L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/22

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 178-181).


CHAPITRE XXII.

DU SOUVENIR DES BIENFAITS DE DIEU.

1. Le F. Seigneur, ouvrez mon cœur à votre loi ; et enseignez-moi à marcher dans la voie de vos commandements[1].

Faites que je connaisse votre volonté, et que je rappelle dans mon souvenir, avec un grand respect et une sérieuse attention, tous vos bienfaits, afin de vous en rendre de dignes actions de grâces.

Je sais cependant, et je confesse que je ne puis reconnaître dignement la moindre de vos faveurs.

Je suis au-dessus de tous les biens que vous m’avez accordés ; et quand je considère votre élévation infinie, mon esprit s’abîme dans votre grandeur.

2. Tout ce que nous avons en nous, dans notre corps, dans notre âme, tout ce que nous possédons et au dedans et au dehors, dans l’ordre de la grâce ou de la nature, c’est vous qui nous l’avez donné ; et vos bienfaits nous rappellent sans cesse votre bonté, votre tendresse, l’immense libéralité dont vous usez envers nous, vous de qui nous viennent tous les biens.

Car tout vient de vous, quoique l’un reçoive plus, l’autre moins ; et sans vous nous serions à jamais privés de tout bien.

Celui qui a reçu davantage ne peut se glorifier de son mérite, ni s’élever au-dessus des autres, ni insulter à celui qui a moins reçu ; car celui-là est le meilleur et le plus grand qui s’attribue le moins, et qui rend grâces avec le plus de ferveur et d’humilité.

Et celui qui se croit le plus vil et le plus indigne de tous, est le plus propre à recevoir de grands dons.

3. Celui qui a moins reçu, ne doit ni s’affliger, ni se plaindre, ni concevoir de l’envie contre ceux qui ont reçu davantage ; mais plutôt ne regarder que vous, et louer de toute son âme votre bonté toujours prête à répandre ses dons si abondamment, si gratuitement, sans acception de personne.

Tout vient de vous, et ainsi vous devez être loué de tout.

Vous savez ce qu’il convient de donner à chacun, pourquoi celui-ci reçoit plus, cet autre moins ; ce n’est pas à nous qu’appartient ce discernement, mais à vous, qui pesez tous les mérites.

4. C’est pourquoi, Seigneur mon Dieu, je regarde comme une grâce singulière que vous m’ayez accordé peu de ces dons qui paraissent au dehors, et qui attirent les louanges et l’admiration des hommes. Et certes, en considérant son indigence et son abjection, loin d’en être abattu, loin d’en concevoir aucune peine, aucune tristesse, on doit plutôt sentir une douce consolation, une grande joie ; car vous avez choisi, mon Dieu, pour vos amis et vos serviteurs, les pauvres, les humbles, ceux que le monde méprise.

Tels étaient vos apôtres mêmes, que vous avez établis princes sur toute la terre[2].

Ils ont passé dans ce monde sans se plaindre, purs de tout artifice et de la pensée même du mal, si simples et si humbles, qu’ils se réjouissaient de souffrir les outrages pour votre nom[3], et qu’ils embrassaient avec amour tout ce que le monde abhorre.

Rien ne doit causer tant de joie à celui qui vous aime et qui connaît le prix de vos bienfaits, que l’accomplissement de votre volonté et de vos desseins éternels sur lui. Il doit y trouver un contentement, une consolation telle, qu’il consente aussi volontiers d’être le plus petit, que d’autres désirent avec ardeur être les plus grands ; qu’il soit aussi tranquille, aussi satisfait dans la dernière place que dans la première ; et que toujours prêt à souffrir le mépris, les rebuts, il s’estime aussi heureux d’être sans nom, sans réputation, que les autres de jouir des honneurs et des grandeurs du monde.

Car votre volonté et le zèle de votre gloire doivent être pour lui au-dessus de tout, et lui plaire et le consoler plus que tous les dons que vous lui avez faits, et que vous pouvez lui faire encore.

RÉFLEXION.

Profitons de la grâce qui nous est donnée, sans rechercher si les autres en ont reçu une mesure plus grande. Dieu se communique comme il lui plaît, il est le maître de ses dons ; et que sommes-nous pour lui en demander compte ? Bénissons-le de ceux qu’il nous accorde dans sa bonté toute gratuite, et bénissons-le encore de ceux qu’il nous refuse, nous reconnaissant indigne du moindre de ses bienfaits. Si vous êtes humble, vous n’aspirerez point à des faveurs extraordinaires ; et si vous manquez d’humilité, ces faveurs, loin de vous être utiles, ne serviraient peut-être qu’à vous perdre, en nourrissant en nous la vaine complaisance et l’orgueil. Une vive gratitude envers le Seigneur, une soumission parfaite à ses volontés, la fidélité dans la voie où il vous conduit, voilà ce que vous devez désirer. Avec cela vous reposerez en paix, parce que vous reposerez en Dieu, et qu’en lui vous trouverez le secours contre les tentations, la paix dans les souffrances, la consolation dans les misères et les peines de la vie, et enfin l’amour qui rend tout léger. Oh ! que nous penserions peu à souhaiter un état plus élevé, ou plus doux, si nous aimions véritablement ! Mais nous ne savons point aimer. Gémissons au moins de notre tiédeur et supplions le divin Maître d’échauffer, d’embraser notre cœur languissant, afin que nous puissions dire avec l’Apôtre : Qui me séparera de l’amour du Christ ? La tribulation ? l’angoisse ? la faim ? la nudité ? le péril ? la persécution ? le glaive ? Mais nous triomphons de toutes ces choses à cause de Celui qui nous a aimés. Car je suis certain que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni les Principautés, ni les Vertus, ni le présent, ni l’avenir, ni la force, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra me séparer de la charité de Dieu, laquelle est dans le Christ Jésus Notre Seigneur[4].

  1. II Mach. i, 4.
  2. Ps. xlvi, 17.
  3. Act. v, 41.
  4. Rom. viii, 35, 37-39.