E. Flammarion (p. 185-189).

CHAPITRE XXI


D’un dialogue entre Maurin et son futur beau-père Orsini qui lui donne des nouvelles de Madame Thémis.

Un vague besoin d’ordre et de paix prenait Maurin depuis quelque temps. Il avait mis ses plus beaux vêtements, et s’en fut trouver Orsini.

Le forestier était sorti.

— Pour l’amour de Dieu, s’écria Tonia dès qu’elle aperçut Maurin, va-t’en !… Je ne sais, depuis quelques jours, ce qu’a mon père ; il ne me parle plus et serre les dents quand il me regarde.

— Je ne m’en vais pas, vu que je veux, dit Maurin, te demander à lui, aujourd’hui même, en mariage !

Orsini entrait.

— Toi, ici ! dit-il avec colère à Maurin. Tu as vraiment du courage !… Écoute donc : puisque tu es entré comme mon hôte, sors en paix. Mais je te préviens qu’une heure après ta sortie, je te traquerai sans pitié, partout où je te rencontrerai.

— Oh ! oh ! dit Maurin, je regrette pareil accueil, je ne m’y attendais guère ! Et j’avais à vous parler aujourd’hui d’une chose d’importance. Mettez la muselière à votre colère et écoutez-moi. Il y va peut-être de notre repos à tous, à vous, à Tonia et à moi.

— Et qu’est-ce que Tonia a de commun avec toi ?

— J’ai pris des résolutions nouvelles, Orsini. Les choses pour lesquelles on me poursuit méritent, je le calcule ainsi, plutôt récompense que punition. C’est ce que j’ai résolu de faire connaître à la justice. Je me livrerai donc prisonnier ; on pourra me juger selon la vérité, on m’acquittera, — c’est sûr. Et alors, Orsini, je reviendrai vous dire : Donnez-moi Tonia en mariage, car je l’aime et elle ne me déteste pas, que je crois…

Orsini fît un mouvement que Maurin arrêta d’un geste :

— Mais je ne suis d’humeur à me livrer aux juges que si j’ai d’abord votre promesse. Vous me comprenez ?

— Il est bien temps ! s’écria Orsini. Tu n’es plus un homme contre qui on fait une enquête, et ce n’est plus l’ordre de t’amener qui est lancé contre toi. C’est l’ordre de t’arrêter pour la prison ! Tu n’es plus un prévenu, tu es un condamné.

— Condamné ! dit Maurin pâlissant. Et à quoi, bon Dieu !

— Trois jours de prison, cinquante francs d’amende, dit Orsini. Tu as maintenant un casier judiciaire. Tu es condamné par défaut pour coups et blessures ; le vol d’un chien n’a pas été prouvé.

Maurin paraissait consterné. De la surprise il restait muet et immobile. Tonia également.

— C’est donc pour cela, mon père, dit-elle, que vous paraissez si triste ?

— Triste ! cria Orsini, triste ! pourquoi serais-je triste ? Est-ce que j’ai à être triste pour un malheur qui ne regarde ni moi ni les miens ? Triste, non ; mais indigné, oui ; furieux, oui, qu’un tel homme entre dans ma maison de garde, dans une honnête maison, et ose me demander ma fille !… Hors d’ici, coquin !

— Je croyais, dit Maurin avec calme, les Corses toujours convenables envers leur hôte et moins sévères à l’habitude pour des bandits plus coupables que moi, quand bien même j’aurais fait les choses dont on m’accuse !

Orsini parut sensible à ce reproche.

— Et qui te dit que je n’ai rien d’autre à te reprocher moi-même ?

— Et quoi donc ?

— Tu ne le devines pas ? N’as-tu pas parlé au congrès l’autre jour contre Cabantous, un homme fidèle à la cause des Bonaparte, qui est la cause de tous les Corses ?

— Oh ! oh ! dit Maurin, c’est de cela qu’il retourne ?

— C’est de cela.

— Alors, beau-père, dit Maurin d’un air de raillerie méprisante, vous vous mêlez de ce qui ne vous aregarde pas.

— Un homme tel que toi amènerait le désordre dans ma maison, reprit Orsini avec force. Nous ne nous entendrions jamais. Je voterais d’une couleur et tu voterais d’une autre. Je veux un gendre dans mes idées, et non une manière de révolté, un homme qui est contre toutes les règles, un républicain et un anarchiste ! Hors d’ici, voleur de chien !

Tonia fit un pas vers son père qui la repoussa.

Maurin haussa les épaules.

— Il est très vrai, dit-il, que j’ai donné une bonne leçon à un chasseur qui battait son chien ; il est véritable que son chien m’a suivi et n’a plus voulu me quitter. Le nom de l’homme et son adresse à Cannes sont sur le collier ; je pensais à lui ramener son animal un jour ou l’autre. Eh bien ! je ne le lui ramènerai pas. La bête a choisi son maître. Je la laisse libre de retourner toute seule à Cannes, à pied ou par le train, c’est tout ce que je peux faire ! Quant à la condamnation, j’en suis fâché, mais en même temps je m’en moque ! Elle restera sur le papier. Un jour de prison qui est un jour, je ne le ferai pas. Une punition donnée pour un motif pareil, non, je ne l’accepte pas. J’ai pour moi la vraie justice. Saulnier a, d’une Société d’animaux, une décoration parce qu’il aime les renards et les belettes et qu’il s’en fait aimer. Il ne sera pas dit qu’un citoyen de France fera de la prison pour avoir protégé un chien !… Adieu, Orsini.

« Ni toi ni tes amis les gendarmes, vous ne me prendrez. Et si Sandri revient à ses projets de mariage avec ta fille, ce n’est pas pour avoir attrapé Maurin qu’on le fera brigadier, tu peux le lui dire et il en peut être sûr… Adieu, Tonia. Votre père est votre père. Respectez-le.

« Ce n’est pas moi qui vous détournerai de sa maison, mais je calcule que vous pensez autrement que lui et que vous n’êtes pas fille à mépriser Maurin aujourd’hui qu’il est malheureux, beaucoup plus malheureux qu’hier.

Tonia fit un pas vers Maurin qui se retirait. Orsini étendit le bras pour saisir sa carabine.

— Ici, Tonia !… Et toi, dehors, voleur !

Maurin, près de sortir, se retourna vers Tonia toute frémissante d’inquiétude :

— Vous le voyez, Tonia, dit-il, ce n’est pas ma faute. Maurin vous eût épousée volontiers à cette heure, car vous êtes brave et jolie. Mais Maurin n’a pas de chance. Oubliez-moi, Tonia, et pardonnez-moi la peine que je vous cause.

Et il s’en alla.

Son bâton en main, Hercule sur ses talons, il suivait le grand chemin…