L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/40

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 217-220).


CHAPITRE XL.

QUE L’HOMME N’A RIEN DE BON DE LUI-MÊME, ET NE PEUT SE GLORIFIER DE RIEN.

1. Le F. Seigneur, qu’est-ce que l’homme, pour que vous vous souveniez de lui ? Et qu’est-ce que le fils de l’homme, pour que vous le visitiez ?[1]

Par où l’homme a-t-il pu mériter votre grâce ?

De quoi, Seigneur, puis-je me plaindre si vous me délaissez ? Et qu’ai-je à dire si vous ne faites pas ce que je demande ?

Je ne puis, certes, penser et dire avec vérité que ceci Seigneur, je ne suis rien, je ne peux rien, de moi-même je n’ai rien de bon, je sens ma faiblesse en tout, et tout m’incline vers le néant.

Si vous ne m’aidez et ne me fortifiez intérieurement, aussitôt je tombe dans la tiédeur et le relâchement.

2. Mais vous, Seigneur, vous êtes toujours le même[2], et vous demeurez éternellement bon, juste et saint, faisant tout avec bonté, avec justice, avec sainteté, et disposant tout avec sagesse.

Pour moi, qui ai plus de penchant à m’éloigner du bien qu’à m’en approcher, je ne demeure pas longtemps dans un même état, et je change sept fois le jour.

Cependant je suis moins faible dès que vous le voulez, dès que vous me tendez une main secourable : car vous pouvez seul, sans l’aide de personne, me secourir et m’affermir de telle sorte, que je ne sois plus sujet à tous ces changements, et que mon cœur se tourne vers vous seul et s’y repose à jamais.

3. Si donc je savais rejeter toute consolation humaine, soit pour acquérir la ferveur, soit à cause de la nécessité qui me presse de vous chercher, ne trouvant point d’homme qui me console ; alors je pourrais tout espérer de votre grâce, et me réjouir de nouveau dans les consolations que je recevrais de vous.

4. Grâces vous soient rendues, à vous de qui découle tout ce qui m’arrive de bien.

Pour moi, je ne suis devant vous que vanité et néant, qu’un homme inconstant et fragile.

De quoi donc puis-je me glorifier ? Comment puis-je désirer qu’on m’estime ?

Serait-ce à cause de mon néant ? mais quoi de plus insensé !

Certes, la vaine gloire est la plus grande des vanités, et un mal terrible, puisqu’elle nous éloigne de la véritable gloire, et nous dépouille de la grâce céleste.

Car, dès que l’homme se complaît en lui-même, il commence à vous déplaire ; et lorsqu’il aspire aux louanges humaines, il perd la vraie vertu.

5. La vraie gloire et la joie sainte est de se glorifier en vous, et non pas en soi ; de se réjouir de votre grandeur, et non de sa propre vertu ; de ne trouver de plaisir en nulle créature qu’à cause de vous.

Que votre nom soit loué et non le mien, qu’on exalte vos œuvres et non les miennes ; que votre saint nom soit béni, et qu’il ne me revienne rien des louanges des hommes.

Vous êtes ma gloire et la joie de mon cœur.

En vous je me glorifierai, je me réjouirai sans cesse en vous et non pas en moi, si ce n’est dans mes infirmités[3].

6. Que les Juifs recherchent la gloire qu’on reçoit les uns des autres[4] : pour moi, je ne rechercherai que celle qui vient de Dieu seul[5].

Car toute gloire humaine, tout honneur du temps, toute grandeur de ce monde, comparée à votre gloire éternelle, est folie et vanité.

O ma vérité, ma miséricorde, ô mon Dieu ! Trinité bien heureuse !’à vous seule louange, honneur, gloire, puissance dans les siècles des siècles !

RÉFLEXION.

Si je descends en moi-même, et que je m’interroge sur ce que je suis, que trouvé-je, ô mon Dieu ! Une raison incertaine toujours près de s’égarer, d’inconstantes affections, un mélange inexplicable d’espérances et de craintes vaines, des inclinations viciées, une foule innombrable de désirs qui sans cesse m’agitent et me tourmentent, quelquefois une joie fugitive, habituellement un profond ennui, je ne sais quel instinct du ciel et toutes les passions de la terre, une volonté infirme qui tout ensemble veut et, ne veut pas, un grand orgueil dans une grande misère : voilà mon état tel que le péché l’a fait, et je sens de plus en moi l’impuissance de relever une nature si profondément déchue. Il a fallu que Dieu même vînt soulever ce poids immense de dégradation : sans un Rédempteur divin, l’éternité entière aurait passé sur les ruines de l’homme. Il a paru ce Rédempteur ; il a dit : Me voici ![6] et son sang a satisfait à la suprême justice, et sa grâce a réparé le désordre de l’intelligence et le désordre du cœur : elle a rétabli l’image de Dieu dans sa créature tombée. Incompréhensible mystère d’amour ! et comment répondre à un tel bienfait ? Reconnaissons au moins notre faiblesse et notre indigence ; ne nous attribuons aucun des biens qui nous sont donnés gratuitement ; rendons la gloire à qui elle appartient, et entrons de toutes les puissances de notre être dans les sentiments du Prophète : Seigneur mon Dieu, je vous ai invoqué, et vous m’avez guéri. Vous avez retiré mon âme de l’enfer, et vous m’avez séparé de ceux qui descendent dans le lac. Chantez le Seigneur, vous qui êtes ses saints, et célébrez la mémoire de sa sainteté ! [7]

  1. Ps. viii, 5.
  2. Ps. ci, 28.
  3. II Cor. xii, 5.
  4. Joann. v, 44.
  5. Joann. v, 44.
  6. Ps. xxix, 8.
  7. Ps. xxxix, 3-5.