SOIXANTE HUICTIESME NOUVELLE


La femme d’un Apothicaire, voyant que son mary ne faisoit pas grand compte d’elle, pour en estre mieux aymée pratiqua le conseil qu’il avoit donné à une sienne commère, malade de mesme maladie qu’elle, dont elle ne se trouva si bien qu’elle, & s’engendra hayne pour amour.


n la ville de Pau en Béarn, y eust ung Appothicaire, que l’on nommoit Maistre Estienne, lequel avoyt espousé une femme bonne mesnagière & de bien & assez belle pour le contenter. Mais, ainsy qu’il goustoyt de différentes drogues, aussy faisoyt il de différentes femmes pour sçavoir mieulx parler de toutes complexions, dont la femme estoit tant tormentée qu’elle perdoyt toute patience, car il ne tenoyt compte d’elle sinon la sepmaine saincte par pénitence.

Ung jour estant l’Apothicaire en sa bouticque, & sa femme cachée derrière luy escoutant ce qu’il disoyt, vint une femme, commère de cest Apothicaire, frappée de mesme maladye comme sa femme, laquelle souspirant dist à l’Apothicaire : « Hélas, mon compère, mon amy, je suis la plus malheureuse femme du monde, car j’ayme mon mary plus que moy mesme & ne faictz que penser à le servir & obéyr ; mais tout mon labeur est perdu pour ce qu’il ayme mieulx la plus meschante, plus orde & salle de la ville que moy. Et je vous prie, mon compère, si vous sçavez poinct quelque drogue qui luy peût changer sa complexion, m’en vouloir bailler, car, si je suys bien traictée de luy, je vous asseure de le vous randre de tout mon povoir. »

L’Apothicaire, pour la consoler, luy dist qu’il sçavoit d’une pouldre que, si elle en donnoyt, avecq ung bouillon ou une rostie, comme pouldre de Duc, à son mary, il luy feroyt la plus grande chère du monde. La pauvre femme, desirant veoir ce miracle, luy demanda que c’estoyt & si elle en pourroit recouvrer. Il luy déclara qu’il n’y avoyt rien comme de la pouldre de cantarides, dont il avoyt bonne provision, &, avant que partir d’ensemble, le contraingnit d’accoustrer ceste pouldre & en print ce qu’il luy en faisoit de mestier, dont depuis elle le mercia plusieurs foys, car son mary, qui estoit fort & puissant & qui n’en print pas trop, ne s’en trouva poinct pis.

La femme de l’Appothicaire entendit tout ce discours & pensa en elle mesme qu’elle avoyt nécessité de ceste recepte aussy bien que sa commère, &, regardant au lieu où son mary mectoit le demeurant de la pouldre, pensa qu’elle en useroit quant elle en verroit l’occasion, ce qu’elle feyt, avant trois ou quatre jours, que son mary sentyt une froideur d’esthomac, la priant luy faire quelque bon potage ; mais elle luy dist que une rostie à la pouldre de Duc luy seroyt plus profitable, & luy commanda de luy en aller bientost faire une & prendre de la synammome & du sucre en la bouticque ; ce qu’elle feit & n’oblia le demeurant de la pouldre qu’il avoit baillée à sa commère, sans regarder doze, poix ne mesure.

Le mary mengea la rostie, & la trouva très bonne, mais bientost s’aperçeut de l’effect, qu’il cuyda appaiser avec sa femme, ce qu’il ne fut possible, car le feu le brusloit si très fort qu’il ne sçavoit de quel costé se tourner, & dist à sa femme qu’elle l’avoyt empoisonné & qu’il vouloit savoir qu’elle avoyt mis en ceste rostye. Elle luy confessa la vérité & qu’elle avoyt aussi bon mestier de ceste recepte que sa commère. Le pauvre Apothicaire ne la sçeut batre que d’injures pour le mal en quoy il estoyt, mais la chassa de devant luy & envoya prier l’Apothicaire de la Royne de Navarre de le venir visiter, lequel luy bailla tous les remèdes propres pour le guérir, ce qu’il feyt en peu de temps, le reprenant très aprement d’ont il estoit si sot de conseiller à aultruy de user des drogues qu’il ne vouloit prendre pour luy, & que sa femme avoyt faict ce qu’elle debvoit, veu le desir qu’elle avoyt de se faire aymer à luy.

Ainsi fallut que le pauvre homme print la patience de sa follye & qu’il recongneust avoir esté justement pugny de faire tumber sur luy la mocquerie qu’il préparoit à aultruy.


« Il me semble, mes Dames, que l’amour de ceste femme n’estoit moins indiscrète que grande.

— Appellez vous aymer son mary », dist Hircan, « de luy faire sentyr du mal pour le plaisir qu’elle espèroyt avoir ?

— Je croy », dict Longarine, « qu’elle n’avoit intention que de recouvrer l’amour de son mary qu’elle pensoyt bien esgarée ; pour ung tel bien il n’y a rien que les femmes ne facent.

— Si est ce », dist Geburon, « que une femme ne doibt donner à boire & à manger à son mary, pour quelque occasion que ce soyt, qu’elle ne sçaiche, tant par expérience que par gens sçavans, qu’il ne luy puisse nuyre ; mais il fault excuser l’ignorance. Ceste là est excusable, car la passion plus aveuglante c’est l’amour, & la personne la plus aveuglée c’est la femme, qui n’a pas la force de conduire saigement ung si grand faiz.

— Geburon », dist Oisille, « vous saillez hors de vostre bonne coustume pour vous rendre de l’opinion de voz compaignons, mais sy a il des femmes qui ont porté l’amour & la jalousie patiemment.

— Ouy », dict Hircan, « & plaisamment, car les plus saiges sont celles qui prennent autant de passetemps à se mocquer des œuvres de leurs mariz comme les mariz de les tromper secrectement, &, si vous me voulez donner le rang, afin que Madame Oisille ferme le pas à ceste Journée, je vous en diray une, dont toute la compaignye a congneu la femme & le mary.

— Or, commencez doncques », dist Nomerfide, & Hircan en riant leur dist :