L’Instant éternel/Paroles au bien-aimé

E. Sansot et Cie (p. 130-131).


PAROLES AU BIEN-AIMÉ


Oh ! dites, bien-aimé, pourquoi donc fut-ce vous,
Qui vîntes habiter le jardin de mes sommes,
Pourquoi vous ai-je vu si grand, si fier, si doux,
Vous, entre tous les jeunes hommes ?…

Pourquoi vous ai-je cru le roi de l’horizon,
Le maître de la mer, le prophète, le sage,
Pourquoi vous ai-je offert le pain de ma maison
Et le parfum de mon visage ?…

Ah ! vous m’avez liée avec tous les fils d’or
De votre ardeur, de votre voix, de votre empire,
Ah ! vous m’avez liée, à jamais, vous si fort
D’être celui que j’ai vu rire.

Oui, je vous ai voulu, tremblante de l’oser,
D’un désir qui pleurait d’être sans fin, sans nombre,
D’un désir qui faisait s’appuyer mon baiser
Aux murs où se posait votre ombre.


Ah ! pourquoi fut-ce vous entre tous les humains ?…
Vous avez commandé l’humilité suprême
À mon front, à mon sang, à mon pas, à mes mains,
Ô vous si beau d’être vous-même !…

Et je vous ai nommé : « Mon cœur, ma soif, ma faim… »
Je vous ai respiré de toute mon haleine,
Et je vous ai nommé le sol de mon jardin
Et ma rude et chaude verveine.

Je vous ai possédé par delà tous les temps,
Dans le passé, dans l’avenir, dans le mystère
De tous les printemps morts et de tous les printemps
Qui sortiront plus tard de terre…