L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/39

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 216-217).


CHAPITRE XXXIX.

QU’IL FAUT ÉVITER L’EMPRESSEMENT DANS LES AFFAIRES.

1. J.-C. Mon fils, remettez-moi toujours vos intérêts ; j’en disposerai selon ce qui sera le mieux, au temps convenable.

Attendez ce que j’ordonnerai, et vous y trouverez un grand avantage.

2. Le F. Seigneur, je vous remets tout avec beaucoup de joie : car j’avance bien peu quand je n’ai que mes propres lumières.

Oh ! que ne puis-je, oubliant l’avenir, m’abandonner, dès ce moment, sans réserve à votre volonté souveraine !

3. J.-C. Mon fils, souvent l’homme poursuit avec ardeur une chose qu’il désire ; l’a-t-il obtenue, il commence à s’en dégoûter, parce qu’il n’y a rien de durable dans ses affections, et qu’elles l’entraînent incessamment d’un objet à un autre.

Ce n’est donc pas peu de se renoncer soi-même dans les plus petites choses.

4. Le vrai progrès de l’homme est l’abnégation de soi même ; et l’homme qui ne tient plus à soi est libre et en assurance.

Cependant l’ancien ennemi, qui s’oppose à tout bien, ne cesse pas de le tenter ; il lui dresse nuit et jour des embûches, et s’efforce de le surprendre pour le faire tomber dans ses pièges.

Veillez et priez, dit le Seigneur, afin que vous n’entriez point en tentation[1].

RÉFLEXION.

Il y a dans les affaires un danger terrible pour l’âme, lorsqu’elle ne veille pas sur elle-même attentivement. Nous ne parlons point des tentations de l’intérêt, si vives pourtant, si multipliées, et qui finissent ordinairement par affaiblir au moins la conscience. Alors même qu’elles ne produisent pas ce triste effet, elles dessèchent le cœur, préoccupent l’esprit, le détournent de Dieu et de la grande pensée du salut. Il y a toujours quelque chose qui presse, qu’on ne peut laisser en retard ; et sous ce prétexte, sans dessein formé, par le seul entraînement des occupations qu’on s’est faites, on abandonne peu à peu les exercices qui nourrissent la piété, les lectures saintes, la prière, les devoirs indispensables de la religion, et ainsi la vie s’écoule pleine de projets, de soucis, de travaux, dans l’oubli de la seule chose nécessaire[2]. Les maladies mêmes ne réveillent pas ; aucun avertissement n’est écouté. Enfin la mort vient, saisit cet homme, le présente au juge qui l’interroge : Qu’as-tu fait du temps que je t’ai accordé ? L’infortuné voit d’un coup d’œil trente, quarante, soixante années consumées tout entières dans les soins de la terre, et il ne voit que cela. Son âme, il n’y a point songé. Il est tard en ce moment pour commencer à s’occuper d’elle, et son sort est fixé irrévocablement. Ah ! pensez avant tout à ce qui ne doit jamais finir. Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît[3]. Éteindre en soi le désir de ce qui passe, se confier en la Providence, ne vouloir que ce qu’elle veut, et quand elle le veut, c’est la voie de la paix et le seul fondement solide d’espérance à la dernière heure.

  1. Matth. xxvi, 41.
  2. Luc. x, 42.
  3. Luc. xii, 31.