L’Instant éternel/Détresse

E. Sansot et Cie (p. 208-210).


DÉTRESSE


Tu l’as aimé, voulu, pleuré
Dans un sanglot exaspéré,
Dans un déchirement sacré.

Tu l’as supplié, pauvre femme,
Le cœur en sang, le cœur en flamme,
Les doigts pleins de l’eau de ton âme.

Tu perdis tous tes bons instants,
L’unique et rapide printemps,
Ton cœur passait comme le temps…

Tu t’usais sans fin dans ton être,
À force d’ouvrir la fenêtre,
De murmurer le mot : peut-être !…

Oh ! tes pleurs versés chaque jour,
Tes pleurs d’un poids si lourd, si lourd,
Tes pleurs salés par tant d’amour !…


Et ce chagrin toujours t’effleure,
Et tu vis toujours pour ce leurre
Et ta beauté n’a plus qu’une heure.

Il s’est terni, ton front si clair,
Tu l’as fait sombre, morne, amer,
Plus ton bien-aimé te fut cher.

Et tes larmes, goutte par goutte,
Ton âme qui s’écoula toute,
Aux rides ont fait une route…

Tu vas vieillir, si jeune encor…
Moins belle avec le beau trésor
D’avoir souffert jusqu’à la mort…

Et lui, s’il te revoit si lasse,
N’ayant plus l’orgueil de ta grâce,
Lui, plein de vigueur et d’audace,

Ne se dira pas que tu l’as
Dans l’accablement de ton pas
Et dans la langueur de tes bras,


Et lui que tant de vie appelle,
L’âme insouciante et cruelle,
Te voyant moins gaie et moins belle,

Te reniera dans le passé,
Il passera le front baissé…
Et sera pour toujours passé…