L’Hermaphrodite (Le Nismois)/Tome 2/09

(alias Alphonse Momas)
[s.n.] (Tome 2p. 135-153).
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IX


Le salon, appelé salon de l’hémicycle, était, ainsi que l’indiquait son nom, un salon en demi-cercle ; dans ce demi-cercle, s’étageaient jusqu’au plafond des divans capitonnés, à des hauteurs les uns des autres d’un demi-mètre. Sur le milieu de ces divans, une large niche présentait une couche matelassée, couverte de velours noir aux franges d’or, une glace très épaisse en garnissait le fond.

La première ligne des divans était coupée de distance en distance par des trous dans lesquels, en se plaçant debout, on arrivait à hauteur de la deuxième ligne, non coupée celle-là, mais ayant en face de ces trous et au-dessus, des rebords descendant en pente, la reliant en plan incliné à la troisième ligne.

Au plafond, un lustre voilé sous des verres de couleur, lançait un jour tamisé.

Vers les neuf heures, dans ce salon, s’assemblèrent autour de l’abbesse une vingtaine de femmes et une douzaine d’hommes, les femmes, en longues robes sans tailles, tombant sur le corps en plis amples, à partir des seins qu’elles laissaient découverts.

L’abbesse et les hommes étaient nus.

Sur la deuxième rangée des divans, les femmes s’étendirent sur le ventre au-dessus des trous, et l’abbesse Josépha prit place sur la couche de velours noir.

Un homme s’approcha de cette couche, située à mi-hauteur entre la première et la deuxième rangée de divans, s’agenouilla, frappa du front le sol recouvert d’un épais tapis, se redressa, appuya le visage sur le ventre de Josépha et dit :

— Amen, que la lune se lève et que ses fidèles serviteurs la voient et l’adorent.

L’abbesse instantanément se tourna sur le ventre, présenta le cul à son cavalier, dont le visage ne quitta pas son corps, durant son évolution.

En même temps, toutes les femmes se troussèrent pour exhiber le leur, et dans les trous des divans se placèrent les hommes, le visage à hauteur de leurs fesses, entre leurs jambes pendant de chaque côté des rebords rembourrés.

Il y avait plus de femmes que d’hommes, mais une certaine partie d’entre elles étaient grimpées sur la troisième rangée des divans, mettant leur croupe au-dessus de la tête de leurs compagnes.

Le servant de l’abbesse, tout le monde se trouvant en place, se prosterna de nouveau, se redressa, de ses deux mains entr’ouvrit la raie du cul, en parcourut toute la longueur avec un pouce en disant :

— Voie secrète, voie sainte, voie mystérieuse, voie de l’infini, tu cèles et révèles la beauté, tu es la félicité, tu es la joie du regard, l’ivresse des sens ; en vain la nature cherche à t’outrager, tu restes la pureté ; tu as la ligne qui perce les immensités, tu possèdes le cercle et la courbe qui ne finit pas.

L’abbesse se recroquevilla sur les jambes et les bras, bombant le cul ; l’homme y appliqua un long, long baiser.

Dans les trous des divans, les hommes pelotaient le cul des femmes placées devant eux, en approchaient le visage, les embrassaient, se reculaient ensuite pour admirer les fesses étalées au-dessus des têtes féminines ; ces fesses se balançaient de droite et de gauche, accusaient la lascivité par la main de leurs possesseuses s’y égarant de façon plus que polissonne.

Deux femmes, qui étaient demeurées debout au milieu de la salle, vinrent près de l’abbesse, et l’une d’elles s’agenouillant derrière le servant, le fouetta de trois claques en disant :

— Comte Armstang, les astres sont levés, unis l’acte à la parole et à la pensée.

Armstang posa une main sur le cul de l’abbesse, se tourna vers les deux femmes et répondit :

— Que vos divinités brillent devant nos yeux, et cette lune sacrée sur laquelle s’appuie ma main vous conviera aux caresses sans fin, où tout s’oublie.

Les deux femmes, debout, soulevèrent leurs légers voiles jusqu’à la ceinture, se cambrèrent sur les reins, jetèrent le ventre pour développer les fesses qu’elles tortillèrent, invitant du regard le comte aies peloter ; celui-ci plaça le corps de l’abbesse en travers du lit, sur lequel elle resta à quatre pattes ; il écarta ses jambes, s’assit sur le rebord du lit entre elles, de manière à appuyer l’épine dorsale contre le cul de Josépha, il prit dans la main sa queue en érection, et les deux femmes, le ventre en avant, continuant à tortiller le cul, il leur fit signe d’approcher leurs fesses de ses genoux.

Elles s’empressèrent d’obéir, glissèrent à cheval sur ses cuisses, et se balançant, s’appliquèrent à donner chacune à leur tour un coup de cul à sa queue, qu’elles finirent par agripper de leurs doigts, lui leur pelotant les fesses. L’abbesse se levant droite sur le lit, appuya le cul contre sa tête, ce qui le fit s’écrier :

— La lune monte, gloire aux femmes !

Toujours dans les trous des divans, les hommes avaient glissé la tête sous les jupes des femmes et leur faisaient feuilles de roses.

Les tressauts qui agitaient ces jupes, témoignaient de l’activité des caresses.

Les femmes qui étaient à la troisième rangée, descendirent près de leurs compagnes, se mirent à cheval par-dessus leur cou, et, comme elles n’étaient guère éloignées les unes des autres, se troussant, elles se pelotèrent réciproquement.

À l’apparition du cul de l’abbesse au-dessus de la tête d’Armstang, elles se prosternèrent par-dessus leurs compagnes, les fesses en l’air ; celles-ci se troussèrent de nouveau, les cavaliers reculèrent et saluèrent les deux lignes de culs qu’on leur présentait, en portant la main à leur queue et en frappant ensuite d’une claque chacune des deux femmes qui leur échéait. Ils grimpèrent à leur tour sur cette deuxième rangée de divans, séparèrent les femmes et revinrent avec elles au milieu de la salle.

Lentement, l’abbesse, debout sur le lit, contourna la tête du comte, de telle façon que son cul passa sur les cheveux, sur le visage, et retourna ensuite se placer face à la salle.

Les deux femmes montèrent sur le lit à ses côtés, on se groupa dans le milieu de l’hémicycle, l’homme multiplia ses caresses, ses attouchements, imité par chaque cavalier avec son couple féminin.

Une agitation indescriptible s’ensuivit où les culs dominèrent, et où il sembla qu’ils remplissaient la salle.

L’abbesse sauta à bas du lit, après toute une longue série de feuilles de roses reçues et échangées, leva les bras en l’air, toutes les femmes l’entourèrent, échappant aux hommes, toutes s’élancèrent par les gradins des divans.

Les hommes coururent après elles, une bousculade se produisit, les queues étaient en érection, un enculage monstre commença où les femmes se disputaient à qui serait la première saisie.

L’abbesse s’esquiva par une porte située au haut de la dernière rangée. Elle se trouva dans un couloir étroit, faiblement éclairé, mais sur lequel ouvraient des logettes, nids d’amour ou de repos, et aperçut Eulalie l’attendant sur le seuil de l’une d’elles.

Prestement restaurée par sa femme de confiance, revêtant la toilette abbétiale aux dessous luxueux, elle dit :

— Mène-moi où est Marthe, je lui dois sa grâce demandée par Hugues ; il faut qu’elle conserve l’impression de la faute commise, elle assistera au jugement de ses complices.

— Le spectacle ne sera-t-il pas trop fort pour une enfant de cet âge ?

— Elle n’est plus une enfant, ayant livré son pucelage.

Marthe avait été enfermée dans une pièce mi-obscure, très bien meublée ; on lui laissa la liberté de ses mouvements pour s’y diriger à sa fantaisie, se coucher sur les divans, les fauteuils… ou les tapis, le lit faisant, défaut.

Très prostrée et très effrayée sur le premier moment, la fatigue ne tarda pas à l’emporter et elle s’endormit d’un lourd sommeil.

Elle fut réveillée par la sœur qui lui apportait à manger, un repas plus que frugal. On ne lui refusa pas de la conduire à une salle voisine pour les divers soins de son corps, et on la renferma ensuite.

Elle passa cette journée dans des alternatives de peur et d’effroi, n’ayant de rapports qu’avec la sœur désignée à lui servir sa nourriture, laquelle observa un mutisme absolu pour toutes ses questions.

Les heures s’écoulèrent, la nuit survint, l’obscurité l’environna, elle ressentit une inquiétude sourde, se crut définitivement condamnée à la solitude éternelle, pleura, s’effara du silence, n’osa plus remuer ayant entendu de violents coups frappés non loin, elle trembla de tous ses membres, en voyant apparaître Josépha, accompagnée de Suzanne, Félicia et Eulalie.

Leurs visages marquaient une telle sévérité, que toute saisie, elle tomba sur les deux genoux et implora :

— Ne me faites pas du mal, renvoyez-moi chez mes parents, chassez-moi, ce n’est pas ma faute si on s’est servi de moi !

L’abbesse vint jusqu’à elle et lui dit :

— Petit ver de terre, quelqu’un que j’aime a demandé ta grâce. Je l’ai accordée. Te renvoyer, te chasser, est chose impossible avec ce que tu sais. Tu nous prouveras par ta conduite future ton repentir, et plus tard, quand tu seras vraiment femme, on décidera de ton sort. Jusque-là, tu nous appartiens.

Elle voulut baiser les genoux de l’abbesse, celle-ci se recula et reprit :

— Lève-toi et suis-nous auprès de tes complices.

— Mes complices ! Ce sont eux qui se sont joués de ma crédulité !

— Ne les renie pas après avoir usé de leurs plaisirs.

Un cortège composé de prêtres, de moines et de sœurs, accompagna l’abbesse dans les sous-sols.

On pénétra dans une vaste crypte, fermée par de solides portes en fer et qu’éclairaient faiblement deux lampes placées à chaque extrémité.

Un des moines alluma un lustre, et un jet de lumière permit de distinguer tous les objets.

La crypte était parquetée de dalles en pierre et soutenue par des colonnes cintrées ; contre les murs se trouvaient des sièges à hauts dossiers et divers instruments ; dans le milieu, entre deux colonnes, se dressait une cage en fer.

Dans cette cage, on avait enfermé Antioche, avec tout juste une chaise pour s’asseoir et le sol pour s’étendre et se reposer ; près de cette cage, sur un lit pliant, était couchée Espérandie, pâle, décomposée, désespérée.

À la vue du cortège qui entrait, une folle terreur s’empara de son esprit, elle se cacha sous ses draps. Antioche se leva debout et attendit.

En face de la cage et du lit, on arrangea les sièges à hauts dossiers où s’installèrent l’abbesse avec les principaux de sa suite. Quatre robustes moines se tinrent près du lit d’Espérandie.

L’abbesse dit :

— Que la sœur Requéreuse parle.

Félicia, très émue, quitta le siège où elle s’était assise, vint à son tour près d’Espérandie, leva la main et dit :

— Je jure de parler sans parti pris et sans esprit de rancune, je le jure avec d’autant plus de sincérité que mon âme désolée doit s’élever contre des êtres chers à mon cœur. Le crime de forfaiture et de rebellion a été commis dans cette enceinte où la femme est maîtresse pour inspirer l’amour, la concorde et la joie. Il s’est trouvé un coupable, un homme, un élu, pour abuser d’une enfant et d’une de nos sœurs, et les pousser ensuite dans la funeste voie de la révolte. Notre mère a été outragée, séquestrée et frappée.

À ces mots, un cri d’indignation s’éleva dans toute l’assistance, et une clameur retentit :

— La mort.

— Nous n’avons pas droit de vie et de mort, mes frères, mes sœurs, reprit Félicia, mais nous avons des équivalents. Cependant si, indignée et irritée, je note ce droit d’à côté, je n’en ferai pas moins appel à votre esprit de générosité, pour ne pas punir par l’irréparable ce qui peut s’expier. La cruauté n’est excusable que vis à vis des ennemis féroces et décidés, coûte que coûte à votre ruine ; elle est inutile vis à vis des membres de notre communauté, dont l’âme, aujourd’hui édifiée sur leur mauvaise action, est certainement repentante.

— Je proteste contre toute indulgence, dit un moine.

— Et moi, je demande l’indulgence la plus large, dit l’abbesse, mais en usant d’un châtiment indispensable comme exemple pour l’avenir.

Un prêtre prit Marthe par la main (Marthe encore terrifiée et ne sachant si elle pouvait compter sur une véritable clémence), et vint la faire asseoir sur un escabeau au pied du lit d’Espérandie.

— Le crime est d’autant plus grand, dit-il, qu’on s’est appuyé sur l’affection vouée par l’abbesse à cette enfant, pour le concevoir et en commencer l’exécution.

— Il n’y a qu’un seul coupable, cria Antioche, moi, et je revendique la responsabilité des événements.

— Tu n’as pas encore la parole, Judas, dit l’abbesse debout. Cette fille, pourrie de vanité, que j’adulais, a répondu à tes propositions, et unis tous les deux, vous avez entraîné cette malheureuse créature. Toi et Espérandie, vous avez alors marché la main dans la main, et vous devez vous souvenir quel est celui des deux qui commanda les violences contre ma personne.

— Moi, répondit Espérandie dans un gémissement. L’expiation corporelle que tu m’as fait infliger et qui, depuis le retrait des pelotes d’épingles, malgré les onguents, jette le feu dans mes chairs et mon sang, la torture et la souffrance dans mes esprits, ne te suffit-elle donc pas ?

— Qui a eu l’idée de m’enflammer le corps pour m’inspirer la folie de luxure, grâce à laquelle vous espériez briser l’abbesse ? Crime sur crime vous avez commis, je ne veux pas votre mort, je veux votre repentir éprouvé.

— Je requiers, dit Félicia se dressant, que monsieur l’aumônier interroge.

L’abbé Hermal apostropha Antioche en ces termes :

— Antioche, tu fus dans les élus parmi nos frères, et tu obtins droit de séjour illimité chez nos sœurs. L’abbesse te voyait avec bonté, les cellules s’ouvraient à tes moindres désirs, pas une femme n’était rebelle aux sollicitations de ta chair, quelle fut ton idée dans cette odieuse affaire ?

— Je voulais Marthe, je cherchais à l’avoir, je l’eus ; notre mère nous surprit, se montra impitoyable, je perdis l’esprit, je me jetai sur elle, je l’emportai, la descendis dans les caveaux. Le mal était commis. La folie me tua toute raison.

— Est-ce bien le désir du corps de Marthe, la cause initiale de tes fautes ?

— Qu’on le lui demande.

— Tu as entendu. Marthe, dit-il la vérité, t’a-t-il courtisée, l’as-tu écouté, encouragé, l’as-tu reçu en secret, lui as-tu livré ta virginité ?

Elle ne sut que répondre en pleurant :

— Il m’a entraînée.

— Tu n’es plus pucelle ?

— Vous ne l’ignorez pas.

— Laissez cette enfant, ordonna l’abbesse, elle n’est que comparse.

— Antioche, reprit l’aumônier, tu as commis l’acte de soustraire à ta supérieure une enfant qui lui appartenait, tu as suborné une fille vierge et inconsciente de ses actions, tu as violenté ta supérieure, tu l’as séquestrée. Pourquoi as-tu persisté dans ta folie ?

— Qui n’a pas péché peut seul me condamner.

— Nous dénies-tu le droit de te juger ?

— Vous devenez des bourreaux du moment où vous frappez sur des êtres impuissants en refusant de lire dans leur âme. Vous avez martyrisé Espérandie, vous m’avez enfermé comme une bête fauve, à quoi bon ce simulacre de justice ? Vous ne questionnez que pour allonger le supplice de ces deux êtres faibles, si vous ne voulez pas me reconnaître seul responsable de ce qui s’est accompli. Les délits sont palpables, prononcez le jugement et ne perdons pas davantage notre temps.

— Je requiers, cria de nouveau Félicia : voici la sentence que je crois la plus équitable.

Elle fit circuler un papier sur lequel elle avait libellé quelques lignes, en commençant par l’abbesse et en finissant par l’aumônier. Chacun apposa au-dessous une marque, soit d’approbation, soit de refus, un oui ou un non.

La majorité fut pour l’approbation, et Félicia, venant se placer entre la cage en fer et le lit d’Espérandie, prononça :

— Par notre très aimée mère, belle et gentille dame, Josépha de Frochemont, avec avis de la majorité du Conseil, déclarons coupables de forfaiture et de trahison, le frère Antioche, la sœur Espérandie ; rejetons hors-procès l’inclassée Marthe, laquelle n’ayant pas juré ses vœux est de plein droit impoursuivible ; condamnons le frère Antioche à un emprisonnement de six mois avec privation de toute société, après quoi il sera expulsé hors de la communauté, sur son engagement signé d’oublier les jours qu’il vécut au milieu de nous ; condamnons la sœur Espérandie à un emprisonnement de trois mois, avec service pénitentiaire de travail, à un an de service parmi les sœurs converses, et ensuite à son transfert à notre maison de Lyon ; ces diverses pénalités ne commenceront qu’après un séjour d’accouplement des deux coupables dans cette crypte, séjour de quinze jours, et où ils seront soumis à une très sobre nourriture. Ils épuiseront ainsi, s’ils en ont encore la force, l’ardeur perverse qui les associa dans la volupté, contre notre très aimée mère Le Conseil a jugé.

L’abbé Hermal se leva et dit :

— Frère Antioche, jures-tu soumission à cet arrêt, contre lequel du reste, toute rebellion ne servirait qu’à aggraver ton cas ?

— Je jure soumission et sollicite l’indulgence pour qu’on me garde aux Bleuets après mes six mois de prison.

— La peine est prononcée sans appel. Sur ta soumission, tu sortiras de cette cage et jouiras d’un lit près de celui d’Espérandie.

— Pauvre femme, qui ne peut se remuer sans souffrance !

— Avec tes soins, dans trois jours il n’y paraîtra plus. Sœur Espérandie, jures-tu soumission à cet arrêt ?

— Je le jure et me repens.

— Que Dieu vous garde, dit l’abbesse se levant et donnant le signal du départ, tout en faisant signe à Félicia d’emmener Marthe.

Les quatre moines qui s’étaient placés autour du lit d’Espérandie et qui étaient restés les derniers, ouvrirent la cage d’Antioche, et lui dirent qu’ils allaient lui apporter le lit promis.