Librairie Guillaumin & Cie (p. 255-256).

D’un notaire





Il faut faire connaître à la masse ce que doit être l’impôt sur le revenu. Au point de vue moral vous avez parfaitement établi que l’impôt doit être payé par celui qui possède au-delà de ses besoins, et à raison de cet excédent de richesse. Malheureusement, le petit bourgeois de France, d’un naturel paresseux, se croit d’avance victime désignée parce qu’il possède juste de quoi vivre et faire vivre les siens. La lecture de votre intéressante brochure m’a fait ouvrir les yeux sur cette erreur de la masse bourgeoise. Je suis persuadé qu’il y a grand intérêt à enseigner aux Français ce qu’on désigne fiscalement sous les noms de revenu et capital. Soyez assuré qu’il y a là une éducation complète à faire. Quand je vois les impôts assis sur de pauvres vignes qui commencent à peine à rétribuer les frais de reconstitution, je ne peux m’empêcher de dire avec vous que c’est là une charge honteuse qui pèse sur le vigneron. Malheureusement, je crains que la déclaration obligatoire répugne au tempérament français. Cette déclaration obligatoire existe déjà dans bien des cas, et combien de fois a-t-on constaté l’esprit de dissimulation. Il est à craindre qu’on se heurte à bien des obstacles pour arriver à faire payer les riches qui ont une influence indiscutable sur nos ministres, nos sénateurs, nos députés ; à ce point que je me demande si nous pourrons arriver à la réforme équitable que vous proposez. En tous cas vous aurez le mérite incontestable d’avoir marqué avec précision le but à atteindre, et votre travail, qui n’est pas une boutade, mais une œuvre réelle, se tiendra debout pour servir à ceux qui auront quelque souci d’amener un peu de bien-être moral et financier dans notre pays qui en a tant besoin.

Je crois que la principale difficulté sera, en effet, la résistance des possesseurs des très grandes fortunes ; ils devraient comprendre, cependant, qu’ils sont peut-être les plus intéressés à éviter la révolution économique dont on est menacé par le collectivisme et le socialisme, et cela au moyen du simple sacrifice d’une partie de leurs gros revenus. Quant à la déclaration, on verra plus loin qu’elle n’a rien de vraiment désobligeant pour personne, qu’elle n’entraînerait aucune inquisition ; l’application de nos lois actuelles est certainement plus compliquée, plus tracassière pour le public, surtout par la perception des impôts indirects, de l’enregistrement des actes, et surtout des mutations par décès.