L’Instant éternel/L’avenir

E. Sansot et Cie (p. 232-234).


L’AVENIR


« Je ferai, désormais, mon devoir, grave et pure,
Par votre souvenir il me deviendra cher,
Mes doigts le suspendront autour de ma ceinture
Comme un bouquet amer.

J’aimerai le silence où le cœur se délivre,
Sur la tâche du soir je baisserai les yeux,
J’aimerai, comme vous, la sagesse et le livre
Et la lampe allumée avec l’âme des dieux.

Je chérirai par vous le bien et la justice,
Je ferai de ma vie un lac de vérité,
Où se reflètera, dans son blanc édifice,
La divine beauté.

Ah ! votre amour, en son plein soleil, m’a mûrie,
Je n’étais que de l’herbe et je suis la moisson,
Je suis, par vous, toute la femme en rêverie,
En larmes, en orgueil, en sourire, en frisson.


Je fuirai le plaisir aux robes trop vermeilles,
Il me faudra la paix, le rayon du matin,
La maison des vertus, l’amitié des abeilles,
Et le lis du jardin.

Déjà, je suis assise à la place choisie,
En souriant, déjà, j’accepte de mourir,
J’ai, sur mes claires mains, l’or de la poésie
Et, dans mon cœur fermé, l’azur du souvenir.

Voyez-moi : je suis belle en voulant être bonne,
J’ai la même douceur que l’ombre et l’oranger,
Je suis comme un long jour de silence et d’automne
Enclos dans un verger.

Mon esprit, sur la vie, ardent et vrai, se pose,
J’ai vu, j’ai réfléchi, j’ai compris les humains,
Et je vous dois encor cette métamorphose
Car, par vous, j’ai pleuré dans le creux de mes mains.

Vous m’avez faite forte, affligée, enivrée,
Mon âme a resplendi dans un plein désespoir,
Je suis, dans mon odeur profonde et tempérée,
Une rose du soir.


L’avenir m’offrira de si sublimes charmes…
Mon silence attendri dira que j’ai souffert,
Et, chargé de douleur, de pensée et de larmes,
Mon regard sera doux à force d’être amer.

Mon destin partira de cette heure éperdue
Où, tout bas, dans la nuit, je vous ai dit adieu,
Et je prierai pour vous, sûre d’être entendue
Et comprise par Dieu… »

Ainsi je vous parlais, tantôt, dans la lumière,
Le bel été mourant rayonnait dans mes mots,
De l’or voguait… J’avais les yeux purs, l’âme fière,
Et le vent m’exaltait comme un cri de héros !…