Albert Mérican (p. 5-6).


PREMIÈRE PARTIE

Le Papier du Premier


I

L’INCIDENT DE CASABLANCA


Je me trouvais à Paris, lorsque se produisit cet incident banal, dont la volonté trouble de l’Allemagne faillit faire le point initial d’une conflagration européenne. Rappelons les faits.

Un employé du consulat allemand de la cité marocaine de Casablanca avait donné asile, au consulat, à cinq déserteurs de la légion étrangère, faisant partie du corps d’armée français, chargé de la police dans la région, en suite du mandat consenti à la France lors de la conférence d’Algésiras.

Or, comme cet employé, fautif sans discussion possible, conduisait les déserteurs au port, afin de les faire embarquer secrètement, une patrouille française les rencontra. Les légionnaires reconnus furent arrêtés. Une bousculade s’ensuivit… L’allemand prétendit avoir été houspillé par les soldats ; les français affirmèrent que l’agent consulaire s’était rué sur eux.

Et de cette niaiserie naquit une note diplomatique allemande, réclamant de la France une réparation pour l’atteinte portée aux prérogatives du Consulat.

Comme si les Consuls avaient le droit de provoquer à la désertion les soldats des nations qui les accueillent.

Un billet laconique du « patron », de ce directeur avisé qui a fait du Times l’un des journaux les plus écoutés du globe, m’enjoignit de suivre les négociations à Paris.

Je savais, bien que cela ne m’eût pas été écrit, que pareil soin devait retenir un de mes confrères à Berlin.

Aussi, n’ayant à m’occuper que de la Capitale française, je considérais mon service comme étant de tout repos. La lecture des journaux, quelques apparitions dans les milieux politiques et financiers, me permettraient de renseigner très exactement les lecteurs du Times sur l’état des esprits chez notre coassociée en entente cordiale.

Il est curieux de constater que le sort ironique semble se complaire à infirmer la plupart de nos appréciations.

À moins que le réel coupable soit en nous-mêmes, présomptueux qui ne pouvons nous accoutumer à servir de jouets aux événements.

Un matin que, dans le dining-room de l’hôtel Bedford, où j’étais descendu, en client accoutumé au paisible quartier voisinant avec la Madeleine, un matin donc que je dégustais « mon petite précaution matinale », ainsi que notre humoriste Lanallan désigne le premier déjeuner, un boy m’apporta une dépêche arrivée de Londres.

Une dépêche du Directeur.

Et quelle dépêche !

Presque une brochure. Cela n’était point pour m’étonner, car au Times, il est de règle de ne pas lésiner.

— Dépensez sans compter, recommande-t-on aux nouveaux venus… la seule chose importante est d’avoir des nouvelles intéressantes. Le prix n’est rien.

Et les nouvelles ne devaient pas être dépourvues d’intérêt, car le long télégramme m’apparaissait rédigé au moyen du chiffre spécial, dont le secret est confié à l’honneur de tout reporter en mission pour le journal.

Deux minutes plus tard, laissant là mon déjeuner, je déchiffrais la stupéfiante communication que voici :