L’Instant éternel/Le chemin

E. Sansot et Cie (p. 147-148).


LE CHEMIN


Il m’a dit, tout à coup : « C’est assez de me taire,
« Tu me pardonneras d’avoir fui cette voix
« Que j’entendais des cieux et du fond de la terre
« Et des plus lointains soirs qui furent autrefois…

« Je t’aimais… Ton regard était doux à ma tempe
« Comme l’onde qui tombe avec le vent d’été,
« Je te donnais la forme aimable de ma lampe
« Et le goût de mon pain et de ma volupté.

« Je te donnais le pas grave de la sagesse,
« La splendeur du couchant flottant sur une tour,
« Toutes les fleurs avaient l’odeur de ta jeunesse
« Et tu fus le blé mûr qu’a lié mon amour. »

Il m’a dit : « Tu viendras au fond de la prairie,
« Dans le chemin doré par le parfum du miel,
« Tu porteras aux doigts ta belle rêverie
« Comme un fuseau léger où s’enroule du ciel. »


Je l’attends… Le jour meurt dans l’arome des mûres,
Un chaud bourdonnement s’entend dans les buissons,
La clarté, lentement, s’égoutte des verdures
Et la tiédeur du soir se répand en chansons.

Il est doux d’aspirer cette paix vaporeuse,
De jeter ses vingt ans dans les ruisseaux joyeux,
D’être de la beauté dans la lumière heureuse,
Il est doux d’être jeune et de fermer les yeux…