L’Impératrice Joséphine et le prince Eugène (1804-1814)/02

L’IMPÉRATRICE JOSÉPHINE
ET
LE PRINCE EUGÈNE
1804-1814
D’APRÈS LEUR CORRESPONDANCE INÉDITE[1]

II[2]
L’APOGÉE

A la fin, le 14 frimaire (5 décembre), l’Impératrice arrive à Munich, et ce sont encore des soldats, des courtisans, des arcs de triomphe, des opéras, des fêtes et le reste. Joséphine n’écrit à personne, pas même à l’Empereur. Le 19 (10 décembre), il lui écrit, de Brunn : « Il y a fort longtemps que je n’ai reçu de tes nouvelles. Les belles fêtes de Bade, de Stuttgart, de Munich, font-elles oublier les pauvres soldats qui vivent couverts de boue, de pluie et de sang ? » Et le 28 (19 décembre), de Schoenbrünn : « Grande Impératrice, pas une lettre de vous depuis votre départ de Strasbourg ! Vous avez passé à Bade, à Stuttgart, à Munich, sans nous écrire un mot ; cela n’est pas bien aimable ni bien tendre… »

C’est que, en même temps que les fêtes, Joséphine a de plus sérieuses préoccupations. Si Napoléon considère le mariage d’Eugène avec la fille de l’Electeur, passé roi par le traité de Presbourg, comme « définitivement arrangé, » il y manque le consentement de la principale intéressée, la princesse Auguste, et de sa belle-mère, née princesse de Bade. La princesse Auguste[3], après une magnifique défense, se rend le 28 décembre (6 nivôse). Encore pose-t-elle ses conditions et exige-t-elle de Napoléon la promesse formelle du trône d’Italie.

À ce moment seulement, Joséphine écrit à son fils, sans lui dire quoi que ce soit des résistances qu’elle a rencontrées, de la campagne diplomatique, et même un peu militaire, qu’elle a menée, faisant intervenir opportunément et à deux reprises (30 frimaire et 4 nivôse) l’Empereur lui-même. Ce n’est qu’après la victoire qu’elle envoie à Eugène ce bulletin :


Munich, le 7 nivôse (XIV), 28 décembre 1805.

« Il y a quelque temps que je ne t’ai écrit, mon cher Eugène, parce que je désirais toujours pouvoir t’annoncer la nouvelle de ton mariage avec la princesse Auguste. Il est enfin décidé, et l’Empereur, en s’occupant de fixer ton sort d’une manière aussi avantageuse, nous donne personnellement à tous deux une nouvelle preuve de son attachement. Je ne saurais te dire trop de bien de la jeune personne. Son extérieur est agréable ; elle peut même passer pour une belle personne, mais je m’attache bien moins à ces qualités extérieures qu’à celles de son esprit et de son cœur, puisque de ces dernières dépend ton bonheur. Tu sais, mon ami, si le cœur de ta mère s’occupe de ce soin ; mais, de ce côté, je pense, tu n’auras rien à désirer. Je vais donc te voir, mon bon Eugène. Cette époque en sera une dans ma vie que je n’oublierai jamais, et si l’avenir m’offre quelques peines par la suite, le souvenir du bonheur que j’aurai éprouvé par notre réunion m’aidera à tout supporter. Adieu, mon cher fils, crois à ma tendresse, comme il m’est doux de me rappeler celle dont tu m’as donné tant de preuves. Je t’embrasse du meilleur de mon cœur. »


Eugène pourtant attendait des nouvelles depuis près de deux mois. Et certes ces nouvelles lui importaient. Outre l’affection très tendre qu’il avait pour sa mère, tout son avenir était en jeu. Il s’était déterminé à expédier un courrier ; et ce courrier était revenu sans une lettre de l’Impératrice, mais avec une lettre de l’inspecteur des postes attaché à son voyage. Eugène écrit alors à sa mère, cette lettre, la seule dont on ait retrouvé une copie dans ses papiers. Le cas en effet peut bien passer pour unique.


« Le retour de mon courrier m’a donné bien du chagrin et j’aime trop tendrement ma bonne mère pour le lui cacher un seul moment. J’étais déjà bien affligé de n’avoir pas reçu depuis six semaines de ses nouvelles. N’est-il pas cruel, quand on adore sa mère, de rester un aussi long espace de temps sans un mot d’elle, sans même un mot de sa part ? J’ai donc appris par les gazettes de Paris son départ de Strasbourg, son passage à Stuttgart et finalement son arrivée à Munich. Mille bruits divers sont venus frapper mon oreille : je n’en ai cru aucun, m’en rapportant entièrement sur le cœur et la tendresse de ma mère. Pourquoi faut-il que mon espoir ait été trompé ? Aujourd’hui donc arrive mon courrier en retour ; il avait été dépêché 1° pour annoncer à ma bonne mère la profusion des bontés de l’Empereur à mon égard ; 2° pour porter à ses pieds les hommages dus à sa mère au premier jour de l’année, hommages de sentimens que je suis heureux de lui répéter et que je sens bien vivement. Eh bien ! le courrier m’apporte la nouvelle officielle de mon mariage, et cette nouvelle m’est annoncée officiellement par un inspecteur des postes. Pas un mot des dix mille personnes qui sont auprès d’elle et qui eussent rempli avec intérêt cette commission. Je ne suis pas chagrin pour l’inconvenance ; elle ne peut être et n’est que bien involontaire chez ma bonne mère ; mais à quoi je ne puis penser sans la plus vive douleur, c’est que je suis privé depuis sept semaines de nouvelles de l’Impératrice. Il faut tout mon attachement pour son auguste personne pour pardonner son oubli. Que les plaintes seulement soient permises au plus tendre comme au plus respectueux des fils. »


ANNEXE
L’inspecteur des Postes au prince Eugène.


Munich, le 30 décembre 1805.

MONSEIGNEUR,

« Sa Majesté l’Impératrice me charge d’écrire une seconde fois à Votre Altesse pour lui accuser réception de sa dépêche et pour lui confirmer le contenu de ma première par laquelle Sa Majesté m’avait ordonné de lui annoncer son mariage avec la princesse Auguste de Bavière.

« Sa Majesté me charge de dire à Votre Altesse qu’elle se porte bien et qu’elle est très impatiente d’avoir l’honneur de la voir.

« Je me trouve très heureux et très honoré de pouvoir, une seconde fois, prier Votre Altesse d’agréer l’hommage du dévouement sans bornes et du profond respect avec lequel je suis, de Votre Altesse Sérénissime, le très humble et très obéissant serviteur.

« BOULENGER. »


Cependant, le 10 nivôse (31 décembre), l’Empereur est arrivé à Munich ; il entend qu’on obéisse et rapidement. Le roi de Bavière a ceint une couronne trop nouvellement fondue pour qu’il ne tremble pas de la perdre. La princesse, après un long entretien avec l’Empereur, croit avoir gagné au moins un trône et elle cède. Napoléon écrit à Eugène : « Mon cousin…, j’ai arrangé votre mariage avec la princesse Auguste… Elle est très jolie : vous trouverez ci-joint son portrait sur une tasse, mais elle est beaucoup mieux… »

De son côté, Napoléon croit avoir tout emporté : il se trompe, et, à présent, sur les termes du contrat, la résistance continue ; il s’en tire avec des promesses qu’il n’écrit ni ne signe et qu’il ne tiendra pas. Le 10 janvier 1806, Eugène, qui a fait diligence, arrive ; il a trois jours pour faire connaissance avec sa fiancée : le 13, mariage civil ; le 14, mariage religieux. Ainsi s’accomplit le dessein que Napoléon a formé depuis le 12 juillet 1804 (23 messidor an XII, lettre à Otto). On entre ensuite dans les réjouissances de cour, où M. Rémusat, premier chambellan, faisant fonction de grand maître des cérémonies, s’évertue à flatter un goût de pompe niaise qui.se développe de plus en plus chez Napoléon.

Le 16, le vice-roi part avec sa jeune femme pour Vérone ; le 17, l’Empereur et l’Impératrice prennent la route de Paris, où ils arrivent dans la nuit du 20 au 27. C’est seulement quinze jours plus tard que Joséphine écrit à son fils.


Paris, ce 13 février.

« J’attends avec bien de l’impatience de tes nouvelles, mon cher Eugène ; il n’y avait qu’une lettre de toi et la certitude que tu étais arrivé à Vérone en bonne santé qui pût diminuer un peu le regret que j’ai eu de me séparer de toi à Munich. Après des momens de réunion si courts, au moins le peu de jours que nous y avons passés ensemble ont-ils été marqués par une époque qui, je l’espère, influera sur ta vie. J’ai appris avec peine, à mon arrivée ici, qu’on avait été beaucoup plus loin qu’il ne convenait pour les dépenses relatives à ta maison. Elles montent à quinze cent mille livres, sans qu’elle soit encore finie. Lorsque l’Empereur l’a su, il était très mécontent, a montré de l’humeur. Tu dois croire que je n’ai rien négligé pour diminuer l’impression que cela faisait sur lui, et je suis bien certaine de n’avoir dit que la vérité en l’assurant que cela était très éloigné de tes intentions ; qu’étant absent depuis deux ans, tu n’avais pu veiller toi-même à cet objet et que tu avais été obligé de t’en rapporter à ceux que tu en avais chargés ; mais que tu serais certainement très mécontent en apprenant qu’on avait outrepassé tes ordres. Je ne t’ai pas écrit plus tôt, mon cher fils, attendu que, depuis mon retour, j’ai mené la vie la plus fatigante possible : jamais un moment à moi, me couchant fort tard et me levant de bonne heure. L’Empereur, qui est très fort, supporte très bien cette vie active ; mais ma santé à moi en souffre un peu. Ta sœur m’a fait bien de la peine à mon arrivée. Elle était d’une maigreur qui, toutes les fois que je la regardais, m’arrachait des larmes. Elle m’a dit que c’était le chagrin qu’elle avait éprouvé de n’avoir pu assister à ton mariage qui l’avait mise dans cet état ; maintenant elle se porte beaucoup mieux.

« Je ne veux pas finir ma lettre sans t’apprendre une nouvelle qui te fera sans doute plaisir, mais tu dois encore l’ignorer jusqu’à ce que l’Empereur l’on fasse part : c’est le mariage de la petite Beauharnais avec le Prince électoral de Bade. La demande en a été faite hier par des ambassadeurs. L’Empereur la reconnaît comme sa fille et la déclare princesse. Le mariage se fera, à ce qu’on dit, le 15 du mois prochain. J’ai arrêté pour ta femme une bonne femme de chambre, un valet de chambre coiffeur très bon sujet. Duplan m’en a répondu. La corbeille et toutes les modes sont superbes. Tous ces objets partiront à la fin de la semaine prochaine. Adieu, mon cher Eugène, je pense avec plaisir que nous ne serons pas très longtemps sans nous revoir encore. J’en aurai beaucoup à me réunir à toi et à ma belle-fille, au mois de mai, et les momens que nous passerons ensemble me paraîtront toujours trop courts. Je t’embrasse, mon ami de toute la tendresse de mon cœur ; mande-moi, mon Eugène, si tu es heureux ; tu mérites tant de l’être ! »


Eugène avait chargé de meubler sa maison, et de la mettre au dernier goût, Calmelet, qui avait été de tout temps l’ami plus que l’homme d’affaires de sa mère, au point qu’il avait été son témoin lors de son mariage avec Bonaparte. Elle lui avait, ainsi que Mme Renaudin, sa tante, des obligations de tous les genres. Calmelet, que Joséphine avait fait nommer secrétaire général du Conseil des Prises, le 19 germinal an VIII, puis administrateur général du Mobilier de la Couronne, le 13 brumaire an XIII, s’était déchargé sur Bataille, architecte et tapissier, du soin de meubler l’hôtel ; l’Empereur, à son arrivée, réclama un compte, qui passa un million. Aussitôt lettre à Fouché (31 janvier 1806), lui ordonnant qu’il surveillât Calmelet, qu’il fit connaître le bruit public sur son compte, qu’il sut où étaient ses papiers et le véritable état de ses affaires, afin que, si ses soupçons se confirmaient, il en fût fait un bon et sévère exemple. Lettre à Eugène (3 février) : « Vous avez très mal arrangé vos affaires à Paris. On me présente un compte de 1 500 000 francs pour votre maison. Cette somme est énorme. M. Calmelet, Bataille et ce petit intendant que vous avez nommé sont des fripons. » Eugène a le courage de tenir tête : « Je dois à la vérité, écrit-il le 12 février, de dire à Votre Majesté que, quant à mes affaires particulières, MM. Calmelet, Soulnnge, ainsi que mon architecte, ne sont pas coupables. Il y a fort longtemps que je les connais, et l’intérêt qu’ils ont montré à ma famille dans des temps moins heureux me donne la hardiesse de les recommander à Votre Majesté. » Joséphine, qui devait tant à Calmelet, ne tenta rien pour le défendre[4].

La jeune Stéphanie de Beauharnais qui allait épouser le prince électoral de Bade, était la fille de Claude de Beauharnais, comte des Roches-Baritaud, oncle d’Alexandre de Beauharnais, et de Claudine-Françoise-Gabrielle-Adrienne de Lezay-Marnésia ; après d’étonnantes aventures, elle avait été recueillie par Joséphine et par le Premier Consul, qui avaient fait compléter son éducation chez Mme Campan.

Les fournitures pour la corbeille de S. A. I. la vice-reine d’Italie montaient à 202 967 fr. 60, dont entre autres 81 889 francs pour Leroy (modes et robes) et 21 278 fr. 60 pour Lolive de Beuvry (lingerie). Les 202 967 fr. 60 furent, par l’Empereur, réduits à 100 000 francs.


Sans que l’affection de Joséphine pour son fils en soit augmentée, l’activité de la correspondance s’accroît à présent du désir qu’elle a de se rendre agréable à sa belle-fille et à son fils, peut-être pour que celui-ci ne perde pas de vue le parallèle. Quant à l’Empereur, il n’est point d’attention qu’il ne témoigne à la princesse Auguste, et, en même temps qu’à Eugène, dans ses dépêches officielles, il adresse des grondes, il envoie son portrait à la princesse et il charge Joséphine de faire parvenir à son fils le plus beau présent qu’il lui puisse offrir.


Paris, le 25 février (1806).

« Mon cher Eugène, je fais partir la corbeille[5]. Comme elle est trop grande pour le fourgon, elle ira par la diligence. Quant aux objets qui la composent, c’est le fourgon que j’ai fait faire pour ta femme qui les transportera. Ils ont été vus de tout Paris et trouvés très beaux. Je désire qu’ils ne soient pas moins agréables à ta femme. Je fais accompagner le fourgon par un valet de chambre coiffeur dont on m’a répondu. C’est un très bon sujet et qui coiffe très bien. L’Empereur trouve aussi qu’il est indispensable pour elle d’avoir un valet de chambre coiffeur. J’ai lu avec bien du plaisir dans les journaux le récit des fêtes que l’on vous a données à Venise. Je suis bien sûre qu’on y aura trouvé ta femme aussi belle qu’elle est aimable et bonne. Je sais que plusieurs personnes à Paris ont reçu des lettres qui renferment tout ce que je viens de te dire et qui en font le plus grand éloge. Cela me rend bien heureuse. Adieu, mon cher fils, mon bon Eugène. Ta mère t’aime avec tendresse.

« JOSEPHINE. »


Paris, le 25 février (1806).

« Sois bien sûre, mon cher Eugène, que je ne cesse de m’occuper de toi. Tu en trouveras la preuve dans le précieux envoi que je charge Lavallette de te faire parvenir : c’est le sabre que portait l’Empereur à la bataille de Marengo[6]. Il est consacré par une grande victoire et je désire qu’en servant ton courage, il paraisse un jour n’avoir pas changé de main. L’Empereur a mis dans ce présent une grâce charmante. Comme ce sabre est très beau, j’en cherchais un plus modeste, mais l’Empereur a bien voulu me dire qu’il n’y avait rien de trop beau pour son fils ; je suis sûre au moins qu’il n’y a pas de trésor au monde qui pût flatter ton cœur autant que celui-là, car c’est le don de la gloire et de l’amitié. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE. »


Un long mois se passe. On annonce de Munich la grossesse d’Auguste, nouvelle sans doute prématurée (Journal de l’Empire du 12 mai), mais dont Eugène a fait part à sa mère, ce qui lui donne tous les airs d’authenticité. Sur la crainte que la princesse fût fatiguée, il ne l’a point menée à Venise, où l’on célèbre la réunion des États de Saint-Marc au royaume d’Italie. Ce sera le 9 juillet seulement que, de Monza, il écrira à « sa bonne mère : » « Il est enfin décidé qu’Auguste est enceinte ; toutes les preuves en ont eu lieu… Je dois un peu ce bonheur à une absence de dix jours que j’ai faite. J’ai beaucoup de plaisir à t’apprendre cette nouvelle parce que je suis certain du bonheur que tu éprouveras à avoir un petit enfant de plus. » Auguste, par une lettre du 23 juillet, confirme « la certitude qu’elle a d’être grosse. » Elle accouche, le 14 mars 1807, à Milan, d’une fille appelée Joséphine, sur un ordre de l’Empereur, en date d’Osterode le 27 mars. Cette fille, Joséphine-Maximilienne-Eugénie-Napoléone, créée princesse de Bologne le 29 décembre 1807, duchesse de Galliera, épousa en 1823 Oscar 1er, roi de Suède et de Norvège, fils de Bernadotte, et mourut le 7 juin 1870.


S. d. (14 avril 1806).

« Le plaisir que j’avais éprouvé, mon cher Eugène, en apprenant les nouvelles de la grossesse de ta femme vient d’être troublé par les inquiétudes que tu parais avoir sur sa santé. Tu ne saurais l’engager à prendre trop de ménagemens. Rassure-la surtout sur les motifs qui paraissent l’affecter au sujet du décret rendu par l’Empereur[7]. Dis-lui que ses craintes ne sont pas fondées par la raison qu’il ne concerne que les enfans qui, par succession, peuvent de droit monter sur le trône de France. Sois persuadé, mon ami, que la mélancolie qui la domine momentanément tient à son état et ne doit pas t’affliger. Cependant, comme elle pourrait prolonger ses souffrances, tu dois chercher par tous les moyens possibles à l’en distraire. Ne te livre pas tant à l’étude, aux affaires ; cherche les moyens de la dissiper. Son bonheur étant le premier vœu de ton cœur, c’est assurer en même temps le tien que de t’occuper du soin de la rendre heureuse, et je m’en repose sur toi. Nous avons été à Grignon[8], chez le maréchal Bessières, pour amuser aussi nos jeunes mariés. Ils paraissent fort contens l’un de l’autre et je remarque que le prince de Bade s’occupe de sa femme, la soigne, et j’espère que ce mariage sera heureux. Nous avons passé la soirée à jouer à de petits jeux. L’Empereur a bien voulu se joindre à nous et nous arrivons tous à Saint-Cloud gais et bien portans. Je voudrais, mon bon Eugène, que tu m’en donnes d’aussi bonnes nouvelles, car il faut que tout ce que j’aime soit tranquille et satisfait pour que je puisse me dire heureuse et l’être. Donne-moi promptement de tes nouvelles, de celles de la femme et reçois, ainsi qu’elle, mille et mille tendresses.

« JOSEPHINE. »


Des jours ont passé, les plus remplis qu’on puisse vivre. La Confédération du Rhin a été instituée, le royaume de Naples, le royaume de Hollande ont reçu des souverains napoléoniens. Les fêtes ont succédé aux fêtes, les voyages aux Voyages. Il faut assurément le départ de M. d’Aubusson pour que Joséphine se détermine à écrire. M. d’Aubusson fut des premiers qui sollicitèrent de lui appartenir. Pierre-Raymond-Hector d’Aubusson de la Feuillade, ci-devant comte de la Feuillade et vicomte d’Aubusson, avait été cadet à l’Ecole militaire en 1119, et était, lors de la Révolution, lieutenant-colonel, aide de camp du maréchal de Mailly ; à son retour d’émigration, il se rapprocha » et, aussitôt après l’Empire, fut chambellan de l’Impératrice à 12 000 francs, sans compter les gratifications. En juillet, il avait été nommé ministre près la reine d’Étrurie.


Saint-Cloud, ce 30 août (1806).

« Mon cher Eugène, il y a longtemps que je voulais t’écrire, ainsi qu’à Auguste ; mais les occupations se succèdent si rapidement que j’arrive à la fin de chaque journée sans avoir fait ce que je désirais le plus. Il m’a fallu aussi bien du temps pour me remettre de l’impression que m’avait causée le départ de ta sœur[9]. J’ai senti de nouveau tout le chagrin que j’avais éprouvé en me séparant de toi, et j’étais trop émue et trop souffrante pour écrire. Je m’empresse aujourd’hui de profiter du départ de M. d’Aubusson La Feuillade, mon chambellan, qui se rend à Florence. Je te demande pour lui l’accueil le plus favorable : il te donnera des nouvelles de l’Empereur et des miennes et il pourra te dire aussi combien je m’occupe de mon bon et excellent Eugène. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse aussi tendrement que je t’aime. »

« JOSEPHINE. »

Un long temps s’écoule et quel temps ! Partie de Saint-Cloud avec l’Empereur, le 25 septembre, à quatre heures et demie du matin, Joséphine arrive le matin du 28 à Mayence où elle doit passer quatre longs mois. Il ne se trouve point de lettres où elle raconte la marche triomphale : Iéna, Auerstaedt, Potsdam, Berlin, Posen, Varsovie. Aucune allusion. En revanche, elle est toute à la layette destinée à l’enfant qu’attend Auguste, au drap de dentelles qu’elle lui donnera pour ses étrennes, à la garde, Mme Frangeau, qu’elle a envoyée de Paris et qui a accouché Hortense. Elle a près d’elle la reine de Hollande, avec son fils aîné, le petit Napoléon, et Stéphanie de Bade. Mais il faudrait qu’elle pût rejoindre Napoléon qui s’éloigne de plus en plus et qui bientôt aura d’autres pensées en tête.


Mayence, ce 7 janvier (1807).

« J’ai reçu, mon cher Eugène, ta lettre. Elle m’a fait grand plaisir. Je commençais à être inquiète de ton silence. Je regrette bien souvent de ne pouvoir t’écrire autant que je le désirerais, mais tu ne peux me faire de plus grand plaisir que de me donner de tes nouvelles et de celles d’Auguste. Je suis charmée qu’elle ait été contente de la layette. Elle recevra incessamment, pour ses étrennes, un drap de lit de dentelles qu’on dit être de la plus grande beauté. Je désire qu’elle le reçoive avec autant de plaisir que j’en ai à le lui envoyer. Je n’ai pas eu de courrier de l’armée depuis la dernière lettre que je t’ai fait passer. J’attends les nouvelles avec beaucoup d’impatience. J’espère en recevoir aujourd’hui, je te les enverrai. Je suis tranquille de savoir Mme Frangeau auprès de ta femme. Il me tarde d’apprendre qu’il y a dans le monde un nouveau-né. Je l’attends sans inquiétude, mais avec de grande dispositions à le bien aimer. Adieu, mon cher fils, je t’aime et t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE.

« Mille choses tendres et aimables à ta femme. J’ai le bonheur d’avoir toujours avec moi la reine de Hollande. Elle seule me fait supporter la longue absence de l’Empereur. Napoléon est charmant. »


Mayence, ce 10 janvier (1807).

« J’ai reçu ta lettre du 4, mon cher Eugène, au moment où j’en recevais une de l’Empereur en date du 29[10]. Il venait d’avoir encore contre les Russes de nouveaux succès et leur avait pris 80 pièces de canon, tous leurs bagages et dix mille prisonniers. Il me mande qu’il compte retourner à Varsovie dans deux jours et qu’il m’écrira de cette ville. Il a pris ses quartiers d’hiver. Je n’ai pas reçu la lettre que tu avais remise pour moi à la députation italienne, mais je t’engage à écrire le plus promptement possible à l’Empereur pour lui demander de nommer ton enfant et pour désigner des personnes qui le tiendront avec lui. Je suis enchantée du camée que tu m’as envoyé. C’est le plus joli présent que ta femme pût me faire et je serai heureuse quand je pourrai avoir de même la ressemblance du nouveau-né ou à naître. Adieu, mon cher Eugène, je t’embrasse ainsi qu’Auguste bien tendrement.

« JOSEPHINE. »


A diverses reprises, l’Empereur a donné ordre que Joséphine retournât à Paris, qu’avec toute sa cour elle allât au spectacle, reçût et donnât des fêtes ; comme il n’a plus l’intention de l’appeler en Pologne, mieux vaut qu’elle parte. L’Impératrice, quittant Mayence le 26 janvier à huit heures du matin, arrive le 31 au soir à Paris, où elle est saluée par le canon et accueillie avec des honneurs qu’elle n’a jamais reçus et qu’elle ne recevra plus. Il s’agit de rassurer Paris et de lui rendre la vie.

L’Empereur quitte Varsovie le 29 et rouvre la campagne : le dimanche 8, il livrera cette bataille d’Eylau que seule son obstination lui fait attribuer, mais où il ne gagne guère que le terrain couvert de cadavres français, presque autant que de cadavres russes. Le combat dont parle d’abord Joséphine est-il celui de Bergfriede, livré, le 3, par Soult à Benningsen ou celui d’Allenstein que l’Empereur livre lui même, le 4 ?


Paris, ce 21 février (1807).

« Je profite, mon cher Eugène, du départ de M. de la Greca pour te donner de mes nouvelles. J’ai souffert beaucoup hier de ma migraine, mais je suis mieux aujourd’hui. La santé de l’Empereur est très bonne, malgré la fatigue qu’il se donne. Il vient de rouvrir la campagne par de nouveaux succès, comme tu l’auras vu par les copies que je t’ai fait envoyer hier. J’attends avec impatience des nouvelles de ta femme et de mon nouvel enfant. Je regrette bien, mon cher Eugène, de ne pouvoir être auprès d’elle et de toi dans un moment aussi intéressant, mais je te recommande d’avoir du courage. Les soins de Mme Frangeau et son expérience doivent te rassurer, il faut que ta femme suive exactement tous ses avis. Je t’engage aussi de nouveau à écrire à l’Empereur pour lui témoigner combien tu serais heureux qu’il voulût bien donner son nom à ton enfant ou qu’il te fasse connaître ses intentions. Adieu, mon cher fils, j’embrasse ma chère Auguste, et je l’aime tendrement.

« JOSEPHINE. »


Voici la lettre par laquelle elle annonce la bataille d’Eylau. L’écuyer Corbineau, qui y fut tué en portant un ordre de l’Empereur, était l’ainé de ces trois frères, également héroïques, qui furent particulièrement distingués par Napoléon. Ils étaient fils d’un inspecteur général des haras, et l’on peut croire que ce fut le général d’Harville, si lié avec Joséphine, qui introduisit près d’elle son filleul et ancien aide de camp. Claude-Louis-Constant-Esprit-Juvénal-Gabriel. Quant à Dahlmann, fils de soldat, enfant de troupe de Dauphin-Cavalerie, il était entré en messidor an IV dans les guides de Bonaparte où il avait été promu sous-lieutenant en l’an V et où il avait fait tous les grades jusqu’à celui de général. De là avec Eugène, jusqu’au départ de celui-ci pour l’Italie, une habitude de chaque instant.


Paris, ce 25 février (1807).

« Un officier que tu connais et qui va être employé près de toi, me procure l’occasion de t’écrire, mon cher Eugène. J’en profite avec bien du plaisir. Il me tarde d’apprendre que ma chère fille est accouchée. Cette bonne nouvelle ne peut m’arriver trop tôt et je compte que tu m’enverras un courrier. Recommande-lui de faire diligence. Je connais tes craintes, moi je n’en ai aucune, et je suis sûre que tout ira comme je le désire. Tu auras appris par les journaux la nouvelle victoire de l’Empereur ; comme il n’est arrivé qu’un exemplaire du bulletin pour le Moniteur, je n’ai pu t’en envoyer copie. J’ai été bien affectée de la mort de tant de braves et surtout de celle du général Corbineau, un de mes écuyers ; je suis sûre que tu regretteras aussi le général Dalhmann, commandant tes chasseurs. Tout cela est bien triste, et ce qu’il y a de plus affreux, c’est la manière dont l’Empereur s’est exposé. Des lettres particulières disent que les boulets tombaient à ses côtés. Pense que toute l’armée russe était là et que l’Empereur avait sept divisions qui étaient à deux journées en arrière. Adieu, mon cher Eugène, ma santé est assez bonne, mais mon cœur est bien triste de la longue absence de l’Empereur. Ne te sépare jamais d’Auguste, cela fait trop de mal. Dis mille choses aimables à ma chère fille. Je t’aime et je t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE. »


Les questions de cérémonial ont pris, ainsi qu’on a vu, même de fils à mère, une importance considérable, mais combien plus si l’on est en public.

On sait que le 3 germinal an XIII (24 mars 1805), à trois heures de l’après-midi, le Pape avait baptisé en grande pompe à Saint-Cloud le prince Louis-Napoléon, second fils du prince Louis et de la princesse Hortense[11]. On avait ici raffiné sur le cérémonial et l’on avait mis en jeu l’étiquette des Bourbons tout entière. C’est ce cérémonial que Joséphine envoie à Eugène pour qu’il soit observé à Milan, lorsque l’enfant si fort attendu sera né et pourvu qu’il soit un garçon.


Paris, ce 12 mars (1807).

« Je t’envoie, mon cher Eugène, le procès-verbal de la cérémonie du baptême du fils cadet de la reine de Hollande. Comme celui de ton enfant ne sera peut-être pas célébré par le Pape, il y aura quelque différence, mais peu embarrassante parce qu’elle tiendra aux usages de l’Eglise, que les cardinaux doivent connaître. Au reste, mon avis est que tu ne fasses pas baptiser ton enfant avant d’avoir reçu les intentions de l’Empereur ; tu pourras le faire ondoyer. J’attends avec impatience le courrier qui m’apprendra sa naissance. Je reçois des lettres de l’Empereur ; sa santé est toujours bonne, mais je suis bien triste de son absence et, si elle se prolonge, je n’aurai plus de courage pour le supporter. Je compte sur les heureuses nouvelles de Milan pour me donner un peu de bonheur. Embrasse bien tendrement pour moi ta femme et aime toujours, mon cher fils, la plus tendre des mères.

« JOSEPHINE. »


Enfin, Auguste accouche le 14 mars 1807, avec sept ou huit mois de retard. Et, aussitôt la nouvelle reçue de l’envoyé spécial, M. Charles Bentivoglio, chambellan de S. M. l’impératrice reine d’Italie, chevalier de la Couronne de Fer, grand cordon du Lion de Bavière, l’Impératrice écrit :


Paris, le 21 mars (1807).

« Je te félicite de tout mon cœur, mon cher Eugène. Je suis enchantée d’avoir une petite-fille. Cette heureuse nouvelle m’a été apportée hier par M. Bentivoglio. J’en avais besoin, car, depuis quelques jours, j’étais un peu indisposée. Je sais que ma chère Auguste a beaucoup souffert et je devine combien chaque instant t’aura paru pénible, mais, à présent, il ne faut plus que de la prudence et je lui écris pour lui recommander de suivre scrupuleusement les avis de Mme Frangeau. Je viens de recevoir une lettre de l’Empereur en date du 10. Sa santé est parfaite et ses affaires vont très bien. Je lui ai écrit hier et l’ai prié de le faire connaître ses intentions pour le baptême de ton enfant. Je t’engage à ne rien faire avant d’avoir reçu sa décision. Sois tranquille sur ce que tu me mandes au sujet de M. Bentivoglio. Adieu, mon cher Eugène, tu sais avec quelle tendresse je t’aime et t’embrasse.

« JOSEPHINE. »


Selon l’habitude qu’elle a prise, Joséphine vient passer les derniers jours de mars à Malmaison où les princesses Caroline et Pauline imaginent de lui donner une fête dont le principal intérêt est une pièce : L’Impromptu de Neuilly[12]à laquelle Joséphine fait allusion dans sa lettre du 2 avril.


Malmaison, ce 26 mars (1807).

« Tu es bien aimable, mon cher Eugène, de m’avoir envoyé des cheveux de ta fille. C’est un présent charmant et que je ne me lasse pas de regarder. Ils ont déjà la couleur de ceux de sa mère. C’est un présage qu’elle sera jolie et belle comme elle. J’ai retardé un peu le départ de M. Bentivoglio pour avoir le temps de faire achever mon portrait que je voudrais lui donner sur une boîte ; mais je compte qu’il pourra bientôt retourner auprès de toi. Embrasse ma chère Auguste et continue à me donner de ses nouvelles. J’ai reçu deux lettres de l’Empereur du 13 et du 14. Sa santé et ses affaires vont très bien. Adieu, mon cher fils, donne à ta fille un baiser pour moi. Quelle que soit ta tendresse pour elle, tu ne pourras pas l’embrasser plus tendrement que je t’embrasse.

« JOSEPHINE. »


Paris, ce 2 avril (1807).

« Tu ne pouvais me faire un plus grand plaisir, mon cher Eugène, que de me donner souvent des nouvelles de ta femme. J’avais raison de te dire que tout irait bien. Sa santé est aussi bonne que je l’avais espéré et la charmante lettre qu’elle vient de m’écrire m’en donne une preuve bien agréable, mais recommande-lui de se bien couvrir et de ne pas s’exposer trop tôt au grand air. M. Bentivoglio que j’avais retenu jusqu’à ce moment part demain matin : j’ai eu beaucoup de plaisir à le voir. Je le charge d’un joli cadeau que je fais à Auguste pour m’avoir donné une belle petite-fille. Je reçois souvent des lettres de l’Empereur : la dernière est du 20. Il continue à être content de sa santé et de ses affaires. Le jour de Sainte-Joséphine a été célébré à Malmaison par les princesses Pauline et Caroline qui ont Joué chacune un rôle dans deux pièces très flatteuses pour moi. Elles avaient fait faire les pièces pour ma fête. Adieu, mon cher Eugène, je suis bien triste de me trouver seule et séparée de tous les objets de mes affections. Aussi ai-je bien souvent des accès de mélancolie dont je ne puis me défendre. Adieu encore, mon cher Eugène, tu connais toute ma tendresse pour toi.

« JOSEPHINE.

« Embrasse pour moi ta fille. »


Paris, le 27 avril (1807).

« J’ai reçu ta lettre, mon cher Eugène. Je vois avec plaisir que tu es de retour et que ta femme et ma petite-fille se portent bien. Je vais m’occuper de la procuration que tu me demandes[13]. Comme elle doit être faite par le ministre secrétaire d’Etat, il est impossible qu’elle puisse m’être envoyée de Pologne pour le mois de mai. D’ailleurs, je pense que l’Empereur t’ayant demandé de l’instruire comment tu as tout arrangé pour le baptême, tu ne peux pas ne pas le prier de nommer ton enfant, de t’en rapporter à lui pour tout le monde. Tu sauras qu’il est d’usage que les enfans des princes aient plusieurs parrains et marraines. Tu pourrais demander à l’Empereur de permettre qu’à son refus le roi de Bavière le remplaçât. Je compte aller incessamment à Saint-Cloud. J’en ai besoin pour ma santé. J’ai souffert ces jours-ci de la migraine, ce que j’attribue au printemps, ou plutôt au chagrin d’être toujours séparée des personnes que j’aime. J’ai reçu aujourd’hui du 18 avril une lettre de l’Empereur. Sa santé est toujours bonne, mais il ne me parle pas de son retour. Je souhaite pour ta femme qu’elle ne soit jamais longtemps séparée de toi. Je t’embrasse tendrement ainsi que ma petite-fille que j’aimerai comme j’aime mon Eugène.

« JOSEPHINE. »


Le 5 mai 1807, Napoléon-Charles, l’enfant sur qui l’Empereur avait placé jusque-là toutes les espérances de son hérédité, meurt à la Haye. Dès les premières nouvelles de la maladie, Joséphine eût voulu courir près de sa fille. Sur la demande de celle-ci, elle a envoyé en Hollande Corvisart, qui seul a sa confiance. Mais Corvisart est arrivé trop tard. Il écrit à l’Impératrice le 8 mai cette étrange lettre[14] :

« Madame, la diligence la plus grande que j’aie pu faire n’a pas suffi à mon zèle : j’ai appris en route le sort funeste du jeune prince.

« J’ai poursuivi ma route avec activité pour apporter, autant qu’il est en moi, des consolations au Roi et à la Reine.

« Par le compte qui m’a été rendu, j’ai lieu de croire que le prince Napoléon a succombé à une maladie vive et au-dessus des efforts de l’art : cette vérité doit adoucir les regrets même des auteurs de ses jours.

« La Reine, d’auprès de laquelle je sors, m’a vu avec un saisissement que j’avais prévu, mais qui a bientôt fait place au calme, à la confiance qui le suit et qui m’a permis de lui parler le langage de la raison qu’elle connaît si bien et qu’elle a bien entendu aussi. Sa position morale est douloureuse, mais elle s’adoucira ; quant à la santé, il n’y a rien à craindre pour elle, j’ose l’affirmer à Votre Majesté, et dans la triste mission que j’ai accomplie, je me trouve encore heureux de pouvoir donner à Votre Majesté l’assurance que la Reine se porte autant bien qu’il est possible et qu’elle vivra longtemps sans doute pour le bonheur des siens. Permettez-moi, madame, de vous parler du mien, en vous annonçant, parmi de tristes catastrophes, cette heureuse nouvelle.

« Je suis, etc.

Signé : « CORVISART. »


8 mai 1807.

L’Impératrice, après quelques hésitations, car elle craint de déplaire à l’Empereur en voyageant, même dans l’Empire, sans y être autorisée, part le 10 au matin de Saint-Cloud pour Laeken, où elle arrive le 14 à dix heures du soir. Elle ne passe point la frontière, n’en ayant pas permission. Hortense, que Caroline a relancée, se décide le même jour à venir retrouver sa mère à Laeken, où elle arrive le 16 à une heure du matin avec son mari. Celui-ci repart pour La Haye durant que sa femme et sa belle-mère rentrent à Malmaison. Les lettres de Louis à sa belle-mère (en particulier du 20 mai) montrent qu’il éprouve alors pour sa femme un réveil d’affection et une effusion de pitié.

L’Impératrice rentre le 23 à Saint-Cloud avec sa fille qui part le 24 pour Bagnères. Trois, jours après, elle écrit à son fils :


A Saint-Cloud, le 27 mai (1807).

« J’ai bien souffert, mon cher Eugène, et ton cœur aura senti tous mes chagrins. Tu sais dans quel état ma pauvre Hortense est arrivée au château de Laeken. Pendant plusieurs jours j’ai craint pour elle, mais, en revenant à Malmaison, elle a pleuré plusieurs fois, surtout en passant à Saint-Denis[15]. Les larmes lui ont fait du bien et je crois pouvoir t’assurer que nous la conserverons. Pauvre Horlense ! Quel aimable enfant elle a perdu ! Depuis ce malheureux événement je ne vis plus, je ne fais que souffrir et pleurer. Elle est partie dimanche pour aller aux eaux de Bagnères. Corvisart compte beaucoup sur l’effet du voyage et il n’y a que cette espérance qui ait pu me faire consentir à son départ. Sa santé reviendra, mais son cœur ne se consolera jamais, je le sens par ce que je souffre. Le Roi est bien malheureux aussi. Il avait tout à la fois à pleurer son fils et à craindre pour sa femme. Imagine-toi qu’elle a été pendant six heures paralysée. J’ai reçu de l’Empereur des lettres du 14 et du 16 de ce mois. Cette perte l’a vivement affecté. Que serait-ce s’il avait pu connaître ce pauvre enfant aussi bien que moi qui, pendant trois mois, l’avais vu tous les jours à Mayence ? Dis à Auguste que je suis touchée de la part qu’elle prend à notre douleur. Embrasse-la pour moi et redouble de soins pour ma petite-fille. Marcscalchi m’a montré ce que tu lui as écrit ; j’en ai été vivement touchée. J’y ai reconnu tous tes sentimens pour moi, mon cher fils, mais sois assuré que j’y mettrai autant de discrétion que tu y mets de grâce et d’empressement. Adieu, mon cher Eugène, je t’aime et t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE. »


De Laeken, Louis a regagné le Palais du Bois, puis le Loo. Il y reçoit, le 29, de l’Empereur l’autorisation de s’absenter de son royaume et de prendre les eaux des Pyrénées. Il part avec son fils, Napoléon-Louis, le 1er juin. Il arrive le 3 à Pont-Sainte-Maxence d’où il écrit à l’Impératrice[16] :


« Madame, nous arrivons ce soir à Saint-Leu ; demain, le petit Napoléon ira vous voir, tandis que j’arrangerai quelques affaires à Saint-Leu. Le soir, je prendrai congé de Votre Majesté et je partirai le lendemain de Saint-Cloud pour [suivre ? ] ma route. Je prie Votre Majesté d’approuver ce projet. En restant confié aux tendres soins de la bonne maman, mon fils ne me donnera aucune inquiétude. Seulement je prierai Votre Majesté, quand elle ira aux eaux, de permettre qu’il s’établisse avec sa gouvernante à Saint-Leu.

« J’ai reçu avec plaisir des nouvelles de la Reine de Poitiers. J’en attends avec impatience de Bordeaux, Votre Majesté sait… [[17]] pourquoi.

« Je serai aux eaux seulement à quelques lieues d’elle. Je suis bien content qu’elle ait emmené M. Leclerc.

« Je suis, Madame, de Votre Majesté Impériale et Royale

« Le très attentionné et très respectueux fils.

« Louis. »

Le 5, Louis part de Saint-Cloud. Joséphine se loue beaucoup de lui. Elle écrit :


A Saint-Cloud, ce 11 juin (1807).

« Je m’empresse, mon cher Eugène, d’écrire à Mme Litta[18], ainsi que tu le désires, pour la charger de me remplacer et de donner mon nom à ta fille. Je me réjouis du nouveau lien qui va m’attacher à cette enfant chérie et ce qui ne me touche pas moins, c’est l’espérance que tu me donnes d’un petit-fils ; je me flatte que tu ne me trompes pas, et que je peux compter sur cette consolation. J’ai reçu une lettre d’Hortense ; elle est arrivée aux eaux de Bagnères ; sa santé est assez bonne, mais la douleur est toujours aussi vive. Le Roi a passé ici deux jours avant de partir pour les eaux. Il a été parfait pour moi et m’a donné une grande preuve de confiance en nie laissant son fils. Il a eu aussi pour la Reine les soins les plus tendres. Hélas ! c’est une leçon qui coûte bien cher, mais qui, je l’espère, leur sera utile. Ils sentiront qu’il n’y a rien au-dessus fie la tendresse mutuelle et d’un bonheur tel que celui dont lu jouis. Le petit devient tous les, jours plus aimable et plus fort. Il ressemble beaucoup à son pauvre frère. Il a ses manières et sa voix[19]. Mais le plaisir que j’ai de l’avoir auprès de moi ne me console pas de la perte que nous avons faite. Je suis toujours bien triste, mon cher Eugène ; je vis absolument éloignée de tous les miens. Heureusement que l’Empereur m’écrit souvent. Ses lettres me rendent plus calme et plus tranquille. Adieu, mon cher fils, tu sais avec quelle tendresse je t’aime.

« JOSEPHINE. »


Entre le 11 juin et le 11 juillet, il y a le combat d’ileilsberg (11), la bataille de Friedland (14), l’entrée à Tilsitt (19), l’entrevue sur le Niémen (25), la signature du traité de paix (8 juillet). L’Empereur arrivera à Saint-Cloud le 27.

M. de Girardin, qui porte la lettre du 11 juillet, part de Paris pour retrouver à Naples le roi Joseph, auquel il s’est attaché, d’abord par des rapports de voisinage, puis par une conformité d’opinions et une sympathie mutuelle.


Saint-Cloud, ce 11 juillet (1801).

« Tu dois avoir reçu, mon cher Eugène, les excellentes nouvelles des armées et de l’entrevue de l’Empereur avec celui de Russie et le roi de Prusse. Ces heureux événemens me donnent d’autant plus de joie qu’ils me permettent d’espérer le prochain retour de l’Empereur et le plaisir de t’embrasser peu de temps après. Je suis enchantée de la figure de ma petite-fille ; son portrait me charme et me donne encore plus le désir de la voir. Je profite du départ de M. de Girardin pour t’écrire et pour remercier ma chère Auguste de son joli présent. Je n’ai pas besoin de le demander pour M. de Girardin ta bienveillance et ton amitié. Adieu, mon cher fils, je t’aime et t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE.


« J’ai reçu une lettre de ta sœur, elle est beaucoup mieux, mais toujours bien affligée. »


Dès le retour de l’Empereur, la lutte a commencé contre Joséphine. Ce sont Fouché et Murat qui mènent l’attaque. Murat est redoutable par Caroline. Joséphine aurait quelque raison de croire à sa reconnaissance ; mais c’est Caroline qui conduit Murat et tous les moyens lui sont bons. Joséphine espère encore qu’elle accompagnera l’Empereur dans le voyage d’Italie où il va, par le règlement de comptes préliminaires, préparer le divorce ; mais elle ne s’en doute pas ; elle écrit :


A Saint-Cloud, le 1er septembre.

Je ne veux pas, mon cher Eugène, laisser partir M. Bataille sans te donner de mes nouvelles. J’espère te voir bientôt à Milan, car il parait que l’Empereur aime mieux y aller que te faire venir ici, sans doute à cause de sa famille qui le gêne dans ses sentimens pour toi. Le prince Murat jouit d’une grande faveur et si grande que la princesse Caroline elle-même en est étonnée, sans en être fâchée. J’ai des preuves certaines que, tandis que l’Empereur était à l’armée, il a fait tous ses efforts pour le pousser au divorce. J’ai été plus généreuse que lui, car, dans le même temps, je défendais sa femme de tout mon pouvoir ; mais il ne m’aime pas et, malgré les protestations qu’il te fait faire, sois bien assuré qu’il n’a pas pour toi plus d’attachement. Au reste, les frères mêmes de l’Empereur ne sont pas mieux dans ses affections. Il est clair qu’il veut lui succéder. Cela est si visible que les deux qui sont ici, le roi de Hollande et le prince Jérôme, s’en aperçoivent et sont en froid avec lui. Malheureusement, l’Empereur est trop grand pour qu’on puisse lui dire la vérité. Tout ce qui l’entoure le flatte à la journée. Quant à moi, tu sais que je n’ambitionne que son cœur ; si l’on parvenait à me séparer de lui, ce n’est pas le rang que je regretterais, une profonde solitude serait alors ce qui me plairait le plus et, tôt ou tard, il reconnaîtrait que tous ceux qui l’entourent pensent plutôt à eux qu’à lui et il verrait comme on l’aurait trompé. Cependant, mon cher Eugène, je n’ai pas à me plaindre de lui et j’aime à compter sur sa justice et sur son affection. Pour toi, mon cher fils, continue à te conduire comme tu as fait jusqu’à présent et avec le même zèle pour l’Empereur. Tu auras l’estime générale et souvent la plus grande faveur ne la donne pas. Je sais par M. Marescalchi les nouvelles preuves que tu me donnes de ta tendresse. Sois assuré que je ne veux pas en abuser ni te causer la moindre gêne. Je compte satisfaire aux engagemens que je prendrais, quoique mes revenus soient très bornés et que l’Empereur ne veuille pas les augmenter. Adieu, mon cher fils, mon bon Eugène. Embrasse pour moi ta femme et ma petite Joséphine et sois aussi heureux que je le désire et que tu le mérites.

« JOSEPHINE. »

À cette lettre Eugène fit la réponse suivante[20] :


Monza, le 10 septembre 1807.

« J’ai reçu, ma bonne mère, la lettre que tu m’as écrite par Bataille. Elle m’a fait le plus grand plaisir. J’y ai vu que tu étais tranquille, que tu méprisais les méchans et que l’Empereur continuait à être bon pour toi. Tu n’auras jamais rien à redouter de lui, parce que l’Empereur, en lui-même, méprise ceux qui lui donnent de mauvais conseils.

« On a beaucoup parlé de divorce ; je l’ai su de Paris et de Munich, mais j’ai été content de ta conversation avec l’Empereur, si elle, est telle que tu me l’as fait rendre. Il faut toujours parler franchement à Sa Majesté. Faire autrement serait ne plus l’aimer. Si l’Empereur te tracasse encore sur des enfans, dis-lui que ce n’est pas bien à lui de te reprocher toujours des choses semblables. S’il croit que son bonheur et celui de la France l’obligent à en avoir, qu’il n’ait aucun égard étranger. « Il doit te bien traiter, te donner un douaire suffisant et te permettre de vivre auprès de tes enfans d’Italie. L’Empereur fera alors le mariage que lui commanderont sa politique et son bonheur. Nous ne lui en resterons pas moins attachés, parce que ses sentimens ne doivent pas changer pour nous, quoique les circonstances l’aient obligé à éloigner de sa personne notre famille. Si l’Empereur veut avoir des enfans qui soient à lui, il n’a que ce seul moyen ; tout autre serait blâmé et l’Histoire en ferait justice. D’ailleurs, il a trop travaillé pour elle pour qu’il laisse un seul feuillet à déchirer à la postérité.

« Tu ne dois donc craindre ni les événemens ni les méchans. Ne tracasse pas l’Empereur et occupe-toi de régler tés dépenses intérieures. Ne sois pas si bonne avec tout ce qui t’entoure, tu en serais bientôt la dupe.

« Pardonne-moi, ma bonne mère. Je m’emporte à te parler raison et à te donner des conseils lorsque moi-même j’en ai tant besoin. N’y vois pourtant, je te prie, qu’une preuve de plus de ma tendre affection pour toi et n’oublie pas que les sentimens que t’ont voués tes enfans sont au-dessus de tous les événemens. »

Le voyage de Fontainebleau (21 septembre-16 novembre) est attristé pour Joséphine par une fausse couche d’Auguste, par le refus de l’Empereur de l’emmener en Italie, surtout par la bataille du divorce où, cette fois, grâce à Talleyrand, elle gagne contre Fouché une première manche. Nulle part elle ne fait allusion à la mort de sa mère, Mme Tascher, qu’elle vient d’apprendre.

Elle écrit à son fils :


Fontainebleau, ce 13 octobre (1807).

« Ta lettre m’a extrêmement alarmée, mon cher Eugène, je ressens toutes tes inquiétudes, et il me tarde d’avoir des nouvelles de ta femme ; j’espère que cet accident n’aura pas de suites, mais il demande les plus grandes précautions. Je crois la princesse Auguste très sanguine et peut-être [aurait-elle] besoin dans ses grossesses d’être souvent saignée. J’aurais bien désiré accompagner l’Empereur en Italie où il paraît devoir bientôt se rendre. J’en aurais été doublement heureuse, mon cher Eugène, puisque je ne me serais pas séparée de lui et que j’aurais eu le plaisir de t’embrasser, la femme et ma petite-fille, dont j’aurais fait la connaissance ; mais, mon cher fils, depuis longtemps tous mes désirs ne sont pas exaucés. Mais je suis moins triste par l’idée que je me fais de tout le plaisir que tu auras de voir l’Empereur. Ta sœur est un peu souffrante de sa grossesse, mais du reste sa santé est très bonne[21]. Adieu, mon cher Eugène, il est cinq heures et demie, l’estafette n’est pas encore arrivée, je l’attends avec bien de l’impatience. Je t’embrasse et ta femme de tout mon cœur.

« Votre tendre mère

« JOSEPHINE. »


L’Empereur part de Fontainebleau le 16 novembre ; il fait à ce point diligence qu’il est le 20 à Turin ; son voyage, d’une incroyable rapidité, tient en quarante jours ; il rentre le 1er janvier aux Tuileries. Durant son voyage, la cabale contre l’Impératrice s’est renforcée ; Joséphine y range Talleyrand, ce qui semble douteux. Pour Berthier, nul doute. Malgré sa liaison officielle avec Mme Visconti, il épouse, le 9 mars 1808, Marie-Elisabeth-Amélie, princesse de Bavière.


Paris, ce 20 février (1808).

« Je profite" pour t’écrire, mon cher Eugène, de l’occasion que me présente le départ de Mme Lauriston[22]. Il y a longtemps que je désirais te donner de mes nouvelles, mais j’en ai été continuellement empêchée. D’abord, le retour de l’Empereur m’a beaucoup occupée, ensuite le soin de ma santé qui a été quelque temps assez mauvaise, mais qui commence à se rétablir. Tu devines aisément que j’ai eu bien des sujets de chagrin, et j’en ai encore. Les bruits qui couraient pendant l’absence de l’Empereur n’ont pas cessé a son retour et ont dans ces momens plus de preneurs que jamais. Il est vrai que leurs auteurs n’ont pas été punis ; au contraire, on a remarqué que ceux qui avaient cherché à les démentir ont reçu un accueil plus froid. Au reste, je m’en remets à la Providence et à l’Empereur.

« Ma seule défense est ma conduite que je tâche de rendre irréprochable. Je ne sors plus, je n’ai aucun plaisir et je mène une vie à laquelle on s’étonne que je puisse me plier après avoir été accoutumée à être moins dépendante et à voir beaucoup de monde. Je m’en console en pensant que c’est me soumettre au désir de l’Empereur. Je vois ma considération baisser tous les jours, tandis que d’autres augmentent en crédit. Toute la faveur est pour le prince Murat et la princesse son épouse, pour MM. de Talleyrand et Berthier. Tu sais qu’il va devenir ton cousin germain ; il épouse la princesse Elisabeth, fille de la duchesse de Bavière. La demande a été faite hier et acceptée. Que les trônes rendent malheureux, mon cher Eugène ! J’en signerais demain, sans aucune peine, l’abandon pour moi et pour tous les miens. Le cœur de l’Empereur est tout pour moi. Si je dois le perdre, j’ai peu de regret à tout le reste. Voilà ma seule ambition et mon cœur tel qu’il est. Je sais bien que ce n’est pas avec cette franchise qu’on réussit et, si je pouvais comme beaucoup d’autres n’être qu’adroite, je m’en trouverais beaucoup mieux, mais je préfère conserver mon caractère ; j’ai du moins l’estime de moi-même. Pour loi, mon cher fils, sois toujours ce que tu as toujours été. Continue à te rendre digne de l’amitié de l’Empereur et l’avenir sera ce qu’il pourra. Je ne me plaindrai jamais de mon sort tant que tu seras heureux et que je me croirai sûre de ta tendresse.

« JOSEPHINE. »


Les affaires d’Espagne ayant exigé la présence de Napoléon à proximité de la frontière méridionale, il partit seul le 2 avril de Saint-Cloud pour se rendre à Bayonne par Orléans et Bordeaux. Joséphine, partie le 6, le rejoignit à Bordeaux ; il fit route seul le 13 pour Mont-de-Marsan et Bayonne, et le 17 il s’installa, à côté de Bayonne, dans le château de Marrac. L’Impératrice, partie le 26 de Bordeaux, le rejoignit le 27. Le séjour à Marrac se prolongea jusqu’au 21 juillet. Joséphine avait manifesté l’intention d’aller a Barèges ; mais sans doute au mois de juillet : la Compagnie Basque y avait même été envoyée « pour assurer la sécurité des eaux ; » comme Murat s’y rendit, l’on peut juger si Joséphine fut empressée de l’y rencontrer.


Marrac, ce 31 mai 1808.

« Je ne puis te dire, mon cher Eugène, combien je suis enchantée de l’heureuse nouvelle que tu m’as donnée. Voilà une année plus favorable que je ne l’avais espéré en la commençant. Ta lettre a renouvelé le plaisir que je venais d’espérer de la part d’Hortense et j’espère bien que, dans quelques mois, ma petite Joséphine aura un frère et moi encore un petit-fils. En attendant ce nouveau bonheur, je jouis de celui que je trouve ici. Je suis près de l’Empereur, chaque jour semble le rendre encore plus aimable et plus parfait pour moi. Si je puis disposer de quelque temps, pendant la tenue des Assemblées d’Espagne, j’irai aux eaux de Barèges, mais le soin de ma santé ne m’occupera pas tellement que je ne pense beaucoup à celle de ma chère Auguste. Je ne peux trop la lui recommander. Je sais qu’on la purge très souvent ; cela peut avoir l’inconvénient de l’affaiblir beaucoup et je te prie de lui en faire l’observation de ma part. Si tu désires voir Baudelocque, qui est le plus habile accoucheur[23], il serait facile de le décider à faire le voyage de Milan. Dans ce cas, tu en écrirais à ta sœur. Adieu, mon cher Eugène, embrasse pour moi ta femme et ta fille. Je te dis mille choses aimables et tendres.

« JOSEPHINE.


« N’oublie pas d’envoyer pour l’Empereur du fromage de Parmesan, car on en manque ici, et l’Empereur en demande souvent. »


L’Empereur rentre à Saint-Cloud le 14 août, après un terrible voyage, où il ne s’est pas plus ménagé qu’il n’a ménagé Joséphine. Par des chaleurs suffocantes, on est en route souvent la nuit, ainsi d’Auch à Toulouse, de Toulouse à Montauban, de Moissac à Agen, d’Agen à la Réole, de Bordeaux à Saintes, de Rochefort à la Rochelle, de Fontenay-le-Comte à Napoléon ; Joséphine est épuisée, mais elle suit. Vraisemblablement est-ce là ce qui l’a rendue malade ; mais ses inquiétudes au sujet de « sa position » ont aussi assurément influé sur sa santé.


Saint-Cloud, ce 22 septembre 1808.

« Tu ne seras pas étonné que j’aie été malade, mon cher Eugène ; tu sais combien de peines j’avais éprouvées, ma tête s’en est ressentie. L’hiver dernier il a fallu tant prendre sur moi qu’il s’est formé un amas d’humeurs qui a occasionné un dépôt qui, heureusement, a abouti à l’extérieur, ce qui m’a fait souffrir horriblement. L’Empereur, dans cette circonstance, m’a prouvé son attachement par l’inquiétude qu’il a témoignée. Il se relevait souvent la nuit jusqu’à quatre fois pour venir me voir. Depuis six mois, il est parfait pour moi, aussi l’ai-je vu partir ce matin[24]avec peine, mais sans aucune inquiétude pour moi. Ce n’est pas que je n’aie quelques ennemis que je suis tout étonnée de me trouver, car je n’ai jamais fait de mal à personne ; mais heureusement qu’ils sont en petit nombre et plusieurs sont déjà loin d’ici, tels par exemple que le prince Murat. Je puis sans injustice citer celui-là. Sa haine pour moi est si passionnée qu’il ne cherche pas même à la cacher et tu aurais peine à concevoir les propos qu’il s’est permis contre moi en manifestant son désir du divorce, mais je me venge de lui comme des autres en les méprisant souverainement et en ne cherchant pas à leur nuire, et l’Empereur est trop juste pour ne pas faire la différence de leur conduite avec la mienne. Mais, mon cher Eugène, je ne veux pas t’affliger en te parlant de ceux dont j’ai à me plaindre. J’aime mieux profiter de cette occasion pour t’embrasser et te dire combien je suis touchée de tes sentimens pour ta mère.

« JOSEPHINE.


« J’ai remis à l’Empereur la lettre de la grand’mère d’Auguste[25]. L’Empereur me charge de te dire qu’il a fait rendre de suite un décret pour faire rendre à la princesse George d’Auerstadt ses possessions situées dans le grand-duché de Berg. »


Le 22 septembre, l’Empereur est donc parti pour Erfurt où il doit retrouver l’empereur de Russie. Il y arrive le 27 et il y séjourne jusqu’au 14 octobre ; il rentre à Saint-Cloud le 18 et part le 29 pour l’Espagne. Le 4 décembre, il est devant Madrid, qui capitule le 5.

La vie continue, et comme à l’ordinaire les pétitions affluent. Eugène accompagne de cette lettre, d’un ton si différent de celui qu’il donne d’ordinaire à sa correspondance, une pétition de la présidente du Conservatoire de Saint-Guillaume à Ferrare.


« Madame et bonne mère[26],

« J’ai l’honneur de présenter à Votre Majesté une pétition par laquelle la présidente du Conservatoire de Saint-Guillaume à Ferrare sollicite, pour l’hospice qu’elle administre, votre protection particulière et la permission de lui donner Votre Nom.

« Je me borne à dire à Votre Majesté que l’hospice confié aux soins de Mme Calcaguini est administré avec autant d’ordre que d’honnêteté et qu’il est, par conséquent, bien digne d’obtenir quelque témoignage de cette protection généreuse que l’Auguste Heine d’Italie ne refuse jamais à aucun établissement de bienfaisance.

« J’ai l’honneur d’être, de Votre Majesté, Madame et bonne mère, le très respectueux et très tendre sujet et fils,

« EUGENE-NAPOLEON.- »


Milan, ce 15 novembre 1808.


Joséphine répond plus simplement :

Paris, le 7 décembre (1808 ? )

« J’ai reçu, mon cher Eugène, ta lettre bien officielle et celle de la présidente du Conservatoire de Saint-Guillaume, à Ferrare. Je suis sensible au désir qu’elle témoigne de donner mon nom à cet hospice ; je désirerais lui accorder sa demande, mais je ne le puis sans l’autorisation de l’Empereur. Je lui en parlerai et je compte qu’il ne me refusera pas son agrément. Il me tarde bien d’apprendre l’heureuse délivrance de ma chère Auguste ; quoique je sois sûre que tout ira bien, il me serait doux d’être auprès d’elle et de partager tes soins. J’attends de ses nouvelles avec impatience. J’en reçois souvent de l’Empereur, il se porte très bien et j’espère qu’il sera bientôt de retour. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse tendrement ainsi que ma petite-fille.

« JOSEPHINE. »


Joséphine, qui s’était établie à l’Elysée le 30 octobre durant qu’on rénovait son appartement, est rentrée le 12 décembre au palais des Tuileries. Elle écrit le lendemain à son fils.


Paris, le 13 décembre (1808).

« Je t’aime toujours bien tendrement, mon cher Eugène, et si je ne t’écris pas autant que je le voudrais, c’est que je n’en ai pas souvent l’occasion, mais quand il s’en présente une sûre, j’en profite comme aujourd’hui. C’est le général Pully[27]qui le remettra ma lettre. J’ai été charmée de l’arrivée de Méjan. Il m’a semblé que de voir quelqu’un qui t’approche de si près, c’était te voir toi-même ; c’est un bon serviteur et qui t’est dévoué. Rien ne pouvait me faire plus de plaisir que de recevoir de tes nouvelles et de celles de ta femme ; j’en attends encore d’autres bientôt ; je suis impatiente d’apprendre son heureuse délivrance. Tout ce qui ressemble à quelqu’un de ta maison me semble envoyé par toi et me donne de l’émotion. Je suis d’ailleurs très tranquille. L’Empereur est très aimable pour moi. Il m’écrit souvent et l’on m’assure qu’il ne s’expose pas. Madrid a capitulé. La nouvelle est arrivée ce matin. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse tendrement ainsi que ma chère Auguste et ma petite-fille.

« JOSEPHINE. »


Méjan, que Napoléon lui-même avait placé près d’Eugène, avait toute sa confiance et celle de l’Impératrice. On sait par les lettres de d’Antraigues comme il la méritait et quels, étaient ses rapports avec les ennemis de la France.

La princesse Auguste accoucha à Milan le 23 décembre 1808 d’une fille, Eugénie- Hortense-Auguste, qui fut mariée le 22 mai 1826 à Frédéric-Guillaume-Constantin prince de Hohenzollern-Hechingen et mourut le 1er septembre 1847, sans avoir eu d’enfant. Frédéric-Guillaume-Constantin aliéna en 1849 sa principauté aux mains de la maison de Prusse, pour obtenir l’autorisation de contracter un mariage inférieur.


Paris, le 2 janvier (1809).

« J’ai écrit hier à Auguste, mon cher Eugène. Aujourd’hui, je profite de l’occasion de Méjan. J’ai beaucoup causé avec lui de ma position. Elle est bien changée depuis le premier voyage que Murat a fait en Espagne, où le voile qui couvrait les yeux de l’Empereur est tombé. Cette famille déteste bien la mienne, malgré que je ne lui aie fait que du bien. Il a ici quelques amis chauds et tous les événemens qui ont eu lieu il y a plus d’un an m’ont fait connaître bien des choses et bien des gens. Je garde surtout cela le plus grand silence et, dans ma position, on est souvent obligé de vivre avec ses ennemis, mais il est toujours bon de les connaître. Je ne me mêle de rien, je ne demande rien et je n’ai d’autre désir que de te voir de temps en temps. J’ai lieu de m’applaudir de ma conduite ; l’Empereur est parfait pour moi. Je n’ai qu’à me louer de sa confiance et de son attachement. Il me donne très souvent de ses nouvelles. Je n’ai plus d’autres sujets de peine que la position d’Hortense qui est vraiment malheureuse. Quant à mes dettes, j’ai pris de nouveaux moyens d’ordre et d’économie dont j’espère beaucoup. Ils commencent avec l’année. Ce sont des étrennes peu agréables, mais Auguste m’en a donné de très bonnes. Je sais que tu aurais préféré un garçon, mais il arrivera au plus tard dans dix-huit mois. En l’attendant, je reçois avec plaisir la petite-fille que tu me donnes. Tout ce qui vient de toi me sera toujours cher. Il m’aurait été bien doux de te voir dans le courant de l’année dernière. Il y a bien longtemps que je suis séparée de toi, mon cher Eugène, mais j’aime à croire que l’Empereur te permettra cette année de venir faire un petit voyage à Paris. Je viens de recevoir une lettre de lui. Il me mande, en date du 22, qu’il marchait contre les Anglais. Il parait qu’ils sont en force près de Valladolid et qu’ils ont entièrement quitté le Portugal. Cela m’inquiète un peu. Je ne serai heureuse que lorsque j’apprendrai le résultat de cette nouvelle [ ? ]. Adieu, mon bon Eugène, continue à me donner des nouvelles d’Auguste. Je t’embrasse tendrement.

JOSEPHINE. ; »


L’Empereur revient à Paris le 23 janvier 1809. Il a écrit le 9 janvier : « L’Autriche ne me fera pas la guerre. Si elle me la fait, j’ai 150 000 hommes en Allemagne et autant sur le Khin pour lui répondre. » Et voici que l’Autriche fait la guerre.


Paris, ce 2 février (1809).

« Je sais, mon cher Eugène, que je n’ai pas besoin de te recommander le jeune Tascher[28]. L’Empereur désire faire de lui un bon officier, et il a cru ne pouvoir lui choisir un meilleur guide que toi. Ce jeune homme a éprouvé beaucoup de peine de ne plus faire son service près de l’Empereur ; mais les fonctions d’officier d’ordonnance lui auraient pris un temps nécessaire à ses exercices militaires. Je te prie de lui rendre moins sensible ce sujet de chagrin, en lui accordant ton amitié. L’Empereur me charge de te le recommander de nouveau et de te dire de l’admettre à la table. D’ailleurs, j’ai pour lui un attachement particulier. Il est fils d’un oncle qui m’a servi de père. Je suis sûre d’avance qu’il répondra aux soins que tu auras pour lui et qu’il nous fera honneur. Embrasse pour moi Auguste et dis-lui que je lui demande ses bontés pour mon cousin. Adieu, mon cher fils, je l’embrasse avec toute la tendresse que tu me connais pour toi.

« JOSEPHINE.

« Un baiser à chacune de mes petites-filles. »


Après avoir séjourné aux Tuileries et à l’Elysée jusqu’au 12 avril, Napoléon, averti à dix heures du soir du passage de l’Inn par les Autrichiens, part cinq heures après (le 13), avec l’Impératrice. Il est à Strasbourg le 15, à quatre heures du matin. Il y laisse Joséphine, qui va être rejointe par Hortense, et il part pour Vienne « avec ses petits conscrits et ses grandes bottes. » Eugène à l’armée d’Italie se trouvait en grande infériorité par rapport à l’archiduc Jean, qui avait plus de 100 000 hommes contre 60 000, et les ordres de l’Empereur lui interdisaient l’offensive. Il dut rester à Sacile et se défendre sur le Tagliamento pour attendre les trois divisions qui devaient le rejoindre : un premier combat ne lui avait pas été favorable. Dans une bataille véritable, il fut vaincu, malgré ses bonnes dispositions et son intrépidité (16 avril 1809). L’Impératrice écrit :


Strasbourg, ce 28 avril (1809).

« Tu sais, mon cher Eugène, combien je partage ton bonheur ou tes peines. Le malheur que tu viens d’éprouver[29]m’a été extrêmement sensible, mais il ne m’a pas abattue. C’est dans les momens pénibles qu’il faut s’armer de courage, et je compte beaucoup sur le tien. Les revers sont l’épreuve des âmes fortes. Un succès peut réparer ces désavantages. J’espère que tu en trouveras bientôt l’occasion et que tu la saisiras sans t’exposer avec trop de témérité, si tu ne veux pas me rendre entièrement malheureuse. Sur toutes choses, suis exactement tout ce que l’Empereur t’aura prescrit. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse avec toute la tendresse que tu me connais pour toi,

« JOSEPHINE. »


Joséphine s’intéresse avec une ardeur qui ne lui est point habituelle aux opérations de guerre où son fils est en jeu. C’est le 27 avril, à six heures du soir, que l’Empereur arrive à Muhldorf, qu’il quitte le 28, à la première heure. De là, il adresse à Joséphine, sur le mouvement de ses troupes, une note qu’elle transmet aussitôt à son fils, pour l’éclairer sur la marche du maréchal Lefebvre. Elle l’encourage joliment à vaincre, et on la sent ici fille, femme et mère de soldats.


Slrasboury, le 2 mai (1809).

« Je t’ai envoyé hier, mon cher Eugène, une note datée de Muhldorf et relative à la position des corps de l’armée. Elle t’aura annoncé la marche du duc de (Dantzig) qui devait être le 28 ou le 29 à Salzbourg. La direction de cette division me semble, d’après la carte, menacer l’ennemi que tu as en tête et lui préparer une défaite totale que, peut-être, d’ici là, tu auras bien avancée. Car j’ai l’espérance que tu prendras ta revanche et je le désire, si cela se peut sans trop t’exposer. Ton malheur est venu d’avoir été obligé de combattre avec des forces trop inférieures ; mais aujourd’hui tes troupes sont réunies. Quel que soit l’événement, tant que tu te conformeras exactement aux ordres de l’Empereur, ta conscience doit être tranquille. J’espère aussi que l’Empereur ne sera pas aussi peiné que tu le penses. Je reçois à l’instant même un mot de lui en date du 29 ; il me dit que tout va au gré de ses désirs, que les Autrichiens sont frappés comme par la foudre. Dans sa lettre, il paraît très satisfait et je pense qu’à la date du 29, il avait déjà reçu de tes nouvelles. Tu as le désir de lui plaire et du courage, voilà l’essentiel ; le reste dépend de la fortune. Elle a trompé tes efforts, elle peut devenir plus favorable. Aussi, mon cher fils, ne t’afflige pas avec excès. La force d’âme dans le malheur honore autant qu’une victoire. Adieu, mon cher Eugène, pense à ta mère, donne-lui de tes nouvelles et compte toujours sur toute ma tendresse.

« JOSEPHINE, »

Les succès français en Bavière ont déterminé la retraite de l’armée autrichienne que les Franco-Italiens ont suivie. Le combat livré sur la Piave par Eugène tourne à peu près bien, par bonheur. Sans quoi, jusqu’où eût été le mécontentement de Napoléon qui avait pensé très sérieusement à enlever au vice-roi le commandement de l’armée et à le donner au roi de Naples ? Il ne semble pas que Joséphine ait été informée de ces graves incidens.


Strasbourg, le 17 mai (1809).

« J’ai reçu ta lettre, mon cher Eugène ; j’y ai vu avec plaisir que tu as repris courage ; j’ai appris par une dépêche télégraphique le succès que tu as obtenu le 8 de ce mois[30]. Il paraît, d’après la lettre de la princesse Auguste à la reine de Hollande, que tu as été content de ce que l’Empereur t’a écrit[31]. Je sais combien tu as le désir de lui plaire et je t’engage à lui écrire souvent et à entrer dans les plus petits détails sur toutes les opérations de l’Armée d’Italie. Quoique l’Empereur n’ait besoin que de lui-même et que ses succès tiennent à son génie, cependant la connaissance des mouvemens de l’armée que tu commandes peut lui être utile et surtout à toi et, dans ce cas comme dans tout autre, une faute même il faudrait la lui dire. Je te demande aussi de me faire donner souvent de tes nouvelles. J’ai passé bien des jours terribles à en attendre. Je n’ai eu de temps en temps que quelques détails par ta sœur qui les recevait de M. de Lavallette. Lorsque tu ne pourras pas m’écrire, charge quelqu’un de ce soin. J’ai besoin de savoir ce que tu fais. La reine de Hollande m’a quittée ce matin pour aller aux eaux de Bade, situées à dix lieues de Strasbourg. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse avec toute la tendresse que tu me connais pour toi.

« JOSEPHINE. »


Hortense, pour son voyage non autorise à Bade où elle avait emmené son fils, héritier de l’Empire, reçut de Napoléon une sévère réprimande.

On sait que, accueilli par la proclamation de l’Empereur aux Soldats de l’Armée d’Italie, Eugène fut reçu à Ebersdorf, le 29 avec une grâce extrême, et les éloges que méritaient son application et son zèle. C’était huit jours après Essling, l’avant-veille de la mort de Lannes.


Strasbourg, le 3 juin 1809.

« J’ai reçu, mon cher Eugène, tes deux lettres et la proclamation qui y était jointe. Je savais que tu étais arrivé à Ebersdorf le 29 et que l’Empereur t’avait reçu avec bonté. Je n’ai pas perdu un moment pour le faire savoir à Auguste. Elle a mis tant d’exactitude à me donner de tes nouvelles, c’est une dette dont je m’acquitte avec plaisir. Tu as raison, mon cher fils, de penser que je suis heureuse de ta joie. Je la partage aussi tendrement que je partageais tes inquiétudes. Tu as maintenant le bonheur d’être sûr que l’Empereur est content de toi. Ton cœur y trouvera une récompense et un encouragement. Profite des momens où tu es près de lui pour savoir ce qui aurait pu lui déplaire dans ta conduite. Une fois averti, ce sera ta règle pour l’avenir. Je compte aller à Plombières la semaine prochaine. Ta sœur y viendra avec moi[32]. Je désire vivement la fin de la campagne. J’espère qu’alors je pourrai t’embrasser et que la longue route que tu as faite ne sera pas toute perdue pour moi. Auguste m’a mandé qu’elle serait heureuse d’aller à Munich, si nous pouvions y être tous réunis. Si tu en trouves l’occasion, témoigne à l’Empereur combien je désirerais le rejoindre. Adieu, mon cher Eugène, écris-moi souvent et pense à une mère qui t’aime tendrement.

« JOSEPHINE.


« J’ai aujourd’hui des nouvelles de ta sœur ; elle va très bien, je l’attends demain.

« Je reçois à la minute une lettre de l’Empereur. Elle m’annonce la mort du duc de Montebello. Sa femme est passée ici le 31 se rendant à Vienne. Si elle y est arrivée, je désire qu’elle sache combien je prends part à sa douleur. »


FREDERIC MASSON.

  1. Copyright by Frédéric Masson, 1916.
  2. Voyez la Revue du 15 octobre.
  3. Voir Napoléon et sa famille, III, 170 et suiv.
  4. Calmelet, destitué comme administrateur du Mobilier de la Couronne, le 4 février 1806, n’en garda pas moins jusqu’à sa mort la confiance justifiée d’Eugène.
  5. Ce qu’on appelait le « sultan, » l’espèce de panier très décoré dans lequel devaient être présentés les objets de la corbeille.
  6. Ce sabre fait partie, sous le n° 10, de la collection appartenant au duc Georges de Leuchtenberg. Il n’est point inutile d’indiquer que le prince Napoléon croyait tenir de son père, le roi Jérôme, le sabre que le Premier Consul aurait porté à Marengo et qui aurait été donné par celui-ci à son jeune frère pour diminuer ses regrets de n’avoir point participé à la campagne. Ce sabre est la propriété du prince Louis Napoléon.
  7. Les dispositions du Statut impérial du 30 mars 1806 réglant l’état civil et la discipline de la Famille impériale.
  8. Pour le voyage à Grignon, voir la Lettre de l’Empereur de même date. (Corr., n° 10 099.)
  9. Partant pour prendre possession du trône de Hollande.
  10. De Golymin.
  11. Cf. Napoléon et sa famille, III, 77.
  12. Voyez ma conférence, Journal de l’Université des Annales. Apnée 1913-1914, t. II, n° 24.
  13. Pour le baptême.
  14. Coll. part.
  15. Où le corps de Napoléon-Charles devait être transporté de Notre-Dame où il devait être déposé d’abord.
  16. Coll. part.
  17. Illisible.
  18. Barbe Barbiano de Belgiojoso d’Este, dame d’honneur de l’Impératrice-Reine, mariée à Antonio, marquis Litta, comte puis duc de l’Empire, grand chambellan du royaume.
  19. Napoléon-Louis, né à Paris le 11 octobre 1804, prince royal de Hollande, le 5 mai 1807, grand-duc de Berg et Clèves le 3 mars 1809, marié le 23 juillet 1826 à sa cousine Charlotte, fille du roi Joseph, mort à Forli le 17 mars 1831, sans hoirs.
  20. J’ai publié dans Joséphine répudiée des fragmens de cette lettre que possède S. M. l’Impératrice Eugénie, mais il me paraît qu’elle prend sa valeur de la lettre de Joséphine publiée pour la première fois.
  21. Grossesse de Charles-Louis-Napoléon, l’empereur Napoléon III, qui naîtra à Paris le 20 avril 1808.
  22. Claude-Antoinette-Julie Le Duc, fille d’un maréchal de camp d’artillerie était depuis l’an XI une de ces quatre dames chargées de faire les honneurs des Palais du Gouvernement, qui étaient devenues les premières dames du Palais. Son mari, camarade de Bonaparte à l’École militaire, était son aide de camp depuis l’an VIII.
  23. C’était lui qui tout récemment avait délivré Hortense.
  24. Il part pour Erfurt le 22, à 5 heures du matin.
  25. Maximilien Ier, roi de Bavière le 26 décembre 1805 par la grâce de Napoléon, avait épousé en premières noces, le 30 septembre 1785, Auguste, fille de Georges-Guillaume de Hesse-Darmstadt, laquelle mourut le 30 mars 1796 après lui avoir donné deux fils : Louis (plus tard Louis Ier), Charles, et trois filles : Auguste, qui épousa Eugène-Napoléon, Amélie qui mourut en bas âge et Charlotte-Auguste qui épousa d’abord le prince de Wurtemberg, puis François Ier, empereur d’Autriche. Auguste de Hesse était fille de Georges-Guillaume, cadet de la ligne de Hesse-Darmstadt et de Louise- (Marie-Louise-Albertine), fille de Christian-Charles-Reinhard de Leiningen-Heidesheim, héritière de la seigneurie de Broich, dans le grand-duché de Berg. Elle vivait en 1807 à Neustrélitz, près de deux de ses filles mariées à des ducs de Mecklembourg. Le grand-duc de Berg avait confisqué simplement ses biens que Napoléon lui fit rendre. Il convient de rappeler que de Varsovie, le 4 janvier 1807, l’Empereur avait écrit au maréchal Mortier : « Mon cousin, je désire que vous ménagiez les États de Mecklembourg-Strelitz. Il y a là une grand’mère de la princesse Eugène. C’est une vieille femme, voyez si elle a besoin de quelque chose et faites-lui connaître que vous avez ordre d’avoir des égards particuliers pour elle. » Voyez lettre de même date à la princesse Auguste.
  26. Coll. part.
  27. Charles-Joseph Randon de Pully, volontaire en 1768, lieutenant-colonel en 1789, général de division en 1793, mort en 1832.
  28. Le Tascher que Joséphine recommande ici à son fils est Pierre-Claude-Louis-. Robert Tascher, né à Fort-Royal le 1er avril 1787, entré à l’École de Fontainebleau, sous-lieutenant au 16e léger en 1806, officier d’ordonnance de l’Empereur le 9 février 1807. « Ton cousin Tascher se porte bien ; je l’ai appelé près de moi avec le titre d’officier d’ordonnance. » Chef d’escadron en 1809, aide de camp du prince Eugène, marié à Mlle de la Leyen, nièce du prince primat, il suivit son cousin en Bavière, où il vécut jusqu’au second Empire. Il est mort en 1861, grand maître de la maison de l’Impératrice et sénateur de l’Empire. Sa branche s’est éteinte dans les mâles en la personne de son petit-fils, investi, par réversion de la branche Dalberg, du titre de duc qui a péri avec lui.
  29. Défaite de Sacile.
  30. Combat de la Piave.
  31. S’il s’agit de la lettre du 30 avril (Corr., 16144) il faut avouer qu’Eugène n’est point difficile.
  32. L’Impératrice ne partit que le 11 juin pour Plombières où la reine Hortense l’avait précédée de quelques jours.