L’Idylle vénitienne/Premier Baiser

Georges Crès et Cie, Éditeurs (p. 22-24).


VIII

PREMIER BAISER


Cet après-midi, tandis qu’Othello et Don lago faisaient la sieste, nous avons pris, aux Fondamente Nuove, le bateau qui mène à Murano. La gondole eût été trop lente ! Nos pauvres cœurs, pour être seul à seul, n’avaient qu’une petite heure…

Cependant, en nous pressant un peu, nous avons pu tout voir, là-bas, — le porche de San-Donato, les quais, la place, le pont Vivarini, pareil, au-dessus du canal limpide, à un sourcil blond sur un œil bleu, — et visiter, au Municipio, le musée désert où vibre, à chaque mot qu’on dit, l’âme frêle des glaces et des lustres.


* *

Ô pèlerins romanesques qui, après nous, promènerez vos spleens ou votre fièvre dans ces salles tendues de cristal, ô Roméos voyageurs, ô Juliettes nomades, ô misses rêveuses, ô backfischs, arrêtez-vous, le temps d’un soupir, devant le miroir terni qui refléta son sourire, et dans lequel j’ai regardé la trace de ses dents sur mes lèvres !