Flammarion (p. 45-52).

VII

Lœtitia.

Ainsi le rendez-vous de l’Arche-d’Ormet, dont Stéphane avait cru tirer bénéfice pour son entreprise, s’achevait en une nouvelle énigme. Qu’était cette femme que les circonstances introduisaient dans l’aventure et qu’il ne pouvait désigner que par des surnoms, Nausicaa, Dame de la Camargue ? Qui était-elle en réalité, la vagabonde, la coureuse de dunes, chercheuse de rendez-vous, indifférente à ce qu’on disait d’elle, mal famée, mais diffamée aussi puisqu’il savait qu’en se donnant à lui si généreusement elle se donnait pour la première fois ?

Il voyait assez clair pour affirmer que, si l’étrange créature n’était pas venue d’elle-même et avec la conscience très nette du rôle qu’elle tenait, elle n’ignorait point cependant que son intervention avait été déterminée par certains faits sur quoi elle possédait des indications particulières. Quels faits ? Et comment se rattachaient-ils à la Vénus dérobée, à l’élaboration de la seconde statue, et au suicide de Guillaume Bréhange ?

Durant un jour et demi, des souffles d’ouragan alternant avec des averses torrentielles, Stéphane ne quitta pas et ne songea pas à quitter l’asile où il avait goûté la joie la plus enivrante de sa vie amoureuse. Curieux de la vierge qui s’est abandonnée, il se plaisait à vivre dans son intimité, au milieu du décor composé par elle et des objets dont elle s’entourait.

Une fois épuisées les provisions des sacoches, il n’eut pas de scrupule à entamer celles qu’il trouva dans un des réduits, fromages, gâteaux secs, lait concentré, tablettes de chocolat qu’il fit fondre à la chaleur du feu et, pour Sauvageon, avoine et bottes de foin.

Quelques livres le renseignèrent sur les rêves et les inquiétudes de la jeune femme. Il y avait Daphnis et Chloé, et Manon Lescaut, et Mademoiselle de Maupin, et, à côté de cela, toute une série d’ouvrages et de romans sur la Camargue. Et puis des reproductions de la statuaire grecque et romaine, des photographies. La dernière, qui n’était pas encore placée à sa page d’album, représentait la Vénus d’Arles ! et c’était la même que celle qui avait été achetée au musée du Louvre. Quelle preuve nouvelle du rapport qui reliait entre eux tous ces épisodes d’une même histoire !

— Où que tu sois, je te retrouverai, se dit Stéphane, unissant dans sa pensée la statue cachée et la maîtresse enfuie.

Le temps se rassérénait. Stéphane partit le deuxième jour vers midi. Le matin, il avait découvert, non loin de la cabane, dans la vase épaisse d’une berge d’étang, des traces de sabot que la pluie n’avait pas délayées, et qui lui indiquaient la bonne direction. D’après la position du soleil, la Dame de la Camargue s’en serait allée vers le sud.

De ces empreintes, il en releva encore, une heure plus tard, et d’autres encore, identiques. Et ainsi, entre les étangs rapprochés, sur la terre molle et luisante, parmi les touffes d’enganes que la pluie gonflait comme des éponges, il suivait une vague piste sinueuse, plongeant parfois dans les baisses inondées d’eau.

Ignorant du vrai chemin qu’avait déplacé la galopade effrénée du vent, il se fiait à son cheval, que son instinct et des souvenirs confus, sans doute, guidaient plus sûrement. La bête s’engagea au milieu de marais inquiétants et, peut-être, évita les abîmes de boue mouvante où s’enlisent les imprudents.

Un troupeau de bœufs, au loin, s’éparpillait autour de la silhouette du gardian. Sauf cette rencontre, sauf un vol de flamants roses, quelques râles et des sarcelles, rien de vivant sur le désert.

Et trois heures s’écoulèrent ainsi. Sous le ciel, de nouveau gris et bas, Sauvageon marchait d’une allure égale et pesante, avec la tranquillité d’une bête qui sait où elle va. Stéphane ne le savait pas, lui. Il eût été aussi bien à droite qu’à gauche, et d’ailleurs, y a-t-il une droite et une gauche, pour qui tourne au hasard dans l’étendue d’un cercle ?

Parmi les brouillards de l’horizon, il aperçut quelque part un petit train qui rampait. Ailleurs, une auto. Mais n’était-ce pas une hallucination, puisque ne s’offrait aucune route, aucune ligne de chemin de fer ? Il pénétrait de plus en plus dans une région de mirage et de fantaisie, où il se risquait à la poursuite de quelque fée invisible.

L’aspect de la nature semblait, du reste, changer. Une ombre de végétation verdoyait aux rameaux des arbustes. Les tamaris devenaient plus fournis. Des pentes douces le menèrent dans un bois de bouleaux. Le sol redescendit, puis remonta. Et une longue barre traversa l’espace devant lui, à une lieue ou deux de distance, comme si une muraille courait au ras du sol.

Une heure plus tard, ce fut encore un bouleversement des choses. Le sol de boues durcies ou de sables humides, délivré de l’eau envahissante, consolidé par des pierres, s’élevait insensiblement, dans un désordre de chaos, qui prenait forme parmi les brumes désagrégées. Il atteignait le pied d’on ne sait quelle construction. Falaise ou digue ? Muraille cyclopéenne ?

Rempart inaccessible, en tout cas, composé de blocs en équilibre, creusé de fissures que le mistral nettoyait de toute herbe et de toute plante. Et par-dessus cet amoncellement de douze ou quinze mètres de hauteur, on voyait de puissants rameaux de pins parasols qui dépassaient.

Si la fugitive avait précédé Stéphane sur les mêmes pistes, elle avait dû contourner l’obstacle, bifurquer à droite ou à gauche. Au hasard, il choisit la droite et, tenant la bride de Sauvageon, il marcha au milieu d’éboulements que la marée des eaux déchaînées par la tempête avait dû battre souvent de ses flots salés.

Il peinait. L’expédition devenait âpre et fatigante. À ce moment, un incident se produisit qui ajouta à son désarroi. Sauvageon, astucieux et sournois comme beaucoup de Camarguais, profita de quelques secondes où Stéphane passait la bride d’un bras à l’autre, pour reculer d’un bond. La bride sauta. Sauvageon pivota sur lui-même et se mit à trottiner sur la piste qu’il venait de suivre sous le rempart. Aucun espoir de le rattraper. Il emportait les sacoches et la pèlerine.

Stéphane, qui se décourageait, retrouva toute son ardeur. La digue énorme, d’ailleurs, commençait à s’infléchir vers le sud, et il semblait à Stéphane que chaque pas le rapprochait du but qu’il ne connaissait point.

Encore un effort, et puis un autre…

Il ne s’était pas trompé. Tout d’un coup, sans qu’aucun pressentiment l’en eût averti, la mer se découvrit, grise, immobile, glacée d’aspect sous un ciel de métal, et infinie.

La muraille aboutissait là, du moins dans sa partie infranchissable, car elle se prolongeait vers la droite, plus basse et selon la courbe des plages que vient baigner la Méditerranée.

Il se reposa un moment. Il était cinq heures. Le jour s’était assombri. Puis il descendit sur un sable constellé de parcelles brillantes comme des grains de mica.

À gauche, à l’intérieur du rempart qu’il avait dépassé, et qui semblait l’enceinte d’un domaine isolé, un poteau portait cette inscription : « Jardin des Hespérides ». Des masses noires de pins d’Alep, abrités du nord, s’amoncelaient sur une terrasse, et paraissaient arrangés selon l’architecture d’un jardin qu’il ne discernait point. La terrasse, haute d’une dizaine de mètres, bordait la conque d’une baie et la conque d’une autre baie, que l’on devinait par-dessus un promontoire. Et, immédiatement en face de Stéphane, avançait dans la mer un petit môle auquel étaient amarrés un yacht luisant et fin et une péniche courte et trapue. Il lut le nom du môle : pointe de Minerve. Il lut le nom du yacht « Le Castor ».

— Minerve… Castor, se dit Stéphane… Toujours des noms mythologiques… Le cheval s’appelle « Bucéphale », la cabane est celle d’Amalthée, et le domaine est le Jardin des Hespérides. Mon intuition ne fut-elle pas juste quand je l’ai nommée, elle, Nausicaa ?

Il n’y avait personne. Sur la terrasse, sur la plage assombrie, sur la vaste mer, personne. Il s’approcha et gagna le môle. Deux bancs y étaient disposés.

Mais, s’étant penché pour observer les deux embarcations, il retint un cri de stupeur. Sur le pont du yacht près de la passerelle, deux grosses valises de cuir s’appuyaient l’une contre l’autre. Et ces valises, il les reconnaissait. C’étaient les siennes, celles qu’il avait envoyées d’avance en gare de Port-Saint-Louis-du-Rhône.

Il dégringola de la jetée par des crampons de fer scellés au mur et sauta sur le pont. Aucun doute possible. De vieilles étiquettes, collées au cuir, rappelaient ses voyages récents ! Des initiales étaient gravées : les siennes !

Stéphane se plaisait trop à ces jeux du hasard pour en chercher l’explication, et ne point leur laisser cette apparence merveilleuse qui en faisait l’agrément. La série des phénomènes continuait. Il n’y avait qu’à se laisser bercer au rythme d’événements, dont il goûtait fortement la saveur.

Il visita le yacht, vedette transformée, à puissant moteur, qui contenait une salle à manger et un salon exigu. Dans la péniche voisine, trois cabines confortables étaient aménagées, où il vit des ouvrages de femme et quelques livres spéciaux, comme les Liaisons dangereuses et les Contes drôlatiques.

Il se sentait tellement à l’aise et loin de tout, qu’il alla chercher ses valises, s’offrit une douche dans un recoin fort bien agencé, changea de vêtements, mangea ce qu’il trouva dans la cuisine du yacht, éteignit la lampe allumée, et s’endormit au creux d’un fauteuil.

Le bruit d’un moteur le réveilla. Dans l’obscurité du soir, il perçut le halètement lointain d’un canot automobile et vit le fanal qui veillait à l’avant. Le canot dut atterrir sur l’autre versant du promontoire. Il vit aussi des silhouettes d’hommes, qui montaient sur la terrasse, à cinq ou six cents mètres de distance, et qui se rapprochaient en se servant, sans doute, du fanal. Neuf heures sonnèrent à une horloge. La lumière glissait le long du parapet.

Stéphane monta, de son côté, par un escalier qui tournait dans le mur de la terrasse, et qui faisait pendant à l’autre. Une large avenue traversait le bois touffu des pins parasols, et le conduisit aux pelouses qui ornaient la terrasse. Tout au bout, des lumières brillaient aux fenêtres d’un bâtiment, château ou maison, dont on distinguait la masse allongée.

Pour n’être pas vu, Stéphane se glissa le long des haies d’arbustes taillés, et il arriva ainsi sur un terre-plein peu élevé d’où il dominait la partie de la terrasse qui s’étendait cent mètres plus loin, devant le château, en face de la mer.

Elle était animée par des groupes de jeunes femmes et d’officiers de marine qui s’y promenaient sous la lueur des torches. Une musique douce s’éleva, musique de mandoline que jouait une lourde gitane en noir, assise sur le perron, et qu’elle accompagnait d’une voix grave de contralto.

Quand elle eut fini, elle joua un tango que quatre couples dansèrent, quatre femmes, vêtues de blanc, et quatre officiers. Un cinquième officier chantait en anglais avec des intonations pâmées et sensuelles, d’une poésie vulgaire et prenante.

Durant deux heures, on dansa. Un vieux domestique à costume de gitane offrait des coupes de champagne.

Stéphane ne doutait pas que la Dame de la Camargue ne fût parmi les femmes. Mais comment la reconnaître ? Toutes les quatre, de loin, paraissaient également flexibles, onduleuses et pleines de grâce, et tour à tour chacune d’elles lui donnait l’impression qu’il voyait sa maîtresse d’un soir. Quand elles se présentèrent toutes quatre en une danse rythmique, ce fut un enchantement. Stéphane admirait indifféremment la distinction de leurs gestes, la chasteté de leurs attitudes et la légèreté de leurs évolutions. Leurs jambes et leurs bras apparaissaient nus sous le voile impalpable de leurs tuniques grecques.

Au dernier coup de minuit que sonna l’horloge du château, les lumières s’éteignirent et les officiers s’en allèrent. Dix minutes plus tard, le fanal du canot glissait sur la mer, au milieu des détonations du moteur.

La magie de tant de beauté radieuse retint Stéphane dans le jardin, tout ému par le souvenir du joli corps qu’il avait pressé contre lui, et par l’espoir de le saisir de nouveau entre ses bras. Son cœur battait davantage à chaque pas qu’il faisait vers la demeure inconnue. Cette journée de miracles ne s’achèverait-elle pas sur le miracle suprême de trouver là l’ensorcelante et naïve Dame de la Camargue ? Il y croyait fermement.

Des volets furent clos. Au premier étage, trois fenêtres, puis deux, restèrent allumées. Bientôt il n’y en eut plus qu’une. Au balcon s’appuyait une silhouette blanche. Il sortit de l’ombre et passa entre des massifs d’arbustes et les fenêtres du rez-de-chaussée. Il était impossible qu’elle ne le remarquât pas.

Il fit un geste de la main. Elle chuchota quelques mots qu’il ne put entendre et elle rentra dans la chambre. Il attendit un moment. Tout fut éteint. Puis il vit quelque chose qui descendait le long du mur. C’était une échelle de corde. Quand elle fut assujettie là-haut et qu’il en eut éprouvé la résistance, il monta et avisa dans les ténèbres la forme blanche. Deux bras l’étreignirent et une bouche lui donna un baiser frais, parfumé, qui lui sembla plus frais et plus imprégné de parfums de fleurs que tous les baisers qu’il eût jamais reçus.

Il l’interrompit pour dire toute sa joie :

— Nausicaa !… comme je suis heureux, chère Nausicaa !

Elle frissonna contre lui et l’excès de son plaisir dut la faire souffrir, car elle eut un mouvement insolite pour se dégager, comme si elle voulait reprendre conscience avant de s’abandonner. Il la retint prisonnière, et, quoiqu’elle s’efforçât de rejeter son buste en arrière, il l’attirait avec un tel désir que la bouche qui se dérobait fût prise de nouveau.

Elle balbutiait éperdue :

— Je vous en prie… je vous en prie…

Mais son corps défaillait. Ses jambes fléchirent. Elle s’agenouilla sur un lit de coussins proche, s’y étendit soudain avec la résolution farouche du consentement et bientôt ne fut plus que gémissement et pâmoison.

Sans doute avait-elle épuisé d’un coup toutes les raisons incompréhensibles de sa vaine résistance, car elle ne laissa pas à son amant le loisir de parler. Elle semblait hostile à toute explication et ne répondait que par un redoublement de caresses et des exigences auxquelles il cédait avec un ravissement étonné.

— Nausicaa… chère Nausicaa… l’amour vous a déjà toute changée.

Il retrouvait une maîtresse plus experte et plus ingénieuse, avec un corps plus sensible et des formes plus pleines. Et toujours cette fraîcheur du baiser…

Elle quitta le lit et alla doucement ouvrir la fenêtre et accrocher l’échelle, Elle avait recouvert sa nudité d’une longue chemise. Stéphane l’ayant rejointe, elle lui entoura le cou de ses deux bras et dit, d’une voix basse et enjouée :

— J’ai quelque chose à vous avouer, mon ami. Mais la confidence est si terrible que je n’ose pas…

— Osez, ma chère Nausicaa…

— Je ne m’appelle pas de ce nom.

— Je le suppose bien. Mais je ne connais que celui-là… ou que Dame de la Camargue.

— Je ne suis pas cette jolie Dame, non plus ; il faut, avant de partir, que vous le sachiez… et aussi que je vous voie, mon amant…

De sa main tendue vers une lampe, elle alluma. Ce n’était pas, en effet, celle qu’il appelait la Dame de la Camargue, ou Nausicaa. Elle lui ressemblait un peu de visage, et le corps, sous la chemise impalpable, ne différait guère du corps de Nausicaa, mais ce n’était pas elle.

Stéphane la contempla, stupéfait. Elle se mit à rire :

— Vous en cherchiez une autre, et moi j’en attendais un autre. Vous êtes témoin que, dès le début, quand j’ai compris mon erreur, j’ai résisté. Mais, que voulez-vous, il y a des limites à tout. Et vous avez employé des arguments qui ont eu raison de ma vertu. Je ne le regrette pas. Et vous, monsieur mon amant, vous n’êtes pas trop déçu ?

Elle le menait vers la fenêtre. Elle l’enlaça :

— Le dernier baiser, mon ami.

Ce fut long et cela s’acheva en d’autres caresses qui retardèrent une séparation que ni l’un ni l’autre n’acceptaient de bonne grâce.

— Dites-moi votre nom, je vous en supplie, demanda-t-il.

— Lœtitia… Seulement il faut oublier… et oublier toute cette nuit. Nous avons fait une folie… Que personne n’en souffre… Adieu… Un baiser encore… le vrai dernier.

Il se laissait faire, sans plus songer à la questionner davantage. Il embrassa les lèvres si fraîches. Il enjamba le balcon. Il était abasourdi.

Ce n’est qu’à la fraîcheur de la nuit que Stéphane recouvra son aplomb et qu’à son retour il s’amusa de l’aventure. La jeune femme avait dit vrai en invoquant leur méprise réciproque, et en rappelant son effort initial pour le repousser. La faute commise, autant s’y complaire avant de la révéler. Elle s’y était complu sans réserve, Stéphane également.

— Allons, se dit-il en riant, voilà une énigme de plus ! Quelle est cette femme qui semble si peu embarrassée d’une erreur, assez considérable cependant, et qui ne s’inquiète pas plus de mon nom que si elle le connaissait déjà ? Que de miracles encore ! Celui-ci n’est pas le moins agréable et termine bien la journée.

Il se trompait. Un autre miracle l’attendait dont il n’eut pas à se réjouir. Presque en bas des crampons de fer par où il atteignait le pont du Castor, il reçut à la jambe un choc si violent qu’il dut lâcher prise et tomba. Un homme se jeta aussitôt sur lui et le saisit à la gorge, cherchant à l’étrangler.

Il lutta désespérément. L’agresseur était solide et serrait avec des doigts puissants. Malgré tout, comme ils roulaient sur le parquet, Stéphane réussit à sortir un revolver et tira, sans pouvoir viser. Aussitôt, l’homme se dégagea, recula d’un pas ou deux, et, s’élançant de nouveau, frappa Stéphane à la tête, avec l’instrument dont il s’était servi pour le frapper déjà à la jambe.

Stéphane fut étourdi. Dans un effort suprême, il tira une seconde balle. L’individu, effrayé, sauta par-dessus le bastingage et plongea dans la mer.

Stéphane resta dix minutes assis au pied d’un mât et tenant son revolver, au cas d’un retour offensif. Mais ses idées s’embrouillaient. Un afflux de sang montait à son crâne douloureux, tandis qu’il se répétait avec opiniâtreté et d’une voix de plus en plus faible :

— Il ne faut pas qu’on sache que j’ai été attaqué. Il ne le faut pas.

Sa pensée confondait les deux femmes qu’il ne voulait pas inquiéter… ses deux maîtresses… la Dame de la Camargue… et puis l’autre… Lœtitia, qui avait les lèvres si fraîches.

Aux premières lueurs de l’aube naissante, quelqu’un vint, qui sifflotait comme un homme qui flâne en se rendant à son travail quotidien. Il descendit l’échelle. Il portait une vareuse de matelot, avec des boutons de métal.

Il aperçut le blessé et se récria.

Stéphane eut le temps de balbutier :

— Je suis tombé. Ma tête a porté je ne sais où…

— Vous en faites pas, mon bon monsieur, lui dit l’homme en le relevant, Solari va vous soigner. Solari, c’est moi, le patron du Castor, je devrais dire le mécanicien, car je suffis à tout, avec un camarade.

Mais Stéphane n’écoutait pas. Il s’était évanoui.