la lutte. N’était-il pas préférable de laisser l’escadron s’engager plus avant dans ce pays difficile des grands chotts, de le harceler par d’incessantes agressions, de faire appel aux Touareg nomades qui parcourent ces régions et qui ne refuseraient point de rejoindre Hadjar, si connu de toutes les tribus touareg ? D’autre part, du moment qu’il était tombé sur ses traces, le capitaine Hardigan ne les abandonnerait pas et poursuivrait aussi loin qu’il le faudrait.

En conséquence, Hadjar avait résolu de se dérober et, s’il parvenait à couper la retraite de l’escadron, après avoir recruté de nouveaux partisans, il parviendrait sans doute à anéantir la petite troupe envoyée contre lui. Et ce serait une nouvelle et plus déplorable catastrophe ajoutée à celle de Carl Steinx.

Cependant, le plan de Hadjar fut déjoué, alors que la bande cherchait à remonter le cours de l’oued Sokhna, afin de gagner dans le nord la base du Djebel Cherchar. Un peloton, conduit par le maréchal des logis-chef Nicol, auquel Coupe-à-cœur avait donné l’éveil, se mit en travers de la route. La lutte s’engagea et le reste du détachement ne tarda pas à y prendre part. Coups de carabines et coups de fusils éclatèrent, auxquels se mêlèrent les détonations des revolvers. Il y eut des morts du côté des Touareg et des blessés du côté des spahis. Une moitié des Touareg, forçant l’obstacle, parvint à fuir, mais leur chef n’était pas avec eux.

En effet, à l’instant où Hadjar tentait de rejoindre ses compagnons de toute la vitesse de son cheval, le capitaine Hardigan s’était lancé sur lui de toute la vitesse du sien. En vain Hadjar essaya-t-il de le désarçonner d’un coup de pistolet, la balle ne l’avait point atteint. Mais, sa monture ayant fait un violent écart, Hadjar vida les étriers et tomba. Avant qu’il eût le temps de se relever, l’un des lieutenants se précipita sur lui, et, d’autres cavaliers accourant, il fut maintenu en dépit des terribles efforts qu’il fit pour se dégager.

C’est à ce moment que Djemma, qui s’était jetée en avant, fût arrivée jusqu’à son fils, si elle n’avait été retenue par le maréchal des logis-chef Nicol. Il est vrai, une demi-douzaine de Touareg purent la lui arracher et c’est en vain que le brave chien assaillit ceux qui entraînaient la vieille Targui au plus vite.

« Je tenais la louve ! s’écria le marchef, et la louve m’a filé entre les mains !… Ici, Coupe-à-cœur, ici, répéta-t-il en rappelant l’animal. En tout cas, le louveteau est de bonne prise. »

Hadjar était pris et bien pris, et, si les Touareg ne parvenaient pas à le délivrer avant son arrivée à Gabès, le Djerid serait enfin purgé de l’un de ses plus redoutables malfaiteurs.

La bande l’eût tenté sans aucun doute et Djemma n’aurait pas laissé son fils au pouvoir des Français, si le détachement ne se fût renforcé des soldats réquisitionnés dans les postes militaires de Tozeur et de Gafsa.

L’expédition avait alors rallié le littoral, et le prisonnier était enfermé dans le bordj de Gabès en attendant son transport à Tunis, où il serait déféré à la justice militaire.

Tels sont les événements qui s’étaient passés avant le début de cette histoire. Le capitaine Hardigan, après un court voyage à Tunis, venait de rentrer à Gabès ainsi qu’on l’a vu, et le soir même où le Chanzy mouillait dans le golfe de la Petite-Syrte.