L’Idiot/I/Chapitre 4

Traduction par Victor Derély.
Plon (Tome 1p. 45-62).

IV

Les demoiselles Épantchine étaient toutes trois d’une constitution robuste et jouissaient d’une santé superbe ; elles avaient des épaules étonnamment développées, une poitrine puissante et des biceps presque masculins. À cette vigoureuse organisation correspondait, comme de juste, un estomac exigeant, et parfois leur mère, Élisabeth Prokofievna, faisait la mine en les voyant manger avec un appétit aussi féroce que dénué de vergogne. Mais comme, malgré le respect extérieur que lui témoignaient ses filles, celles-ci avaient depuis longtemps perdu l’habitude de s’incliner devant ses idées, la générale, dans l’intérêt de sa dignité personnelle, croyait devoir s’abstenir de toute observation. Très-souvent, à la vérité, le caractère refusait de se soumettre aux décisions de la sagesse ; d’année en année Élisabeth Prokofievna devenait plus capricieuse, plus impatiente, disons même plus fantasque. Par bonheur, elle avait sous la main un mari très-endurant sur qui, d’ordinaire, elle passait sa mauvaise humeur ; ensuite l’harmonie renaissait dans le ménage et tout marchait le mieux du monde.

Au reste, la générale elle-même ne manquait pas d’appétit ; à midi et demi elle avait coutume de s’attabler avec ses filles devant un plantureux déjeuner qui pouvait presque compter pour un dîner. Auparavant les demoiselles avaient déjà pris une tasse de café que, suivant un usage établi par elles une fois pour toutes, on allait leur porter dans leur lit à dix heures précises, au moment où elles s’éveillaient. À midi et demi le couvert était mis dans une petite salle à manger voisine de l’appartement d’Élisabeth Prokofievna. Ivan Fédorovitch lui-même, quand ses occupations le lui permettaient, assistait à ce repas d’un caractère tout intime. Il y avait sur la table du thé, du café, du fromage, du beurre, du miel, des côtelettes, certains beignets que la générale affectionnait, etc. On servait même du bouillon chaud. Le matin où commence notre récit, toute la famille réunie dans la salle à manger attendait le général, qui avait promis sa présence pour midi et demi. S’il avait été en retard, ne fût-ce que d’une minute, ou l’aurait aussitôt envoyé chercher, mais il arriva exactement. En s’approchant de sa femme pour lui souhaiter le bonjour et lui baiser la main, il remarqua cette fois dans sa physionomie un je ne sais quoi d’inquiétant. Dès la veille, il avait pressenti qu’il en serait ainsi aujourd’hui à cause d’une « anecdote » (c’était le mot dont il aimait à se servir), et le soir, avant de s’endormir, il s’était tracassé l’esprit à ce propos, mais le fait, pour être prévu, ne l’en alarma pas moins. Les jeunes filles vinrent embrasser leur père ; quoiqu’elles ne fussent point fâchées contre lui, il semblait aussi y avoir chez elles quelque chose de particulier. Certaines circonstances, il est vrai, avaient rendu le général fort suspect aux siens, mais, comme c’était un père adroit et un époux expérimenté, il prit immédiatement ses mesures.

Au risque de nuire à l’ordonnance de notre récit, force nous est d’intercaler ici une longue parenthèse pour expliquer la situation de la famille Épantchine au moment où commence cette histoire. Quoique le général n’eût point fait d’études et se fût, suivant son expression, instruit lui-même, il ne laissait pas d’être, comme nous venons de le dire, un époux expérimenté et un père adroit. Tandis que la plupart des gens à qui le ciel a accordé une nombreuse progéniture féminine ne songent qu’à la marier le plus vite possible, Ivan Fédorovitch avait, au contraire, pour système de ne point pousser ses filles au mariage, de n’exercer aucune pression sur elles, et il était même parvenu à faire partager sa manière de voir à sa femme. Ç’avait été difficile sans doute, car l’amour des parents pour leurs enfants semble mal s’accommoder d’une telle méthode, mais le général invoquait des arguments fort topiques à l’appui de son système. Laissées entièrement libres, les jeunes filles se mettraient elles-mêmes à l’œuvre dès qu’elles sentiraient venu le moment de s’établir, et alors l’affaire marcherait rondement, attendu qu’elles s’emploieraient de tout leur cœur à la faire réussir, bannissant les vains caprices et les prétentions excessives ; le rôle des parents se bornerait à prévenir tout choix fâcheux, toute inclination déplacée, grâce à une surveillance aussi active et aussi occulte que possible. Enfin, il y avait encore ce fait que la fortune et l’importance sociale de la famille s’accroissaient chaque année suivant une progression géométrique : par conséquent, à mesure que le temps marcherait, les demoiselles Épantchine deviendraient des partis de plus en plus brillants. Mais pendant que le général raisonnait de la sorte, soudain se produisit un fait qu’on aurait pu facilement prévoir et qui néanmoins fut une surprise pour tout le monde : la fille aînée, Alexandra, atteignit brusquement sa vingt-cinquième année. Presque en même temps Afanase Ivanovitch Totzky manifesta, malgré ses cinquante-cinq ans, le désir de prendre femme. Appartenant au grand monde, immensément riche, homme de mœurs élégantes et de goûts délicats, Totzky voulait se bien marier et il appréciait extrêmement la beauté. Comme depuis quelque temps il était fort lié avec Ivan Fédorovitch, son associé dans plusieurs entreprises financières, il lui fit part de ses intentions, et, sous couleur de solliciter un conseil amical, lui demanda s’il pouvait sans témérité aspirer à la main d’une de ses filles.

La plus belle des trois était, nous l’avons déjà dit, la plus jeune, Aglaé. Mais Totzky lui-même, bien que d’un égoïsme extraordinaire, comprenait qu’il n’avait rien à espérer de ce côté-là et qu’Aglaé ne serait pas pour lui. Aveuglées peut-être par une tendresse excessive, Alexandra et Adélaïde rêvaient pour leur cadette une destinée exceptionnellement brillante, l’idéal de la félicité terrestre. Indépendamment de la fortune, le futur mari d’Aglaé devait posséder tous les avantages, toutes les perfections. Par une sorte d’accord tacite il avait même été convenu entre les deux sœurs aînées que, s’il le fallait, elles feraient un sacrifice en faveur de la plus jeune, afin de lui constituer une dot véritablement colossale. Les parents savaient cela ; aussi, lorsque Totzky eut fait connaître ses intentions matrimoniales, ils se crurent à peu près certains d’obtenir le consentement d’Alexandra ou d’Adélaïde, d’autant plus que la question de la dot ne pouvait en être une pour Afanase Ivanovitch. Profondément versé dans la science de la vie, le général avait dès l’abord accueilli avec toute la considération qu’elles méritaient les ouvertures de Totzky. Comme ce dernier, par suite de circonstances particulières, s’était aventuré avec beaucoup de circonspection et n’avait fait, pour ainsi dire, que sonder le terrain, les parents, à leur tour, en communiquant la chose à leurs filles, eurent soin de la laisser dans un certain vague. La réponse qu’ils obtinrent ne fut pas non plus très-précise, toutefois elle suffit pour les convaincre que, le cas échéant, Alexandra se montrerait docile à leurs désirs. C’était une jeune fille d’un caractère ferme, mais d’une humeur extrêmement égale ; bonne, raisonnable, elle pouvait épouser Totzky sans répugnance, et, si elle donnait sa parole, elle la tiendrait loyalement. Ennemie de l’éclat, au lieu de révolutionner l’existence de son mari, elle y apporterait plutôt le repos et l’apaisement. Sans posséder une de ces beautés qui attirent tous les regards, elle était fort bien de sa personne. Qu’est-ce que Totzky pouvait désirer de mieux ?

Et pourtant l’affaire traînait en longueur. D’un commun accord il avait été convenu entre Totzky et le général que, pour le moment, on s’abstiendrait de toute démarche formelle, de tout engagement irrévocable. Les parents ne se décidaient pas encore à aborder carrément la question avec leurs filles. Bien plus, un dissentiment commençait à se produire entre le père et la mère : Élisabeth Prokofievna était mécontente, symptôme grave. Il y avait là une circonstance gênante ou, comme disait Totzky, un « cas embarrassant », qui pouvait devenir un obstacle invincible.

Pour expliquer cette difficulté, il nous faut remonter à dix-huit ans en arrière. À cette époque, dans une province du centre de la Russie où Totzky possédait un de ses plus riches domaines, il avait pour voisin de campagne un petit propriétaire nommé Philippe Alexandrovitch Barachkoff. C’était un ancien officier, issu d’une famille noble, mieux né même qu’Afanase Ivanovitch, mais poursuivi par la déveine la plus implacable. Criblé de dettes, il avait enfin réussi, grâce à un travail de galérien, à remettre un peu d’ordre dans ses affaires. Au moindre sourire de la fortune, le malheureux reprenait confiance. Le cœur plein d’espoir, il se rendit pour quelques jours au chef-lieu du district où il voulait voir un de ses principaux créanciers et, si faire se pouvait, prendre des arrangements avec lui. Quarante-huit heures après son arrivée, il reçut la visite de son staroste. Cet homme, venu du village à bride abattue, avait le visage couvert de brûlures ; il apportait une sinistre nouvelle : la veille, en plein midi, un incendie s’était déclaré dans l’habitation du propriétaire, la barinia avait péri dans les flammes, mais les enfants étaient sains et saufs. Cette catastrophe inattendue comblait la mesure ; si habitué qu’il fût aux coups du sort, Barachkoff ne put la supporter ; il devint fou, et, un mois après, mourut dans un accès de fièvre chaude. Son bien fut vendu à la requête de ses créanciers ; quant à ses enfants, — deux petites filles de six et sept ans, — la générosité d’Afanase Ivanovitch Totzky pourvut à leur entretien et à leur éducation ; il les fit élever avec les enfants de son régisseur, un ancien employé, Allemand d’origine et père d’une nombreuse famille. Bientôt des deux orphelines il ne resta que Nastia ; sa sœur cadette mourut de la coqueluche. Afanase Ivanovitch, qui résidait alors à l’étranger, ne tarda pas à les oublier l’une et l’autre. Mais, cinq ans après, l’idée lui étant venue d’aller visiter son domaine, il remarqua soudain dans sa petite maison rustique, parmi les enfants de son régisseur, une petite fille de douze ans, vive, intelligente, et qui promettait d’être plus tard une fort belle femme ; sous ce rapport Afanase Ivanovitch avait un flair infaillible. Il ne fit cette fois qu’un court séjour dans sa propriété, néanmoins il eut le temps de prendre certaines dispositions ; un changement complet s’opéra dans l’éducation de la fillette : celle-ci fut confiée à une institutrice suisse, femme âgée, respectable, et très-expérimentée dans son métier, qui, durant les quatre ans qu’elle passa auprès de son élève, lui enseigna le français et les diverses sciences dont l’acquisition est indispensable à une demoiselle bien élevée.

Dans un village d’une province éloignée Totzky possédait un autre domaine, celui-ci peu considérable, où se trouvait une petite maison de bois récemment construite et meublée avec beaucoup de goût. Comme par un fait exprès, la localité s’appelait Otradnoié[1]. À une verste de là habitait une propriétaire veuve et sans enfants. Lorsque Nastia eut terminé ses études, cette dame, munie des instructions et pleins pouvoirs d’Afanase Ivanovitch, alla chercher la jeune fille et, l’ayant amenée à Otradnoié, s’installa avec elle dans la paisible maisonnette. Nastia eut, pour la servir, une vieille femme de charge et une jeune camériste fort experte. Il y avait là des instruments de musique, une jolie bibliothèque ad usum puellarum, des tableaux, des estampes, des crayons, des pinceaux, des couleurs, une admirable levrette, et, au bout de quinze jours, Totzky lui-même arriva… Dès lors il parut affectionner tout particulièrement ce modeste hameau perdu au milieu des steppes ; chaque été il y venait passer deux ou trois mois. Ainsi s’écoulèrent quatre années d’un bonheur élégant et calme.

Un jour, — c’était à l’entrée de l’hiver, quatre mois après un voyage d’Afanase Ivanovitch à Otradnoié où, cette fois, il n’était resté que deux semaines, — Nastasia Philippovna apprit par la renommée que Totzky allait se marier à Pétersbourg : il épousait, disait-on, une jeune fille riche, belle et des mieux apparentées. Comme l’événement le prouva, la voix publique exagérait un peu, car le mariage dont on parlait comme d’une chose à peu près faite n’était encore qu’à l’état de projet vague. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle amena une révolution radicale dans l’existence de Nastasia Philippovna. La jeune fille montra soudain une audace inaccoutumée et révéla le caractère le plus inattendu. Sans hésiter, elle quitta brusquement sa petite maison de bois, partit toute seule pour Pétersbourg et vint tomber comme une bombe dans la demeure d’Afanase Ivanovitch. Stupéfié, celui-ci voulut d’abord élever la voix, mais, dès les premiers mots, force lui fut de baisser le ton : son langage d’autrefois n’était plus de mise, sa logique naguère si persuasive ne produisait plus aucun effet. Devant lui était assise une femme toute différente de celle qu’il avait connue jusqu’alors et qu’au mois de juillet précédent il avait laissée dans le village d’Otradnoié.

En premier lieu, cette femme nouvelle se trouvait savoir et comprendre extraordinairement de choses. Comment son intelligence s’était-elle ainsi développée ? Où avait-elle puisé des données si exactes sur tant d’objets ? Était-il possible que ce fût dans sa bibliothèque de jeune fille ? Fait plus surprenant encore, elle raisonnait sur nombre de points comme un homme de loi et elle avait une connaissance positive sinon du monde, au moins de la façon dont certaines choses s’y passent. En second lieu, son caractère avait subi une transformation complète. Ce n’était plus du tout la fillette d’autrefois, avec ses alternances de timidité et de pétulance, avec ses adorables naïvetés de petite pensionnaire, avec ses tristesses, ses rêveries, ses étonnements, ses larmes, ses inquiétudes…

Non ; Totzky avait maintenant en face de lui une créature étrange qui le narguait, le criblait des sarcasmes les plus acerbes, lui déclarait carrément n’avoir jamais eu pour lui dans son cœur autre chose que le plus profond mépris, un dégoût poussé jusqu’à la nausée ayant aussitôt succédé chez elle à la surprise du premier sommeil. Il pouvait se marier à l’instant même, épouser qui il voulait ; personnellement elle s’en souciait comme d’une guigne, mais elle était venue pour lui défendre ce mariage, et elle le lui défendait par méchanceté, simplement parce que tel était son bon plaisir ; en agissant ainsi, elle n’avait d’autre but que de s’amuser aux dépens de Totzky : chacun son tour ; à présent c’était elle enfin qui allait rire.

Voilà, du moins, comment elle s’exprimait ; peut-être ne disait-elle pas tout ce qu’elle avait dans l’esprit. Tandis que la nouvelle Nastasia Philippovna tenait ce langage, Afanase Ivanovitch réfléchissait sur l’incident et tâchait de mettre un peu d’ordre dans ses idées. Ce ne fut pas sans peine qu’il y parvint. Pendant près de quinze jours il ne sut à quelle résolution s’arrêter. À la fin pourtant son parti fut pris. Le fait est que Totzky, alors âgé d’environ cinquante ans, était un homme des mieux posés dans le monde. Depuis longtemps sa situation sociale était assise sur les bases les plus solides. N’aimant, n’appréciant rien au-dessus de sa personne, de son repos et de son bien-être, il ne pouvait souffrir que la plus légère atteinte y fût portée. D’un autre côté, avec son expérience de la vie et la sûreté de son coup d’œil, Totzky reconnut très-vite qu’il avait maintenant affaire à une créature absolument déraillée : avec elle l’effet suivrait infailliblement la menace, rien ne l’arrêterait parce qu’elle se moquait de tout ; chercher à l’amadouer était donc inutile. Évidemment il y avait ici comme un enfièvrement de l’esprit et du cœur, une sorte d’indignation romanesque, Dieu sait contre qui et à cause de quoi, un insatiable sentiment de mépris qui dépassait toute mesure, — bref, quelque chose de trop contraire aux usages de la bonne société pour ne pas inquiéter au plus haut point un homme comme il faut. Sans doute, avec la fortune et les relations de Totzky, on pouvait commettre une petite scélératesse pour se tirer d’embarras. En outre, il était clair que, sur le terrain juridique, par exemple, Nastasia Philippovna ne se trouvait pas en position de faire du mal, ni même de susciter un scandale quelque peu grave, car il serait toujours facile d’étouffer l’affaire. Donc pas grand’chose à craindre, si la jeune femme se décidait à agir comme on agit généralement en pareil cas, et ne se lançait point dans quelque aventure par trop excentrique. Mais cette considération ne pouvait tranquilliser un esprit aussi clairvoyant qu’Afanase Ivanovitch : il avait lu dans les yeux étincelants de Nastasia Philippovna qu’elle-même se rendait très-bien compte de son impuissance sur le terrain juridique et qu’elle avait dans la tête un projet tout autre. Ne tenant plus à rien, se moquant de sa propre personne encore plus que de tout le reste (il fallait que Totzky fût bien intelligent et bien perspicace pour deviner dans ce moment-là que depuis longtemps déjà elle ne se souciait plus d’elle-même, et pour croire, lui sceptique mondain, à la profondeur de ce sentiment), Nastasia Philippovna, pour assouvir sa haine, était capable de se perdre sans retour, de se faire envoyer dans un bagne sibérien. Afanase Ivanovitch n’avait jamais caché qu’il était un peu poltron, ou, pour mieux dire, conservateur au plus haut degré. Si, par exemple, il avait su qu’on attenterait à ses jours au beau milieu de la cérémonie nuptiale ou qu’on lui cracherait au visage devant tout le monde, il aurait eu peur sans doute, mais moins pourtant de la mort ou de l’insulte en elles-mêmes que de leur caractère shocking. Or Nastasia Philippovna avait deviné cela, quoiqu’elle n’en eût encore rien dit ; il n’ignorait pas qu’elle l’avait profondément étudié, qu’elle le connaissait à merveille, et que, par suite, elle savait où frapper pour l’atteindre à l’endroit sensible. En fin de compte, Totzky mit les pouces et renonça au mariage qu’il avait en vue.

Une autre circonstance encore influa sur sa détermination. On aurait peine à imaginer combien cette nouvelle Nastasia Philippovna ressemblait peu, physiquement, à l’ancienne. Auparavant ce n’était qu’une fort jolie fillette, et maintenant… Totzky s’en voulut longtemps d’avoir été myope pendant quatre années. Du reste, il se rappelait qu’autrefois déjà il y avait eu des moments où d’étranges pensées lui étaient venues en considérant les yeux de la jeune fille : on y pressentait en quelque sorte une obscurité profonde et mystérieuse ; leur regard semblait poser une énigme. Depuis deux ans, Afanase Ivanovitch avait plusieurs fois remarqué avec surprise qu’un changement se produisait dans le teint de Nastasia Philippovna ; elle devenait extrêmement pâle et, — chose étrange, — cela la rendait encore plus belle. Comme tous les viveurs, Totzky avait d’abord fait peu de cas d’une conquête qui lui revenait à si bon marché ; par la suite, il en était venu à se demander s’il n’y avait pas une erreur dans cette manière de voir. En tout cas, depuis le printemps dernier, son intention était de marier prochainement Nastasia Philippovna ; il comptait la doter et lui faire épouser quelque monsieur raisonnable et comme il faut, employé dans une autre province. (Oh ! avec quelle amertume elle raillait maintenant ce projet !) Mais à présent, en retrouvant cette femme parée d’une beauté nouvelle, Afanase Ivanovitch pensa qu’il pourrait encore l’utiliser ; il se décida donc à la garder à Pétersbourg, où il l’installa confortablement comme une maîtresse susceptible de lui faire honneur aux yeux de ses connaissances.

Depuis lors, cinq ans s’étaient passés, et, durant ce laps de temps, bien des choses avaient pris un caractère plus défini. La situation d’Afanase Ivanovitch n’était pas gaie, elle avait surtout ceci de cruel qu’il ne pouvait se remettre de sa première alarme. Il avait peur sans savoir lui-même de quoi, — il craignait simplement Nastasia Philippovna. Pendant les deux premières années, il lui supposa le désir de l’épouser ; si elle se taisait, c’était, pensait-il, par un excès d’amour-propre : elle attendait que lui-même se déclarât. La prétention aurait été étrange, mais Afanase Ivanovitch était devenu soupçonneux : son visage s’assombrissait et il s’absorbait dans des songeries pénibles. Sa surprise fut extrême et (bizarrerie du cœur humain !) mêlée d’un certain déplaisir quand, un beau jour, il acquit la conviction que, si même il demandait la main de Nastasia Philippovna, il essuierait un refus. Pendant longtemps il n’y comprit rien. Une seule explication lui semblait admissible : cette femme « ulcérée et fantastique » poussait l’orgueil si loin qu’à la position la plus brillante elle préférait la vaniteuse satisfaction de manifester son mépris par un refus. Pour comble de malheur, Nastasia Philippovna était inaccessible aux séductions banales : l’intérêt n’avait aucune prise sur elle ; tout en acceptant le confort qui lui avait été offert, elle vivait très-modestement, et pendant ces cinq ans n’amassa presque rien. Afanase Ivanovitch eut recours à un moyen très-ingénieux pour briser ses chaînes : il entoura adroitement la jeune femme des types les plus propres à agir sur une imagination féminine ; sans en avoir l’air, il la mit en rapport avec des princes, des hussards, des secrétaires d’ambassade, des poètes, des romanciers, et même des socialistes. Rien n’y fit, il semblait que Nastasia Philippovna eût une pierre à la place du cœur et que toute sensibilité fût morte en elle. Vivant assez retirée, elle passait son temps à lire, à étudier, à faire de la musique. Ses relations étaient fort restreintes ; elle voyait de pauvres et ridicules femmes d’employés, deux actrices, quelques vieilles dames ; elle aimait beaucoup la nombreuse famille d’un respectable professeur ; on avait aussi, dans cette maison, beaucoup d’affection pour elle et on était heureux de la recevoir. Le soir, elle avait assez souvent chez elle cinq ou six personnes. Totzky était le plus assidu de ces visiteurs. Depuis quelque temps, Ivan Fédorovitch Épantchine avait réussi, non sans peine, à se faire admettre dans ce cénacle. Ce qui avait coûté beaucoup d’efforts au général avait, par contre, été fort facile à un jeune employé nommé Ferdychtchenko, lequel visait à la drôlerie, mais n’était en réalité qu’un grossier bouffon. Les autres habitués de la maison étaient Gabriel Ardalionovitch et un étrange jeune homme appelé Ptitzine. Modeste, soigné, correct, ce dernier, qui sortait de la classe pauvre, exerçait maintenant la profession d’usurier… En fin de compte, Nastasia Philippovna avait acquis une notoriété singulière : nul n’ignorait sa beauté, mais c’était tout ce qu’on connaissait d’elle ; personne ne pouvait rien raconter. Une telle renommée jointe à l’esprit, à l’instruction et aux façons élégantes de Nastasia Philippovna faisait de celle-ci une de ces maîtresses qui posent leur entreteneur. Les choses en étaient là lorsque Totzky confia ses intentions matrimoniales à Ivan Fédorovitch.

Dans son entretien avec le général, il fit les aveux les plus sincères et les plus complets. Il déclara qu’il était décidé à ne reculer devant aucun moyen pour recouvrer sa liberté ; que, quand même Nastasia Philippovna lui promettrait de le laisser désormais parfaitement tranquille, cela ne le rassurerait pas ; qu’il lui fallait non des paroles mais des garanties positives. Les deux hommes résolurent d’agir de concert. D’abord, il fut convenu qu’on recourrait aux moyens les plus doux et qu’on s’attacherait exclusivement à faire vibrer « les cordes nobles du cœur ». Ils se rendirent ensemble chez Nastasia Philippovna, et Totzky commença par lui avouer sans détour son épouvantable situation ; il s’imputa tous les torts ; il dit franchement qu’il ne pouvait se repentir de la façon dont il s’était conduit autrefois envers elle, parce qu’il était un fieffé débauché et un homme incapable de résister à ses passions, mais qu’à présent il voulait se marier, que ce mariage, des plus convenables à tous les égards, était entre les mains de Nastasia Philippovna, qu’en un mot il attendait tout de son noble cœur. Le général Épantchine, qui prit ensuite la parole en sa qualité de père, tint un langage raisonnable, il évita le pathétique et se borna à dire qu’il reconnaissait pleinement le droit de Nastasia Philippovna à décider du sort d’Afanase Ivanovitch ; faisant adroitement parade d’humilité, il représenta que le sort de l’une de ses filles et peut-être aussi celui des deux autres dépendait de la résolution qu’allait prendre Nastasia Philippovna. Celle-ci ayant demandé ce qu’on voulait d’elle, Totzky répondit à cette question avec la franchise dont il n’avait cessé de faire preuve depuis le commencement de l’entretien. Il avait été si effrayé cinq ans auparavant que maintenant encore Nastasia Philippovna n’avait qu’un seul moyen de le rassurer, c’était de se marier elle-même. Il s’empressa d’ajouter que, de sa part, cette demande serait certainement absurde, s’il n’avait pas quelque lieu de la formuler. Il avait fort bien remarqué, il savait positivement qu’un jeune homme porteur d’un beau nom, appartenant à une excellente famille, Gabriel Ardalionovitch Ivolguine, en un mot, qu’elle connaissait et qui était reçu chez elle, l’aimait passionnément depuis longtemps déjà et sans doute donnerait volontiers la moitié de sa vie pour être payé de quelque retour. Lui-même, Afanase Ivanovitch, avait reçu les confidences de Gabriel Ardalionovitch, qui avait aussi révélé ses sentiments à Ivan Fédorovitch, son bienfaiteur. Enfin, si lui, Afanase Ivanovitch, ne se trompait pas, Nastasia Philippovna elle-même connaissait depuis longtemps déjà l’amour du jeune homme et ne semblait pas le voir d’un œil défavorable. Sans doute, à lui plus qu’à tout autre il était difficile d’aborder ce sujet. Si pourtant Nastasia Philippovna consentait à admettre que Totzky, indépendamment du désir égoïste d’assurer son propre bonheur, lui portait aussi à elle-même quelque intérêt, elle comprendrait qu’il la vît avec peine mener cette existence solitaire : pourquoi ce morne détachement de toutes choses et cette incrédulité systématique à l’égard de la vie, qui, dans l’amour, dans la famille, pouvait renaître si belle et trouver ainsi un nouveau but ? Laisser se perdre des facultés peut-être brillantes pour s’abîmer dans la stérile contemplation de son chagrin, c’était là une sorte de romantisme indigne à la fois et de l’esprit sensé et du cœur noble de Nastasia Philippovna. Après avoir de nouveau répété que ce sujet était plus délicat à traiter pour lui que pour tout autre, il termina en disant qu’il voulait encore espérer que Nastasia Philippovna ne lui répondrait pas par le mépris, si, dans le désir sincère d’assurer son avenir, il lui offrait une somme de soixante-quinze mille roubles. Il ajouta en manière d’explication que déjà auparavant il était décidé à lui léguer cet argent ; il ne s’agissait pas ici d’une indemnité… et, enfin, pourquoi ne pas admettre et excuser chez lui le désir bien naturel de soulager quelque peu sa conscience, etc., etc., tout ce qu’on a coutume de dire en pareil cas. Afanase Ivanovitch parla longtemps et avec éloquence ; en passant il glissa une affirmation curieuse : c’était, assura-t-il, la première fois qu’il soufflait mot de ces soixante-quinze mille roubles ; jusqu’alors ni Ivan Fédorovitch lui-même, ni personne n’avait eu connaissance de cela.

La réponse qui fut faite à ces ouvertures étonna les deux amis.

Le langage de Nastasia Philippovna n’offrit pas la moindre trace de cette animosité violente, de cette raillerie haineuse dont le souvenir seul donnait encore le frisson à Totzky. Au contraire, la jeune femme parut contente de pouvoir enfin causer amicalement et à cœur ouvert avec quelqu’un. Elle avoua que depuis longtemps elle-même désirait demander un conseil d’ami ; l’orgueil seulement l’avait empêchée de le faire ; mais, maintenant que la glace était rompue, elle en était bien aise. Avec un sourire d’abord triste, mais qui ensuite finit par s’égayer, elle déclara qu’en tout cas il ne pouvait plus y avoir de tempête comme autrefois ; que depuis longtemps déjà ses façons de voir s’étaient en partie modifiées, et que, si son cœur n’avait pas changé, du moins elle sentait la nécessité de tenir compte des événements accomplis ; ce qui était fait était fait, ce qui était passé était passé ; aussi trouvait-elle étrange l’inquiétude persistante d’Afanase Ivanovitch. Puis, se tournant d’un air très-respectueux vers Ivan Fédorovitch, elle lui dit que depuis longtemps déjà elle avait beaucoup entendu parler de ses filles, qu’elle éprouvait pour elles une estime sincère et profonde. La seule pensée qu’elle pourrait leur être de quelque utilité la rendrait heureuse et fière. C’était vrai que sa situation actuelle lui pesait et qu’elle s’ennuyait fort ; Afanase Ivanovitch avait deviné ses rêves ; elle aurait voulu renaître, sinon dans l’amour, du moins dans la famille, et trouver un but à sa vie ; mais, en ce qui concernait Gabriel Ardalionovitch, elle ne pouvait pas dire grand’chose. À la vérité, il paraissait l’aimer ; elle sentait qu’elle-même pourrait le payer de retour si elle parvenait à se convaincre de la solidité de son attachement ; mais, à supposer qu’il fût sincère, il était bien jeune, cette considération la faisait hésiter. Du reste, ce qui lui plaisait le plus dans Gabriel Ardalionovitch, c’est qu’il travaillait et qu’il soutenait seul toute sa famille. Elle avait entendu dire qu’il était énergique, fier, décidé à faire son chemin ; elle savait aussi que Nina Alexandrovna Ivolguine, sa mère, était une femme excellente et des plus respectables ; que Barbara Ardalionovna, sa sœur, était une jeune fille très-remarquable, une personne d’un caractère énergique ; Ptitzine lui avait beaucoup parlé de cette dernière. D’après ce qu’on lui avait dit, ces deux femmes supportaient vaillamment leur malheur ; elle aurait bien désiré les connaître, mais c’était encore une question de savoir si elles la recevraient volontiers dans leur famille. En somme, Nastasia Philippovna n’élevait pas d’objections contre la possibilité de ce mariage ; toutefois cela demandait réflexion et elle désirait qu’on ne la pressât point. Quant aux soixante-quinze mille roubles, — Afanase Ivanovitch aurait pu en parler sans tant de précautions oratoires. Elle comprenait elle-même le prix de l’argent, et sans doute elle accepterait la somme qui lui était offerte. Elle savait gré à Afanase Ivanovitch de la délicatesse dont il avait fait preuve en taisant la chose, non pas seulement à Gabriel Ardalionovitch, mais au général lui-même ; pourquoi cependant cacher cela au jeune homme ? Elle n’avait pas à rougir de cet argent en entrant dans la famille Ivolguine. En tout cas, elle était décidée à ne demander aucun pardon à personne et elle voulait qu’on le sût. Elle n’épouserait Gabriel Ardalionovitch qu’après s’être assurée que ni lui ni les siens ne nourrissaient aucune arrière-pensée en ce qui la concernait. Comme, après tout, elle ne se reconnaissait aucun tort, il valait mieux que Gabriel Ardalionovitch sût dans quelles conditions elle vivait depuis cinq ans à Pétersbourg, quelles étaient ses relations avec Afanase Ivanovitch, et ce qu’elle pouvait avoir amassé de fortune. Enfin, si maintenant elle consentait à accepter une somme d’argent, ce n’était nullement comme prix d’un déshonneur dont elle était innocente, mais seulement à titre d’indemnité pour son existence brisée.

En prononçant ces paroles, Nastasia Philippovna s’était fort animée, ce qui, d’ailleurs, n’avait rien que de très-naturel ; cette vivacité fit grand plaisir au général et il crut l’affaire finie, mais Totzky, toujours sous l’influence de sa première frayeur, n’en jugea pas de même et longtemps il craignit quelque rabat-joie. Cependant des pourparlers s’engagèrent ; les deux amis qui avaient tablé sur l’inclination possible de Nastasia Philippovna pour Gania voyaient peu à peu cette hypothèse prendre une apparence de réalité, si bien qu’Afanase Ivanovitch lui-même commençait à ne plus désespérer du succès. Sur ces entrefaites, Nastasia Philippovna s’expliqua avec Gania. Très-peu de mots furent échangés entre eux, comme si cette conversation eût été pénible à la pudeur de la jeune femme. Tout en permettant à Gabriel Ardalionovitch de l’aimer, elle déclara expressément qu’elle ne voulait pas se lier : tant que la noce n’aurait pas eu lieu, elle entendait se réserver jusqu’à la dernière heure le droit de dire « non » ; la même liberté était laissée à Gania. Bientôt un hasard obligeant apprit à celui-ci que Nastasia Philippovna savait parfaitement quelle opposition ce projet de mariage avait rencontrée chez les Ivolguine ; elle ne lui en parlait pas, quoiqu’il s’attendit chaque jour à la voir aborder ce sujet d’entretien. Du reste, il circulait bien d’autres bruits plus ou moins vagues. Par exemple, Afanase Ivanovitch avait entendu dire que des relations, dont on ne précisait pas la nature, s’étaient établies à l’insu des époux Épantchine entre leurs filles et Nastasia Philippovna, – évidemment ce racontar n’avait pas le sens commun. Par contre, Totzky ne pouvait s’empêcher d’ajouter foi à une autre nouvelle qui l’inquiétait au plus haut degré : Nastasia Philippovna, lui avait-on assuré, était parfaitement instruite des sentiments de Gania : elle savait qu’il ne se mariait que pour l’argent ; qu’il avait une âme noire, cupide, violente, envieuse et d’un amour-propre incommensurable ; qu’après avoir ardemment désiré faire de Nastasia Philippovna sa maîtresse, il s’était mis à la détester depuis que le général et Totzky, exploitant son amour à leur profit, prétendaient la lui imposer comme femme légitime. La passion et la haine se mêlaient étrangement dans son cœur, et, quoique, après de cruelles hésitations, il eût enfin consenti à épouser cette « vilaine créature », il s’était juré in petto de se venger plus tard sur elle de la contrainte morale qu’il subissait. Nastasia Philippovna, disait-on, savait très-bien tout cela, et elle machinait secrètement quelque chose. Cette nouvelle effraya tellement Afanase Ivanovitch qu’il n’osa même pas communiquer ses appréhensions au général Épantchine. Toutefois, il y avait des moments où, comme tous les gens faibles, Totzky sentait soudain la confiance lui revenir. Ainsi, par exemple, ce fut un grand soulagement pour lui, et il se reprit à espérer lorsque Nastasia Philippovna promit aux deux amis de donner sa réponse définitive le soir de son jour de naissance. Mais le plus étrange, le plus invraisemblable des bruits mis en circulation, celui qui concernait l’honoré Ivan Fédorovitch lui-même, n’était, hélas ! que trop véridique.

Ici, à première vue, tout paraissait le comble de l’absurdité. Comment admettre qu’au déclin d’une existence respectée, avec son intelligence supérieure, sa profonde connaissance de la vie, etc., etc., Ivan Fédorovitch éprouvât pour Nastasia Philippovna un caprice frisant la passion ? Sur quoi comptait-il dans ce cas ? il était difficile de le dire ; peut-être sur la complaisance de Gania. Du moins, Totzky soupçonnait qu’entre le général et son secrétaire existait un de ces pactes tacites comme il s’en forme entre gens qui se comprennent à demi-mot. Du reste, nul n’ignore qu’entraîné par la passion, l’homme, le vieillard surtout, s’aveugle au point d’espérer là où l’espoir est complètement chimérique ; bien plus, il perd le jugement et agit comme un petit sot, eût-il, d’ailleurs, la sagesse de Salomon. On savait que, pour l’anniversaire de la naissance de Nastasia Philippovna, le général se disposait à lui offrir des perles magnifiques et d’une valeur énorme. Quoiqu’il connût le désintéressement de la jeune femme, il attachait une grande importance à son cadeau, et, vingt-quatre heures avant de le remettre, il était dans une sorte de fièvre, nonobstant l’adresse avec laquelle il simulait le calme. Justement, la générale Épantchine avait entendu parler de ces perles. Sans doute, habituée depuis longtemps aux infidélités de son époux, Élisabeth Prokofievna n’y faisait plus guère attention, mais, dans le cas présent, il était impossible de fermer les yeux : ce qu’on lui avait dit des perles l’avait vivement intéressée. Ivan Fédorovitch s’en aperçut à temps ; la veille déjà certains petits mots lui avaient fait dresser l’oreille ; il pressentait une explication sérieuse et il en avait peur. Voilà pourquoi, le matin où commence notre récit, il ne tenait pas du tout à déjeuner dans le giron de la famille. Dès avant l’apparition du prince, il avait résolu de s’esquiver en prétextant une affaire quelconque. L’essentiel pour lui était d’arriver sans encombre à la fin de la journée. Et tout d’un coup le prince survenait comme à point nommé pour sauver la situation. « C’est le ciel qui l’a envoyé ! » pensa le général en se rendant auprès de sa femme.

  1. La Consolation.