L’Instant éternel/Ah ! vous avez rêvé

E. Sansot et Cie (p. 172-174).


AH ! VOUS AVEZ RÊVÉ…


Ah ! vous avez rêvé, petite amante heureuse…
Petite amante triste, il faut vous réveiller…
Vous donniez à l’aimé votre ardeur amoureuse…
Il ne vous parla pas… Vous avez sommeillé…

Vous avez cru goûter sa présence divine
Parce que vous goûtiez l’éclat du firmament,
Et vous avez, hélas ! porté dans la poitrine
Un cœur dont il n’a pas compté le battement.

Faut-il que l’on vous plaigne ou que l’on vous envie,
Vous qui teniez aux doigts cet irréel miroir
Où ne se montre, enfant, que l’ombre de la vie,
Où passe, tout voilé, le mensonge du soir ?…

Eh ! bien, on vous louera, vous qui fûtes crédule,
Qui portiez la chimère en riant dans vos bras,
Vous qui baissiez les yeux au fond du crépuscule
Tant vous sentiez certain l’amour qui ne fut pas.


N’en sont-ils pas moins vrais les pleurs que vous versâtes
Parce que votre aimé se tut, insoucieux ?…
Et faudrait-il nier l’odeur des aromates
Quand ils sont répandus sur les pieds des faux dieux ?…

Ah ! vous avez rêvé… Mais vous en êtes telle
Que la beauté s’arrête en vous voyant venir,
Et vous avez, enfant, de votre heure mortelle
Fait l’instant éternel qui ne doit pas mourir.

De la vie infidèle il vous reste les charmes
D’avoir joint vos doigts blancs et d’avoir espéré…
Et n’est-ce pas assez que d’avoir eu des larmes
Et des yeux aussi beaux, enfant, pour les pleurer ?…