Librairie Guillaumin & Cie (p. 231-234).


D’un inconnu




L’impôt sur le revenu ne serait-il pas un impôt de superposition ?

J’ai indiqué, dans ma brochure, que cet impôt en remplacerait d’autres assez nombreux frappant le travail et la petite propriété.

C’est surtout dans notre système actuel, où l’on croit que l’impôt est proportionnel, que la superposition apparaît à chaque instant.

Exemple : un domaine rural produit quatre mille francs de fermage ; le fermier est, en outre, chargé de payer l’impôt foncier qui est de cinq cents francs par an. Pour tout homme de bon sens, le vrai revenu, c’est la somme de 4.000 francs, et, encore, devrait-il être réduit de la dépense moyenne pour l’entretien des terres et des bâtiments. Eh bien, pour le fisc, le vrai revenu, celui qu’il va atteindre est de 4.500 frs, et la raison qu’il en donne, c’est que l’impôt est une charge personnelle au propriétaire. Ici, le fisc est en contradiction avec lui-même et avec le bon sens ; les 500 francs d’impôt dont il fait un impôt personnel sont, au contraire, un impôt réel frappant la chose. Mais il fallait une raison, ou même un simple prétexte, pour servir de base à un second impôt ; et c’est ce qui arrive précisément dans deux nouvelles circonstances : ainsi, le droit proportionnel sur le bail se perçoit, non pas seulement sur 4.000 francs, mais sur 4.500 francs ; et le droit de mutation en cas de décès, se perçoit, non pas sur cent mille francs représentant le vrai revenu, mais sur 112.500 représentant 1o  le vrai revenu de 4.000 francs ; 2o  le revenu faux de 500 francs qui sont payés déjà comme un premier impôt. Ici, il n’y a pas à en douter, la superposition est formelle.

Au surplus, tous les impôts actuels sont superposés dans une proportion vraiment extraordinaire si on veut examiner la question. Vous ne pouvez pas brûler une allumette (encore quand elle veut bien s’allumer) sans subir une douzaine d’impôts en quantité infinitésimale, si l’on veut, quand il ne s’agit que d’une simple allumette, mais en quantité très appréciable, si l’on fait le calcul sur les 50 ou 100 milliards d’allumettes qui se consument chaque année. Ne parlons que du bois de l’allumette. Il a supporté :

1o  L’impôt foncier du sol où a crû l’arbre.

2o  L’impôt remboursé sous forme de salaire à l’ouvrier qui l’a abattu.

3o  L’impôt sur le transport par voiture, par eau ou chemin de fer qui l’a amené de la forêt à l’usine.

4o  L’impôt de patente de l’industriel qui l’a scié, découpé, mis en allumettes.

5o  L’impôt que cet industriel a subi en payant le salaire de ses ouvriers frappés eux-mêmes d’une quantité d’impôts.

6o  L’impôt qu’il a subi dans l’assurance de ses ouvriers contre les accidents.

7o  Les impôts de toutes sortes supportés par les fabricants de voitures, camions, wagons qui ont fait les transports.

8o  Les impôts personnels que ces centaines d’intermédiaires entre vous et l’allumette ont supportés, etc.

Ainsi, cette malheureuse allumette que vous brûlez sans réflexion, a subi une foule d’impôts de toutes formes et appellations, avant de subir son impôt propre comme allumette. Dans notre joli système actuel, vous pouvez faire un calcul semblable sur toutes espèces de choses, sur votre chapeau, votre paire de bottes, la peau de vos gants, jusqu’à la toile ou la soie de votre chemise. Vous ne possédez pas le moindre objet sans qu’il ait été d’abord criblé d’une grêle d’impôts, et il n’y a de remède à cette superposition indéfinie que dans l’impôt vrai, c’est-à-dire l’impôt sur le revenu qui est, au contraire, le seul, quand il est bien appliqué, qui ne soit pas superposé. Ce sont nos 75 ou 80 impôts actuels qui présentent la plus belle échelle de superposition que nous puissions imaginer.

En réalité, le plus simple et le moins dispendieux de tous les impôts, au point de vue de la perception, serait un impôt unique frappant le revenu vrai produit soit par le capital, soit par le travail, en ayant soin d’établir ce dernier sur un taux moindre.

Mais nous n’en sommes pas encore à cette simplification, si jamais elle doit se produire, et cela pour deux raisons : 1o  c’est qu’il faudrait réduire de trois quarts le nombre des fonctionnaires, chose bien difficile dans une société où tout le monde veut être fonctionnaire ; 2o  c’est que chacun saurait combien l’État lui demande pour faire marcher la machine, quand il est si essentiel que personne ne le sache.