L’Idylle vénitienne/Hélas !

Georges Crès et Cie, Éditeurs (p. 86-88).


XII

HÉLAS !


Tout le jour, je vous ai toute à moi, à moi seul, rien qu’à moi, dans mon palazzino

Il y a tant de choses à voir, à Venise, tant de Tintorets, tant de Véronèses, qu’il faut bien que vous quittiez l’hôtel, aussitôt que paraît l’aurore, et n’y rentriez qu’à la brune ? Votre mari l’a, enfin, compris !

Mais, dès la première étoile, il redevient votre maître… Il s’assied à table, près de nous ; il nous accompagne à la sérénade ; il vous emprisonne, hélas, dans sa chambre ! Et je suis Werther ; vous, Charlotte !… Et je monte mon escalier en pleurant… Et j’ai envie de mourir… J’ouvre mon dictionnaire de rimes… je cherche, dans Macpherson, quelque triste lied à traduire… je m’accoude à ma fenêtre… je parle de vous à la brise, au silence, au clair de lune… j’écoute les campaniles chanter, de leur voix narquoise, les heures qui nous séparent…


Que ne vous ai-je connue au temps heureux du solstice estival, où la nuit, du bord du crépuscule à la lisière de l’aube, n’est plus qu’un petit pont de jade, tout petit, entre deux rivages roses !