Victor Palmé (p. i-iii).
PRÉFACE


De toutes les sottises aujourd’hui florissantes, aucune, à mon avis, ne l’emporte sur la croyance aux Naundorff. Le succès relatif de cette impudente et grossière imposture n’est pas seulement inouï, il est humiliant. Qu’un aventurier se soit donné pour un personnage mort, pour l’héritier disparu d’un grand nom ou d’une grande fortune et qu’il ait trouvé des dupes, cela s’est vu souvent et, à coup sûr, se verra encore ; mais que cet aventurier ayant fait souche, sa progéniture ait pu continuer en grand son industrie, voilà le nouveau, voilà le comble.

C’est le cas des Naundorff. Leur auteur comptant, en homme d’expérience dépourvu de tout scrupule, sur la simplicité des honnêtes gens, s’avisa, après plusieurs autres, de se déclarer Louis XVII. Ce juif prussien, né dix ans avant le Dauphin, n’avait guère pour entrée de jeu, outre sa fourbe, qu’un nez bourbonien. Ce fut assez. Des illuminés qui avaient vu Louis XVII lorsqu’il avait cinq ou six ans, le reconnurent dans ce quinquagénaire. D’autres, non moins hallucinés et, par conséquent, non moins sûrs de leurs souvenirs, reconnaissaient au même moment d’autres Louis XVII. Tel de ces bons témoins reconnut même successivement le jeune martyr du Temple dans Naundorff et dans Richemont.

Mais tandis que les autres faux dauphins disparaissaient sans laisser personne derrière eux, Naundorff fondait une dynastie de prétendants. De ce Louis XVII de Prusse est né un Charles XI d’Angleterre ou de Hollande et un Adelberth Ier, qui dès à présent a pour héritier un Edmond, premier aussi.

Grâce à une dame Laprade, dite Amélie de Bourbon, c’est le prince Charles qui tient la corde. Il signe des proclamations, parle des droits que lui donne sa naissance, s’entend appeler sire, laisse tomber un sourire quand on lui chante : Ô Charles ! ô mon roi ! et, ne pouvant encore lever des impôts, daigne, – gardons-nous d’en douter, – recevoir des dons. Le roi doit vivre du trône.

L’exploitation, maintenant prospère, fondée par le premier Naundorff, a eu de mauvais jours. « Charles XI », qui manque de prestige et auquel le type bourbonien fait absolument défaut, avait même abandonné la partie. De cet abandon datent les droits d’Adelberth Ier. La mort du comte de Chambord ne pouvait relever les espérances de ces intrigants, ils sont trop roués pour en avoir ; mais elle a ravivé leurs appétits. Ils ont compris que certains légitimistes, par hostilité passionnée contre les princes d’Orléans, que certains catholiques, disposés à voir dans la mort du roi le châtiment de quelque crime commis par ceux dont il avait hérité, deviendraient accessibles à l’imposture naundorffiste. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Ils ont redoublé d’efforts, et se sont établis à la fois sur le terrain de la monarchie autoritaire et du catholicisme le plus pur, le plus pieux. « Charles XI », de protestant sceptique, s’est, en un tour de phrase, fait l’homme du Cœur de Jésus et de l’Infaillibilité. Il ne se croirait pas assez catholique s’il ne l’était pas avec exaltation. Il n’a même pu attendre, tant sa foi subite a été brûlante, d’avoir abjuré le protestantisme pour vouer la France au Sacré-Cœur.


La foi qui n’agit pas est-ce une foi sincère ?

Hélas ! Cette parade odieuse a réussi. De candides royalistes, de très bons catholiques ont vu dans l’audace même du mensonge une preuve de sincérité.

Toute cette exploitation curieuse et navrante des meilleurs sentiments, des plus nobles aspirations est racontée et jugée dans ce petit volume. L’auteur ne juge pas seul la cause qu’il a étudiée ; il a pour assesseurs les faits et le bon sens. En même temps qu’il a exécuté des imposteurs, il a écrit, sous la forme vive de la polémique, une page d’histoire.

Eugène Veuillot.