Poèmes dramatiquesBordeletTome 5 (p. 401-419).


ACTE V.



Scène premiere.

LE MARQUIS, VIRGINE.
Virgine.

Olympe s’abusant, vous en étes coupable.

Le Marquis.

Mais je ne lui dis rien qui ne soit véritable.
Voi ce qu’à l’Inconnu, pour hâter son espoir,
Par nos Comédiens elle faisoit savoir.

POUR LE GALANT INCONNU.

Vos manieres pour notre aimable comtesse sont si engageantes, que je n’ai pû me défendre d’entrer dans vos intérêts. J’ai feint que je vous avois rencontré dans le Bois, où vous m’aviez fort exagéré la passion que vous avez pour elle, & j’en ai pris occasion de faire de vous une peinture qui ne vous a pas nui dans son cœur. Il est à vous si vous vous hâtez de le venir demander. Profitez de l’avis que je vous donne. Il m’est important que vous ne différiez point davantage à vous découvrir, & vous devez peut-être assez au soin que je prens de faire réussir votre amour pour faire au plutôt ce que je souhaite.

Virgine.

C’est là contre soi-même employer son adresse.

Le Marquis.

Je l’en plains ; mais dis-moi, que pense la comtesse ?

Virgine.

Tout ce qu’on peut penser dans un dépit jaloux.
Elle en a mieux senti l’amour qu’elle a pour vous,
Et quoi qu’elle déguise en quel trouble la jette
L’ardeur que vous montrez de la voir satisfaite,
Elle ne peut souffrir le feint détachement
Qui semble la céder aux vœux d’un autre amant.
Ainsi ne doutez point que vous montrant pour elle,
Contre son espérance, & galant, & fidéle,
Elle n’accorde enfin à de si tendres feux,
Le doux consentement qui vous doit rendre heureux.

Le Marquis.

L’ordre est déjà donné pour me faire connoître ;
Après ce qu’on a sû, je dois enfin paroître.
Malgré moi dans le bois on iroit rechercher
Des vérités qu’en vain je prétendrois cacher.
On sait par le vicomte où la tente est dressée.

Virgine.

Et notre chevalier ?

Le Marquis.

Et notre chevalier ?Sa colere est passée ;
L’amour par l’espérance est bientôt adouci.

Virgine.

Il a pû voir pourtant qu’Olympe…

Le Marquis.

Il a pû voir pourtant qu’Olympe…La voici.
Laisse-nous un moment.



Scène II

OLYMPE, LE MARQUIS.
Olympe.

Laisse-nous un moment.Ma joie est sans seconde,
Marquis, &, grace au ciel, tout va le mieux du monde.
Notre comédien, comme je l’avois crû,
S’est trouvé l’un de ceux qui servent l’inconnu,
Il a pris mon billet, & l’envoie à son maître,
Sûr, dit-il, que demain il se fera connoître.

Le Marquis.

Le terme n’est pas long.

Olympe.

Le terme n’est pas long.Pour moi, j’ai supposé
Qu’il a suivi la troupe en habit déguisé.
L’entreprise pour lui ne seroit pas frivole.

Le Marquis.

Si dans la comédie il avoit pris un rôle ?
Mais vous en connoissez le visage ?

Olympe.

Mais vous en connoissez le visage ?Il ne faut
Qu’un léger changement pour me mettre en défaut.

Le Marquis.

Qu’il vienne, c’est à lui de se tirer d’affaire.

Olympe.

Je ne parlerai point, & le laisserai faire.
Mais s’il est bien reçû, vous empêcherez-vous,
Quoi que vous m’ayez dit, d’en paroître jaloux ?

Le Marquis.

Madame…

Olympe.

Madame…Il ne vous faut que deux mots de tendresse,
Pour faire de nouveau balancer la comtesse ;
J’en crains dans votre cœur le dangereux retour.

Le Marquis.

Non, si de l’Inconnu je traverse l’amour,
Me punisse le ciel ; mais j’ai bien lieu de craindre
Que de moi son bonheur ne vous porte à vous plaindre,
Et qu’après son hymen vous n’accusiez ma foi…

Olympe.

Répondez-moi de vous, je vous répons de moi.
Mais la comtesse vient.



Scène III

LA COMTESSE, LE VICOMTE, LE CHEVALIER, OLYMPE, LE MARQUIS, VIRGINE.
Le Vicomte.

Mais la comtesse vient.Si mon cœur…

La Comtesse.

Mais la Comtesse vient.Si mon cœur…Je vous prie,
Point d’amour aujourd’hui, voyons la comédie.
Sont-ils prêts à jouer ?

Le Chevalier.

Sont-ils prêts à jouer ?Ils repassent leurs vers ;
S’ils n’ont un peu de temps, tout ira de travers.

Le Vicomte.

Avant que de les voir, si vous m’en voulez croire,
Nous souperons ; je sais quelques chansons à boire,
Où, le verre à la main, je vaux mon pesant d’or,
Dieu me damne. Après tout, la joie est un trésor.

J’en fais provision en quelque lieu que j’aille.

Le Marquis.

C’est bien fait.

Le Vicomte.

C’est bien fait.Vous ferez chorus, vaille que vaille,
Je donnerai je ton.

La Comtesse.

Je donnerai je ton.Quelle cervelle !



Scène IV.

LA COMTESSE, &c. LA MONTAGNE, représentant le comédien, et vêtu en Zéphire.
La Comtesse.

Je donnerai je ton.Quelle cervelle !Hé bien,
Avance-t-on ? Vos gens n’ont-ils besoin de rien ?

Le Comédien.

Je viens demander grace encor pour nos actrices.
Leurs coëffures toujours sont pour moi des supplices,
Jamais elles n’ont fait, j’en suis au désespoir.

La Comtesse.

Laissons-leur tout le temps qu’elles voudront avoir.

Le Chevalier.

Vous aurez bien choisi ? La piéce…

Le Comédien.

Vous aurez bien choisi ? La piéce…Sera bonne.

Le Vicomte.

Qui l’a faite ?

Le Comédien.

Qui l’a faite ?Jamais nous ne nommons personne.

Nous voulons, si l’ouvrage a quelque approbateur,
Qu’il l’ait pour son mérite, & non point pour l’auteur ;
Par-là, point de cabale, on condamne, on approuve,
Selon, ou le mauvais, ou le bon qui s’y trouve.
Quelquefois à Paris telle piéce fait bruit,
Dont l’éclat en province aussi-tôt se détruit.

La Comtesse.

Il peut avoir raison.

Le Vicomte.

Il peut avoir raison.Bon, est-ce qu’en province
On a le sens commun ? Ce sont gens d’esprit mince.

Le Comédien.

À dire leurs avis s’ils sont trop ingénus,
Leurs suffrages du moins ne sont point retenus ;
Point d’extases chez eux pour une bagatelle.

Le Vicomte.

La piéce d’aujourd’hui comment se nomme-t-elle ?

Le Comédien.

L’Inconnu.

La Comtesse.

L’Inconnu.L’Inconnu !

Le Vicomte.

L’Inconnu.L’Inconnu !Si c’étoit le grosset,
Madame ?

Le Comédien.

Madame ?C’est Psyché, grand & pompeux sujet.

Le Vicomte.

Tant pis, le sérieux en moins de rien m’ennuie ;
Et n’y joindrez-vous point quelque Crispinerie ?
J’aime tous les Crispins.

Le Comédien.

J’aime tous les Crispins.Vous en aurez le choix.

Le Vicomte.

J’ai vû le médecin, je crois, plus de cent fois.
Ce pendu qu’on étale sur la table, il m’enchante.

Le Marquis.

C’est avecque justice.

Le Vicomte.

C’est avecque justice.Et cet autre qui chante,
C’est avecque justice.Fa, sol fa, sol fa re, mi, fa,
Quand il entonne ainsi son re, mi, fa, je ris…

La Comtesse.

Vraiment.

Olympe.

Vraiment.Il a toujours ses endroits favoris.

La Comtesse.

Pour ne point perdre temps, voulez-vous que je fasse
Mettre ici le théatre, où j’ai marqué sa place ?

La Comtesse.

On dit qu’il est joli, voyons.

Le Comédien.

On dit qu’il est joli, voyons.Notre chanteur
A quelque scéne à faire avant que d’être acteur,
Vous la pourrez entendre, elle est prête. Allons vîte,
Ouvrez, & que chacun de son emploi s’acquitte.

[Ils prennent tous place, & ils ne sont pas plûtôt assis, qu’on fait rouler vers eux un théatre dont le devant est orné d’un fort beau tapis où pend une très-riche campanne. Ce théatre représente une chambre. Au-devant des deux premiers pilastres qui sont de chaque côté, il y a deux guéridons faits en Mores, portant chacun une girandole. Au-dessus de la corniche de ces pilastres qui sont fort enrichis, on voit deux corbeilles de fleurs. La frise qui régne sur la façade, représente deux grandes consoles d’or, avec des festons de fleurs qui ceignent le fronton ; & entre les deux consoles il y a un rond orné d’une bordure dorée, dans lequel on voit une médaille. La suite de la chambre est enrichie d’arcades, de pilastres, de panneaux remplis d’ornemens différens, de coloris, de festons de fleurs, de porcelaines, de vases d’or, d’argent & de lapis, & d’ovales percés à jour. Dans cinq arcades ou niches, qui sont d’azur rehaussé d’or, on voit cinq statues toutes d’or, représentant des Amours ; & dans le fond de la chambre il y a encore deux guéridons comme les premiers, garnis pareillement de girandoles. De fort riches ornemens en embellissent le plat-fond ; il est percé en cinq endroits, d’où sortent cinq lustres. Plusieurs esclaves magnifiquement vêtus, marchent au-devant de ce théatre, & semblent le conduire quand il s’avance.]

Le Vicomte.

L’invention est drôle. Un théatre roulant !

La Comtesse.

J’admire de le voir si propre & si galant.

Le Chevalier.

La décoration en est bien entendue.

Olympe.

Sans doute, elle a de quoi satisfaire la vûe.

Le Vicomte.

S’ils prenoient le marêt que la Roque a laissé,
Les troupes de Paris auroient le nez cassé.


UN MORE paroît sur le petit théâtre, & chante ces vers.

Amour, à qui tout est possible,
Enflamme, anime tout ; & pour mieux faire voir
Qu’il n’est rien pour toi d’invincible,
Fais aimer cette insensible
Qui se rit de ton pouvoir…

[En même temps quatre amours sortent de leurs niches, & dardent leurs fléches vers la comtesse ; après quoi le même More chante ce refrain avec une femme More.]

L’amour punit les cruelles,
Aimez pour fuir son courroux.

Le More seul.
Que pourroit servir aux belles

D’avoir des charmes si doux,
S’ils n’étoient faits que pour elles ?

Ensemble.
L’amour punit les cruelles,

Aimez pour fuir son courroux.

La femme More seule.
Soyez tendres & fidéles,

Il s’armera contre vous,
Si vous faites les rebelles.

Ensemble.
L’amour punit les cruelles,

Aimez pour fuir son courroux.

[Ces vers étant chantés, les Mores du petit théatre se joignent aux Amours pour faire une entrée, laquelle étant finie, la comtesse dit.}


La Comtesse.

On nous trompe, & jamais comédiens qui passent
N’eurent cet appareil.

Olympe.

N’eurent cet appareil.Ceux-ci vous embarrassent ?

La Comtesse.

Non, je découvre assez que tout est concerté,
La fête finira par cette nouveauté.
Mais enfin les acteurs que l’on nous fait connoître,
Comédiens, ou non, commencent à paroître.
Il faut les écouter.

Le Vicomte.

Il faut les écouter.Soyons donc écoutans ;
Mais j’en tiens, s’il les faut écouter bien long-temps.


[On joue les trois scénes suivantes sur le petit théatre.]



Scène V

LA MONTAGNE représentant Zéphire, AGLAURE.
Zéphire.

Quoi, tout de bon, vous êtes en colere
D’un secret qui ne peut encor se révéler ?

Aglaure.

Oui, c’est m’offenser que se taire,
Quand je cherche à faire parler.

Zéphire.

Il n’est intention meilleure que la mienne.
Si vos desirs ne sont pas éxaucés,
C’est qu’un ordre d’en haut…

Aglaure.

C’est qu’un ordre d’en haut…Il n’est d’ordre qui tienne ;
Je prie, & ce doit être assez.

Zéphire.

Encor n’est-ce pas un grand crime
De vous cacher le nom de l’amant de Psyché,
Quand vous voyez que l’amour qui l’anime
À chercher à lui plaire est sans cesse attaché.
Tout ce qui peut charmer les yeux & les oreilles,
Se prodigue pour elle en ces aimables lieux,
Et jamais…

Aglaure.

Et jamais…Oui, ce sont merveilles sur merveilles ;
Mais notre sexe est curieux.
C’est peu pour nous de voir des fêtes ordonnées
Avec un éclat sans pareil.
On compte à rien leur superbe appareil,
Si l’on ne sait par qui ces fêtes sont données.
Que prétend un amant tant qu’il est inconnu ?

Zéphire.

Sur le secret d’autrui je n’ai rien à vous dire ;
Quant au mien, on ne peut être plus ingénu,
Et dès qu’avecque vous je suis ici venu,
Je vous ai découvert qu’on me nommoit Zéphire.

Aglaure.

Vous êtes du nombre des vents,
Nous l’avons assez vû, quand par l’air enlevées
Avec vous en ces lieux nous nous sommes trouvées ;
Mais pour Zéphire, je prétens
Par-tout ce que de vous vous me faites connoître,
Que vous ne l’étes point, & ne le sauriez être.

Zéphire.

Je ne suis point Zéphire ! Et d’où vient ?

Aglaure.

Je ne suis point Zéphire ! Et d’où vient ?En tous lieux
Zéphire se fait voir doux, complaisant, traitable,
Et vous étes des vents le plus inexorable,
Ou Borée, ou quelque autre encor moins gracieux.

Zéphire.

Vous voulez que je sois Borée ?
Adieu, je vais souffler si froidement pour vous,
Que vous aurez sujet d’en croire le courroux
Qui contre moi vous tient si déclarée.



Scène VI

AGLAURE, CÉPHISE.
Céphise.

D’où vient, quand on me voit, que l’on vous quitte ainsi ?

Aglaure.

Je suis brouillée avec Zéphire.
Je l’avois prié de me dire

Le nom de l’Inconnu qui nous met en souci.
Sur ses refus j’ai perdu patience,
Et me suis échappée à quelques mots d’aigreur.

Céphise.

Croyez-moi, vous cherchez, ma sœur,
Une fatale connoissance.
Pourquoi ce desir curieux ?
Manquons-nous de plaisirs & de galantes fêtes,
Depuis qu’avec Psyché nous habitons ces lieux ?
Et quand vous apprendrez qui les tient toujours prêtes,
Prétendez-vous en être mieux ?

Aglaure.

Il est fort naturel de chercher à connoître
Un amant qui s’obstine à se tenir caché.

Céphise.

Mais s’il est connu de Psyché,
Voyez-vous quel mal en peut naître ?
Sa main paiera des feux si tendres & si doux,
Et par leur paisible hyménée,
La fête aussitôt terminée
Ne charmera plus que l’époux.
Alors, où pour nous, je vous prie,
Seront & les jeux & les ris ?
Car enfin folle est qui s’y fie ;
Quand les amans sont maris,
Adieu la galanterie.

Aglaure.

Non, l’Inconnu doit être né
Pour s’en faire toujours un plaisir nécessaire,
Et son amour par l’hymen couronné,
N’aura pas moins d’ardeur de plaire.

Céphise.

Si vous me répondez que mari comme amant,
Nous le verrons toujours le même,
Je saurai son secret.

Aglaure.

Je saurai son secret.Vous le saurez ! Comment ?

Est-ce que Zéphire vous aime ?

Céphise.

Le beau sujet d’étonnement !
Croyez-vous sa conquête une si grande affaire ?
Et quand on me voit plus d’un jour,
N’ai-je pas assez de quoi plaire
Pour mériter un peu d’amour ?

Aglaure.

Voilà toujours votre folie.
La plus Belle jamais n’eût tant de bonne foi.

Céphise.

Je ne suis, si l’on veut, ni belle, ni jolie,
Mais j’ai certains je ne sai quoi
Qui me font préférer à la plus accomplie.

Aglaure.

Vous le croyez ?

Céphise.

Vous le croyez ?Si je le croi ?
Avec mon humeur enjouée,
Je fais faire naufrage à qui m’en vient conter ;
Et dès qu’on a pû m’écouter,
C’est une franchise échouée
Mais quand je trouverois Zéphire indifférent,
Le pressant de parler, s’en pourroit-il défendre ?
C’est la maniére de s’y prendre,
Qui fait qu’un obstiné se rend.
Le voici, laissez-moi, s’il vous plaît, éloignée,
Il me viendra soudain faire ici les yeux doux.

Aglaure.

Ce sera pour Psyché, s’il s’explique avec vous,
De l’inquiétude épargnée.
J’en attens le succès. Adieu.



Scène VII

ZÉPHIRE, CÉPHISE, UN ENFANT représentant l’Amour.
Zéphire.

À la fin ta compagne a quitté la partie.
Pour te voir, proche de ce lieu
J’attendois qu’elle fût sortie.
Je me souviendrai quelque temps,
Qu’elle a tantôt osé me traiter de Borée.

Céphise.

Sais-tu qu’il est certains instans
Où moi-même de toi je suis mal assurée ?
Tu t’es nommé Zéphire ici,
J’en doute à voir ta taille.

Zéphire.

J’en doute à voir ta taille.Alors que je t’adore,
De cette vérité tu peux être en souci ?

Céphise.

De grace, étais-tu fait ainsi
Lorsque tu soupirois pour Flore ?

Zéphire.

J’étois fort délicat, & le serois encore,
Mais le temps m’a tout épaissi.

Céphise.

Tu pourrois bien m’avoir trompée.
La jeunesse a souvent trop de crédulité ;
Et l’amour dont pour toi je suis préoccupée…

Zéphire.

Non, foi de vent d’honneur, j’ai dit la vérité.
Je suis Zéphire.

Céphise.

Je suis Zéphire.Hé bien, je le veux croire.

Mais quant à l’Inconnu, son nom ? Regarde-moi.
J’ai promis à Psyché de le savoir de toi ;
Je dois tenir parole, il y va de ma gloire.

Zéphire.

Ne me presse point là-dessus,
J’ai des raisons…

Céphise.

J’ai des raisons…Pures chimeres !

Zéphire.

Je ne saurois parler.

Céphise.

Je ne saurois parler.Abus,
Tu m’aimes ; s’il me faut essuyer tes refus,
Tu n’es pas bien dans tes affaires.

Zéphire.

Je prendrois grand plaisir à ne te rien cacher ;
Mais veux-tu, parce que je t’aime.
Que l’Inconnu me vienne reprocher
Que ma langue ait fait tort à son amour extrême ?
C’est de tous les amans le plus passionné,
Rien ne sauroit égaler sa tendresse ;
Mais il veut être sûr du cœur de sa maîtresse,
Avant que son secret lui soit abandonné.

Céphise.

Qu’il ne craigne rien, Psyché l’aime.
Tant de soins de lui plaire ont vaincu sa fierté.

Zéphire.

Si tu me disois vrai, me voilà bien tenté.

Céphise.

N’en doute point, je le sai d’elle-même.
Mais enfin je commence à prendre pour affront
Une si longue résistance.

Zéphire.

Attens ; pour ne rien faire avec trop d’imprudence,
Il est bon que l’Amour me serve de second.

[Il se tourne vers l’Amour qui sort de la niche,
& ôte le masque qui lui couvroit le visage].
Céphise.

Quoi, l’Amour déguisé parmi nous !

Zéphire.

Quoi, l’Amour déguisé parmi nous !Que t’en semble ?

Céphise.

Je vois bien que c’est lui qui commande en ces lieux,
Hé, cours dire à Psyché…

Zéphire.

Hé, cours dire à Psyché…Non, Céphise, il vaut mieux
Que nous l’allions trouver ensemble.

Céphise.

J’attends tout de l’Amour, s’il daigne s’en mêler.

[Ils descendent tous sur le grand théatre.]
Zéphire.

Madame, puisqu’il faut, enfin, que l’on vous die…

La Comtesse.

À moi ? Cela n’est pas de votre comédie.

Zéphire.

Vous étes la Psyché dont nous voulons parler.
L’Amour en est croyable ; & quand je vous l’améne…

L’Amour.

Oui, Comtesse, l’Amour vous veut tirer de peine,
Et du ciel, tout exprès, il est ici venu
Pour finir l’embarras où vous met l’Inconnu.

La Comtesse.

Chacun depuis long-temps aspire à le connoître.

L’Amour.

Je n’ai qu’à dire un mot, vous le verrez paroître.

Olympe.

L’Amour peut sans scrupule user de son pouvoir.

L’Amour.

Il faut donc me hâter de vous le faire voir.
Regardez ce portrait.

Olympe à la Comtesse.

Regardez ce portrait.Si rien ne le déguise,
Vous y verrez des traits… Vous en êtes surprise ?
Et bien, a-t-il l’air bon ? Qu’en dites-vous ?

La Comtesse.

Et bien, a-t-il l’air bon ? Qu’en dites-vous ?Je dis…
Voyez.

Le chevalier regardant le portrait.

Voyez.C’est le marquis.

Olympe.

Voyez.C’est le marquis.Le marquis ?

Le Vicomte.

Voyez.C’est le marquis.Le marquis ?Le marquis ?

Olympe.

Juste ciel !

La Comtesse au marquis.

Juste ciel !Quoi, c’est vous, dont l’adresse cachée
Cherchoit à me toucher ?

Le Marquis.

Cherchoit à me toucher ?En êtes-vous fâchée ?

La Comtesse.

Je ne m’étonne plus si vos feux trop soumis
Aux vœux de l’Inconnu laissoient l’espoir permis.

Le Marquis.

Tant d’amour ne peut-il mériter de vous plaire ?
Ne vous rendez-vous point ?

La Comtesse.

Ne vous rendez-vous point ?C’est une grande affaire.
D’ailleurs, deux inconnus…

Le Marquis.

D’ailleurs, deux Inconnus…Je n’en dois craindre rien.
L’Inconnu du vicomte est le comédien ;
Il ne s’est pas trop mal acquitté de son rôle.

Le Vicomte.

Il est vrai, je cherchois le son de sa parole ;
Et, sur monsieur grosset, je me remets sa voix.

La Comtesse.

Et l’inconnu qu’Olympe a trouvé dans le bois ?

Olympe.

J’ai dit ce que j’ai vû, sans savoir davantage.

Le Chevalier.

Quelque Ami du marquis a fait ce personnage ;
Pour l’Inconnu, par elle il vouloit vous toucher.

La Comtesse.

Qui l’auroit crû qu’en vous il l’eût fallu chercher ?

Le marquis, bas.

Non, ne m’en croyez pas ; mais, aimable comtesse,
Croyez-en ce présent que m’a fait la Jeunesse.

La Comtesse.

C’est là mon diamant ; vous étiez destiné
À recevoir enfin la main qui l’a donné ;
Il est juste, & j’en fais le prix de votre flamme.

Le Marquis.

Ô bonheur qui remplit tous mes vœux !
[à Olympe.]
Ô bonheur qui remplit tous mes vœux !Mais, Madame,
Vous souvenez-vous…

Olympe.

Vous souvenez-vous…Oui, je ne puis oublier
Que je vous ai promis d’aimer le chevalier ;
Vous avez de l’honneur, c’est assez vous en dire.

Le Chevalier.

Doux & charmant aveu qui finit mon martyre !
Madame, je puis donc prétendre à votre foi ?

Olympe.

Si ma mere y consent, répondez-vous de moi ?

Le Vicomte.

Je vous vois là tous quatre en bonne intelligence.
Et moi, que devenir ?

La Comtesse.

Et moi, que devenir ?Vous prendrez patience.

Le Vicomte.

Oui, de mes pas pour vous c’est donc là le succès ?
Se charge qui voudra du soin de vos procès.
Adieu.

La Comtesse.

Adieu.Le prendrez-vous, Marquis, il vous regarde.

Le Marquis.

Que ne ferois-je point ?

Le Chevalier.

Que ne ferois-je point ?La retraite est gaillarde.

Olympe.

C’est un extravagant dont nous sommes défaits.

La Comtesse.

Allons.

Le Marquis.

Allons.Puisse l’Amour ne nous quitter jamais.


FIN.