L’Instant éternel/Paroles de la forêt

E. Sansot et Cie (p. 13).


PAROLES DE LA FORÊT


La forêt m’a parlé : « Vous êtes jeune fille,
Au bois, vous et l’été faites les mêmes pas,
Vous éclairez le soir comme un champ de jonquilles,
Mais vous n’en savez rien puisque vous n’aimez pas.

On a vu se pencher, du plus haut de leur faîte,
Les chênes les plus vieux lorsque vous parlez bas,
Les lis doublent leur nombre au jour de votre fête,
Vous ne l’avez pas vu puisque vous n’aimez pas.

La colombe s’en va vers la colombe amie
Quand tremble votre sein et que s’ouvrent vos bras,
L’antilope est, la nuit, à vos pieds endormie…
Enfant, le croirez-vous puisque vous n’aimez pas ?…

Vous regardez sans peur le croissant de Diane,
Vous buvez sans frémir l’eau de votre repas,
Et dans son vain parfum votre robe se fane,
Car votre robe, enfant, sait que vous n’aimez pas…

Le myrte est votre forme et la rose est votre âme,
C’est de votre langueur que se meurt le lilas,
Et les fleurs sont les fleurs… Vous, vous n’êtes pas femme,
Quoique vous soyez femme… Hélas ! vous n’aimez pas. »