L’Instruction publique et la révolution/03

L’Instruction publique et la révolution
Revue des Deux Mondes3e période, tome 47 (p. 370-393).
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IV.

DES ÉCOLES PRIMAIRES ET DE LEUR ORGANISATION SOUS LE DIRECTOIRE.


Dans la rapide énumération qui précède, nous n’avons pu qu’indiquer d’une façon très sommaire les grandes divisions de la loi du 3 brumaire an IV. Il nous reste à l’étudier d’une façon plus analytique et plus détaillée. Nous traiterons spécialement ici des écoles primaires et de leur organisation par le directoire ; — les écoles centrales viendront après. Jusqu’où cette organisation fut-elle poussée ? dans quelle mesure réussit-elle ? quels obstacles eut-elle à vaincre ? La plupart de ces points n’ont encore été qu’effleurés ; nous voudrions essayer de les fixer.


I.

L’erreur de tous les projets et décrets antérieurs à celui du 3 brumaire an IV avait été de créer des circonscriptions scolaires artificielles. À l’exemple de Condorcet, qui voulait une école primaire par chaque groupe de quatre cents habitans, et sous prétexte d’égalité, on ne s’était jusqu’alors attaché qu’au chiffre de la population. On avait négligé le plus important, c’est-à-dire les circonstances de fait, de lieu, de temps, historiques ou naturelles, dont la loi doit toujours s’inspirer, à peine d’être inefficace et même dangereuse. La logique révolutionnaire est ainsi faite, qu’en toute question elle ne voit jamais qu’un point. On ne saurait, — nous l’avons déjà dit, — adresser ce reproche aux auteurs de la loi du 3 brumaire. Éclairés par l’expérience, moins enthousiastes, mais plus avisés que leurs devanciers, Daunou et ses collègues avaient eu l’idée de prendre le canton pour base de leur organisation. C’est au canton qu’ils avaient placé le premier degré d’instruction. Cette circonscription leur avait semblé tout indiquée. Et, de fait, il n’en était pas de meilleure pour le temps. Avant de créer des écoles de village, au prix de sacrifices excessifs, la raison commandait d’en établir au moins une dans les localités importantes. C’était peut-être contraire à la stricte équité ; aux yeux des théoriciens purs, le dernier des hameaux a les mêmes droits que Paris. Politiquement, administrativement, rien n’était plus pratique et plus sage.

Une autre partie de la loi du 3 brumaire à laquelle il serait injuste de refuser des éloges, c’est celle qui traite du mode de nomination et de révocation des instituteurs et plus généralement de leur condition matérielle et morale. Là encore, on peut le dire, le législateur de l’an IV avait été très heureusement inspiré. Sous l’ancien régime, l’aptitude des maîtres n’était pas sévèrement contrôlée ; ils étaient d’ordinaire désignés par le curé, qui répondait de leur orthodoxie, et choisis par l’assemblée des pères de famille après un interrogatoire le plus souvent assez sommaire. On n’exigeait d’eux aucune autre marque de savoir. En revanche, ils étaient révocables à volonté, soit par la communauté, soit par l’évêque ou son représentant. Combien différente la situation de l’instituteur dans la nouvelle organisation ! Tout d’abord, il faut qu’il ait fait ses preuves. Il ne peut être nommé par l’administration départementale, sur la présentation de la municipalité, qu’après examen devant un jury d’instruction. Ainsi trois échelons, trois degrés à franchir avant d’obtenir le grade, ou mieux la fonction. De même pour la perdre : une fois nantis, — nous citons ici textuellement, — « les instituteurs ne pourront être destitués que par le concours des administrations départementales et municipales, de l’avis d’un jury d’instruction, et après avoir été entendus. » Il y avait là de sérieuses garanties pour l’état et pour les maîtres ; pour ces derniers surtout, émancipés de l’église et protégés contre l’arbitraire administratif par une procédure vraiment libérale, l’avantage était grand. Que nous voilà déjà loin des doléances présentées par les recteurs de Bourgogne à leurs députés aux états-généraux ! L’humble magister de village est maintenant un fonctionnaire qui ne sert plus que l’état et sur qui l’état seul a des droits : il cumulait naguère toutes sortes d’offices, un peu subalternes ; c’était l’homme à tout faire de la commune ; désormais il exercera une profession, peu rétribuée, par exemple. La république se contente de fournir à chaque instituteur un local, « tant pour lui servir de logement que pour recevoir les élèves pendant la durée des cours, et le jardin qui se trouverait attenant à ce local. » D’argent, point ; à moins que le département ne juge « plus convenable de lui allouer une somme annuelle pour lui tenir lieu du logement et du jardin susdits, » son unique rémunération sera celle qu’il recevra des élèves. Encore l’administration pourra-t-elle en exempter, pour cause d’indigence, un quart des enfans.

On a souvent critiqué cette partie de la loi du 3 brumaire. Il est certain qu’elle manque un peu de la facile générosité qu’on trouve dans les projets antérieurs. Les jacobins faisaient plus grand, au moins sur le papier. L’argent ne les arrêtait pas ; un peu plus tôt, un peu plus tard, la banqueroute était inévitable, pourquoi se seraient-ils gênés ? Ils allaient donc, ils allaient, et de quel train ! prodiguant les millions, multipliant les traitemens, les indemnités, les places, avec cette effronterie de parvenus qui croient se donner des airs de grand seigneur en ne comptant pas. C’est ainsi qu’en moins de trois ans, ils avaient dévoré pour plusieurs milliards de biens nationaux. Il était aisé, vraiment, de se répandre en largesses à ce prix. Mais faut-il faire un crime aux thermidoriens d’avoir apporté dans le maniement des deniers publics un peu plus de prudence ? Tout au rebours, à notre avis. Après l’honneur d’avoir délivré la France de l’avilissante tyrannie de Robespierre, leur plus grand mérite est d’avoir essayé de mettre un frein aux dilapidations du trésor. Leur popularité peut-être en a souffert ; certainement leur mémoire y a gagné.

Au double point de vue du placement des écoles et de la condition des maîtres, la loi du 3 brumaire était donc, sinon parfaite, du moins aussi bonne que les circonstances le permettaient. Malheureusement, à d’autres égards, elle laissait singulièrement à désirer. Notamment au chapitre des autorités constituées, que d’erreurs ! La pédagogie révolutionnaire apparaît ici dans toute son infirmité : sa présomption, son ignorance absolue des règles d’une bonne administration sont flagrantes. Considérez cette hiérarchie : en bas, pour la surveillance immédiate des écoles, la présentation des maîtres et l’exécution des lois et des arrêtés, la municipalité ; au milieu, pour examiner les candidats et donner son avis dans les cas de révocation, le jury d’instruction ; au sommet, pour le choix du jury, la nomination des instituteurs, la répartition des écoles et la préparation des règlemens relatifs à leur régime, les administrations de départemens. Et puis, rien, aucun contrôle, aucune intervention de l’état, si ce n’est pour approuver les règlemens arrêtés par les autorités départementales. À cette vaine formalité se borne l’action du pouvoir central, du directoire. Encore si ces autorités dépendaient de lui, s’il avait quelque pouvoir sur elles ! Mais, issues de l’élection, elles lui échappent entièrement : elles n’ont qu’un maître, le peuple, et qu’une pensée, qu’un but, lui plaire. Plus libre en apparence, le jury d’instruction lui-même est sous le joug ; bien que nommé par le département, c’est du souverain en réalité qu’il émane aussi et c’est à ses injonctions qu’il obéit.

Or ce souverain, quel est-il et de quels élémens se compose-t-il ? Quelle est sa compétence et quelle sa capacité ? De 1791 au 9 thermidor, la chose est bien connue, le souverain[1], manifestement, c’est le club, c’est-à-dire une infime minorité formée de tous les déclassés, de tous les bavards et de toutes les têtes chaudes de la commune. Partout, à l’exemple de Paris, avaient poussé des sociétés populaires. En septembre 1791, on en comptait déjà 1,000[2] ; en 1793, après la mort du roi, il y en avait presque autant que de villages ; 26,000, au dire de Rœderer.

Affiliées presque toutes aux jacobins, ces sociétés patriotiques, épurées, régénérées, jacobines, montagnardes, comme elles s’appelaient, avaient fini par étendre leur réseau sur toute la France et partout elles tenaient les pouvoirs légaux en échec. Au commencement, en 1791, la constituante avait bien essayé de s’opposer en quelque mesure à leurs empiétemens ; elle leur avait interdit [3] de mander à leur barre les fonctionnaires publics et défendu les pétitions en nom collectif, les députations, les adresses, la publication de leurs débats et généralement tous actes politiques ; mais le premier soin de la convention avait été de les émanciper. Dès le mois de juin 1793, elle avait proclamé le droit d’association sans réserves ni restriction d’aucune sorte, en attendant qu’elle l’inscrivît dans la constitution. Un peu plus tard, en juillet, elle avait porté des peines énormes, — deux et cinq ans de fers, suivant les cas, — contre les fonctionnaires, les commandans de la force publique et même les simples particuliers « coupables d’avoir mis obstacle à la réunion d’une société populaire. » Dès lors et jusqu’au qu’au 9 thermidor, la « conquête jacobine » s’était poursuivie sans relâche : du centre elle avait gagné les extrémités, et pris, l’un après l’autre, à l’exception de ceux de l’Ouest, tous les départemens. Encore un peu et la prédiction de Camille Desmoulins se fût accomplie : « Le grand arbre planté par les Bretons aux Jacobins a poussé de toutes parts des racines qui lui promettent une durée éternelle[4]. »

La chute de Robespierre, heureusement, l’abattit. Il se produisit alors un véritable changement à vue : du jour au lendemain, spontanément, presque toutes les sociétés populaires s’évanouirent. À la rigueur, la convention aurait pu se dispenser de les frapper : bien avant le décret de dissolution du 6 fructidor, elles étaient rentrées sous terre. Le chef mort, les bandes avaient pris peur et s’étaient licenciées d’elles-mêmes. Rien de bas et de hideux comme cette panique, rien de plus édifiant surtout. Jamais, en aucun temps, la démagogie n’a mieux donné la mesure de sa vilenie. Il faut avoir lu, pour s’en faire une idée, ce qu’il nous reste à la Bibliothèque nationale de procès-verbaux de ces dernières séances. L’intensité de platitude et de couardise qui ressort de ces docu mens dépasse toute vraisemblance. Là, ce sont des injures au tyran tombé et à ses acolytes ; là, de lourdes adulations à « l’auguste, » à la « sublime » convention qui, « armée de la massue d’Hercule et de la tête de Méduse, » a pétrifié l’hydre du despotisme après l’avoir terrassée. Parfois, à cet encens grossier s’ajoute une autre fumée, celle des portraits de Robespierre et de Couthon qui brûlent[5]. Les dieux sont au feu et la société danse autour !

Rendons cependant aux jacobins la justice qui leur est due : cette orgie n’eut qu’un temps. Ils reprirent assez vite leur assurance et reparurent dès qu’ils virent qu’on ne guillotinait plus. Le cas s’est souvent présenté depuis ; la démagogie ne change pas : d’une extrême pusillanimité devant qui lui résiste, d’une rare audace aussitôt qu’on lui cède. Quoi qu’il en soit, les clubs qu’on croyait bien morts avec Robespierre ne tardèrent pas en fait à se reformer, malgré la loi de fructidor et malgré la constitution de l’an III. On n’a pas assez noté ce phénomène : pour la plupart des historiens de la révolution, le rôle des sociétés populaires finit au 9 thermidor ; en réalité, il ne cesse qu’au 18 brumaire. Pendant toute cette période, après le coup d’état de fructidor surtout, la France est encore dans la main des associations populaires. Elles ne s’intitulent plus de noms aussi pompeux qu’en 1793 ; elles sont moins patriotiques et moins régénérées, moins bruyantes surtout. Mais leur action dissolvante n’a rien perdu de sa force, et l’on comprendrait mal ce temps, on risquerait de ne pas assigner aux événemens leur véritable cause, si l’on négligeait un tel facteur.

Au point de vue de l’organisation des écoles, en tout cas, l’importance en est grande. En effet, de toutes les fonctions que les sociétés populaires s’étaient attribuées, aucune ne rentrait mieux dans l’esprit de leur institution que la surveillance de l’enseignement. Après la délation[6] peut-être, elles n’eurent pas de plus grande affaire. Pour agir sur l’esprit public, pour le propager, comme on disait alors, l’école était un admirable levier. C’est pourquoi, de très bonne heure, les clubs tendirent à s’en emparer. Compulsez leurs règlemens, et vous verrez que beaucoup d’entre eux s’étaient, à l’exemple de la convention, donné le luxe d’un comité d’instruction publique. À Rouen, entre autres, ce comité se composait de membres choisis parmi les hommes de lettres et les artistes de la société. Quant à ses attributions, elles comprenaient : « tout ce qui concerne les écoles publiques, les principes qu’on y professe, la discipline qu’on y observe, les livres élémentaires et autres ouvrages mis entre les mains des élèves, les plaintes portées contre les instituteurs concernant les mœurs ou le talent, les jeux, les spectacles, les pièces qui y sont représentées, la police intérieure qui y est exercée, enfin tout ce qui a trait à l’éducation et à l’instruction publique[7]. » À Périgueux, c’est le comité d’instruction publique qui préside la distribution des prix ; à la Châtre, c’est lui qui rédige à l’usage des écoles cet arrêté :

« Art. 1er . — Les instituteurs et institutrices publics de la commune de la Châtre seront tenus de ne plus mêler dans l’instruction publique les élémens d’aucun culte religieux.

« Art. 2. — L’ouverture de chaque classe se fera par le chant de la strophe chérie de l’hymne des Marseillais contenant l’invocation à la liberté, et la clôture par cette autre strophe de la même ode : « Nous entrerons dans la carrière, etc. »

Mais voyez la complication : ce n’est pas seulement au gouvernement des écoles que prétendent les sociétés populaires. Dès le principe, elles eurent la prétention d’être elles-mêmes « une branche essentielle de l’instruction publique[8]. » C’est ainsi que l’auteur d’un des projets d’éducation soumis à la convention, et l’un des membres influens du comité d’instruction publique de cette assemblée, Lanthenas, envisageait, leur rôle et leur but. « Pour conserver l’égalité, ce don précieux que nous tenons de la nature, et pour la transmettre à la postérité, disait-il, l’assemblée nationale ne doit donc pas balancer de provoquer elle-même dans chaque canton les sociétés populaires, les seules qui puissent instruire tous les citoyens et rendre vains tous les efforts de l’intrigue. Elle doit lier à l’éducation cette seconde branche de l’éducation publique, et consacrer par le nom même qui désignera ces sociétés l’esprit d’égalité et de fraternité qui doit être désormais la base de toute réunion… » Aux Jacobins, dès le mois de septembre 1791, on ne parlait pas un autre langage. « N’en doutons pas, messieurs, disait un orateur[9], le dernier degré de perfectionnement de la raison humaine et de l’instruction publique sera dans l’institution universelle, et jusque dans les moindres villages, de ces clubs populaires, de ces sociétés fraternelles. Voyez le bien qu’ils ont opéré à Lyon : l’aristocratie y dominait ; elle a disparu ou a été forcée de se cacher depuis l’établissement des sociétés populaires… »

« On demande quel est le meilleur système d’éducation nationale dans un régime libre. Il doit être simple, économique : des écoles gratuites pour le peuple enfant, des clubs pour le peuple homme. Voilà ce que la nation doit établir, doit payer ; pour le reste, laissez l’industrie privée à elle-même… »

Le club maître de l’école et maître d’école lui-même, voilà donc, prise sur le fait, la pure doctrine révolutionnaire. En matière d’instruction publique, comme dans le reste, la seule autorité souveraine, indiscutable, antérieure et supérieure à tous les autres pouvoirs, c’est lui, lui seul et c’est assez. Dès lors à quoi bon tous ces rouages : municipalités, jurys d’instruction, assemblées départementales ? Cette machine si compliquée, si laborieusement agencée n’a plus de raison d’être. La force motrice lui manquera toujours, et d’avance elle est frappée d’inertie.


II.

Si, du moins, à défaut de pouvoirs compétens capables de traiter avec un peu de suite et de prudence une matière aussi délicate que l’éducation de la jeunesse, le législateur avait respecté les vieilles méthodes ! Depuis un temps immémorial, en France, les matières d’enseignement comprenaient, outre la lecture et l’écriture, un peu d’histoire sainte et le catéchisme. L’école avait toujours été confessionnelle ; c’était même, à dire vrai, le seul côté par où la royauté et le clergé s’intéressaient à elle. L’idée de la nécessité de l’instruction pour l’instruction n’existait pas encore sous l’ancien régime, et personne alors ne se fût avisé de se plaindre que la religion eût sa part dans l’éducation ; On n’aimait pas les moines, mais le bon Dieu n’avait pas d’ennemis personnels ; on ne le trouvait nullement gênant et l’on ne demandait pas mieux que de laisser venir à lui les petits enfans ; s’ils n’en étaient pas plus sages, à coup sûr, ils n’en étaient pas plus méchans. D’ailleurs, où le bon Dieu ne réussissait pas, on avait la ressource du fouet, cet autre grand moyen de l’ancienne pédagogie.

La révolution ne se contenta pas de supprimer le fouet, malgré ses longs états de service : dans son respect exagéré de la personnalité humaine et de la liberté de conscience, elle imagina cette chose inouïe jusqu’à elle, un système d’éducation indépendant de tout dogme. En quoi sans doute elle était parfaitement conséquente. Ayant pris pour but l’affranchissement universel de l’espèce, elle ne pouvait guère admettre d’exception ; sa doctrine absolue n’en comportait pas et, de fait, elle n’en fit point, si ce n’est pour la femme. Après les protestans, les juifs, les nègres et les détenus de la Bastille ou de l’Abbaye, il lui parut qu’elle devait émanciper aussi l’enfant. Or, pour l’enfant, le maître, l’oppresseur, c’était Dieu. N’était-ce pas au nom de a cette hypothèse » que, dès le berceau, par le baptême, on lui confisquait son libre arbitre, et qu’un peu plus tard, on le soumettait à des pratiques qui parlaient à son cœur avant que sa raison fût éveillée : le signe de la croix, la prière, la messe ? Autant d’actes, autant d’engagemens qu’on lui faisait prendre avant qu’il fût en état de les discuter, et de liens dans lesquels on emprisonnait son esprit. De même et bien pis à l’école ; déjà déprimée dans la famille, asservie par elle à de vaines observances, l’intelligence de l’enfant était là par surcroît soumise au régime le mieux fait pour achever de l’atrophier. On ne lui demandait que des efforts de mémoire ; on négligeait absolument ses autres facultés. On lui faisait prendre l’habitude de balbutier des mots et d’exprimer des idées abstraites ou figurées sans les entendre : « Qu’est-ce que Dieu ? — Dieu est un pur esprit. » « Qu’est-ce que le mystère de la sainte trinité ? — Le mystère de la sainte trinité est le mystère d’un seul Dieu en trois personnes. » Quelle nourriture pour de jeunes esprits ! Et quelle force, quel profit pouvaient-ils en tirer ? Aucun, en vérité. C’était déjà l’opinion de Rousseau[10] dans l’Émile. « Toutes les réponses du catéchisme, disait-il, sont à contresens, c’est l’écolier qui instruit le maître ; elles sont même des mensonges dans la bouche des enfans, parce qu’ils expliquent ce qu’ils n’entendent point et qu’ils affirment ce qu’ils sont hors d’état de croire… Je voudrais qu’un homme qui connaîtrait bien la marche de l’esprit des enfans voulût faire pour eux un catéchisme. Ce serait peut-être le livre le plus utile qu’on ait jamais écrit. »

Ç’avait été de même, on l’a vu, la pensée de Condorcet et de tous les auteurs de plans et projets d’éducation qui étaient venus après lui. En condamnant le catéchisme, le législateur de l’an IV était donc à la fois dans la logique révolutionnaire et dans la tradition de ses prédécesseurs. Il s’en fallait malheureusement qu’il fût dans la mesure et dans la vérité. Si la logique lui donnait raison, les mœurs étaient contre lui. En effet, proscrire l’enseignement religieux, ce n’était pas seulement blesser dans leurs convictions la grande majorité des Français, c’était aller à l’encontre d’habitudes et de pratiques invétérées. On a pu, de nos jours, considérer cet enseignement comme un accessoire et réduire beaucoup la place qu’il tenait dans les études. À l’époque de la révolution, c’en était encore le principal. Sauf de rares exceptions, on n’envoyait pas son fils à l’école pour qu’il apprît ses lettres et subsidiairement les commandemens de Dieu. On voulait avant tout qu’il fût mis en état de faire sa première communion. Nos pères ne voyaient guère au-delà ; ils croyaient beaucoup plus, dans leur innocence, à la vertu de l’évangile qu’à celle de l’instruction, et ne concevaient, n’admettaient même pas l’une sans l’autre. Il leur était aussi fort indifférent qu’il y eût dans le catéchisme quelques parties obscures et quelques définitions ardues ; ils s’en tenaient à l’ensemble, au fond de la doctrine et à l’admirable morale qui s’en dégage. Le reste leur échappait. Aussi fut-ce une grave erreur législative, une faute capitale au point de vue politique, que la suppression de l’enseignement religieux. Dans l’état de l’opinion, rien n’était plus propre à discréditer la nouvelle organisation des écoles. Elles avaient déjà contre elles, aux yeux de beaucoup de gens, le vice de leur origine. Quand on connut qu’on n’y ferait même plus dire aux enfans leur prière, elles furent jugées.

Encore si la loi s’était contentée de cette suppression, si elle n’avait pas imaginé d’y suppléer par une nouvelle morale de fabrique et de marque républicaines ! On conçoit déjà mal un système d’éducation exclusif de toute idée religieuse. Que penser d’une pédagogie fondée sur un certain état de la société, sur une manière d’être politique, relative à la nature et à la forme du gouvernement ! Évidemment cette pédagogie pécherait par la base, et vous chercheriez vainement un principe, un point fixe où la rattacher. Dirigée par les événemens, soumise à leurs fluctuations, réduite à les suivre dans leur mobilité, préoccupée d’intérêts purement humains, quelle suite et quelle méthode pourrait-elle apporter à sa tâche et d’où tirerait-elle sa doctrine ? Il est clair qu’elle ne la tirerait pas de son propre fonds, — la matière lui manquerait, — qu’elle serait dans la nécessité de l’emprunter, et naturellement, à l’état.

Telle la pédagogie du législateur de l’an IV. Me lui demandez ni quelle est sa philosophie ni quelle sa morale. Elle n’en a pas qui lui soient propres ; elle a celles que lui fournit le gouvernement. Or, considérez cette morale de provenance officielle et pesez-la, demandez-vous ce qu’elle embrasse et ce qu’elle contient. Le compte sera vite fait : de l’idée de Dieu, pas un mot ; de l’idée de la vie future et de l’immortalité de l’âme, rien ; des peines et des récompenses, rien ; du devoir en général, rien. Dans l’homme elle ne voit qu’une chose : le citoyen actif, l’électeur. Le devoir, elle le fait consister uniquement dans l’amour de la république et dans l’observation des commandemens républicains. Son évangile, sa loi, son idéal, son tout enfin, c’est la constitution ; elle et rien qu’elle. Maintenant prenez l’enfant, et demandez-vous si l’ancien régime ne convenait pas mieux à son esprit, s’il n’en recevait pas une plus durable et salutaire empreinte. Comparez les deux systèmes : d’un côté, le culte étroit et borné d’une forme de gouvernement, c’est-à-dire d’un objet essentiellement incertain, contingent, un culte abstrait, incapable de parler aux sens et par eux à l’imagination, sec et froid comme un théorème de géométrie ; d’autre part, une doctrine immuable, embrassant dans sa généralité tout l’homme intellectuel, lui prêchant toutes les formes du devoir, tantôt ouvrant à son imagination l’éblouissante perspective des félicités éternelles, tantôt lui montrant par-delà cette vie les horreurs de la damnation ; ici, de solennelles déclarations, de pompeuses formules, des généralités et des mots vides de sens pour déjeunes cerveaux : le contrat social, la souveraineté du peuple, l’unité et l’indivisibilité de la république ; là, partout des images et des formes concrètes, tangibles, partout le mouvement, la couleur et la vie, le bon Dieu dans les nuages, Jésus rédempteur sur sa croix, la Vierge dans une gloire, un ciel peuplé d’anges roses, un enfer tout rempli de petits garçons qui n’ont pas été sages. Quel contraste et combien concluant, péremptoire ! Avec quelle force il fait éclater la supériorité de l’ancienne pédagogie ! Comme elle était plus haute et cependant plus accessible, plus large et néanmoins plus compréhensible ! Comme elle prenait mieux la mesure de l’enfant et comme elle savait mieux l’intéresser, l’émouvoir ! J’accorde qu’elle ne se donnait pas beaucoup de peine pour former le citoyen, mais entre ce défaut et l’erreur fondamentale consistant à traiter l’homme comme une espèce d’animal politique, à l’élever uniquement en vue de sa future condition d’électeur et de garde national ou de fonctionnaire public, en vérité l’écart est grand. J’aperçois bien un sectionnaire, un clubiste, surtout un bavard dans ce bambin nourri d’emphase et de lieux-communs révolutionnaires ; je cherche en vain le brave et l’honnête homme que faisaient les petites écoles.

Mais poussons plus loin cette comparaison ; de la théorie passons à la pratique ; étudions les documens. Car si la valeur d’un système d’éducation dépend beaucoup des idées dont il s’inspire, elle se mesure encore plus exactement peut-être aux instrumens qu’il emploie, c’est-à-dire, dans l’espèce, aux livres de classe et de lecture. Sous l’ancien régime, les ouvrages suivis dans les petites écoles étaient, après le Catéchisme, l’Histoire sacrée, la Vie des saints, la Civilité puérile et honnête et les Contes de Perrault. Ces quelques ouvrages formaient à peu près tout le fonds des bibliothèques scolaires, et ce n’était pas à vrai dire un fonds bien riche. L’élément religieux le surnaturel y tenait manifestement une place excessive, au détriment de l’histoire nationale et de ces premières notions d’économie rurale et domestique si nécessaires à répandre. Mais si le nombre et la variété des livres qui entraient dans les écoles étaient insuffisans, leur innocence au moins ne laissait rien à désirer, renseignement qui s’en dégageait en somme était irréprochable, très moral et très élevé. La Civilité puérile elle-même, dont on s’est tant moqué, comme de beaucoup de choses, sans la connaître, sur son titre seul, n’était pas sans mérite. Elle contenait bien quelques longueurs et quelques superfluités, des détails oiseux ou par trop enfantins, mais en même temps que d’indications pratiques et de recommandations judicieuses ! Quel utile manuel des bonnes manières et du bon ton, du maintien et de la politesse à observer en société ! On attachait autrefois beaucoup d’importance à cette partie de l’éducation, — à preuve que la première Civilité puérile est signée d’un des plus grands noms de la renaissance, Erasme. — On ne trouvait pas suffisant que l’enfant reçût une forte instruction religieuse et morale, on voulait encore qu’il apprît à se tenir convenablement avec ses égaux, avec ses inférieurs et surtout avec ses supérieurs. On tenait à le familiariser avec ces formes extérieures du respect, qui ne sont pas toujours le respect lui-même, mais qui contribuent singulièrement à le maintenir, et, sous ce rapport, la Civilité puérile était le meilleur et le plus sûr des guides.

Dans un autre ordre d’idées, les Contes de fées rendaient aussi de singuliers services. Sans doute, on pouvait leur reprocher d’abuser du merveilleux et de surexciter à l’excès les facultés Imaginatives par des récits fantastiques et souvent terribles. Mais comme ils attachaient l’enfant, comme ils savaient lui rendre la morale attrayante, et sous quelles riches couleurs ils lui peignaient la vertu ! Comme ils faisaient travailler son esprit surtout ! Prenez le Petit Poucet par exemple, et cherchez dans toute la littérature un morceau comparable à ce chef-d’œuvre, aussi pathétique et aussi mouvementé ; cherchez un héros qui, pour des gamins de huit à douze ans, vaille ce bonhomme de leur âge. Vous ne trouverez nulle part, même dans Homère, ni un drame aussi rempli de péripéties, ni un personnage aussi complet et aussi extraordinaire, réunissant en soi plus de qualités, le courage, le sang-froid, la sagesse, l’amour fraternel. Le duel de l’Ogre et du petit Poucet est cent fois plus palpitant que celui d’Ulysse et du Cyclope. Entre Ulysse et le Cyclope la partie n’est pas douteuse. Polyphème est plus fort, mais il n’a qu’un œil et pas beaucoup de malice ; Ulysse est un héros fameux par son adresse ; il a déjà fait entrer le cheval de bois dans Troie, il saura bien faire sortir ses compagnons et lui-même de l’antre du monstre. Au contraire, entre l’Ogre et le petit Poucet, toutes les chances sont pour le premier ; c’est la lutte entre l’épervier et la colombe, entre le loup et l’agneau, lutte désespérée, pleine d’angoisses et dont le dénoûment fatal fait d’autant plus horreur qu’il tarde davantage. Aussi quelle joie profonde, intense, lorsque, après mille dangers, au lieu d’être dévoré par le loup, l’agneau s’échappe enfin et rentre sain et sauf au bercail ! Quelle grande et salutaire leçon de morale en même temps ! Tout au rebours, dans les livres de classe ou de lecture postérieurs à 1789 et publiés la plupart par les soins de la convention, quelques-uns même à ses frais. N’y cherchez pas d’inspiration supérieure ou de vues générales et désintéressées. Faire connaître aux enfans la constitution et les principes sur lesquels elle repose, l’organisation politique, administrative, religieuse et judiciaire en même temps et surtout leur inspirer l’amour de la république et du peuple, la haine des rois, des aristocrates et des prêtres, voilà le fond de cette littérature officielle. Elle n’enseigne pas seulement à l’enfant qu’il est né libre et qu’il a des droits ; que ces droits il les tient de la nature et de la constitution ; qu’une déclaration solennelle du peuple français les a consacrés ; elle ne se contente pas de lui mettre sous les yeux le texte de ces documens avec un commentaire et des réflexions souvent plus obscurs que la lettre elle-même ; elle y joint des récits, des appréciations sur les hommes et sur les événemens, des comparaisons entre l’ancien régime et la révolution, des exemples de vertu civique et de corruption aristocratique propres à graver dans de jeunes esprits l’idée de la supériorité de l’homme du peuple sur les autres hommes, et de la république, dans ses pires excès, sur toutes les autres formes de gouvernement.


Lisez plutôt ces extraits :


Extrait de l’Alphabet des sans-culottes, ou Premiers élémens de l’éducation républicaine, dédié aux jeunes sans-culottes, par demandes et par réponses :

D. — Quelles sont les époques les plus glorieuses de la révolution ?

R. — Le 14 juillet 1789, le 10 août 1792, le 31 mai et le Ier juillet 1793.

D. — Qu’est-ce que c’était que la Bastille ?

R. — Une prison affreuse où le tyran faisait enterrer vifs ceux qui osaient élever la voix contre la tyrannie.

D. — Que s’est-il passé au 10 août ?

R. — L’attaque du palais du tyran par les braves sans-culottes.

D. — Qu’est-ce qu’un brave sans-culottes ?

R. — C’est un brave dont l’âme ne peut être corrompue par l’or des despotes.

D. — Quelles sont les vertus des sans-culottes ?

R. — Toutes.


Extrait de l’Éloge historique de Barra et Viala, prononcé le jour de leur fête et dédié aux enfans des écoles primaires par le citoyen Rouxin, suivi de l’Éloge de Voltaire, de Rousseau, de Marat et de Le Pelletier :

Ce n’est pas sous vos règnes, rois imbéciles et méchans, qui ne consacrez par des monumens fastueux que des actions d’esclaves, que la nature fait des béros… Que sont devenus les exploits de ces prétendus héros de vos empires, dont l’histoire adulatrice proclamait les noms avec tant d’emphase ? Ils ne peuvent plus soutenir le parallèle, ces enfans d’une orgueilleuse génération, avec les enfans de l’égalité et de la valeur…


Extrait du Nouveau Catéchisme républicain à l’usage des sans-culottes et de leurs enfans, présenté à la convention nationale, qui en a fait mention honorable :

D. — Qui es-tu ?

R. — Homme libre par nos droits de nature et de républicain français.

D. — Tous les hommes sont-ils libres ?

R. — Oui.

D. — L’univers ne forme donc qu’une république ?

R. — Pas encore, mais ça ira.

D. — Quelle fut la cause de la prise de la Bastille ?

R. — C’est que la cour épouvantée s’entourait de troupes… On ne devait s’attendre qu’aux vengeances les plus cruelles de la part de tant d’ennemis encore si puissans. Le désespoir fait place à l’héroïsme : le mot de liberté se fait entendre ; on s’écrie qu’il faut prendre la Bastille et la Bastille est investie. On somme le gouverneur de rendre la forteresse. Il feint d’obéir, mais il venait de recevoir des ordres de Besenval et il en attendait des secours. Cependant il fait entrer des citoyens dans la cour ; les portes se referment et on tire sur eux. Cette horrible trahison ne permet plus de garder aucune mesure. Les chaînes des pont-levis sont rompues ; on se précipite dans la Bastille ; en moins de quatre heures, elle est prise. Delaunay est massacré. On trouve sur Flesselles, prévôt des marchands, une lettre qui prouve son intelligence avec Delaunay ; il est de même massacré, et leurs têtes sont portées au bout d’une pique…

D. — N’y a-t-il pas eu dans le mois de juillet quelque autre événement mémorable ?

R. — Les subsistances devenaient moins abondantes ; on s’adressa à Foulon, qui en avait l’administration. « Le pain est prêt à manquer, lui dit-on. — Qu’ils mangent du foin, » répondit-il. Ce monstre est arrêté à Senlis ; on le conduit à Paris, où il est massacré avec Berthier, son gendre.


Extrait du Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français, présenté à la convention nationale au nom de son comité d’instruction publique et envoyé aux municipalités, aux armées, aux sociétés populaires et à toutes les écoles de la république.

Lors de la séance du 23 juin 1789 (de cette séance si bien appelée royale puisque, dans les intentions perfides de la cour, elle devait faire échouer la révolution), les gardes françaises de service à Versailles sont commandés pour agir offensivement contre le peuple. Promesses, menaces, offres d’argent, tout est successivement employé pour obtenir d’eux l’assurance qu’ils serviront les projets sanguinaires du tyran. Tous les moyens de séduction sont inutiles. Ces braves défenseurs de la patrie qui, dès lors, ne reconnaissent d’autre souverain que le peuple, déclarent hautement qu’ils ne tremperont pas leurs mains dans le sang de leurs frères. Cette sainte résistance aux ordres infâmes du despotisme excite la rage des vils esclaves qui les commandent. Les plus zélés d’entre les gardes sont précipités nuitamment dans les cachots de l’Abbaye. Cet acte de tyrannie transpire ; il provoque l’indignation publique. Le 30 juin, sur les six heures du soir, un jeune homme monte sur une table au ci-devant Palais-Royal et s’écrie : « Citoyens, ces généreux soldats qui, le 23, à Versailles, ont refusé de faire feu sur le peuple sont maintenant chargés de chaînes. Ils gémissent dans les cachots. Souffrirons-nous qu’ils y restent plus longtemps ? Non, aux armes ! nous irons les délivrer, marchons sur l’Abbaye. »

À peine a-t-il terminé cette courte harangue qu’il s’élance vers la porte du jardin ; une foule de citoyens se précipitent sur ses pas ; ils arrivent à l’Abbaye. Les gardes françaises sont rendus à la liberté ; on les porte en triomphe au jardin de l’Égalité…


Extrait de l’Almanach du père Gérard pour l’année 1792, ouvrage qui a remporté le prix proposé par la Société des amis de la constitution séante aux Jacobins, par J.-M. Collot d’Herbois, membre de la société :

Le père Gérard. — Le spirituel, mon ami, ce sont les dîmes, les droits seigneuriaux, les corvées dont ils nous écrasent ; c’est le plaisir de manger des richesses énormes sans rien faire ; voilà le spirituel qu’ils (les prêtres) regrettent si fort.

Un Paysan. — Je ne m’étonne pas qu’ils soient si méchans.

Le père Gérard. — Ce n’est point de religion qu’ils parlent à nos femmes ; ils les étourdissent de chimères. C’est toujours la damnation éternelle qu’ils ont dans la bouche ; car ils damnent tous ceux qui ne sont pas de leur avis. L’enfer leur est d’un grand secours pour leurs mauvais desseins. C’est dans les flammes d’enfer qu’ils voudraient jeter tous les patriotes ; c’est au feu d’enfer qu’ils voudraient brûler la constitution ; c’est toujours le diable qu’ils mettent de leur parti.


Extrait du Catéchisme historique et révolutionnaire :

Les nombreuses trahisons de ce roi parjure et couvert de crimes (Louis XVI) lui avaient fait perdre depuis longtemps la confiance et l’amour du peuple ; mais depuis la journée à jamais mémorable du 10 août 1792, le seul souvenir de son nom inspirait un frémissement d’horreur dans tous les esprits ; les mânes des patriotes égorgés aux Tuileries criaient vengeance, la liberté l’exigeait, et la France entière ne cessait de la réclamer…

Le dimanche, vers les deux heures de l’après-midi, le ministre de la justice, accompagné du maire de Paris, du procureur de la commune et du procureur-général syndic du département, se transportèrent à la tour du Temple, où ils trouvèrent Louis Capet dans un état assez tranquille. Le ministre de la justice lui fit lecture du décret qui le condamnait à subir la mort, le lendemain matin. Il pria seulement le ministre de demander à la convention nationale un sursis de trois jours afin de lui donner le temps de se préparer à la mort, et, à cet effet, il demanda pour se confesser un prêtre irlandais, domicilié rue du Bac ; après quoi il se mit à dîner avec le même sang-froid qu’à l’ordinaire et sans faire paraître la moindre affectation, parce qu’il savait bien que son supplice ne pouvait jamais égaler ses forfaits.

Le ministre s’acquitta de la mission dont il avait été chargé ; il fut à la convention nationale faire la demande du sursis ; mais l’assemblée considérant que la loi doit être la même pour tous et que l’homme, quel qu’il soit, qui connaît le terme fatal de sa mort, la souffre mille fois pour une en attendant le moment qui doit couper le fil de sa vie, a pensé que l’humanité lui imposait le devoir rigoureux de maintenir son premier décret en passant à l’ordre du jour sur la demande du sursis…

Santerre ordonna avec sagesse et prudence aux tambours de continuer leur roulement et aux exécuteurs de remplir leur devoir. Cet ordre fut aussitôt exécuté que donné : les exécuteurs se saisirent de Capet, l’emmenèrent à la planche fatale, sur laquelle il prononça ces mois d’un ton de voix haute et distincte pendant qu’on l’attachait : « Je suis perdu, je meurs innocent ; je pardonne ma mort à mes ennemis, mais ils en seront punis. »

À peine avait-il achevé ces mots que le glaive vengeur tombe sur sa tête coupable et la sépare de son corps. L’un des exécuteurs la prit aussitôt par les cheveux et la montra au peuple à diverses reprises. Au même instant, se firent entendre, de toutes parts, les cris mille fois répètes de : « Vive la république ! vive la liberté ! vive l’égalité ! périssent ainsi tous les tyrans ! » Les citoyens, ne sachant comment exprimer leur joie de se voir à jamais délivrés du fléau de la royauté, s’embrassèrent tous avec l’épanchement de la plus douce union, après quoi ils chantèrent des hymnes à la liberté, en formant des ronds de danse à l’entour de l’échafaud et sur toute la place de la révolution. Pendant que cette réjouissance des hommes libres s’exécutait, les restes du tyran étaient emportés au cimetière de la paroisse Sainte-Magdelaine.


Écoutez encore ceci ; après l’horrible et l’odieux, le grotesque :


Ô vous[11], époux et épouses, si vous êtes sincèrement attachés à la patrie, préparez une génération saine et vigoureuse qui, à son tour, en produise une autre encore mieux constituée s’il est possible. Pour y contribuer, menez dans tous les temps une vie réglée au physique et au moral et dès qu’il y a des signes de grossesse, gardez-vous d’altérer dans le sein maternel l’existence du fruit de vos amours. Maris, soyez tempérans en tout, ce principe s’étend fort loin ; ayez pour vos femmes les attentions et les égards qu’exige l’état d’un individu doué, si l’on peut dire, de deux vies…

On habille généralement trop tôt les garçons en culotte ; elles les gênent, les compriment, étranglent la région des reins, les rendent sales et trop précoces du côté de l’aiguillon de Vénus, par l’air chaud et renfermé que procure ce vêtement.


Tels étaient les instrumens, les livres de classe et de lecture que la convention avait mis entre les mains des enfans, et voilà représentée par ses produits les plus authentiques et les plus originaux la nouvelle pédagogie. La voilà bien imprégnée du plus pur esprit jacobin, destructrice de toute idée de discipline, de respect, d’autorité, exclusive, intolérante, haineuse et par-dessus tout antifrançaise. Antifrançaise ? En effet, le trait commun de ces publications, c’est l’absence, ou, si vous l’aimez mieux, la perversion du sens patriotique. Sauf des outrages, vous n’y trouveriez pas un mot de notre pays avant la révolution, de sa formation territoriale et de sa merveilleuse croissance au moyen âge, de son éclat aux XVIe et XVIIe siècles, de son rôle dans le monde, de son histoire enfin. La France désormais commence aux états-généraux, la gloire au 14 juillet, le courage avec Agricole Viala, et, dans la nation, le peuple seul compte, seul il a tous les mérites et toutes les vertus. Si bien qu’étranger déjà à la notion de la divinité et aux sentimens de ses devoirs envers elle, l’enfant ne connaîtra plus, au sortir de l’école, qu’un coin de la patrie, n’en emportera qu’une image réduite et singulièrement rapetissée.


III.

Qu’un pareil enseignement eût réussi, on se figure aisément ce qu’il eût fait de l’esprit français, à quel point il l’eût rétréci et rabaissé. Trois choses essentielles, heureusement, lui manquèrent : des bâtimens, des maîtres et des élèves.

Des bâtimens : le législateur de l’an IV avait bien, on l’a vu, senti la nécessité de fournir aux instituteurs primaires « un local, tant pour leur servir de logement que pour recevoir les élèves pendant la durée des leçons » » Il leur avait même accordé la jouissance éventuelle des jardins qui pourraient être attenans à ces locaux. Mais sur ce point comme sur bien d’autres, les prescriptions de la loi restèrent sans effet. Sans compter le mauvais vouloir ou l’apathie des pouvoirs locaux, elles eurent à lutter dans beaucoup de communes contre des impossibilités matérielles. Ici la maison d’école avait été vendue comme faisant partie des biens d’une corporation religieuse ou d’une fabrique ; là le presbytère, qui en aurait dû tenir lieu, avait été aliéné. Dès le commencement de l’an III, la commission exécutive de l’instruction publique signalait ce danger au comité de salut public, dans un rapport dont la minute existe aux archives.

« Le renchérissement progressif des denrées, lisons-nous dans ce document, a rendu le traitement des instituteurs presque nul relativement à l’étendue de leurs besoins et au peu de ressources que les campagnes offrent pour l’existence de celui qui n’a que des assignats. Lue seule disposition de la loi (celle du 27 brumaire an III) paraissait propre à encourager ceux qui voulaient se livrer aux fonctions pénibles d’instituteurs, c’était la jouissance du logement qui leur était assuré dans les presbytères, et surtout l’espérance d’y joindre une petite portion de jardin. Mais à peine la loi qui affectait les presbytères à l’instruction publique a-t-elle été rendue, qu’elle a éprouvé beaucoup d’obstacles dans son exécution : obstacles d’ailleurs auxquels on devait s’attendre par les nombreuses questions qu’elle laissait à résoudre et que la commission a soumises au comité. »

La situation n’était donc pas entière et c’est en vain que le conseil des cinq-cents avait essayé de la sauvegarder par une résolution en date du 14 thermidor an V[12]. À cette époque, le mal était consommé et, dans beaucoup de communes, irréparable. Déjà fort à l’étroit dans leurs finances, privées par la suppression des octrois et des droits féodaux du plus clair de leurs revenus, la construction de nouveaux bâtimens scolaires eût dépassé de beaucoup leurs forces. La loi du 3 brumaire n’avait pas prévu cet obstacle. Le directoire fut bien obligé, faute d’argent, lui aussi, de le supporter, et c’est ainsi que tant de communes, qui auraient dû se trouver pourvues d’écoles dès l’an V, n’en possédaient pas encore longtemps après le 18 brumaire. Au surplus, si les bâtimens avaient existé, les administrations municipales auraient été bien en peine d’y installer des maîtres capables. Trouver du jour au lendemain plusieurs milliers d’instituteurs eût été d’une extrême difficulté dans des temps réguliers et tranquilles. En 1795, avec la réquisition pratiquée comme elle l’était alors, à outrance, l’entreprise ne pouvait qu’échouer radicalement. Il eût fallu pour qu’elle réussît dans une certaine mesure et dans un avenir assez prochain, que les écoles normales décrétées par la convention fussent mises en activité partout. Mais on a vu l’insuccès de cette tentative ; à Paris même, elle avait avorté misérablement ; dans les départemens, elle n’avait pas reçu le moindre commencement d’exécution.

Restaient bien, il eut vrai, les anciens recteurs et les prêtres qui n’avaient pas émigré ou qui étaient rentrés après le 9 thermidor. Mais on ne pouvait guère espérer le concours de gens dont les uns étaient encore, en beaucoup d’endroits, traités avec la dernière rigueur, et qui tous avaient été frappés par la révolution dans leurs croyances ou dans leurs intérêts. Un changement complet dans la politique et dans le gouvernement aurait seul pu les rallier. Or ce changement n’avait pas eu lieu : loin de laisser tomber les lois rendues par la convention contre les prêtres, le directoire s’était empressé de les faire revivre. Il en avait même expressément recommandé la sévère application dans une circulaire qui porte la date du 15 janvier 1796 : « Dans les cinq premiers mois de cette année, — j’emprunte ce chiffre, à une récente publication de M. Victor Pierre, — vingt et un prêtres avaient été condamnés à mort par les tribunaux criminels ou massacrés sans jugement. »

En même temps, et pour bien marquer son désir d’en finir avec la religion catholique, le gouvernement protégeait ouvertement la secte et le culte ridicules des théophilanthropes, et les installait à Paris dans plusieurs églises. On accusait même un de ses membres, Laréveillère-Lepeaux, d’être leur grand-prêtre. Mais ce n’était rien encore : pendant la première période de son existence, le directoire avait été contenu par les conseils, dont la majorité, surtout après les élections de l’an V, était manifestement contraire à la continuation des hostilités contre le clergé. Après le 18 fructidor, il ne connut plus de bornes : abroger les lois rendues malgré lui par le corps législatif pour la protection des prêtres, exiger d’eux un nouveau serment, les déporter et même les fusiller, rien ne l’arrêta. Ce n’est pas ici le lieu de raconter ces tristes exploits[13]. Ils n’appartiennent à notre sujet qu’au point de vue des difficultés qu’ils suscitèrent au directoire pour l’exécution de la loi du 3 brumaire, et si nous les signalons, c’est uniquement à ce titre ; mais encore fallait-il en tenir compte, car après le caractère irréligieux de l’enseignement, rien ne fut plus nuisible au succès des écoles primaires.

Toutefois ce n’est pas seulement par des raisons d’ordre moral que s’explique l’extrême pénurie de sujets qui est le fait le plus important de l’histoire de l’instruction publique à cette époque. Même étant données la politique du directoire, ses violences et ses tracasseries contre les prêtres et contre la religion, le recrutement des instituteurs n’eut pas été si difficile, à beaucoup près, si leur situation matérielle avait été seulement tolérable. Il y a toujours des gens pour prendre les places, quand elles sont rémunérées, même très médiocrement ; le grand nombre des prêtres assermentés et de ceux qui se marièrent dans les premières années de la révolution démontrerait, au besoin, cette vérité. Mais on a vu plus haut ce qu’il était advenu des prescriptions de la loi du 3 brumaire, relative aux logemens et aux jardins. D’autre part, les élèves manquaient presque partout, et, par ainsi, la rétribution ; en sorte que des deux sources de revenus que le législateur avait cru assurer aux instituteurs, l’une et l’autre à la fois leur faisaient défaut.

Les documens sur ce point sont aussi nombreux qu’unanimes, c’est par centaines qu’ils se chiffrent aux archives, et dans tous, on retrouve la même note désespérée. Nous en donnerons quelques extraits seulement, empruntés, non pas aux intéressés, dont le témoignage pourrait être suspecté, mais aux autorités révolutionnaires elles-mêmes.

Le 7 vendémiaire an IV, peu de temps avant le vote de la loi du 3 brumaire, c’est-à-dire à une époque où la situation des instituteurs était encore réglée par la loi du 27 brumaire, où par conséquent leur salaire était censé de 1,200 livres, voici ce qu’écrivait la commission exécutive au comité d’instruction publique de la convention :

« Un cri général s’élève de toutes les parties de la république sur la détresse affreuse dans laquelle se trouvent plongés un grand nombre d’instituteurs. Privés même de l’absolu nécessaire, la plupart languissent dans les horreurs du besoin et ne continuent l’exercice de leurs fonctions que dans l’espoir très prochain des secours qu’ils réclament et qui deviennent de jour en jour plus nécessaires. Ce ne sont pas les instituteurs et les professeurs seuls qui font entendre leurs plaintes. Un grand nombre d’administrateurs de communes, de districts et de départemens, et des représentans en mission qui ont ce tableau désolant sous les yeux, transmettent les mêmes demandes et forment les mêmes vœux. Tous s’accordent sur cet objet important ; tous déclarent qu’il est urgent de venir au secours des instituteurs ou que l’instruction doit périr… »

Telle était déjà, dans les derniers temps de la convention, la situation du personnel enseignant et telle elle demeura pendant toute la durée du directoire.

« Depuis près de six ans, il n’existe plus d’instruction publique, » lisons-nous dans la minute d’un rapport au directoire exécutif préparé par les bureaux du ministère de l’intérieur sous l’administration de Benezech[14].

« Si l’état des écoles centrales dans un aussi grand nombre de départemens est aussi complet qu’on pouvait l’espérer, lisons-nous dans une circulaire du ministre Letourneux aux administrations départementales, combien le spectacle que présente le tableau des écoles primaires ne doit-il pas affliger l’âme de tous les vrais républicains ! — En butte à la malveillance et à la calomnie, dénuées des premiers secours qui pouvaient les soutenir et les alimenter, attaquées même ouvertement et ridiculisées par ceux qui en devraient être les premiers défenseurs,.. elles n’existaient pas encore que déjà elles avaient cessé d’être…

« Ainsi réduits à l’état le plus déplorable, sans considération au dehors, sans élèves pour la plupart, les instituteurs voient leur zèle entièrement paralysé, et ce n’eût été qu’en se prêtant par une lâche complaisance aux plus honteux préjugés et en devenant parjures à leur serment qu’ils auraient pu obtenir quelque succès.

« Et cependant, à côté d’eux, s’élevaient et s’élèvent encore avec audace une foule d’écoles privées où l’on propose impunément les maximes les plus opposées à la constitution et au gouvernement, et dont la coupable prospérité semble croître en raison de la perversité des principes qu’y reçoit la jeunesse ! »

Ce document est de l’an VI. Deux ans plus tard, je note encore ce qui suit dans les minutes de deux rapports[15] émanés des bureaux du ministère de l’intérieur :

Premier rapport : « L’établissement des écoles primaires a été jusqu’ici presque partout sans succès. On peut donner plusieurs causes de l’état de nullité où sont ces écoles : 1o mauvais choix de la plupart des instituteurs, qui ont été élus dans des temps difficiles, cause qui en amène nécessairement une autre : le défaut de confiance des pères de famille ; 2o le vice de la loi qui ne leur a assuré aucun moyen d’existence par un traitement. »

Deuxième rapport : « Les écoles primaires sont presque partout désertes. Deux causes y ont contribué : la première est le détestable choix de ce qu’on a appelé des instituteurs ; ce sont presque partout des hommes sans mœurs, sans instruction et qui ne doivent leur nomination qu’à un prétendu civisme qui n’est que l’oubli de toute moralité et de toute bienséance. La seconde cause est dans la force toujours subsistante des opinions religieuses que les lois ont trop heurtées et pour lesquelles ces instituteurs affectent un mépris insolent. »


IV.

Au résumé, les écoles inorganisées en grande partie, désertes presque partout et suspectes aux populations, un très petit nombre d’instituteurs réduits au plus complet dénûment, d’institutrices point, cela va sans dire, les administrations départementales et les municipalités indifférentes ou paralysées, le pouvoir central impuissant et désarmé, tel est dans sa triste réalité le tableau que présente l’instruction primaire de l’an IV à l’an VIII. Voilà le bilan de la révolution dressé par les révolutionnaires eux-mêmes. Après quatre années de tâtonnemens et d’élucubrations informes suivies de quatre autres années de mise en œuvre, les fondations du « grand édifice promis si longtemps à l’impatience des Français » n’étaient pas même jetées ; la république en était encore aux ruines qu’elle avait faites. On voudrait pouvoir, en regard de ce néant, signaler quelques résultats, une ébauche, un rudiment d’exécution : l’historien impartial cherche vainement cette consolation, les documens la lui refusent. Ils lui montrent, pendant toute la durée de la révolution, la première éducation de la jeunesse dans les écoles publiques absolument nulle, et les quelques efforts du gouvernement pour l’instituer, radicalement infructueux. Tel cet arrêté du directoire « pour faire prospérer l’instruction publique » qui n’est pas une des moindres curiosités de l’époque.


Du 27 brumaire an VI (17 novembre 1797).

Le directoire exécutif, considérant qu’il est de son devoir de faire prospérer, par tous les moyens dont il peut disposer, les diverses institutions républicaines et spécialement celles qui ont rapport à l’instruction publique.


Arrête :

1o Qu’à compter du 1er frimaire prochain, tous les citoyens non mariés et ne faisant pas partie de l’armée qui désireront obtenir de lui, des ministres, des administrations, des régies et établissemens de toute espèce dépendant du gouvernement, soit une place quelconque, s’ils n’en occupent point encore, soit un avancement dans celle dont ils sont pourvus, seront tenus de joindre à leur pétition leur acte de naissance et un certificat de fréquentation de l’une des écoles centrales de la république ; ce certificat devra contenir des renseignemens sur l’assiduité du candidat, sur sa conduite civique, sur sa moralité, sur les progrès qu’il a faits dans ses études.

2o Les citoyens mariés qui solliciteront une place de quelque nature qu’elle soit, militaire ou autre, seront tenus, s’ils ont des enfans en âge de fréquenter les écoles nationales, de joindre également à leur pétition l’acte de naissance de ces enfans et des certificats desdites écoles, contenant sur eux les renseignemens indiqués dans l’article précédent.

3o Les administrations centrales de département adresseront tous les trois mois au ministre de l’intérieur l’état nominatif des élèves qui fréquentent les écoles publiques, soit primaires, soit centrales, avec les noms et domiciles de chacun d’eux. Le directoire exécutif, sur le rapport qui lui sera fait par le ministre de l’intérieur des résultats qu’offriront les divers tableaux, prendra les mesures nécessaires pour activer l’instruction des écoles qui ne lui paraîtraient pas assez suivies.

4o Les citoyens qui prétendraient avoir été dans l’impossibilité de satisfaire aux dispositions précédentes seront tenus d’en justifier la cause par des certificats ou autres actes en bonne forme, visés par les administrations des lieux et par l’administration départementale.

5o Le présent arrêté sera imprimé au Bulletin des lois.


Pour expédition conforme,

Signé : LAREVEILLERE-LEPEAUX, président.


Pour le directoire exécutif.

Le secrétaire-général, LAGARDE.


Lorsqu’un gouvernement en vient à de tels moyens, c’est qu’il a contre lui quelque chose de plus fort que toutes les contraintes et que toutes les coercitions du monde, le sentiment public. Quoiqu’il tente alors, il échoue. On ne refait pas à coups de décrets la substance dont se compose l’âme d’une nation. On ne touche pas impunément surtout à ce qu’il y a de plus intime et de plus profond dans le cœur humain, c’est-à-dire aux croyances religieuses. Cette matière-là ne se traite pas comme les autres matières législatives ; elle est particulièrement délicate et par sa délicatesse même elle échappe aux règles ordinaires. Il y faut une extrême prudence et une grande légèreté de main. Encore vaudrait-il mieux le plus souvent éviter de s’y ingérer. Malheureusement, ce qui manquait le plus au directoire, comme à la convention, c’était le tact. Parmi beaucoup d’autres fautes il commit celle de traiter en pays conquis un domaine que les gouvernemens sages ont toujours respecté. Il eut des violences et mit de la brutalité où il eût fallu beaucoup de douceur et d’habileté pour ramener à soi les esprits. L’organisation des écoles primaires rencontrait déjà de bien grandes difficultés ; cette politique lui porta les derniers coups.


ALBERT DURUY.

  1. « C’est dans les sociétés populaires réunies que réside la souveraineté ; chacun de nous est souverain, sans pouvoir en exercer les actes ; nous en déposons le droit pour le bonheur de tous dans les mains des législateurs que nous choisissons ; c’est donc de nous qu’ils tiennent leur force qui est la nôtre ; nous sommes les colonnes de l’édifice de notre liberté.
    « La république française vient, par l’organe de la convention, de se déclarer gouvernement révolutionnaire. Il s’ensuit que toutes les autorités sont maintenant des corps révolutionnaires ; conséquemment nous avons le droit incontestable, droit délégué par nos représentans, de destituer tous les fonctionnaires qui n’agiraient pas révolutionnairement. » (Paroles d’un citoyen membre de la société populaire de Fontainebleau.)
  2. Taine, la Révolution, t. II, ch. II.
  3. Décrets du 29-30 septembre 1791.
  4. Camille Desmoulins, les Révolutions de France et de Brabant.
  5. Extrait des registres de la Société populaire d’Issoire :
    « Le bureau fait lecture des bulletins de la convention qui annoncent la découverte de la plus infâme conjuration ourdie par les traîtres Robespierre, Couthon, Saint-Just. La société applaudit unanimement au sage décret qui a délivré la patrie de ces traîtres et arrête une adresse de félicitations à la convention sur son énergie républicaine. Un membre observe que, dans l’erreur où était la société sur les manœuvres criminelles du scélérat Couthon et le croyant un ami du peuple, elle avait eu la faiblesse de lui écrire par le dernier courrier, pour lui demander son portrait ; il fait la proposition, en rétractant cette lettre, de témoigner de la manière la plus formelle son repentir sur une telle demande ; il fait la motion qu’à l’instant même on réalise ce qu’on ferait de ce portrait si on l’avait en son pouvoir et qu’il en soit fait autant de tous ceux des traîtres démagogues.
    « La société arrête à l’unanimité que, sur-le-champ et au milieu de la salle, les portraits des traîtres Robespierre, Couthon, etc., que quelques membres avaient chez eux et qu’ils ont remis sur le bureau, soient livrés aux flammes, ce qui a été exécuté aux applaudissemens universels d’un grand concours de citoyens présens à la séance. »
  6. « Les dénonciations occupent des séances entières et souvent on n’obtient aucun résultat. Sans doute il faut surveiller, il faut dénoncer les conspirateurs ; il faut leur faire une guerre à mort ; mais il faut éloigner de vos discussions les dénonciations vagues qui ne sont appuyées sur aucun fait… »
    (Extrait du règlement de la société populaire et montagnarde de Vitry-sur-Marne. Bibl. nat., L. 40.)
  7. Règlement particulier pour l’organisation des comités de la société populaire et républicaine de Rouen. Ces comités étaient au nombre de onze : 1o comité de correspondance ; 2o comité de bienfaisance ; 3o comité de présentation ; 4o comité d’agriculture, commerce et subsistances ; 5o comité des pétitions ; 6o comité d’instruction publique ; 7o comité de surveillance ; 8o comité des défenseurs des opprimés ; 9o comité militaire et d’épuration de la garde nationale ; 10o comité d’administration ; 11o comité des certificats de civisme.
  8. Des Sociétés populaires considérées comme une branche essentielle de l’instruction publique, par Lanthenas.
  9. Discours sur l’utilité des sociétés patriotiques et populaires, prononcé le 28 septembre 1791 à la Société des amis de la constitution, séante aux Jacobins.
  10. Émile, t. V.
  11. De la Conservation des enfans pendant la grossesse et de leur Education physique depuis la naissance jusqu’à l’âge de six à huit ans, ouvrage auquel le jury pour l’examen des livres élémentaires proposés par la convention nationale, a décerné le premier prix, par le citoyen Saucerotte, chirurgien en chef d’armée, membre de l’Institut national.
  12. Voici le texte de cette résolution, confirmée le 26 du même mois par les anciens : « Le conseil des cinq-cents, après avoir entendu le rapport d’une commission spéciale, considérant que, les ci-devant presbytères faisant partie des domaines nationaux dont l’adjudication, légalement consommée, est déclarée irrévocable par l’acte constitutionnel, il est instant de suspendre la vente de ceux desdits presbytères qui restent invendus, afin de s’assurer la conservation des bâtimens, jardins et autres accessoires qui pourraient être jugés nécessaires à l’établissement des écoles primaires ou pour quelque autre service public,…. prend la résolution suivante :
    « Il est sursis à la vente des ci-devant presbytères, jardins et bâtimens y attenans, qui ne sont point encore légalement vendus ou adjugés, jusqu’à ce que les administrations départementales aient déterminé, avec l’approbation du pouvoir exécutif, ceux qu’il sera utile de conserver, soit pour servir à loger les instituteurs des écoles primaires, conformément à l’article 6 du titre Ier de la loi du 3 brumaire an IV, ou pour tout autre service public. »
  13. Huit cents prêtres déportés à la Guyane ; douze cents internés dans les prisons de l’île de Ré et de l’île d’Oléron, plusieurs fusillés comme émigrés rentrés à Tours, à Nancy, à Besançon, à Marseille, à Lyon, à Colmar, etc.
  14. Archives nationales, f. 17, 1140.
  15. Arch. nat.