L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/02

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 127-129).


CHAPITRE II.

LA VÉRITÉ PARLE AU DEDANS DE NOUS SANS AUCUN BRUIT DE PAROLES.

1. Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute.

Je suis votre serviteur : donnez-moi l’intelligence, afin que je sache vos témoignages[1].

Inclinez mon cœur aux paroles de votre bouche ; qu’elles tombent sur lui comme une douce rosée[2].

Les enfants d’Israël disaient autrefois à Moïse : Parlez-nous, et nous vous écouterons : mais que le Seigneur ne nous parle point, de peur que nous ne mourions[3].

Ce n’est pas là, Seigneur, ce n’est pas là ma prière ; mais au contraire, je vous implore, comme le prophète Samuel, avec un humble désir, disant : Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute[4].

Que Moïse ne me parle point, ni aucun des prophètes ; mais vous plutôt parlez, Seigneur mon Dieu, vous la lumière de tous les prophètes, et l’esprit qui les inspirait. Sans eux, vous pouvez seul pénétrer toute mon âme de votre vérité ; et sans vous, ils ne pourraient rien.

2. Ils peuvent prononcer des paroles, mais non les rendre efficaces.

Leur langage est sublime ; mais si vous vous taisez, il n’échauffe point le cœur.

Ils exposent la lettre ; mais vous en découvrez le sens.

Ils proposent les mystères ; mais vous rompez le sceau qui en dérobait l’intelligence.

Ils publient vos commandements ; mais vous aidez à les accomplir.

Ils montrent la voie ; mais vous donnez des forces pour marcher.

Ils n’agissent qu’au dehors ; mais vous éclairez et instruisez les cours.

Ils arrosent extérieurement ; mais vous donnez la fécondité.

Leurs paroles frappent l’oreille ; mais vous ouvrez l’intelligence.

3. Que Moïse donc ne me parle point, mais vous, Seigneur mon Dieu, éternelle vérité ! parlez-moi, de peur que je ne meure, et que je n’écoute sans fruit, si, averti seulement au dehors, je ne suis point intérieurement embrasé ; de peur que je ne trouve ma condamnation dans votre parole, entendue sans être accomplie, connue sans être aimée, crue sans être observée.

Parlez-moi donc, Seigneur, parce que votre serviteur écoute : vous avez les paroles de la vie éternelle[5].

Parlez-moi pour consoler un peu mon âme, pour m’apprendre à réformer ma vie ; parlez-moi pour la louange, la gloire, l’honneur éternel de votre nom.

RÉFLEXION.

Il y a une voix qui nous parle intérieurement et comme dans le fond de l’âme, lorsque, fermant l’oreille au bruit des créatures, nous ne voulons plus écouter que Dieu seul, et que nous l’appelons en nous de toute l’ardeur de nos désirs. C’est cette voix qui, loin des hommes, ravissait au désert les Paul, les Antoine, les Pacôme, et leur révelait sans obscurité les secrets de la science divine. C’est cette voix qui instruit les saints, les enflamme, les console et les enivre, pour ainsi dire, de sa céleste douceur. Moïse et les prophètes étaient voilés pour les disciples d’Emmaüs : Jésus vient, et, à sa voix, les ombres qui offusquaient leur intelligence se dissipent ; quelque chose d’inconnu se remue en eux, de sorte qu’ils se disaient l’un à l’autre : Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au dedans de nous, lorsqu’il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les Écritures ? [6] Et nous, pauvres infortunés que le tumulte du monde distrait encore, que ferons nous ? Ne voulons-nous point aussi entendre Jésus ? Comme les deux disciples, nous sommes en voyage, nous nous en allons vers l’éternité. Jésus, dans son amour, s’approche de nous ; il se fait, en quelque sorte, le compagnon de notre route[7] : mais, nous trouvant si peu attentifs, il se retire, et nous marchons seuls. Effrayante solitude ! Ah ! prenons garde que la nuit ne nous surprenne près du terme ! Hâtons-nous de rappeler le divin guide, et disons-lui de toute notre âme : Seigneur, demeurez avec nous, car le soir se fait et déjà le jour baisse ![8]

  1. I Reg. iii, 9 ; Ps. cxviii, 125.
  2. Ps. cxviii, 36 ; Deuter. xxxii, 12.
  3. Exod. xx, 19.
  4. I Reg. iii, 9.
  5. I Reg. iii, 9 ; Joann. vi, 69.
  6. Luc. xxiv, 32.
  7. Luc. xxiv, 15.
  8. Luc. xxiv, 29.