Ch. Vimont (p. 131--).



CHAPITRE XVIII.


Julien reçut bientôt un grand effet des discours de sir Robert Peel, de M. A. Bearing et de quelques autres membres dans les deux partis. Le talent des hommes, l’importance des affaires, le sentiment patriotique qui l’attachait à la constitution, faisaient des nuits du Parlement le bonheur et la force de sa vie ; ses idées le pressaient ; il savait ce qu’il dirait sans l’avoir préparé, car il devait répéter les pensées qui troublaient jusqu’à son sommeil : le moment, la Chambre, l’émotion, donnaient la couleur à son discours. Le jour arriva où il devait parler. Anna, ne pouvant pas aller l’entendre (l’entrée de la Chambre est interdite aux femmes), voulut le conduire en voiture à la porte du Parlement ; quand il fut entré dans ces bâtimens où il allait l’oublier, elle fit arrêter sa voiture devant l’église de Westminster, contemplant un moment les alentours animés de la Chambre : les portes, les entrées, les sorties, les arcades, bien éclairés ; le bâtiment gothique s’élevant avec élégance au-dessus de ces lumières et témoignant les siècles passés comme les témoignait aussi la loi menacée ; un peuple entrant, sortant ; un mouvement continuel autour de la Chambre ; des voitures arrivant à chaque instant pour amener ou reprendre les membres qui vont et viennent ; plusieurs domestiques à cheval à la porte, tenant à la main le cheval de leurs maîtres qu’ils attendent ; les livrées, le luxe, la haute société de l’Angleterre se réunissant pour discuter sur les destinées de la patrie et du monde. Anna se demandait comment en effet songer à la misère du peuple, qui commençait à menacer cette enceinte, quand l’homme, élevé au-dessus de sa condition naturelle par un pouvoir habile et important, se trouvait séparé des masses autant par ses travaux que par ses sympathies ? Les trésors de l’Inde entretenaient ce luxe : son empire immense, cent millions d’hommes étaient tributaires de ce millier d’hommes superbes qui ne daignaient pas s’informer si l’Inde était heureuse ou si elle était belle ; une grandeur factice, brillante seulement par des combinaisons et dans les murs de Westminster, les laissaient étrangers aux faciles joies des riantes contrées, aux inspirations de la nature, à la religion exaltée comme à la philosophie oisive des peuples contemplateurs. Pourquoi l’Indostan n’avait-il jamais su se montrer ainsi dans la civilisation et dans la politique ? Le ciel, jadis, n’avait-il pas béni l’Asie ? Fameuse par sa culture et ses richesses, quand retrouverait-elle sa gloire passée, quand ce Parlement retentirait-il des cris de vengeance contre l’Indostan révolté comme il avait retenti de plaintes contre l’Amérique ? Les Indiens venaient d’envoyer réclamer pour eux. Mais que réclamaient-ils ? cette coutume atroce d’un peuple trop exalté (aujourd’hui interdite par l’Angleterre), qui faisait périr une veuve dans les flammes après la mort de son mari. Anna se fit reconduire chez elle, saluant tristement Westminster et retournant à l’isolement et à l’ennui où les Anglais, plus que tout autre peuple, ont condamné les femmes.