L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/23

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 181-184).


CHAPITRE XXIII.

DE QUATRE CHOSES IMPORTANTES POUR CONSERVER LA PAIX.

1. J.-C. Mon fils, je vous enseignerai maintenant la voie de la paix et de la vraie liberté. 2. LE F. Faites, Seigneur, ce que vous dites : car il m’est doux de vous entendre.

3. J.-C. Appliquez-vous, mon fils, à faire plutôt la volonté d’autrui que la vôtre.

Choisissez toujours plutôt d’avoir moins que plus.

Cherchez toujours la dernière place, et à être au-dessous de tous.

Désirez toujours et priez que la volonté de Dieu s’accomplisse parfaitement en vous.

Celui qui agit ainsi est dans la voie de la paix et du repos.

4. Le F. Seigneur, ces courts préceptes renferment une grande perfection.

Ils contiennent peu de paroles ; mais elles sont pleines de sens, et abondantes en fruits. Si j’étais fidèle à les observer, je ne tomberais pas si aisément dans le trouble.

Car toutes les fois qu’il m’arrive de perdre le calme et la paix, je reconnais que je me suis écarté de ces maximes. Mais vous qui pouvez tout, et qui désirez toujours le progrès des âmes, augmentez en moi votre grâce, afin qu’en obéissant à ce que vous commandez, je puisse accomplir mon salut.


PRIÈRE
POUR OBTENIR D’ÊTRE DÉLIVRÉ DES MAUVAISES PENSÉES.

5. Seigneur, mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi. Mon Dieu, hâtez-vous de me secourir[1] : car une foule de pensées diverses m’ont assailli, et de grandes terreurs agitent mon âme.

Comment traverserai-je tant d’ennemis, sans recevoir de blessures ? comment les renverserai-je ? Je marcherai devant vous, dit le Seigneur, et j’abattrai les puissants de la terre[2]. J’ouvrirai les portes de la prison, et je vous montrerai les issues les plus secrètes.

Faites, Seigneur, selon votre parole ; et que toutes les pensées mauvaises fuient devant vous.

Mon unique espérance, ma seule consolation dans les maux qui me pressent, est de me réfugier vers vous, de me confier en vous, de vous invoquer du fond de mon cœur et d’attendre avec patience votre secours.


PRIÈRE
POUR DEMANDER A DIEU LA LUMIÈRE.

6. Éclairez-moi intérieurement, ô bon Jésus ! Faites luire votre lumière dans mon cœur, et dissipez toutes ses ténèbres.

Arrêtez mon esprit qui s’égare, et brisez la violence des tentations qui me pressent.

Déployez pour moi votre bras, et domptez ces bêtes furieuses, ces convoitises dévorantes, afin que je trouve la paix dans votre force[3], et que sans cesse vos louanges retentissent dans votre sanctuaire, dans une conscience pure.

Commandez aux vents et aux tempêtes ; dites à la mer : Apaise-toi ; à l’aquilon : Ne souffle point : et il se fera un grand calme[4].

7. Envoyez votre lumière et votre vérité[5], pour qu’elles luisent sur la terre : car je ne suis qu’une terre stérile et ténébreuse, jusqu’à ce que vous m’éclairiez.

Répandez votre grâce d’en haut ; versez sur mon cœur la rosée céleste ; épanchez sur cette terre aride les eaux fécondes de la piété, afin qu’elle produise des fruits bons et salutaires.

Relevez mon âme abattue sous le poids de ses péchés ; transportez tous mes désirs au Ciel, afin qu’ayant trempe mes lèvres à la source des biens éternels, je ne puisse plus sans dégoût penser aux choses de la terre.

8. Enlevez-moi, détachez-moi de toutes les fugitives consolations des créatures, car nul objet créé ne peut satisfaire ni rassasier pleinement mon cœur.

Unissez-moi à vous par l’indissoluble lien de l’amour : car vous suffisez seul à celui qui vous aime, et tout le reste sans vous n’est rien.

RÉFLEXION.

Des prophètes se sont levés en Israël, qui prophétisent à Jérusalem des visions de paix ; et il n’y a point de paix, dit le Seigneur Dieu[6]. Et le monde aussi prophétise des visions de paix à ses sectateurs ; mais cette paix qu’il met dans les plaisirs, dans le contentement de l’orgueil et de toutes les passions, ne se montre de loin que pour tromper ceux qui la poursuivent, et quand ils se croient près de la saisir, tout à coup elle s’évanouit comme le songe d’un homme qui s’éveille[7]. La paix véritable n’est, au contraire, que le calme d’une conscience pure : elle consiste à retrancher les désirs, et non pas à les satisfaire. Est-il un lieu caché, un emploi obscur, une place, un rang méprisable aux yeux du monde, elle est là surtout. Plus le cœur s’humilie, plus elle est douce et profonde. Qu’est-ce, en effet, qui pourrait troubler celui qui ne souhaite rien, et ne s’attribue rien ? Il n’a guère à craindre qu’on lui envie l’abaissement où il se complaît. Mais que de grandeur dans cet abaissement cherché, voulu de toute l’âme ! Les anges le contemplent avec respect, et Dieu le bénit du sein de sa gloire. Seigneur, venez à mon aide, terrassez en moi l’orgueil, et j’aurai la paix ; faites que, pénétré des sentiments qui animaient le roi prophète, il me soit donné de dire comme lui : J’ai choisi d’être abject dans la maison de mon Dieu, plutôt que d’habiter sous les tentes des pécheurs : Elegi abjectus esse ! [8]

  1. Ps. lxx, 12. ; Ps. lxix, 2.
  2. Is. xlv, 2.
  3. Ps. cxxi, 7.
  4. Marc. iv, 39.
  5. 3. Ps. xlii, 3.
  6. Ezech. xiii, 16.
  7. Ps. lxii, 20.
  8. Ps. lxxxiii, 11.