L’Image du monde/Les sources de l'Image du Monde

Texte établi par O. H. Prior, Librairie Payot & Cie (p. 27-31).

Les sources. — Est-ce par hasard seulement que Gossouin a nommé son encyclopédie l’Image du Monde, ou n’avons-nous là vraiment qu’une traduction du latin, d’un Imago Mundi encore inconnu ?

L’auteur dit en termes précis : « Ce livre de clergie, que l’en apele l’ymage dou monde est translatez de latin en rommanz. »

Vincent de Beauvais mentionne, dans son Speculum Majus, qu’il a produit un autre ouvrage plus court, le Speculum vel Imago Mundi. Paulin Paris[1] relève ce passage et suggère que cet abrégé était l’original de l’Image du Monde.

Le titre est certainement un indice. Mais on peut en dire autant de l’Imago Mundi d’Honorius Augustodunensis.

Une étude du texte français tend plutôt à confirmer l’opinion de Fritsche[2] : Gossouin a eu recours à des sources variées, et entre autres à l’ouvrage d’Honorius ; chose d’autant plus probable que ce théologien avait autrefois dirigé l’école de la cathédrale à Metz, de 1120 à 1146[3] . Notre auteur aurait donc emprunté son titre à l’ouvrage qui lui aurait le plus servi.

Cette théorie semble du moins d’accord avec les faits. Une grande partie de l’Image du Monde est l’ouvrage de Gossouin lui-même. Il a fort habilement introduit dans la première partie ses opinions religieuses : c’étaient d’ailleurs celles de son temps. Ses connaissances des auteurs classiques sont solides. Il a lu certains ouvrages d’Aristote et de Platon, grâce, sans aucun doute, à des traductions latines.

Dans les deux dernières parties, il a fait de nombreux emprunts soit à des écrivains romains, soit à des écrivains du moyen âge. Souvent les traductions sont si littérales qu’on ne peut avoir aucun doute sur leur origine.

L’étude de V. Le Clerc et la dissertation de Fritsche sur les sources de l’Image du Monde servent naturellement de base à tout travail sur ce sujet, qui est toujours susceptible d’être étendu. Ainsi les deux ouvrages d’Alexandre Neckam, De Naturis Rerum et De Laudibus Divinæ Sapientiæ, ont été employés par Gossouin bien plus fréquemment que Fritsche ne semble s’en douter.

Dans les pages suivantes et aussi dans les notes du texte les différentes sources de l’encyclopédie sont indiquées. Nous les divisons toutefois en deux classes bien distinctes : en premier lieu les auteurs, tels que Jacques de Vitry, Honorius, Neckam, dont Gossouin a rendu des passages entiers mot à mot ; ensuite les auteurs dont les idées seules se retrouvent dans l’Image, sans qu’il soit question de traduction littérale.

À cette dernière catégorie appartiennent les auteurs grecs dont nous faisons mention. Il n’est pas probable que Gossouin ait su cette langue et se soit servi des originaux. Mais il avait sans doute à sa disposition les versions latines de certains ouvrages d’Aristote et de Platon certainement connus au moyen âge. Il mentionne lui-même Boèce et ses traductions du grec « que nous avons enquore en usage[4]. »

Toutefois, comme nous venons de le dire, les passages d’auteurs grecs qui se trouvent dans l’Image ne sont pas des citations ; l’auteur se contente d’emprunter des idées qu’il exprime à sa manière. Dans ces conditions le texte original a autant et même plus de valeur qu’une traduction latine soit de Boèce, soit de tout autre. C’est pourquoi nous donnons les passages parallèles en grec lorsqu’il s’agit d’un original grec.

Nous citons souvent Solin en même temps que Neckam ou Jacques de Vitry à propos d’un même passage. Lui aussi ne semble pas avoir été employé directement par Gossouin. Mais nous y voyons la source première des descriptions d’animaux et autres contenues dans les deux autres auteurs.

Neckam mentionne même Solin à plusieurs reprises. Le rapprochement ne peut donc manquer d’être intéressant. De plus, il permet d’élucider plusieurs points dont l’obscurité est due non pas à Gossouin, mais à sa source directe latine, c’est-à-dire, soit à Neckam soit à Jacques de Vitry.

Nous avons fréquemment fait des rapprochements entre le livre de Sydrach et l’Image ; et de fait des passages entiers se retrouvent presque mot à mot dans les deux ouvrages.

L’étude de Langlois jette de graves doutes sur la date du Sydrach[5]. Il semble même probable qu’au lieu de citer Sydrach comme une des sources de l’Image nous devions admettre le contraire : bref, le Sydrach n’a pas été employé par Gossouin ; au contraire l’auteur du Sydrach a fait de nombreux emprunts à l’Image.

Cet ouvrage[6] de science populaire, un des plus répandus au moyen âge, prétend à une origine plus ou moins fabuleuse. D’après une de ses légendes, le philosophe Todres envoya, de la cour de l’empereur Frédéric II, le texte latin au patriarche Albert d’Antioche. Ce Todros (Théodore) philosophus était, de fait, l’astrologue de l’empereur Frédéric ; il a traduit beaucoup d’ouvrages arabes pour son maître.

Albert est aussi un personnage historique : il était patriarche latin d’Antioche (1228-1246).

Le prologue est censé avoir été écrit à Tolède en 1243.

Langlois fait remarquer que nous ne possédons pas un seul manuscrit du Sydrach qui soit antérieur à la seconde moitié du XIIIe siècle. Aussi la soi-disant prédiction du siège et de la destruction d’Antioche[7] nous induit à croire, avec Langlois, que le Sydrach a été écrit après cet événement, c’est-à-dire après le 19 mai 1268.

Les preuves cependant ne sont pas absolues et, dans le doute, nous maintenons nos citations.

Si le futur éditeur du Sydrach en arrive à confirmer les conclusions de Langlois, il nous saura gré de lui avoir épargné en partie la tâche laborieuse de la recherche des sources.

Nous terminons ce chapitre en donnant la liste des sources citées dans notre texte. La liste des ouvrages et des éditions employées se trouvera dans la bibliographie.

Sources employées directement par Gossouin[8].

Adélard de Bath.
Boèce.
Gervaise de Tilbury.
Giraldus Gambrensis.
Honorius Augustodunensis.
Neckam.
Orose.

Philosophia Mundi.
Jacques de Vitry.

Sources indirectement employées par Gossouin au moyen de traductions, ou auteurs dont les idées seules paraissent avoir influencé l’auteur de l’Image.

Saint Augustin.
Aristote.
Bède.
Clément d’Alexandrie.
Saint Grégoire le Grand.
Suidas ou Hilduin.
Platon.
Pseudo-Callisthène.
Ptolémée.

  1. Paulin Paris, Les manuscrits français de la bibliothèque du roi (Paris, 1842).
  2. Fritsche, Untersüchung über die Quellen der Image du Monde (Halle a/S., 1880).
  3. V. Histoire littéraire de la France t. IX, p. 42.
  4. V. fo 117 a et b. Le savant ouvrage de Sandys (History of classical scholarship. Cambridge 1906-08, 8°), contient des informations très détaillées sur les connaissances du grec au moyen âge. Il mentionne les traductions de Boèce (o. c. p. 253 s.) et cite un poème de cet auteur qui est entièrement inspiré par le Timée et le Gorgias de Platon (o. c. p. 256). Boèce cite aussi Homère.

    Les auteurs grecs que nous donnons parmi les sources sont les suivants :

    Aristote. — Physique : Boèce en donne de nombreuses citations dans ses ouvrages (Sandys, o. c. p. 256). Nous en avons vu nous-même une traduction latine dans un manuscrit du XIIIe siècle au British Museum.

    Métaphysique : Il s’en trouve une traduction latine au British Museum dans un manuscrit du XIIIe siècle.

    De Cœlo : « Aristotelis de Cœlo et Mundo libri 3 » (manuscrit latin du XIIIe siècle au British Museum).

    Platon. — Gorgias : Traductions dans Boèce (Sandys, o. c. p. 256).

    Timée : Traductions dans Boèce. Aussi nous avons vu au British Museum un manuscrit latin du Xe siècle : Chalcidii interpretatio latina Timœi Platonis.

    Pseudo-Callisthène. — On possède des traductions latines nombreuses de cet auteur dès le VIIe siècle (cf. Budge. Alexander the Great. Cambridge 1889. p. liv.). C’est dans l’ouvrage du Pseudo-Callisthène que se trouve la Lettre d’Alexandre à Aristote dont il y a plusieurs manuscrits latins au British Museum datant dès le XIIe siècle.

    Ptolémée. — Almageste : Cet ouvrage a été traduit de l’arabe en latin par ordre de Frédéric II en 1230 (v. Halma. Almageste. Paris, 1813, p. 39).

    Suidas. — Vita Dionysii, traduction latine par Robert de Lincoln (v. Fabricius. Bibliotheca Græca t. VI p. 402).

  5. V. Langlois, o. c. p. 195 s.
  6. V. Suchier und Birch-Hirschfeld : Geschichte der Französischen Literatur (Leipzig et Vienne, 1900) p. 223, 224.
  7. Langlois, o. c. p. 197.
  8. C’est à dessein que nous omettons Vincent de Beauvais. Dans le cours de tout l’ouvrage nous n’avons que cinq fois l’occasion de le citer, et chaque fois les sources ordinaires fournissent la même matière. Voir texte fos 42 a ; 42 b ; 49 c : 69 b ; 117 d ; 118 d.