L’Instant éternel/La forêt

E. Sansot et Cie (p. 38-39).


LA FORÊT


J’ai fui mes sœurs… Je vais seule dans la forêt…
Le printemps qui garnit ses tempes de muguet
Trempe d’un souffle heureux mes pieds nus dans l’herbage
Et le manteau du vent est un genêt sauvage.

L’élégie est en fleur dans les feuilles du bois…
La colombe s’endort au rythme de sa voix…
Il semble qu’il se fond un fruit mûr dans mon rire…
Que le désir sent bon pendant que je soupire !…

J’ai peur… Je n’ose pas te franchir, bois obscur…
L’amour est répandu mille fois sur l’azur…
Les foins sont doux et chauds de tout l’or de leur meule…
Ah ! pourquoi fait-il nuit ?… Et pourquoi suis-je seule ?…

Appelle-moi, forêt… — Je tremble de te voir… —
Que les ruisseaux sont bleus d’avoir baigné le soir !…
Longs échos, parlez-moi… Chênes, faites-moi signe…
Je sens descendre en moi les larmes de la vigne,
Je m’effeuille avec vous, blancheur des orangers,
Je mûris avec vous, tiède odeur des vergers…


Salut, belle forêt où le silence vibre,
Où le cœur de l’air bat dans l’immensité libre,
Où les arbres païens sourient d’être des dieux,
Où la volupté roule en astres dans les yeux !…

Que j’ai soif de ta source et que j’ai soif de vivre !…

Tu me fais plus pressant le geste de te suivre…

Que j’ai faim de tes fruits et que j’ai faim d’amour !…

Tu fais trembler tes bras comme vers un retour…

J’ai peur, je veux te fuir… Je te demande grâce…
Tu fais monter des lis sur le sol où je passe…
Tu fais, autour de moi, dans l’ombre des roseaux,
Pleurer le chœur d’argent de la lune et des eaux…

Tu me prends… Tu me veux… Où veux-tu me conduire ?…
Tes grands yeux de déesse ont le désir de luire
Plus encore… Mon cœur d’enfant me dit adieu…
Mon front est regardé par toutes les étoiles…
J’ai peur… Et, cependant, je te suis, dans mes voiles,
Car l’amour est plus fort que la force de Dieu…