L’Impôt progressif sur le capital et le revenu/8

CHAPITRE viii

Impôts à remplacer



La proportionnalité mathématique dans l’impôt n’est pas la justice dans l’impôt. Le pauvre prend sur son nécessaire, le riche sur son superflu.

Cette vérité vieille comme le monde est cependant bien oubliée aujourd’hui. Moïse exempte d’impôt ceux qui ne possèdent pas la terre et ne vivent que de leur travail. À Athènes, la loi est basée sur le même principe ; Montesquieu la rappelle en ces termes : « La proportion injuste serait celle qui suivrait exactement la proportion des biens. On avait divisé, à Athènes, les citoyens en quatre classes. Ceux qui retiraient de leurs biens cinq cents mesures de fruits liquides ou secs, payaient au public un talent ; ceux qui en retiraient trois cents mesures devaient un demi talent ; ceux qui en avaient deux cents mesures payaient dix mines, ou la sixième partie du talent ; ceux de la quatrième classe ne donnaient rien. La taxe était juste, quoiqu’elle ne fût pas proportionnelle ; si elle ne suivait pas la proportion des biens, elle suivait la proportion des besoins. On jugea que chacun avait un nécessaire physique égal ; que ce nécessaire physique ne devait point être taxé ; que l’utile venait ensuite, et qu’il devait être taxé, mais moins que le superflu ; que la grandeur de la taxe sur le superflu empêchait le superflu ».

Saint-Luc, chap. 21, au sujet du denier de la veuve, dit qu’en donnant seulement ce denier elle donne plus que le riche donnant un talent.

De nos jours, tous les États qui entourent la France, l’Angleterre, la Prusse, l’Italie, la Suisse et, tout récemment, l’Espagne, ont appliqué ce principe dans leurs législations fiscales.

Or, que trouvons-nous, dans un examen, même sommaire, de notre budget de 1904 ? Tous les impôts sont calculés sans tenir aucun compte de la situation de ceux qui les paient. Ils frappent indistinctement les pauvres et les riches, ce qui veut dire les premiers plus que les seconds, puisqu’ils sont infiniment plus nombreux. Il est utile, nécessaire et juste de les remplacer par un impôt général sur la richesse et sur le revenu, en ayant soin d’atteindre le revenu du travail dans une plus faible proportion que le revenu du capital. Les impôts à supprimer seraient notamment lui suivants.

Impôts fonciers sur les bâtiments. 87 413 000 »
Impôts fonciers sur les terres. 104 769 000 »
Personnelles, mobilières. 96 169 000 »
Patentes. 136 664 000 »
Vins, cidres, poirés, bières. 84 889 000 »
Transports, chemins de fer. 64 290 000 »
Allumettes. 32 579 000 »
Sucres. 178 622 000 »
Sel de douanes et hors du rayon des douanes. 34 484 000 »

À reporter. 819 879 000 »
Report 819 879 000 »
Timbres 0,10 cent. de quittance. 13 000 000 »
Frais judiciaires de toutes sortes grevant les frais de vente et de liquidations de propriétés inférieures à 2 000 fr., en suite de minorités, de faillites et d’expropriations. 15 000 000 »
Produit de l’impôt sur les bouilleurs de crû, environ. 30 000 000 »
Réduction d’une moitié sur les droits de mutation par décès ou entre vifs, au-dessous de 1 000 fr. sauf à compenser cette réduction par une légère augmentation du taux, sur les mutations supérieures à 50 000 fr. mémoire

Total des impôts qu’il est le plus urgent de remplacer. 977 879 000 »

Chacun de ces impôts renferme en lui-même sa propre condamnation : les impôts fonciers ne tiennent aucun compte de l’état personnel du contribuable ; ils font supporter par le possesseur de ces biens un impôt qui n’a pas sa contre-partie sur la plupart des valeurs mobilières. Les impôts personnels, mobiliers et patentes, ne sont fondés que sur des apparences sans tenir aucun compte des revenus réels. Sur les vins, cidres, poires, bière, sucre et sel, les 9/10 au moins sont supportés par la classe la moins riche. Les transports par chemins de fer frappent aussi surtout les voyageurs de troisième classe, beaucoup plus nombreux, et les marchandises consommées par eux.

Une quittance de 100 000 fr. coûtera 0,10 centimes. Cette même somme de 100 000 fr., divisée en dix mille quittances de 10 fr. coûtera 1 000 fr. de timbres, payés surtout par le petit commerce et la petite propriété. — Quant aux frais judiciaires chacun sait qu’ils absorbent non seulement le revenu, mais le capital même des petites fortunes. — Pour les bouilleurs de crû, on en est arrivé, après trois ans d’expériences, à obliger nos vignerons à peu près ruinés, à détruire leur marc de raisins dans la plupart des cas, plutôt que de remplir les formalités prescrites par la loi ; tant cette loi est commode pour ceux qui l’appliquent et ceux qui la subissent.

Ajoutons que tous ces impôts comportent des détails infiniment petits et un personnel infiniment nombreux et dispendieux.