L’Instant éternel/Sous la lampe

E. Sansot et Cie (p. 24-25).


SOUS LA LAMPE


Parlez-moi du passé, des quenouilles, des lampes,
Du silence léger tissant son réseau d’or,
De tout ce qui fut doux à mes mains, à mes tempes,
Du cœur du clair de lune aspiré par le cor.

Parlez-moi de l’étang aux yeux de feuilles vertes,
De la petite pluie au chagrin enfantin,
Des portes que l’on voit sur des lis entr’ouvertes
Et sur des papillons poursuivant le matin.

Parlez-moi de l’amour des roses et des mères,
Des berceuses d’un luth, des larmes d’une sœur,
Dites ce qu’un fuseau peut filer de chimères,
Dites ce qu’un rouet peut chanter de bonheur.

Je suis enfant… Ma mère rit dans la soirée,
De la lampe ses doigts baissent le voile bleu,
Le thé souffle sans fin une tiédeur dorée,
Les contes, les grillons parlent devant le feu.


Je suis enfant… Ma robe est blanche sous mon livre,
Et j’ai des yeux si beaux pour comprendre, pour voir…
Contre mon cœur joyeux le chat blanc aime vivre,
Le silence est rempli par le ronron du soir…

Oh ! parlez-moi des choses chères qui sont mortes,
Et que ma mère, un peu, dans la toile tissa…
C’est loin… C’est doux… Je vois des enfants sur des portes
Tandis que, dans le vent, le mois de Mai passa…