L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/03

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 129-132).


CHAPITRE III

QU’IL FAUT ÉCOUTER LA PAROLE DE DIEU AVEC HUMILITÉ, ET QUE PLUSIEURS NE LA REÇOIVENT PAS COMME ILS LE DEVRAIENT.

1. J.-C. Mon fils, écoutez mes paroles, paroles pleines de douceur, et qui surpassent toute la science des philosophes et des sages du monde.

Mes paroles sont esprit et vie[1], et l’on n’en doit pas juger par le sens humain.

Il ne faut pas en tirer vaine complaisance, mais les écouter en silence, et les recevoir avec une humilité profonde et un ardent amour.

2. Le F. Et j’ai dit : Heureux celui que vous instruisez, Seigneur, et à qui vous enseignez votre loi, afin de lui adoucir les jours mauvais, et de ne pas le laisser sans consolation sur la terre[2].

3. J.-C. C’est moi qui ai, dès le commencement, instruit les prophètes, dit le Seigneur ; et jusqu’à présent même, je ne cesse point de parler à tous ; mais plusieurs sont endurcis et sourds à ma voix.

Le plus grand nombre écoute le monde de préférence à Dieu : ils aiment mieux suivre les désirs de la chair que d’obéir à la volonté divine.

Le monde promet peu de chose, et des choses qui passent, et on le sert avec une grande ardeur : je promets des biens immenses, éternels, et le cœur des hommes reste froid.

Qui me sert et m’obéit en toutes choses, avec autant de soin qu’on sert le monde et les maîtres du monde ?

Rougis, Sidon, dit la mer[3] ; et si tu en demandes la cause, écoute, voici pourquoi :

Pour un petit avantage, on entreprend une longue route ; et, pour la vie éternelle, à peine en trouve-t-on qui veuillent faire un pas.

On recherche le plus vil gain : on plaide honteusement quelquefois pour une pièce de monnaie ; sur une légère promesse et pour une chose de rien, on ne craint pas de se fatiguer le jour et la nuit.

Mais, ô honte ! pour un bien immuable, pour une récompense infinie, pour un honneur suprême et une gloire sans fin, on ne saurait se résoudre à la moindre fatigue.

4. Serviteur paresseux et toujours murmurant, rougis donc de ce qu’il y ait des hommes plus ardents à leur perte que tu ne l’es à te sauver, et pour qui la vanité a plus d’attrait que n’en a pour toi la vérité.

Et cependant ils sont souvent abusés par leurs espérances ; tandis que ma promesse ne trompe point, et que jamais je ne me refuse à celui qui se confie en moi.

Ce que j’ai promis, je le donnerai ; ce que j’ai dit, je l’accomplirai, si toutefois l’on demeure avec fidélité dans mon amour jusqu’à la fin.

C’est moi qui récompense les bons, et qui éprouve fortement les justes.

5. Gravez mes paroles dans votre cœur, et méditez-les profondément : car, à l’heure de la tentation, elles vous seront très nécessaires.

Ce que vous n’entendez pas en le lisant, vous le comprendrez au jour de ma visite.

J’ai coutume de visiter mes élus de deux manières : par la tentation et par la consolation.

Et tous les jours, je leur donne deux leçons, l’une en les reprenant de leurs défauts, l’autre en les exhortant à avancer dans la vertu.

Celui qui reçoit ma parole, et qui la méprise, sera jugé par elle au dernier jour[4].


PRIÈRE
POUR DEMANDER LA GRÂCE DE LA DÉVOTION.


6. LE F. Seigneur, mon Dieu, vous êtes tout mon bien : et qui suis-je pour oser vous parler ?

Je suis le plus pauvre de vos serviteurs, et un abject ver de terre, beaucoup plus pauvre et plus méprisable que je ne sais et que je n’ose dire.

Souvenez — vous cependant, Seigneur, que je ne suis rien, que je n’ai rien, que je ne puis rien.

Vous êtes seul bon, juste et saint ; vous pouvez tout, vous donnez tout, vous remplissez tout, hors le pécheur que vous laissez vide.

Souvenez-vous de vos miséricordes[5], et remplissez mon cœur de votre grâce, vous qui ne voulez point qu’aucun de vos ouvrages demeure vide.

7. Comment puis-je, en cette misérable vie, porter le poids de moi-même, si votre miséricorde et votre grâce ne me fortifient ?

Ne détournez pas de moi votre visage ; ne différez pas à me visiter ; ne me retirez point votre consolation, de peur que, privée de vous, mon âme ne devienne comme une terre sans eau[6].

Seigneur, apprenez-moi à faire votre volonté[7] ; apprenez-moi à vivre d’une vie humble et digne de vous.

Car vous êtes ma sagesse, vous me connaissez dans la vérité, et vous m’avez connu avant que je fusse au monde, et avant même que le monde fût.

RÉFLEXION.

Rien de plus rare qu’un désir sincère du salut ; et c’est ce qui doit nous faire trembler, car notre sort à chacun sera ce que nous l’aurons fait : Dieu nous aide, il vient par sa grâce au secours du libre arbitre, mais il ne le contraint pas. Or que voyons-nous ? Quel spectacle nous offre le monde ? Nous ne parlons point ici de l’impie résolu à se perdre, et déjà marqué du sceau de la réprobation : nous parlons de ceux qui se disent, qui se croient les disciples de Jésus Christ. Dans la spéculation, ces chrétiens veulent se sauver ; mais ils veulent en même temps, ils veulent surtout posséder les biens et goûter les jouissances de la terre. Ils donneront à Dieu, en passant, quelques prières obligées ; ils s’informeront de sa loi pour connaître ce qu’elle commande strictement : puis, tranquilles de ce côté, ils se jetteront à la poursuite des honneurs, des richesses, des plaisirs qu’ils nomment légitimes, ou ils s’endormiront dans une vie de mollesse permise à leurs yeux, parce qu’elle ne viole en apparence aucun précepte formel. Mais, dans tout cela, où est la foi qui doit régler toutes nos actions sur la vue de l’éternité ? Où est l’amour perpétuellement occupé de son objet, l’amour avide de sacrifices ? Où est la pénitence ? Où est la Croix ? O Dieu ! et c’est là désirer le salut ! N’est-il donc pas écrit que celui qui cherche son âme la perdra[8]. Que chacun se juge sur cette parole avant le jour terrible où le Seigneur lui-même le jugera.

  1. Joann. vi, 64.
  2. Ps. xciii, 12, 13.
  3. Is. xxiii, 4.
  4. Joan. 48.
  5. Ps. xxvi, 6.
  6. Ps. cxlii, 6.
  7. Ps. cxlii, 40.
  8. Luc. xvii, 33.