L’Instant éternel/Désespoir

E. Sansot et Cie (p. 32-34).


DÉSESPOIR


Je suis triste d’attendre et je sens que la nuit
A pleuré vainement la douceur de son bruit.
Nul amant n’est venu consoler mon ivresse
Et relever le voile épars de ma jeunesse.

Le cor n’est plus… Le banc est seul… Le puits est clos…

Les anciennes amours écoutent les échos…

À mon âme qu’importe, en ces heures nouvelles,
Le printemps emplissant la voix des tourterelles,
Et les premiers œillets si tendres de fraîcheur,
Et les premiers muguets si légers de blancheur,
Les petits ruisseaux bleus pleins des voix de l’enfance
Et le rêve tournant le fuseau du silence…

Adieu, soleil plus beau qu’un jeune souvenir,
Adieu, pays natal dont les sources m’appellent,
Jardin où le parfum et la lune se mêlent…


Je meurs d’avoir en vain sangloté mon désir…

Oh ! mes sœurs, pleurez-moi dans les fleurs fugitives,
Dans les adieux émus que murmurent les rives,
Dans l’été qui s’effeuille et le verger qui dort,
Dans les vents automnaux pleins d’un fantôme d’or…

« Notre sœur, direz-vous, dans les heures enfuies,
Eut le tendre destin des lilas et des pluies,
De septembre mourant dans l’arôme du thym,
Et de l’urne d’un lis sur les eaux du matin… »

Je sens que je péris de n’être pas aimée,
D’avoir de tièdes mains et la bouche embaumée…

Oh ! mes sœurs, plaignez-moi dans ce qui doit finir,
Dans l’auguste forêt, dans la source attendrie…

D’une rose des champs je fis ma rêverie…

Une étoile du ciel sera mon souvenir…

Du val monte, ce soir, le chœur des élégies…
Du puits monte, ce soir, la fleur des nostalgies…


Vous jetterez mon nom au profond des étangs…
De tout mon poids de pleurs vers la nuit je me penche…

Tout doucement en moi se tarit le printemps…
Vêtez-moi de la mort et de ma robe blanche…

Je ne répandrai plus mon cœur sur mes bras nus,
Je n’irai plus courir dans les heures écloses
Et regarder au fond des corolles des roses
Si la pluie a laissé ses grands yeux ingénus…

Ah ! je sens à mes pieds tomber sans bruit la vie
Comme un bouquet léger qu’à ses doigts on oublie…