L’Inconnu (Corneille)/Acte IV

Poèmes dramatiquesBordeletTome 5 (p. 381-400).
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ACTE IV.



Scène premiere.

LA COMTESSE, LE MARQUIS, VIRGINE.
Le Marquis.

Ne me le cachez point, vous voilà résolue ;
L’Inconnu seul vous touche, & ma perte est conclue.

La Comtesse.

Vous montrer de votre ombre à toute heure jaloux,
Ce n’est pas le moyen de m’attacher à vous.
L’Inconnu s’y prend mieux ; sans contraindre mon ame,
Par les plus tendres soins il fait parler sa flamme,
Et peut-être ai-je tort de vouloir plus long-temps
Que mon cœur se refuse à des feux si constans.

Le Marquis.

Hé bien, il faut céder ; mais ce qui me console,
Quand à votre bonheur ma passion s’immole,
C’est qu’au moins je pourrai, malgré mes feux jaloux,
Montrer qu’en vous aimant je n’ai cherché que vous.

La Comtesse.

Je ne vous croyois pas l’ame si généreuse.

Le Marquis.

L’Inconnu vous mérite, il faut vous rendre heureuse.

La Comtesse.

Le coup vous touchera plus que vous ne pensez.

Le Marquis.

N’importe, vous vivrez contente, & c’est assez.

En deux ans je n’ai pû réussir à vous plaire ;
Après un mois de soins, l’Inconnu l’a sû faire ;
Votre panchant pour lui ne peut se démentir,
Je voi qu’il vous emporte, il faut y consentir.

La Comtesse.

Vous le dites d’un air si plein de confiance,
Qu’il semble…

Le Marquis.

Qu’il semble…Je le dis, parce que je le pense.

La Comtesse.

Un si beau sacrifice est digne d’un amant ;
Mais d’où vient que tantôt vous parliez autrement ?
Inquiet, alarmé, vous me faisiez un crime
De ce que l’Inconnu m’avoit surpris d’estime ;
Le louer, c’étoit faire outrage à votre foi.

Le Marquis.

C’est qu’alors mon amour ne regardoit que moi ;
Il a vû son erreur ; & la secrette honte
D’écouter pour lui-même une chaleur trop prompte,
L’a rendu si conforme à tout ce qui vous plaît,
Qu’il fait de vos desirs son plus cher intérêt.

La Comtesse.

C’est trop, pour l’Inconnu je les ferai paroître.
Je dois chérir sa flamme, & dès demain, peut-être,
Puis que c’est pour vos vœux un spectacle si doux,
Vous aurez le plaisir de le voir mon Époux.

Le Marquis.

J’aurai ce plaisir ?

La Comtesse.

J’aurai ce plaisir ?Oui, rien n’y peut mettre obstacle,
Mon choix sera pour lui.

Le Marquis.

Mon choix sera pour lui.J’attendrai ce miracle.
Ainsi, donc le voyant, d’abord vous l’aimerez ?

La Comtesse.

Si je ne l’aime pas, vous m’en accuserez.



Scène II

LA COMTESSE, LE CHEVALIER, LE MARQUIS, VIRGINE.
La Comtesse.

Hé bien, Olympe ?

Le Chevalier.

Hé bien, Olympe ?En vain ma passion se flatte,
Toujours même fierté dans sa froideur éclate ;
Et ce qui rend, sur-tout, mon esprit abattu,
C’est ce qu’elle m’a dit, & que je vous ai tû.
Si je veux qu’elle soit favorable à ma flamme,
Il faut pour l’Inconnu que je touche votre ame ;
Je ne puis être heureux, s’il n’obtient votre foi.

La Comtesse.

Et contre le marquis vous prenez cet emploi ?
C’est trahir l’amitié qui vous unit ensemble.

Le Chevalier.

À vous parler ainsi, je l’avouerai, je tremble,
Et me tairois encor, si l’aveu du marquis
Ne m’autorisoit pas à ce que je vous dis.
Sûr que rien ne peut nuire à son amour extrême,
À satisfaire Olympe il m’a porté lui-même ;
Et j’aurai tout gagné, si je puis obtenir
Que vos bontés pour moi la daignent prévenir.
Dites-lui qu’envers vous j’ai tout fait pour lui plaire.

Le Marquis.

Madame.

La comtesse au marquis.

Madame.Je commence à percer le mystére.
Olympe au Chevalier fait paroître à vos yeux
Tout ce qu’a le mépris de plus injurieux ;

À servir l’Inconnu son adresse l’engage ;
Et loin de murmurer d’un si sensible outrage,
À ce même Inconnu faussement généreux,
Vous-même vous osez sacrifiez vos vœux ?
Chevalier, je ne sais si je me fais entendre,
Mais le nœud de l’intrigue est facile à comprendre ;
Olympe & le marquis, l’un de l’autre charmés,
Me craignent pour obstacle à leurs cœurs enflammés.

Le Chevalier.

Le marquis aimeroit Olympe ?

Le Marquis.

Le marquis aimeroit Olympe ?Moi, Madame ?
Vous le croyez ?

Le Chevalier.

Vous le croyez ?L’Ingrat ! Il trahiroit ma flamme !
Olympe à qui mes soins tendrement attachés…
Ah, si je le croyois…

La Comtesse.

Ah, si je le croyois…Quoi, vous vous en fâchez ?
Vous regrettez un cœur que l’inconstance entraîne ?
Vous en plaignez la perte ? Il n’en vaut pas la peine.
Faites mieux, dédaignez ce manquement de foi ;
On nous quitte tous deux, riez-en comme moi.
Vous m’en voyez déjà tellement consolée,
Que si…

Le Chevalier.

Que si…Des trahisons c’est la plus signalée.
Le marquis !

La Comtesse.

Le marquis !À quoi bon ces mouvemens jaloux ?

Le Chevalier.

Je sors, pour ne me pas échapper devant vous ;
Mais en vain votre exemple à souffrir me convie,
Avant qu’il m’ôte Olympe il m’ôtera la vie ;
C’est à lui d’y penser.



Scène III

LA COMTESSE, LE MARQUIS, VIRGINE.
La Comtesse.

C’est à lui d’y penser. Allez, ne craignez rien,
Quelque emporté qu’il soit, je l’appaiserai bien.
Pour Olympe, je crois que l’on n’ignore guere
Que j’ai quelque pouvoir sur l’esprit de sa mere,
Je l’emploierai pour vous ainsi que je le doi.

Le Marquis.

Vous avez de la joie à mal juger de moi.

La Comtesse.

Je n’en juge point mal ; Olympe est jeune & belle,
Et, quoiqu’on risque un peu d’aimer une infidéle,
Elle a de quoi vous faire un destin assez doux ;
Mais je douterois fort qu’elle pût être à vous.

Le Marquis.

Moi ? Je n’y prétens rien.

La Comtesse.

Moi ? Je n’y prétens rien.Mettons bas l’artifice.

Le Marquis.

Madame, quelque jour vous me rendrez justice.

La Comtesse.

Je vous la rend entiere, &, pour vous obliger,
À choisir l’Inconnu j’ai voulu m’engager.

Le Marquis.

C’est à quoi vous seriez peut-être un peu moins prompte,
Si vous preniez l’avis de Monsieur le vicomte.
Le voici qui paroît.



Scène IV

LA COMTESSE, LE VICOMTE, LE MARQUIS, VIRGINE.
La Comtesse.

Le voici qui paroît.Hé bien, mon rapporteur ?

Le Vicomte.

J’ai, pour le convertir, parlé mieux qu’un docteur.
Et n’ai pas, Dieu merci, mal employé mes peines.
Il ne vous vuidera de plus de trois semaines ;
Et pour solliciter il vous donne le temps
D’attendre le retour de nos deux arcs-boutans ;
Par-là, n’en doutez point, votre affaire est gagnée.

La Comtesse.

Je puis donc de Paris me tenir éloignée ?

Le Vicomte.

De Paris ? Vous avez, la chose allant ainsi,
Encor quinze grands jours à demeurer ici,
Goûtez-y les plaisirs que donne la verdure.
Mais il faut vous conter quelle est mon aventure,
Voyez-m’en rire encor.

La Comtesse.

Voyez-m’en rire encor.Cela ne va pas mal.

Le Vicomte.

Il n’est rien si plaisant.

Le Marquis bas.

Il n’est rien si plaisant.Le franc original !

La Comtesse.

Enfin cette avanture ?

Le Vicomte.

Enfin cette avanture ?Elle est aussi gaillarde…

La Comtesse.

En rirez-vous toujours ?

Le Vicomte.

En rirez-vous toujours ?La chose vous regarde.
C’est à vous là-dessus à vous l’imaginer.
Devinez-la.

La Comtesse.

Devinez-la.Jamais je ne sûs deviner,
On me dit tout au long ce qu’on veut que je sache.

Le Vicomte.

On croit duper les gens à cause qu’on se cache ;
Mais j’ai si bien tourné que j’y suis parvenu.

La Comtesse.

À quoi ?

Le Vicomte.

À quoi ?Votre inconnu ne m’est plus inconnu.

Le marquis bas.

M’auroit-il découvert ?

La Comtesse.

M’auroit-il découvert ?Vous pourriez le connoître ?

Le Vicomte.

Moi, qui vous parle, moi.

Le Marquis.

Moi, qui vous parle, moi.Cela ne sauroit être.

Le Vicomte.

Non, parce qu’il vous plaît que cela ne soit pas.
Son amour fait honneur sans doute à vos appas ;
C’est, sans lui faire tort, une aussi franche bête…

Le Marquis.

Comment, vous l’avez vû ?

Le Vicomte.

Comment, vous l’avez vû ?Des piéds jusqu’à la tête.
Il est basset, grosset, a les yeux hébêtés.

La Comtesse.

Mais où cette rencontre, & comment ?

Le Vicomte.

Mais où cette rencontre, & comment ?Écoutez.

Rêvant à vos beautés dont j’avois l’ame pleine,
Je me suis égaré dans la forêt prochaine,
Et voulant accourcir, mon cheval m’a mené
Dans le sentier confus d’un endroit détourné.
Quelques pas me montroient une route racée ;
J’ai suivi, tant qu’enfin une tente dressée
M’a fait appréhender le plus grand des malheurs ;
J’ai crû qu’elle servoit d’auberge à des voleurs.

Le Marquis.

La peur prendroit à moins, dans un bois ! Une tente !

Le Vicomte.

Tout franc, la vision n’est point divertissante.

La Comtesse.

Ainsi donc la frayeur a bien fait son devoir ?

Le Vicomte.

J’aurois été fâché de mourir sans vous voir,
Car, pour du cœur, je crois que j’en avois de reste ;
Mais j’ai bientôt sorti d’un doute si funeste.
Mon cheval, tout-à-coup, s’élançant malgré moi,
J’ai connu mon erreur, & ri de mon effroi.
Au lieu de mousquetons, j’ai vû dans cette tente
Les apprêts différens d’une fête galante ;
Et ceux qui la gardoient, de mon abord surpris,
Parloient certain jargon où je n’ai rien compris,
C’étoient, pour la plûpart, visages à la Suisse,
Chacun, selon son rôle, avoit là son office ;
L’un, d’un Bohémien quittoit l’habillement,
L’autre, d’une coëffure ajustoit l’ornement ;
Force mains autour d’eux paraissoient occupées
À nouer des rubans sur des branches coupées.
J’ai dans un certain coin remarqué le débris
D’une colation qui valoit bien son prix,
Grands citrons, fruits exquis, confitures choisies.
J’ai vû des violons, des lustres, des bougies,
J’ai vû… là, des… Enfin j’ai tant vû, que jamais
On n’eut tant d’attirail dans les plus grands ballets.
J’ai donné droit au but, & deviné l’affaire ;
Mais pour mieux m’éclaircir, penché vers l’un d’eux, Frere,

Ai-je dit, n’a-t-on pas préparé tout ceci
Pour un certain château qui n’est pas loin d’ici ?
Je l’embarrassois fort, il ne savoit que dire ;
Mais c’étoit dire assez, que se taire & sourire.
Je lui serrois toujours le bouton de fort près,
Quand, comme si la chose eût été faite exprès ;
Ce grosset, ce basset commençant à paroître,
Vous étes curieux, parlez à notre maître,
Le voilà, m’a-t-il dit, tout à propos venu.
N’ayant pas à douter qu’il ne fût l’Inconnu,
J’ai contemplé long-temps sa grotesque figure ;
Il avoit sur son nez jetté sa chevelure,
Et pour embarrasser mon curieux souci,
Sous une fausse barbe il cachoit tout ceci.
Alors plein d’un chagrin que d’assez justes causes…
Madame, pardonnez si j’ai poussé les choses ;
Quand on voit qu’un rival cherche à se rendre heureux,
Et qu’on peut l’épargner, on n’est guere amoureux.

Le Marquis.

Et qu’avez-vous donc fait ?

Le Vicomte.

Et qu’avez-vous donc fait ?Ce que j’ai fait ? Silence.
Je dirai tout par ordre, un peu de patience.
J’ai demandé d’où vient qu’il campoit dans ce bois ?
Pourquoi la fausse barbe ? Enquis deux ou trois fois ;
Et pressé de parler, plus il se vouloit taire :
Pourquoi je campe ici ? Qu’en avez-vous à faire ?
C’est mon plaisir, m’a-t-il sottement répondu.
Alors d’un grand coup d’œil qu’il a bien entendu,
Lui marquant fierement que je l’allois attendre,
Je me suis éloigné.

Le Marquis.

Je me suis éloigné.C’étoit fort bien le prendre.

Le Vicomte.

Me battre là ! Par tout j’aurois été blâmé,
Il avoit vingt valets qui m’auroient assommé.

Le Marquis.

Il est bon quelquefois de voir comme on se fâche.

La Comtesse.

Et qu’est-il arrivé ?

Le Vicomte.

Et qu’est-il arrivé ?Je n’ai trouvé qu’un lâche,
Qu’un farouche animal, sans cœur & sans vertu,
Qu’un… Cela fait pitié.

Le Marquis.

Qu’un… Cela fait pitié.Vous l’avez donc battu ?

Le Vicomte.

Vous me la baillez bonne, il s’est en bête fiere
Tenu clos & couvert toujours dans sa taniere ;
Et moi, m’étant lassé de l’attendre à l’écart,
D’un coup de Pistolet j’ai marqué mon départ.

Le Marquis.

C’est pousser la bravoure aussi loin…

Le Vicomte.

C’est pousser la bravoure aussi loin…Sur mon ame,
Tout y va, quand il faut dégainer.



Scène V

LA COMTESSE, OLYMPE, LE MARQUIS, LE VICOMTE, VIRGINE.
Olympe.

Tout y va, quand il faut dégainer.Ah, Madame !
J’ai trouvé l’Inconnu.

La Comtesse.

J’ai trouvé l’Inconnu.Vous ?

Olympe.

J’ai trouvé l’Inconnu.Vous ?Oui moi, dans ce bois.

Le Vicomte.

Justement.

Olympe.

Justement.Vous savez que j’y vais quelquefois.

Le Vicomte.

Le plaisant personnage ! Il vous a bien fait rire ?

Olympe.

Lui ?

Le Vicomte.

Lui ?Sans doute. Écoutez ce qu’elle vous va dire.

Olympe.

Jamais je n’ai rien vû de si…

Le Vicomte.

Jamais je n’ai rien vû de si…Tranchez le mot,
De si bête.

Olympe.

De si bête.Comment ?

Le Vicomte.

De si bête.Comment ?Quoi, ce n’est pas un sot ?

Olympe.

Quels contes vous fait-il ?

La Comtesse.

Quels contes vous fait-il ?Écoutons-la, de grace.

Le Vicomte.

Qu’elle parle à son aise, après je retiens place.

La Comtesse.

Vous aurez audience à votre tour.

Le Vicomte.

Vous aurez audience à votre tour.Tant mieux.

Olympe.

J’ai peine à croire encor au rapport de mes yeux.
Je revois dans le bois, quand pour jouir de l’ombre,
M’avançant lentement vers l’endroit le plus sombre,
Je trouve un cavalier, qui, surpris de me voir,
Me rend d’un air civil ce qu’il croit me devoir.
Quels traits pourront suffire à lui rendre justice ?
Peignez-vous Adonis, figurez-vous Narcisse,

Et tout ce que jamais on vanta de plus beau,
C’est ne vous en offrir qu’un imparfait tableau ;
Je voudrois l’ébaucher, & n’en suis point capable ;
Il a le port divin, la taille incomparable,
Et le ciel, pour lui seul, semble avoir réservé
Ce qu’il eût de plus rare & de plus achevé.
Il marchoit tout rêveur, & m’ayant apperçûe,
Il a voulu d’abord se soustraire à ma vûe,
J’en ai compris la cause, &, pour ne perdre pas
L’heureuse occasion de sortir d’embarras,
Je voi par quel souci vous suivez cette route,
Une aimable comtesse en est l’objet sans doute,
Ai-je dit. À ce nom surpris, troublé, confus,
Il m’a parlé long-temps en termes ambigus.
J’ai remis le discours sur l’aimable comtesse,
Et ménagé son trouble avecque tant d’adresse,
Que trahi par lui-même, il n’a pû me cacher
Qu’il étoit l’Inconnu que vous faites chercher ;
Mais son nom est encor ce qu’il s’obstine à taire ;
J’ai voulu l’amener, & je ne l’ai pû faire ;
Il ne paroîtroit point, qu’il ne puisse juger
Que son attachement ait sû vous engager.
Sa conversation ravit, enchante, enleve,
Sa personne commence, & son esprit acheve.
Que ne m’a-t-il point dit du bonheur qu’il se fait,
De ressentir pour vous l’amour le plus parfait ?
Ses manieres en tout sont douces, agréables ;
Et si nous nous trouvions encor au temps des fables,
Je croirois que pour vous quelque dieu, tout exprès,
Serait venu du ciel habiter ces forêts.
Quand pour un tel amant on prend de la tendresse,
Si c’est foiblesse en nous, l’excusable foiblesse !

Le Vicomte.

Vous peignez assez bien, le portrait n’est pas mal,
Les traits beaux, mais néant pour son original.
J’ai vû l’Inconnu, moi, le vrai, ce qui s’appelle
L’Inconnu régalant ; le vôtre, bagatelle.

C’est un fourbe qui veut causer de l’embarras.

Olympe.

Tout rival est suspect, on ne vous croira pas.

La Comtesse.

Mais le Vicomte a vû des marques de la fête ;
Les mêmes gens qu’ici…

Le Vicomte.

Les mêmes gens qu’ici…J’ai vû de plus la bête,
Le très-vilain monsieur.

Olympe.

Le très-vilain monsieur.Il ne sait ce qu’il dit.
Soit qu’on s’attache au corps, soit qu’on cherche l’esprit,
L’inconnu passe tout ce qu’il faut qu’on attende…



Scène VI

LA COMTESSE, OLYMPE, LE VICOMTE, LE MARQUIS, LE CHEVALIER, VIRGINE, CASCARET.
Cascaret.

Madame.

La Comtesse.

Madame.Que veut-on ?

Cascaret.

Madame.Que veut-on ?Un monsieur vous demande.

La Comtesse.

Voyez qui c’est, Virgine, & l’amenez ici.

Virgine.

Je n’irai pas bien loin, Madame, le voici.



Scène VII.

LA COMTESSE, OLYMPE, LE VICOMTE, LE MARQUIS, LE CHEVALIER, LA MONTAGNE représentant un comédien, VIRGINIE, CASCARET.
La Montagne représentant un comédien.

Ayant plus d’une fois eu l’honneur de paroître
Devant leurs Majestés, je croirois mal connoître
Ce que l’on doit, Madame, à votre qualité,
Si m’étant pour ce soir dans le bourg arrêté,
Je ne vous venois pas faire la révérence.

La Comtesse.

Je suis fort obligée à votre complaisance ;
Mais ne sachant à qui…

Le Comédien.

Mais ne sachant à qui…Je suis comédien.
Madame.

Le Vicomte.

Madame.Ah ! Serviteur. Ne vous manque-t-il rien
Pour nous pouvoir ici donner la comédie ?

Le Comédien.

Non, Monsieur.

Le Vicomte.

Non, Monsieur.Il faudroit quelque piéce applaudie,
Où l’emploi des acteurs répondît.

Le Comédien.

Où l’emploi des acteurs répondît.Laissez-nous
Le soin de la choisir.

Le Vicomte.

Le soin de la choisir.Et Circé, l’avez-vous ?

Le Comédien.

Nous, Circé ? Non, Monsieur ; Paris seul est capable…

Le Vicomte.

Les singes m’y charmoient, leur scéne est admirable.

Olympe.

C’est là le bel endroit.

Le Vicomte.

C’est là le bel endroit.Il plaît à bien des gens.

La comtesse au comédien.

Et comment jouerez-vous ?

Le Vicomte.

Et comment jouerez-vous ?Avec des paravens.

Le Comédien.

Un moment suffira pour dresser un théatre.

Olympe.

La comédie enchante, & j’en suis idolâtre.

Le Vicomte.

J’en voudrois retrancher ces grandes passions ;
On y pleure, & je hai les lamentations.

Olympe.

Vous étes gai.

Le Vicomte.

Vous étes gai.Jamais aucun chagrin en tête,
Je ris toujours.

Le Comédien.

Je ris toujours.Tandis que la troupe s’apprête,
Nous avons parmi nous des voix dont on fait cas.
Vous plaît-il les oüir ?

La Comtesse.

Vous plaît-il les oüir ?Qui ne le voudroit pas ?

Le Vicomte.

Ce début de chanteurs servira de prologue.

Le Comédien aux acteurs musiciens.

Avancez, vous allez entendre un dialogue,
Dont j’ai vû jusqu’ici tout le monde charmé.

Le Vicomte.

Voyons ce dialogue.

Le Comédien.

Voyons ce Dialogue.Il est fort estimé.

DIALOGUE D’ALCIDON ET D’AMINTE.
Alcidon.

Quoi, vous aimez ailleurs ? Vous pouvez me haïr ?
À des ordres cruels vous voulez obéir,
Et sans pitié de l’ennui qui me presse,
Vous oubliez cette tendresse
Que vous m’avez juré de ne jamais trahir ?
Vous gardez le silence ? Ah ! C’est assez me dire.
Ma mort est résolue. Hé bien, il faut vouloir
Ce que votre rigueur desire ;
C’en est fait, je me meurs, j’expire ;
Goûtez le plaisir de le voir.

Aminte.

De grace, modérez vos plaintes.
Je n’ai pas moins d’amour que vous,
Et la même douleur dont vous sentez les coups,
Porte sur moi les plus vives atteintes ;
Elle m’abat, elle m’ôte la voix,
Et ne peut rien sur ma tendresse.

Alcidon.

Quoi, toujours dans mon sort l’amour vous intéresse ?

Aminte.

Vous avez mérité mon choix ;
Et si c’est le seul bien qui toucha votre envie,
Rien ne vous devroit alarmer ;
Quand on a commencé d’aimer,
N’aime-t-on pas toute sa vie ?

Alcidon.

Ah ! Puisque toujours votre cœur
Est le prix du beau feu qui régne dans mon ame,
Tout doit céder à mon bonheur.

Aminte.

Vous avez douté de ma flamme ?

Alcidon.

Hélas ! M’en pouvez-vous blâmer ?

Aminte.

Ma foi vous répondoit de mon amour extrême,

Alcidon.

Qui ne craint point de perdre ce qu’il aime,
Sait peu ce que c’est que d’aimer.

Ensemble.

Aimons-nous à jamais, aimons ; & si l’envie
Qui s’oppose à des feux si doux,
Nous condamne à perdre la vie,
Mourons en disant, aimons-nous.

La Comtesse.

Il n’est gueres de voix plus douces, ni plus nettes.

Le Vicomte.

D’accord ; mais quant à moi, vivent les chansonnettes
Aux airs trop sérieux, je prends peu de plaisir.

Le Comédien.

Ils en savent de gais, vous n’avez qu’à choisir.

Le Vicomte.

Allons. Voyons un peu comme ce gai s’entonne ;
Notre jeune Mourante a la mine friponne.
Çà, point de tons dolens, je ne les puis souffrir ;
Sur-tout, plus de Mourons, j’en ai pensé mourir.


CHANSON

Quand l’Amour nous attire,
Les maux sont dangereux
Qu’on souffre en son empire ;
Mais si l’on en soupire,
Un seul moment heureux
Répare le martyre
Des cœurs bien amoureux.

Il est des inhumaines
Qui d’un cœur enflammé

Laissent durer les peines ;
Ce sont de rudes gênes.
Mais d’un amant aimé
Plus on serre les chaînes,
Plus il en est charmé.

Le Vicomte.

Voilà mon amitié.

Olympe.

Voilà mon amitié.La chanson est jolie.
Mais en chantant toujours, le théatre s’oublie.

Le Comedien.

J’en aurai soin.

Le Vicomte.

J’en aurai soin.Allons-y faire travailler,
Et leur choisir un lieu commode à s’habiller.



Scène VII

OLYMPE, LE MARQUIS.
Olympe.

Si j’ai de l’Inconnu vanté l’amour extrême,
Vous n’en devez, Marquis, accuser que vous-même ;
Je ne l’aurois pas fait, si vous ne m’aviez dit
Que cet amour n’a rien qui vous gêne l’esprit,
Et que las d’étaler une vaine tendresse,
Vous lui verriez sans peine épouser la comtesse.

Le Marquis.

Madame, je l’ai dit, & ne m’en dédis pas.
Leur union pour moi ne peut manquer d’appas,
Je trouve en cet hymen tout ce que je souhaite ;
Mais pour m’en rendre encor la douceur plus parfaite,
J’ose vous demander une grace.

Olympe.

J’ose vous demander une grace.Parlez ;
Je veux dès ce moment tout ce que vous voulez.

Le Marquis.

Vous servez l’Inconnu, promettez-moi, Madame,
Qu’après que la comtesse aura payé sa flamme,
Vous prendrez un époux de ma main.

Olympe.

Vous prendrez un époux de ma main.Doutez-vous
Que je n’en fasse pas mon bonheur le plus doux ?

Le Marquis.

Je crains, quand vous saurez…

Olympe.

Je crains, quand vous saurez…Cette crainte est frivole.
Fiez-vous en à moi, je vous tiendrai parole ;
Et pour pouvoir plutôt répondre à vos desirs,
L’Inconnu n’a que trop poussé de vains soupirs.
Je veux que, dès demain, la comtesse le voie.

Le Marquis.

Mais par où l’informer…

Olympe.

Mais par où l’informer…J’en trouverai la voie.
Il n’est pas difficile ; & si j’en juge bien,
Le Comus de tantôt fait le comédien.
À la taille, à la voix, j’ai crû le reconnoître ;
Je prétens lui donner un billet pour son maître,
Qui lui fera savoir, que galant, amoureux,
Il n’a qu’à se montrer pour devenir heureux.

Le Marquis.

Mais si de son portrait la comtesse éblouie
Se plaint, en le voyant, d’avoir été trahie ?
Car vous aurez plus dit…

Olympe.

Car vous aurez plus dit…Il est vrai, j’ai voulu
Fixer en sa faveur son cœur irrésolu ;
Mais un homme galant remplit toujours sans peine
L’attente qu’en fait naître une estime incertaine ;
Et la comtesse en lui…

Le Marquis.

Et la comtesse en lui…Parlons sans le flatter.
Lui trouvez-vous assez de quoi la mériter ?
Est-ce un homme si rare, & pour qui la nature…

Olympe.

Ne m’en demandez point une exacte peinture,
Il suffit que dans peu le succès fera foi
Que vous aurez sujet d’être content de moi.

Le Marquis.

Je le connois, Madame, & ne puis trop vous dire…

Olympe.

Vous savez quel billet j’ai résolu d’écrire,
Avant la comédie, il est bon qu’il soit prêt.
Quittons-nous un moment.

Le Marquis.

Quittons-nous un moment.Je veux ce qui vous plaît.