Éditions Prima (Collection gauloise ; no 29p. 21-26).

v

Les surprises du comte de Vergenler


Depuis qu’il était enfermé dans la Tour du Silence, le jeune Hector n’avait reçu aucune nouvelle du dehors. Il s’étonnait des égards qui lui étaient montrés, de la façon dont il était traité, car jamais on n’avait apporté tant de soin à prodiguer à un prisonnier le plus grand bien-être. À peine manifestait-il un désir qu’il était exaucé ; mais ses geôliers, tout déférents qu’ils fussent, avaient ordre de ne point lui dire ce qu’il était advenu de la princesse Séraphine ; or, c’était la chose qui lui importait le plus, et il se désespérait d’ignorer le sort de la dame de son cœur.

Un matin pourtant, on vint lui annoncer que le grand sénéchal l’allait venir voir. C’était la première fois que le captif allait se trouver en présence de son père depuis le jour malheureux où il avait été surpris par le roi en compagnie de la fille du duc de Boulimie. Aussi, se demandait-il quelle attitude l’auteur de ses jours allait tenir à son égard, s’il venait avec à la bouche des reproches sévères ou des paroles d’affection.

Le grand sénéchal montra à son fils le visage le plus souriant du monde :

— Mon cher enfant, lui dit-il, je connais trop les emportements de la jeunesse pour vous réprimander en quoi que ce soit. La princesse Séraphine est assez jolie fille pour que je comprenne la griserie qui vous jeta dans ses bras et vous êtes de ceux qu’une femme, fût-elle princesse, est toujours fière d’avoir pour amant. Notre maison d’ailleurs est presque aussi illustre que la famille régnante ; et je crois bien avoir entendu dire par mon aïeul Guy le Valeureux que sa mère l’avait conçu des œuvres de Népomucène VII, de glorieuse mémoire. Ce n’était donc pas déchoir pour la fille du duc de Boulimie que de se donner à vous.

Mais quelque droit que vous en ayez, il vous faut renoncer à cette princesse.

— Jamais, mon père, jamais !

— Il ne faut pas dire « jamais ». Sachez seulement que de hautes destinées vous attendent, si vous souscrivez aux conditions que vous impose Sa Majesté notre auguste maître, pour vous accorder votre grâce en même temps que votre liberté.

— Ma liberté ! Serait-ce possible !

— J’apporte l’ordre de vous élargir. Des chevaux sont sellés pour nous transporter dans mon domaine de Vidorée où le roi prescrit que vous vous rendiez immédiatement. Là, vous apprendrez quelle conduite il vous faudra tenir…

— Et la princesse ?

— La princesse est au couvent des Puritaines, par ordre du roi. De votre soumission dépend sa vie… et peut-être sa liberté.

Le comte Hector poussa un profond soupir.

— Soit ! dit-il… j’obéirai pour l’amour de ma mie et pour préserver sa précieuse existence et la faire sortir un jour de cet affreux couvent.

— Vous voici raisonnable… Suivez-moi donc. Nous voyagerons de nuit, car nul ne doit vous reconnaître en route, et vous savez que notre château de Vidorée est situé tout près de la frontière. Vous êtes censé en mission pour aller quérir en pays étranger une épouse à notre souverain.

— Une épouse, s’écria Hector, il renonce donc à Séraphine.

— Ne vous préoccupez point de cela. Et, pour l’amour de Dieu, ne prononcez plus le nom de cette princesse, si vous lui portez quelque intérêt… Croyez-en l’experience de votre père et ayez confiance dans l’avenir ; il s’annonce pour vous sous les aspects les plus brillants, et oncques je ne rêvai pour mon fils unique fortune semblable à celle qui vous échoit. Préparez-vous aux événements les plus extraordinaires, et surtout faites tout ce qu’il vous sera prescrit, sans vous étonner de quoi que ce soit.

Ces discours pleins de réticences laissaient rêveur le comte Hector, il se demandait pourquoi son père lui parlait mystérieusement, mais il pensait en lui-même :

— L’important est d’être libre, n’importe à quelle condition. Tout est préférable au séjour, autant agréable qu’on me le fasse, dans cette maudite Tour du Silence. Une fois hors de ces murs, j’aviserai bien un moyen de délivrer ma bien-aimée et de l’arracher au cloître où on la retient prisonnière.

Ah ! Si seulement je pouvais lui faire parvenir un message qui lui dirait d’espérer. Mais qui pourrait me le porter ?…

Au dehors un groupe de cavaliers attendaient. C’étaient des hommes sûrs et dévoués ; ils savaient d’ailleurs que toute indiscrétion serait punie de mort, et cela eût suffi à assurer leur silence. Parmi eux se trouvait le colonel des hallebardiers de la garde, Adhémar de Chamoisy, et son fils Arnaud.

Le colonel chevauchait a côté du comte Hector, et celui-ci au cours du voyage s’entretint avec lui, essayant de lui arracher quelque renseignement, car il pensait que cet officier connaissait peut-être une partie des choses que le grand sénéchal ne lui avait point révélées.

Mais Adhémar ne savait rien de plus que le duc Gontran de Vergenler. Il ignorait même le but du voyage et où on conduisait le jeune Hector. Cependant, il s’attendrit sur le sort du fils du sénéchal, et comme le jeune comte ne pouvait s’empêcher, chemin faisant, de lui parler de ses amours et de plaindre le sort de la princesse, il eut pitié de lui et lui dit :

— Si vous me promettez de garder le silence, je vous confierai un secret qui vous causera grande joie.

Hector promit naturellement d’être discret.

— Eh bien ! dit le colonel, je vous le dis, mais j’y risque la perte de ma charge et peut-être ma vie ; cependant j’ai Page:Louis-d-elmont-l-inceste royal-1925.djvu/26 Page:Louis-d-elmont-l-inceste royal-1925.djvu/27 Page:Louis-d-elmont-l-inceste royal-1925.djvu/28