E. Sansot et Cie (p. 235-237).


PRIÈRE


Sois-lui clémente, ô vie ; ô terre, sois-lui bonne,
Avenir, sois-lui grand comme un soleil d’automne,
Qui luit au plein de l’air ;
Qu’il ait le meilleur pain, qu’on lui rende justice,
Qu’il ait, à ses côtés, l’instant toujours propice,
Et, sur lui, le ciel clair.

Arbres, gardez-le moi comme, dans l’heure brève,
Je l’ai connu pour mon tourment, mon mal, mon rêve,
Pour mon sublime orgueil,
Qu’il ait toujours ce front qui cherche et qui médite,
Cette sagesse sobre et fière qui s’abrite
Dans la paix d’un beau seuil.

Livres qu’il a touchés, qu’il a lus, qu’il vénère,
Entourez-le toujours de la même atmosphère
De gloire, de labeur,
Dites-lui d’appuyer ses doigts contre sa tempe,
Dites-lui d’éclairer toujours la même lampe
Avec son même cœur.


Chemins qu’il parcourra, voyez : Je vous le donne…
Faites que votre sol, sous ses pieds chers, rayonne,
Soyez-lui sûrs, chemins…
Préparez-lui la rencontre belle, l’ivresse,
Oui, je veux consentir qu’il goûte la caresse
Si nobles sont les mains.

Oh ! je te le confie, à jamais, ô silence,
Toi qui sus mon ardeur, ma pauvre violence,
Mon indicible émoi,
Va vers lui, neuf et pur, lavé par tant de larmes,
Et donne-lui toutes tes roses, tous tes charmes
En souvenir de moi.

Ces mains jointes, ces pleurs, cette triste colère,
Ces regards, constamment, arrêtés sur la terre,
Ce cœur presque épuisé,
Tout ce malheur, ô ciel, pâmé dans mes prières,
Ondoyant dans mes pas, noyé dans mes paupières,
Sur ma bouche, écrasé,

Cet amour, à mes flancs, attachant son supplice,
Cette rouge blessure et ce noir sacrifice,
Cet holocauste humain,
Ne deviendront-ils pas si, grave, je l’exige,
La fortune, la joie, un lumineux prodige
Pour tout son lendemain ?…


Eh bien ! ce bonheur vaste, unique pour son âme,
Dans des cris obstinés, sans fin, je le réclame
À l’équitable Dieu,
Car sans compter, hélas ! l’amertume passée,
Je l’ai payé d’un coup, dans une nuit glacée
En lui disant adieu !…