C. Meyrueis (Volume 2p. 288-325).


CHAPITRE XLIII.


Mais la foi a épuré la nature
Dans ses plus secrètes parties ; elle a donné
Un berceau paisible à son cœur ;
Calme, comme les gouttes de rosée qui reposent
Dans le sein d’une rose balancée par la brise,
Jusqu’à ce qu’elle exhale son parfum vers le ciel.

(Wordsworth.)


Il y avait longtemps que M. Edmonstone avait promis de mener Charlotte en Irlande pour voir sa grand’mère. Ils y seraient allés l’automne précédent, sans la maladie de Walter, et maintenant la tante Charlotte réclamait l’exécution de ce projet. Il tardait beaucoup à lady Mabel de les voir, disait-elle ; car elle devenait toujours plus infirme, et semblait croire que ce serait la dernière fois qu’elle verrait son fils. Elle parlait aussi très souvent de madame Edmonstone et de Laura, en sorte qu’il était évident qu’elle désirait beaucoup de les voir aussi, quoiqu’elle ne voulût pas le demander dans les circonstances présentes de la famille.

Une invitation spéciale avait été envoyée à Trim ; et c’était fort heureux. Charles assurait que Charlotte n’aurait pu partir sans sa permission ; il régnait sur elle comme un tyran, et semblait la croire faite exprès pour le soigner et le promener.

Laura, sachant combien sa grand’mère l’aimait, sentit qu’elle devait offrir d’accompagner son père et sa sœur. Philippe l’approuva, espérant d’aller la joindre après la session, quand il aurait réglé quelques affaires à Redclyffe. On voyait aussi que M. Edmonstone aurait bien voulu emmener sa femme ; elle-même, dans d’autres circonstances, n’aurait pas demandé mieux que de l’accompagner. Elle n’avait pas été en Irlande depuis quinze ans, et regrettait d’avoir si peu connu sa belle-mère. Ayant reconnu que Charles pouvait se passer d’elle, elle n’aurait pas hésité à le quitter, si elle avait vu Amy mieux portante et plus gaie ; mais on ne pouvait songer à la laisser.

Charles et Amable ne pensaient pas ainsi. Ils ne pouvaient souffrir que leur mère demeurât avec eux sans nécessité, quand leur grand’mère désirait tant de la voir. Ils savaient aussi que madame Edmonstone avait besoin de repos et de changement, après une si triste année.

Amable ne s’effrayait point d’être seule chargée de soigner Charles et son enfant. Elle avait acquis assez d’expérience ; elle était d’ailleurs accoutumée à Charles, et ne se tourmentait pas sans nécessité sur la santé de son enfant ; puis elle aurait, au besoin, les conseils de la vieille bonne et ceux du docteur Mayerne. Il lui serait si doux de rendre ce service à sa mère, si Charles voulait bien se contenter de sa société !

Charles parla comme elle. L’amitié lui faisait comprendre qu’il serait bon pour Amable d’être occupée, sans avoir besoin de paraître gaie. Le docteur Mayerne conseilla aussi à madame Edmonstone d’aller en Irlande, et promit, ainsi que Mary Ross, d’envoyer chaque semaine le bulletin physique et moral de Hollywell, selon l’expression de Charles. On se mit donc à faire les paquets, et madame Edmonstone, après bien des larmes et des recommandations, monta enfin en voiture. Comme elle s’éloignait, elle vit Charles qui lui faisait des signes d’adieu de la fenêtre, et Amable debout sur les marches du perron, souriant aux voyageurs.

Le bulletin moral et physique prouva que Charles avait bien jugé. Amable, moins agitée, reprit un peu de forces. Elle passait plus de temps hors de sa chambre, ne trouvant plus en bas autant de bruit et de mouvement, et, le soir, elle semblait moins lasse. Elle évitait toujours le jardin, mais elle aimait à faire de courtes promenades dans le petit phaéton ; Charles le conduisait en silence, et la laissait rêver en regardant le ciel ou l’horizon. De temps en temps elle le réjouissait par un sourire naturel, causé d’ordinaire par un progrès de son enfant, qui commençait à rire et à regarder autour d’elle avec des yeux qui ressemblaient de plus en plus à ceux de son père. Elle aurait craint d’ennuyer son frère en lui procurant trop souvent la société de la petite demoiselle, s’il ne lui avait pas témoigné tant d’affection. Il la regardait avec un singulier mélange de curiosité et d’intérêt, s’amusant de ses petites manière inexplicables, et flatté quand il pouvait attirer son attention. Mais il aimait surtout cette petite créature à cause du bien qu’elle faisait à sa mère ; il l’aurait aimée pour cela, quand même elle n’aurait pas été l’enfant de Walter.

Peu à peu, dans la soirée, le dimanche surtout, Amy entretint son frère de son voyage sur le continent, de son séjour à Recoara, plus qu’elle n’avait fait jusque-là. Elle éprouvait de la douceur à voir combien tout ce qui se rapportait à Walter avait de prix pour Charles. Le frère et la sœur n’auraient pu se passer l’un de l’autre ; Amable se sentait rendue à Charles, comme Walter l’avait désiré, et Charles croyait voir se réaliser leur rêve d’enfance, de vivre un jour seuls ensemble. Il ne s’ennuyait point, et, quoiqu’il reçût avec plaisir quelques visites le matin, il aurait très bien pu s’en passer ; ses soirées en tête-à-tête avec Amy lui étaient plus agréables encore que celles où M. Ross et Mary venaient prendre le thé. Il écrivit donc à sa mère de ne pas s’inquiéter ; Amy passerait mieux l’anniversaire de septembre, si elle se trouvait seule encore. Au reste, les lettres journalières de sa mère et de Charlotte semblaient faire prévoir que leur séjour serait prolongé. Lady Mabel, étant fort affaiblie, ne voulait pas laisser partir ses enfants ; Laura et Charlotte étaient sans cesse à Kilcoran, où l’on ne pouvait se passer d’elles. Charlotte écrivait à son frère des descriptions très amusantes de l’Irlande et des Irlandais. Charles était fort surpris que Charlotte pût écrire si agréablement, et faisait rire de bon cœur Mary Ross en lui lisant les lettres de sa petite sœur.

Charles et Amy allaient souvent à Broadstone, pour chercher eux-mêmes leurs lettres à la poste.

— En voici une de Charlotte, dit un jour Charles. De qui est la vôtre, Amy ?

— De Markham. C’est sans doute une lettre d’affaires. Que vous écrit Charlotte ?

— Elle est en train de dire des impertinences, dit Charles, pouvant à peine se tenir de rire en lisant tout haut :


« Notre dernier événement a été une visite du fidèle Achate, qui, à ce qu’il paraît, ne peut errer plus longtemps sur la Méditerranée sans le pieux Enée. Il a donc quitté l’armée, et obtenu une place dans la diplomatie, en Allemagne. Lord Kilcoran l’a invité à venir ici, et, Mabel et moi, nous sommes persuadées qu’il est attiré par quelqu’un. Il a sans doute choisi cette époque pour avoir son modèle devant les yeux, et copier sa manière de faire la cour. Du reste, nous ne savons pas quand Philippe viendra ; il n’a écrit à personne, pas même à Laura, qui commence à s’inquiéter. Dans sa dernière lettre, il disait que le parlement était prorogé, et qu’il allait partir pour Redclyffe. Mais il y a trois semaines de cela. Avez-vous entendu parler de lui ? »

— Voyons si Markham en parle, dit Amable en ouvrant la lettre.

C’était, comme elle s’y attendait, une lettre d’affaires ; mais, regardant vers la fin, elle s’écria :

— Écoutez, Charles !


« M. Morville est ici depuis quelques semaines, et sa santé me semble fort mauvaise. Il a été continuellement retenu à la maison par de violents maux de tête, qui l’empêchent de s’occuper d’affaires ; mais il ne veut pas voir de médecin. Je vais le voir tous les jours, quoique ma présence ne semble pas lui être fort agréable, vu son état. Je crois pourtant qu’il ne faut pas l’abandonner entièrement aux domestiques. »


— Pauvre Philippe ! Il n’a pu supporter le séjour de Redclyffe !

— Il aura fait des excès de travail.

— N’avoir pas même écrit à Laura ! Il faut qu’il soit bien mal. Je vais écrire à Markham, et lui demander des détails.

Elle reçut une réponse le troisième jour. Les nouvelles étaient encore plus mauvaises. « M. Morville, disait Markham, souffre beaucoup ; il demeure tout le jour couché sur le sofa, sans pouvoir parler ; mais il continue à refuser de voir un médecin. »

Il n’avait reçu ni lord Thorndale ni M. Ashford, et n’aurait pas consenti à voir Markham, si celui-ci ne lui avait pas fait une sorte de violence, ne voulant pas l’abandonner entièrement aux soins des domestiques ; il serait charmé qu’un des amis de M. Morville pût venir auprès de lui.

— C’est fort inquiétant, dit le frère.

— C’est ce que je craignais, répondit la sœur. Il pourrait bien reprendre une fièvre cérébrale. Pauvre Laura ! Que faire ?

Charles garda le silence, et Amy poursuivit.

— Il aurait besoin de quelqu’un pour le distraire. Je suis sûre qu’il se nourrit des tristes souvenirs que Redclyffe lui rappelle. Si Laura et maman étaient ici, elles iraient auprès de lui, et cela pourrait le sauver ! Quel malheur ce serait s’il retombait malade, faible comme il l’est ! Que je voudrais qu’il fût ici !

— Sans doute il ne pourrait venir, dit Charles, puisqu’il ne peut aller en Irlande.

— Walter avait bien raison de dire qu’il serait plus malheureux que moi ! Que je voudrais pouvoir faire quelque chose pour lui ! être à Redclyffe !

— Ce serait votre désir ?

— Oui, si j’avais seulement papa ou maman pour m’accompagner.

— Ne pourrais-je les remplacer ?

— Charles !

— Si vous croyez cela de quelque utilité, et si vous consentez à me traîner après vous, je ne vois pas ce qui devrait m’arrêter.

— Charles, que vous êtes bon ! La pauvre Laura serait si reconnaissante !… Cela le sauverait peut-être !

— Mais, ma chère sœur… pourriez-vous supporter la vue de Redclyffe ?

— Il ne s’agit pas de cela, répondit-elle vivement. Je ne pense qu’à Philippe ; vous savez qu’il m’a été recommandé. Et Laura !… Mais ne serait-ce pas trop fatigant pour vous ?

— Je ne vois pas quel mal cela pourrait me faire… Et votre fille, Amy, je l’oubliais ! Qu’en ferons-nous ?

— Je ne crois pas dangereux…, dit-elle, après un moment de réflexion. Madame Gresham a apporté l’autre jour d’Écosse un enfant de trois mois, et la mienne en a six. Cela ne peut lui faire de mal. Nous consulterons là-dessus le docteur Mayerne. Maman ne nous pardonnerait pas si nous faisions une pareille entreprise sans l’avis du médecin.

— Arnaud viendrait avec nous ; nous coucherions à Londres, et nous partirions de bonne heure par le chemin de fer. Nous emmènerions ma voiture pour achever le voyage. Ce ne serait pas trop pour vous. Quand pourrions-nous partir ?

— Le plus tôt possible, si nous voulons que cela serve à quelque chose. Pourquoi pas demain ?

Ils parlèrent toute la soirée de leur projet, sans pouvoir se figurer qu’il fût solide, et allèrent se coucher en disant : « Nous verrons ce que nous penserons demain matin. »

Charles crut rêver encore lorsque, en se réveillant, il entendit dans la cour, sous sa fenêtre, une voix qui disait :

— William, voici un billet de madame pour le docteur Mayerne.

— Y a-t-il quelqu’un de malade ? demanda William.

— Non ; il y a une heure que madame est levée, et M. Charles a déjà sonné. Attendez, William ; madame voudrait aussi avoir un tableau des chemins de fer.

— C’est donc bien vrai ? se dit Charles en admirant sa sœur ; et lui-même il se sentit animé par le plaisir de se rendre utile, et de faire un acte d’indépendance.

Il rencontra Amable, l’air gracieux et décidé ; il entreprit d’écrire à sa mère, pendant que sa sœur annonçait à Markham leur arrivée à Redclyffe pour le lendemain au soir, en le chargeant de remettre un billet à Philippe quand il le jugerait convenable.

Le docteur Mayerne arriva pour déjeuner, et on lui remit la lettre de Markham.

— C’est assez grave, n’est-ce pas, docteur ? dit Charles. Et que pensez-vous de la proposition de ma sœur, que nous partions tous deux pour aller le soigner ?

— Ce serait le mieux pour lui, dit le médecin en regardant la lettre. Mais, levant les yeux sur Charles, si impotent, et sur Amable, dont l’apparence était si délicate dans ses vêtements de deuil, il ajouta :

— Y pensez-vous sérieusement ?

— Très sérieusement, dit Charles.

— Si vous croyez qu’il n’y ait pas de danger pour Charles et pour mon enfant, ajouta Amy.

— Personne ne pourrait-il vous remplacer ? dit le docteur. Où est donc sa sœur ?

— Il ne peut être question d’elle, interrompit Charles ; puis il expliqua leur plan, que le docteur écouta attentivement.

— En effet, je ne vois pas quel mal cela pourrait vous faire, dit-il.

— Et mon enfant ? dit Amy.

— Que voulez-vous qu’il lui arrive, si vous ne l’oubliez pas en route ? répondit-il avec une brusquerie amicale.

Amy sourit, dit qu’elle allait chercher sa fille pour la lui faire examiner, et monta chez elle d’un pas aussi léger qu’autrefois.

— Elle est admirable ! dit Charles en soupirant. Vous ne croyez pas que ce soit mauvais pour elle, docteur ?

— Non, puisqu’elle le désire. Il y a longtemps que je l’aurais envoyée au bord de la mer pour changer d’air, si je ne la voyais pas fatiguée de se soigner.

— Voilà ce que j’appelle un médecin sensé !

Amable eut encore une entrevue particulière avec le docteur, pour s’assurer qu’il ne craignait rien pour Charles ; puis, après avoir promis de se rendre à Redclyffe si sa présence était nécessaire, et s’être engagé à écrire à madame Edmonstone qu’il avait approuvé le départ de ses enfants, il les quitta pour les retrouver plus tard à la station, et aider Charles à monter en voiture. La matinée fut très remplie. Amable régla les affaires de la maison, comme il convenait à une vice-reine ; elle veilla à ce que rien ne manquât à Charles, et mit elle-même le portrait de Walter dans la malle avant qu’on la remplît d’effets. Enfin elle alla jusqu’au village, pour prendre congé d’Alice Lamsden.

Le lendemain au soir, comme les dernières lueurs du soleil couchant s’éteignaient à l’horizon, lady Morville et Charles Edmonstone entraient dans la vallée boisée de Redclyffe. Ils n’avaient pas échangé une parole depuis qu’ils avaient quitté Moorworth. Charles observait sa sœur en silence, autant qu’il pouvait le faire sous le voile de crêpe qui la cachait. Il ne pouvait juger de son émotion que par la manière dont ses mains pressaient le petit manteau blanc de l’enfant endormi sur ses genoux. Chaque place rappelait à Charles quelque description de Walter : la tour de l’église, l’école avec ses deux grandes fenêtres neuves, le mur du parc et la pente gazonnée qu’il renfermait. Qu’éprouvait la jeune veuve ? Son frère n’osa pas lui adresser la parole jusqu’à la grille d’entrée, où il s’écria : « Voici Markham ! » puis il se demanda comment ils allaient trouver le maître de la maison, et s’il était bien aise de les voir arriver.

À cette exclamation, Amy s’avança et fit un signe à Markham, qui vint appuyer sa main sur la portière et suivit la voiture, comme elle montait lentement l’avenue.

— Comment est-il ? demanda-t-elle.

— Pas mieux. Il s’est fait mettre hier des sangsues, qui ne lui ont fait aucun bien. Je suis fort aise que vous soyez arrivés, car il se soigne très mal.

— Est-il levé ?

— Oui, madame ; il est sur le sofa, dans la bibliothèque.

— Lui avez-vous donné mon billet ? Nous attend-il ?

— Non, madame. J’ai voulu lui en parler ce matin ; mais je l’ai trouvé si malade, que je n’ai pas osé. Il n’a pas ouvert de lettres cette semaine, et il aurait pu refuser de vous recevoir, comme il a refusé de voir lord Thorndale. Puis, je ne sais ce qu’il m’aurait dit de vous avoir mandé qu’il était malade ; cependant, si vous ne m’aviez pas répondu, j’aurais pris sur moi d’écrire aussi à madame Henley.

— Il l’a échappé belle ! dit tout bas Charles à sa sœur.

— Nous avons fait de notre mieux pour vous bien recevoir, continua Markham ; mais…

— Merci, je ne crains rien, dit Amy avec un léger sourire.

Markham ne quittait pas des yeux le petit enfant qui était sur les genoux de lady Morville ; mais il n’en parla pas, et donna quelques explications sur Bolton, et madame Drew, et le thé qui était tout prêt au salon.

Charles vit bientôt les murs du vieux château s’élever devant lui, les murs de ce château qui devait appartenir à Amable, et que Walter aimait tant ! Comment pourrait-elle en supporter la vue ? Mais elle ne songeait qu’à la manière de faire annoncer son arrivée à Philippe, et Markham, craignant que le bruit de la voiture ne surprît M. Morville, demanda si M. Charles Edmonstone pourrait traverser la cour à pied. Charles dit qu’il le pouvait, et la voiture s’arrêta. Amable donna son enfant à Anne, et vit Charles sortir de la voiture avec l’aide d’Arnaud ; puis elle demanda à Markham de la conduire auprès de Philippe, pendant qu’Arnaud mènerait Charles au petit salon. Et Charles se disait qu’il était étrange qu’elle franchît pour la première fois le seuil de la maison de son époux, pour aller consoler son ennemi.

Amable entra dans la sombre antichambre boisée en chêne. Elle était éclairée d’un côté par le feu et la lampe du petit salon, dont la porte était ouverte ; mais toutes celles qui étaient de l’autre côté étaient fermées. Markham s’arrêta avec hésitation.

— Dites-lui que je suis arrivée, lui dit Amable à voix basse.

Il frappa à une haute et lourde porte de chêne, l’ouvrit doucement, et Amable put jeter un regard dans la pièce où elle conduisait. C’était un vaste appartement, déjà très sombre ; le feu était éteint, et la lueur grisâtre du crépuscule permettait seule de distinguer les oreillers blancs du sofa sur lequel Philippe était couché. Markham s’avança, et, fort embarrassé, il commença :

— Hem !… Lady Morville est arrivée, et…

Amable entra, sans attendre la réponse, en disant :

— Comment êtes-vous, Philippe ?

Il ne fit pas un mouvement, ne témoigna pas la moindre surprise, et dit seulement :

— Vous êtes donc venue entasser de nouveaux charbons sur ma tête !

Elle frémit, mais ne montra pas sa terreur, et ajouta simplement :

— Je suis très fâchée de vous trouver si souffrant.

On eût dit que, jusqu’alors, il avait pris sa présence pour un rêve ; car, entièrement éveillé, il s’écria avec une extrême surprise :

— Est-ce vous, Amy ? Puis s’asseyant : Comment ? Quand êtes-vous arrivée ?

— Dans cet instant ; nous avons appris que vous étiez malade, et nous sommes venus vous prendre par surprise et vous faire une visite, Charles, votre filleule et moi.

— Charles ! Charles ici ? s’écria Philippe en se levant. Où est-il ?

— Il vient, dit Amy. Et Philippe, ne pensant plus qu’aux devoirs de l’hospitalité, s’avança jusque dans l’antichambre, et rencontra sur la porte Charles, à qui il donna son bras pour le conduire dans le petit salon. La clarté de la lampe et d’un bon feu fit voir alors aux voyageurs l’extrême pâleur de leur cousin. Ses cheveux en désordre avaient pris sur les tempes une teinte grise très prononcée ; toute son apparence portait les traces de terribles souffrances. Amable ne l’avait jamais jugé aussi malade, même à Recoara.

— Comment êtes-vous venus, demanda-t-il. C’est bien aimable à vous ! J’espère que vous ne serez pas trop mal ici.

— Nous avons pris soin de nous, dit Amable. J’ai écrit à M. Markham, pensant que vous n’étiez pas assez bien pour vous occuper de préparatifs. Nous devrions vous demander pardon d’arriver ainsi chez vous sans cérémonie.

— Si quelqu’un est chez soi ici… dit Philippe ; puis, s’interrompant, il mit sa main devant ses yeux pour les garantir de la lumière. Je ne sais comment vous recevoir assez bien. Quand êtes-vous partis ?

— Hier, dans l’après-midi, dit Charles. Nous avons couché à Londres et continué notre route aujourd’hui.

— Avez-vous dîné ? demanda Philippe avec inquiétude, ne sachant s’il y aurait quelque chose de prêt dans la maison.

— Oui, à K., merci.

— Que puis-je vous offrir ? Je vais sonner.

— Merci, ne vous inquiétez de rien, madame Drew aura soin de nous. Comme vous souffrez ! dit Amable en le voyant s’asseoir sur le sofa, le coude sur son genou et pressant son front avec sa main. Couchez-vous et demeurez tranquille sans vous occuper de nous. Je vais ôter mon chapeau et voir ce qu’on a fait de mon enfant, puis je redescendrai. Demeurez couché en attendant. Charles, ne souffrez pas qu’il se lève.

Ils la croyaient sortie, mais elle revint au bout d’un instant avec les oreillers qui étaient sur le canapé de la bibliothèque ; elle les plaça sous la tête de Philippe, pour qu’il fût plus à son aise ; et lui, saisi d’un nouvel accès, il n’avait ni la volonté, ni le pouvoir de résister. Elle sonna, demanda madame Drew, puis elle sortit.

Philippe demeura couché, les yeux fermés et paraissant souffrir beaucoup ; Charles, craignant de le déranger, gardait le silence et croyait rêver. Était-il bien chez Walter avec Amy et son enfant, mais d’une manière si différente qu’ils n’avaient prévu ? Il promenait ses regards autour de la salle, reconnaissant partout le goût de Walter et les préparatifs qu’il avait faits pour recevoir sa femme : — piano, livres, gravures, souvenirs de Hollywell, et cela tout neuf et produisant un effet extrêmement mélancolique. Charles se rappelait alors les yeux brillants, la douce voix, la démarche agile de celui qui n’était plus, et il aurait détesté Philippe s’il n’avait vu ses traits altérés par la souffrance, ses cheveux gris, et les rides profondes que la douleur avait tracées sur son front à l’âge de vingt-sept ans.

Philippe se tourna enfin et leva les yeux.

— Charles, dit-il, j’espère que vous ne l’avez pas laissée faire une imprudence.

— Non ; nous avions la permission du docteur Mayerne.

— C’est comme tout le reste, dit Philippe. Mais comment avez-vous su que j’étais malade ?

— Markham en avait dit un mot dans une lettre d’affaires. Amy, alarmée, a demandé plus de détails et, après l’arrivée d’une seconde lettre, nous avons désiré vous voir nous-mêmes.

Cependant Amy était demeurée quelque temps à l’étage supérieur, parlant avec madame Drew, qui était partagée entre la surprise, la joie et la douleur. Elle fit préparer la chambre de Charles, établir commodément son enfant ; puis elle se soulagea par un moment de calme et de solitude, tâchant de se persuader qu’elle se trouvait bien à Redclyffe et murmurant à sa fille que c’était la maison de son père. Elle savait que cette chambre était celle qu’il lui avait destinée ; elle essaya de distinguer, malgré l’obscurité de la nuit, la vue dont il lui avait parlé, et jeta les yeux sur la gravure de Saint-Jean, de Müller. Ce jour fut peut-être le plus douloureux pour elle ; elle sentait que, si elle n’avait pas eu son enfant dans ses bras, le désespoir se serait emparé d’elle. D’ailleurs n’accomplissait-elle pas un vœu de Walter en venant soigner Philippe ? Ce n’était pas le moment de faiblir, et le petit messager de Walter le lui disait avec ses yeux endormis. Il était temps de descendre ; il fallait remettre toutes ces pensées à un autre moment. Elle revint donc au salon, où sa présence fit plus de bien qu’elle ne pensait, grâce à tous les soins qu’elle prenait de Philippe, tout en veillant à ce que Charles ne fût pas négligé.

Quelle scène étrange et nouvelle pour le vieux château ! Amable faisait le thé et le servait à ses compagnons ; elle et Charles s’efforçaient de manger un peu pour se complaire l’un à l’autre, et Philippe demandait tasse sur tasse, surpris que le thé préparé par les mains d’Amable eût un goût si différent de celui qu’un autre lui aurait servi.

Comme il n’était pas en état de soutenir la conversation, et que Charles et Amable étaient assez fatigués, on se retira d’abord après le thé ; et Amable, effrayée de la hauteur du grand escalier de chêne poli, fit promettre à Charles de ne pas essayer de le descendre sans le secours d’Arnaud.

Le lendemain matin, un peu après neuf heures, elle entra dans le petit salon, où elle trouva le déjeûner prêt et Charles écrivant une lettre.

— Comment êtes-vous ? dit-il en l’embrassant.

— Très bien, merci, et vous ?

— J’ai dormi à merveille.

— Et moi, pas mal, et ma fille a été très sage. Avez-vous entendu parler de Philippe ce matin ?

— Bolton dit qu’il est un peu mieux et qu’il se lève.

— Y a-t-il longtemps que vous êtes descendu ?

— Oui, j’avais dit à Arnaud de m’amener Markham dès qu’il pourrait, et j’ai eu une longue conférence avec lui et Bolton, afin de pouvoir exposer le cas au docteur Mayerne.

— Et qu’en pensez-vous donc ?

— Je crois que nous sommes arrivés au bon moment ; il s’était trop fatigué à Londres, et son séjour à Redclyffe l’a achevé. Il a voulu d’abord s’occuper d’affaires ; mais il a dû bientôt y renoncer, et voilà quinze jours qu’il passe son temps couché dans la bibliothèque et livré aux plus sombres pensées.

— Pauvre Philippe, dit Amy les larmes aux yeux. Mais pourquoi n’a-t-il pas voulu voir monsieur Ashford, qui aurait pu lui faire du bien.

— D’après Bolton, dit Charles en baissant la voix, Philippe craint quelque chose de pire qu’une fièvre cérébrale. Je crois qu’il se trompe ; mais sa raison pour ne voir personne et ne pas écrire à Laura, c’est qu’il a peur de ne pouvoir mesurer ses paroles.

— C’est affreux, dit Amable en pâlissant. Oh ! que je suis contente que nous soyons venus !

— Il s’est soigné lui-même à sa manière, continua Charles, et il est parvenu à éloigner la fièvre par des moyens violents qui l’ont beaucoup affaibli. Il doit avoir terriblement souffert !

Comme Charles finissait de parler, Philippe entra ; il avait l’air extrêmement faible, mais il était plus calme depuis qu’il sentait Amable auprès de lui, comme à Recoara.

Elle ne le laissa pas retourner dans sa sombre bibliothèque, et le fit coucher sur le canapé du petit salon, où elle demeura aussi, pensant qu’un peu de conversation avec elle et son frère lui ferait du bien. Elle écrivit à Laura, à qui Philippe envoya un message, n’étant pas en état d’écrire lui-même ; et Charles écrivit de son côté à sa mère et au docteur Mayerne. Puis ils parlèrent d’affaires de famille.

Amable demanda à Philippe s’il savait que monsieur Thorndale était à Kilcoran.

— Oui, dit-il. Il y a, je crois, par là une lettre de lui ; mais je n’ai pu la lire.

Madame Ashford fit demander si lady Morville pouvait la recevoir. Amable se sentait émue et voulait la recevoir dans la bibliothèque. Mais Philippe, qui craignait l’absence d’Amy plus que la vue d’une visite, demanda qu’on la fît entrer dans le petit salon.

M. et madame Ashford avaient été fort surpris en apprenant l’arrivée de lady Morville, et madame Ashford voulut tout de suite aller lui rendre visite et savoir si elle ne pourrait lui être utile, tout en s’informant de l’état de M. Morville, dont Markham faisait un grand mystère. Elle n’était pas allée au château depuis l’année précédente, le jour où Markham lui avait fait admirer ses préparatifs pour la réception des jeunes époux. À son retour elle dit à M. Ashford que M. Morville avait l’air fort malade, mais qu’on espérait qu’il se remettrait avec du repos et des soins. Pour lady Morville, c’était une jeune femme douce et timide et qui avait l’air fort délicat. À juger sur l’apparence, madame Ashford aurait cru qu’elle n’avait pas de caractère ; elle aurait été surprise que M. Walter Morville l’eût tant aimée, si sa faiblesse même n’eût été un charme de plus.

— Elle ne vous plaît donc pas ? dit M. Ashford.

— Au contraire, je pourrais m’attacher beaucoup à elle ; elle m’a fait voir son enfant, une charmante petite créature. Et, quand nous avons été seules, elle m’a demandé de lui envoyer son filleul et m’a remerciée d’être venue ; mais ses pleurs l’ont empêchée d’en dire davantage.

Décidément, personne ne comprenait Amable, et ne devinait ce qu’elle cachait sous cet extérieur doux et timide.

Dans l’après-midi, Charles voulut qu’elle sortît pour se promener. Elle n’aurait pas demandé mieux que d’aller seule ; mais, à sa grande surprise, Philippe lui offrit de l’accompagner : elle fut trop heureuse de lui voir faire cet effort, pour regretter la promenade solitaire qu’elle avait espérée. Ils sortirent donc, après avoir ouvert la fenêtre pour donner aussi de l’air à Charles, qui voulait d’ailleurs aller à la découverte dans les appartements du rez-de-chaussée.

— Il nous faut trouver quelque moyen de le promener en voiture, ainsi que vous, dit Philippe en sortant ; car le pays est très montueux par ici.

Ils suivirent un sentier qui conduisait au haut de la pente gazonnée, où la brise de mer se faisait sentir.

Au bout de quelques minutes, Amable se trouva dans un lieu dont l’aspect la fit frissonner. Devant elle s’étendait la baie de Redclyffe, la baie de Walter ! Les vagues brisaient leurs crêtes écumantes, le vent mugissait, les oiseaux de mer se balançaient dans les airs, et au loin se dressait le Shag-Roc, sombre et sévère. C’était là cette scène qu’il aimait tant ! qu’il avait tant désiré de lui montrer ! et qui, à son lit de mort, lui avait causé un dernier regret ! C’étaient là ces vagues qu’il préférait aux blanches sommités des Alpes et, à présent, il dormait au milieu de ces montagnes éloignées, tandis qu’elle visitait, seule avec Philippe, les lieux qui lui étaient si chers !

Ce moment fut un de ceux où Amable crut particulièrement se sentir avec son époux. Le vent jouait avec son voile de crêpe ; elle tenait ses mains serrées l’une contre l’autre, pendant que ses yeux étaient fixés sur cette scène. Cependant Philippe, ignorant tout ce qu’elle lui rappelait, se plaignit bientôt que le vent était très froid, et, sans hésiter, elle se tourna vers lui et le suivit.

Elle rappela son attention afin d’écouter les moyens que Philippe proposait pour promener Charles ; il y avait bien, à ce qu’il croyait, quelque véhicule à la maison, mais pas de chevaux. Ceci ressemblait bien à l’ancienne exactitude de Philippe ! Mais, comme ils passaient devant les vastes étables où les Morville d’autrefois logeaient leurs chevaux aussi somptueusement qu’eux-mêmes, Amable proposa d’y faire quelques recherches. Ils finirent par y trouver un poney et une chèvre, et dans la remise, une brouette.

En quittant les étables, ils suivirent un long mur exposé au soleil, à l’abri duquel ils rencontrèrent Anne, qui promenait la petite Mary. Markham était auprès d’elles, et, comme il tournait le dos à Philippe et à Amable, il ne les vit pas venir, et ils purent l’entendre comme il parlait à Anne, admirait l’enfant et la faisait rire. Enfin, il la prit dans ses bras et la porta, comme il avait souvent porté son père. Mais il la rendit à sa bonne dès qu’il entendit le bruit des pas, et il fut obligé de s’essuyer les yeux avant de répondre au salut d’Amable et de Philippe. Il fut très surpris de rencontrer M. Morville, qui, la veille, semblait ne pouvoir soulever sa tête, et ne comprenait pas ce que lady Morville avait pu faire pour produire un pareil changement. Philippe avait perdu sa crainte de parler et de voir les gens, et chargea Markham de se procurer une petite voiture pour le poney. Markham fut très réjoui de ce changement ; car, depuis la maladie de M. Morville, il prenait quelque intérêt à sa personne ; il voyait que Redclyffe était un fardeau pour lui, et qu’il regardait aussi la fille de Walter comme une princesse déshéritée.

Cette courte promenade avait tellement fatigué Philippe qu’il s’endormit jusqu’au dîner. Il se réveilla fort rafraîchi, dit qu’il n’avait pas eu depuis longtemps un sommeil aussi calme, et put manger quelque chose.

Dès lors il devint de jour en jour plus fort, et put reprendre ses occupations. Il commença par joindre quelques lignes aux lettres d’Amable à Laura, et finit par écrire des lettres entières. Dès qu’il eut une petite voiture pour le poney, il promena Charles tous les jours ; Amable, étant libre, fit à son gré des voyages de découvertes dans les lieux fréquenté autrefois par Walter, et que des descriptions lui avaient fait connaître. Dès les premiers jour elle trouva la chambre de Walter ; elle s’y promenait en long et en large avec la petite Mary dans ses bras, lui montrant les trésors réunis par son père dans son enfance, et que madame Drew conservait avec un soin religieux. Un jour, étant seule dans le salon, elle voulut essayer le piano qu’il avait choisi pour elle. Il était fermé, mais elle en avait la clef, qu’il lui avait donnée en venant de Londres. Elle l’ouvrit donc ; mais la première note qu’elle toucha lui rappela si vivement le temps où elle entendait la voix de son mari, qu’elle fondit en larmes et ne put continuer. Cependant depuis ce jour il lui arriva souvent, quand elle était seule, de toucher du piano, en jouissant du plaisir que la musique causait à la petite Mary.

Cette enfant paraissait se trouver fort bien de l’air de la mer, elle prenait des couleurs, de la vivacité ; plus son intelligence se développait, plus elle ressemblait à son père. Amable reprenait des forces ; elle était moins pâle que l’été précédent, et pouvait faire de plus longues promenades. Tous les jours elle allait voir la « la mer de Walter, » avant de faire une visite dans quelque chaumière où on lui parlait de son époux avec affection, ou de s’enfoncer dans les bois qu’il aimait tant. Un jour, comme Philippe et Charles rentraient, ils la rencontrèrent dans la cour, son manteau sur le bras, et son voile de crêpe mouillé d’écume. Ses joues étaient colorées par l’air de la mer ; elle sourit à leur vue. Quand Charles fut établi sur le canapé, elle s’approcha et lui dit tout bas :

— James et Ben Robinson m’ont conduite au Shag-Roc !

Elle vit M. Wellwood, qui lui donna de bonnes nouvelles de Coombe-Prior, et se lia avec la famille Ashford. Elle trouvait un grand plaisir à visiter les chaumières, et Charles était surpris de voir combien elle était moins abattue qu’à Hollywell. C’est qu’ici tout lui rappelait Walter ; sans doute elle sentait son absence, mais elle sentait aussi grandir son espérance de le rencontrer un jour. L’anniversaire de sa mort fut cependant un jour de larmes, quoique les sentiments qui avaient soutenu Amable à cette triste époque fussent plus présents à son cœur ce jour-là qu’ils ne l’avaient été de toute l’année.

Cependant Charles et Philippe s’entendaient à merveille ; ils faisaient tout leur possible pour se rendre agréables l’un à l’autre. Philippe se sentait accablé par tout ce qu’il avait à faire, et, dans sa faiblesse, il se serait épuisé, si Charles n’était venu à son aide, travaillant avec bonne volonté, et montrant une habileté et une lucidité d’esprit qui charmaient et surprenaient Philippe. Enchanté de se voir utile, Charles offrit à son cousin d’être à l’avenir son secrétaire privé, quoique son écriture fût très mauvaise ; cet arrangement fut bientôt conclu. Philippe était reconnaissant que Charles lui rendît de pareils services, et Charles n’était pas moins ravi à l’idée de se retrouver à Hollywell, entouré de livres, et préparant les matériaux des discours admirables du député de Moorworth.

Comme la famille Edmonstone ne parlait pas encore de revenir d’Irlande, Charles et Amable prolongèrent leur séjour à Redclyffe. D’ailleurs il se passait à Kilcoran des événements qui auraient empêché Philippe de s’y rendre, quand même il aurait été bien portant.

Il avait conduit un jour Charles chez lord Thorndale, et la réception qu’on leur fit prouva à Charles que ce n’étaient pas seulement ses parents qui avaient gâté Philippe. Lady Thorndale était seule à la maison, et Philippe alla rejoindre son mari dans le parc, où on lui dit qu’il était. Charles protesta, avec un peu d’exagération, qu’il ne s’était jamais senti aussi flatté que par les compliments qu’il reçut ce jour-là au sujet de son futur beau-frère. Puis lady Thorndale le questionna beaucoup sur la famille de Courcy, et surtout sur lady Éveline. Charles, se souvenant de ce que Charlotte lui avait écrit, fit une si brillante description des charmes de sa cousine, que lady Thorndale l’en récompensa en lui faisant entendre assez clairement ce qui avait attiré son fils à Kilcoran.

En retournant à Redclyffe, Charles demanda à son cousin s’il avait deviné les intentions de son ami.

— Oui, répondit-il.

— Et pourquoi ne nous en rien dire ?

— Il me les avait confiées sous le sceau du secret.

Il n’en dit pas davantage, et Charles ne lui fit pas d’autre question ; il comprenait pourquoi Philippe approuvait maintenant une union qu’il n’aurait pas trouvée sage pendant que James Thorndale était à l’armée.

Deux ou trois jours plus tard, Charles reçut une lettre de Charlotte, qui contenait des nouvelles si surprenantes, qu’il ne put se tenir de les communiquer à ses deux compagnons.

— Ainsi Éveline ne veut pas de lui !

— Quoi ? s’écrièrent-ils.

— Vous ne voulez pas dire qu’elle a refusé Thorndale ? demanda Philippe.

— Pardon ! Charlotte dit qu’il est parti. « Le pauvre M. Thorndale nous a quittés ce matin, après un jour de conférences privées, qui ne semblent pas lui avoir causé beaucoup de satisfaction, car il a fait toute la soirée des efforts pour paraître digne et calme, qui… hem !… qui étaient grands. Mabel ne peut obtenir d’Éveline de lui dire la raison de son refus ; je crois que je la devine, mais je ne puis vous la dire. »

— Charlotte a quelque idée en tête, dit Charles en finissant.

— J’en suis bien fâché, dit Philippe. Je croyais que lady Éveline serait capable d’apprécier le caractère de Thorndale. Ce sera un grand chagrin pour lui ; il l’aimait depuis longtemps. Pauvre Thorndale !

— C’était un bon mariage pour Éva, dit Amable. M. Thorndale est un jeune homme de beaucoup de sens.

— Et je croyais, dit Philippe, que son bon sens était justement ce qu’il fallait pour faire ressortir toutes les bonnes qualités de lady Éveline, qui sont perdues dans sa famille, où l’on est si léger. Qu’est-ce qui peut la détourner ?

— Ah ! sans doute, dit Charles, quelqu’un possède son cœur. Il s’est toujours donné très facilement, et, s’il n’avait pas été devancé, Thorndale l’aurait obtenu sans difficulté. Qui sait si ce n’est pas le précepteur ?

Philippe parut un peu ému ; mais, se remettant tout de suite, il dit :

— George Fielder ? c’est impossible ; vous ne l’avez jamais vu !

— Vous oubliez la description qu’elle en faisait, dit Amable.

— C’est justement la raison, dit Charles. On voyait qu’il avait attiré son attention.

Philippe sourit d’un air d’incrédulité.

— Ah ! vous autres beaux hommes, dit Charles, vous ne pouvez vous figurer l’attrait d’une intéressante laideur. Croyez-moi : c’est le précepteur.

— J’espère que non ! dit Philippe un peu ébranlé. Dans tous les cas, c’est une triste affaire, et j’en suis fort affligé pour Thorndale.

Philippe l’était si bien qu’il reprit ses maux de tête quand il voulut écrire, et fut obligé de sortir avec Amy pendant que Charles finissait son ouvrage. Amable rentra la première, et parla encore à Charles du chagrin que cette affaire causait à Philippe.

— Je suis fâchée que vous ayez parlé de ce monsieur Fielder, dit-elle. Avez-vous oublié que c’était Philippe qui l’avait recommandé ?

— Oui, je l’avais oublié ! Il l’avait fait par esprit d’opposition. Les petits garçons ne devaient-ils pas aller à Coombe-Prior ?

— Oui, dit Amable ; c’est pourquoi cela l’inquiète si fort. J’espère qu’il n’en est rien, car Walter n’avait pas une bonne opinion de cet homme.

— Vraiment ? dit Charles avec inquiétude.

— Ce n’était qu’une impression vague, et il n’aurait pu en parler à lord Kilcoran. Il ne s’en est ouvert qu’à moi ; il l’avait vu quelquefois à Oxford, et le considérait comme un jeune homme spirituel, mais sa conversation ne lui plaisait pas beaucoup.

— Cela ne m’annonce rien de bon ! Charlotte disait aussi un jour qu’il était aimable, et, faute de mieux, en fait de conversation spirituelle, Éva se sera laissée prendre par la sienne.

Ils attendirent d’autres lettres avec impatience, mais ils n’en reçurent point. Philippe seul en eut une de son ami, qu’il lut en silence, après quoi il dit :

— Pauvre Thorndale ! Elle ne se doute guère quel trésor elle a rejeté !

Les lettres de Kilcoran devinrent de plus en plus rares ; Laura écrivait à peine à Philippe, et madame Edmonstone ne parlait jamais de lady Éveline. Pour Charlotte, ses lettres graves et contraintes étaient tellement différentes de ce qu’elles avaient été jusque-là, qu’on pouvait voir qu’elle avait quelque chose sur le cœur.

Enfin arriva une lettre de madame Edmonstone, qu’Amable ne put lire sans verser quelques larmes, et dont elle eut un peu de peine à expliquer le contenu à Philippe.


Kilcoran, le 6 novembre.


« Ma très chère Amy, vous serez aussi affligée que surprise des nouvelles que j’ai à vous communiquer. C’est une affaire des plus désagréables, et notre seule consolation est de voir la fermeté dont Charlotte a fait preuve. Je vais commencer par le commencement, et vous expliquer cette histoire aussi bien que je la comprends moi-même. Vous savez sans doute que M. Thorndale est venu dans le but de me demander la main d’Éveline. Chacun a été surpris de son refus, et plus encore quand on a découvert qu’elle aimait M. Fielder, le précepteur. Il paraît que, dès qu’ils ont compris les intentions de M. Thorndale, ils se sont non-seulement avoué leur amour, comme c’était le cas de la pauvre Laura, mais qu’ils se sont fiancés. Imaginez qu’Éva s’appuyait de l’exemple de Laura ! Il va sans dire que cette découverte a causé ici une grande confusion. Lord Kilcoran était furieux ; lady Kilcoran a pris des attaques de nefs ; le monsieur a été renvoyé de la maison, et on l’a cru parti pour l’Angleterre. Éva répandit des torrents de larmes ; mais elle finit par se calmer et paraître soumise. Nous la plaignions tous beaucoup, car M. Fielder était, sous plusieurs rapports, fait pour plaire à une jeune fille dont les bonnes qualités sont perdues avec la vie qu’elle mène ici. Comme la présence de Laura semblait lui faire du bien, lady Kilcoran témoignait le désir de la garder aussi longtemps que possible. Tout cela s’est passé il y a environ trois semaines ou un mois. Éva reprenait sa gaieté, et je venais de commencer une longue lettre pour vous, quand Charlotte entra dans ma chambre fort émue, en disant qu’Éveline était sur le point de se faire enlever par M. Fielder. Charlotte revenait seule de faire une visite à sa grand’maman, et avait pris un sentier détourné pour courir après Trim, qui, à ce qu’elle dit, semblait se douter de quelque chose, quand elle rencontra Éveline donnant le bras à M. Fielder ! Charles pourra se représenter de quel air sa sœur les regarda. Ils essayèrent de trouver quelque excuse : mais Charlotte était trop fine pour s’y laisser prendre, et déclara qu’elle avertirait lord Kilcoran. Ils cherchèrent à l’effrayer, disant que c’était affreux de trahir un secret ; elle répondit qu’on ne lui en avait point confié, et que sa maman jugerait de ce qu’il fallait faire. Ils essayèrent ensuite de lui persuader que c’était là ce que faisaient tous les amants, et citèrent l’exemple de Laura et de Philippe. Mais Charlotte ne se laissa pas ébranler si facilement, et leur répondit qu’il y en avait d’autres, dont ils n’étaient pas dignes d’entendre le nom, qui, pour rien au monde, n’auraient agi comme cela ; que Philippe et Laura, quoiqu’ils n’eussent pas été à beaucoup près aussi coupables, avaient beaucoup souffert. Enfin Éva se jeta à ses pieds et la supplia tellement de garder le silence jusqu’au lendemain, que Charlotte, avec beaucoup de clairvoyance, devina leur projet et le fit avouer à Éva. Alors elle leur déclara qu’elle aimait mieux être appelée un espion que de leur laisser faire une chose dont ils se repentiraient toute leur vie. Elle implora à son tour le pardon d’Éva, et pleura tellement qu’ils crurent qu’elle allait se laisser attendrir. Mais elle vint à moi, très affligée, et sans triompher le moins du monde de sa découverte. Vous pouvez imaginer quelle triste après-midi nous avons passé. Lord Kilcoran, voyant Éveline si déterminée, et voulant lui sauver la honte d’un enlèvement, consent à recevoir M.  Fielder, et on les mariera ici le 6 décembre, quoiqu’on ne sache pas de quoi ils vivront. Comme on désire que la chose se passe aussi décemment que possible, on nous demande de rester pour le mariage ; et, en vérité, la pauvre lady Kilcoran est si ébranlée, que je ne voudrais pas la quitter avant que tout ceci soit fini. Vous ne pouvez vous figurer combien cette maison est triste à présent, et combien je serai heureuse de me retrouver avec vous et Charles à Hollywell.

« Votre mère très affectionnée
L. Edmonstone. »

Quand Philippe apprit cette nouvelle, il en fut bouleversé ; heureusement Charles et Amy étaient là pour le consoler.

— On dirait, dit Charles à sa sœur quand il fut seul avec elle, que les gens sensés ne peuvent commettre une faute aussi impunément que les étourdis. Ces derniers imitent leur égarement sans imiter leur repentir, qu’ils ne peuvent comprendre. Voilà Philippe et Laura dont le roman finit on ne peut mieux, fortune, mariage, etc., et qui donnent au monde un fort mauvais exemple.

— C’est que le monde ne voit que la surface, dit Amy. Combien Laura doit être malheureuse ! Vous voyez que maman ne parle pas d’elle.

Philippe n’eut de paix que quand il eut écrit à son ami Thorndale, qui était parti pour l’Allemagne, ne se souciant pas de revenir chez lui pour y recevoir des compliments de condoléance.

Madame Edmonstone se trouvait chargée de toute la correspondance de la famille, car aucune de ses filles ne voulait écrire ; elle rapportait les scènes désagréables de Kilcoran. Lord Courcy était extrêmement mécontent, mais son père commençait à s’adoucir. On craignait même qu’il ne gardât les jeunes mariés chez lui jusqu’à ce que M. Fielder eût une place, et c’était un très mauvais exemple pour les jeunes sœurs d’Éveline. Enfin le mariage fut célébré et madame Edmonstone écrivit une lettre mélangée de l’indignation que lui causaient toutes les fêtes données à cette occasion, et du plaisir qu’elle éprouvait à l’idée de retourner bientôt chez elle. Charles et Amy n’étaient pas moins contents de retourner à la maison, quoiqu’ils eussent tous deux beaucoup joui de leur séjour à Redclyffe. Philippe devait les accompagner, et il fut convenu qu’il ne reviendrait pas à Redclyffe avant de pouvoir conduire Laura avec lui. Amable avait beaucoup parlé de sa sœur à madame Ashford, et s’occupa avec Philippe de divers petits arrangements qui pourraient être agréables à Laura.

— Je ne vous demande qu’une chose, lui dit-elle ; donnez-moi ce piano !

Il ne répondit que par un geste et un regard.

— Puis, je voudrais vous faire une question. Lequel de tous ces portraits est celui de sir Hugh ?

— Vous l’avez eu tous les jours vis-à-vis de vous pendant le dîner.

— Celui-là ! s’écria Amy. D’après ce qu’il m’avait dit, je m’attendais à trouver une ressemblance beaucoup plus frappante.

Elle s’approcha et l’examina encore.

— Je lui ai vu quelquefois un peu de ressemblance avec ce portrait ; mais ce n’est pas du tout ce que j’attendais.

Elle alla chercher le portrait de M. Shene. Alors Philippe et Amable elle-même durent convenir que les traits, la tournure même des deux personnages, étaient presque pareils ; mais la fierté de sir Hugh était trop différente de la douceur de Walter, pour que ces deux figures se ressemblassent.

Pour Philippe, après avoir jeté un regard sur le dessin de M. Shene, qu’il n’avait pas encore vu, il s’était détourné et se tenait à l’écart. Quand Amy eut fini sa comparaison silencieuse, elle se disposait à sortir avec son trésor ; Philippe s’approcha d’elle et lui dit :

— Consentiriez-vous à me le prêter pendant quelques instants ?

— Gardez-le autant que vous voudrez, dit-elle en le quittant ; et quand, une heure après, elle le rencontra, sortant de sa chambre, il avait les yeux rouges et gonflés, et il lui rendit le portrait sans pouvoir dire autre chose que : Merci.

Tout le monde était fâché de voir partir lady Morville et son frère ; mais on se consolait en espérant que la sœur leur ressemblerait. Quant à la petite Mary, on lui témoignait des attentions si grandes et un tel dévouement, que sa maman était bien aise qu’elle fût encore trop jeune pour s’en apercevoir, car cela aurait pu lui tourner la tête.

Ils passèrent encore la nuit à Londres, et, le lendemain matin, Philippe conduisit Charles en voiture dans quelques endroits dont il avait souvent ouï parler, et qu’il fut charmé de voir. Le soir, ils arrivèrent heureusement à Hollywell, où toute la famille se trouva de nouveau réunie autour du sofa de Charles, dans une confusion de salutations et d’embrassements.

Madame Edmonstone pouvait à peine en croire ses yeux, de voir combien Charles était mieux portant et plus actif. Amable aussi, quoiqu’elle fût toujours pâle, avait repris un air de vie, qui ne ressemblait pas du tout à l’abattement qu’elle avait peu de temps auparavant.

Tout le monde paraissait heureux, excepté Laura. Elle avait un air triste que rien ne pouvait dissiper, pas même la présence de Philippe. On aurait dit qu’elle craignait de lui parler, et elle garda le silence presque toute la soirée. Charlotte avait pris l’ancienne place d’Amy au bout du sofa de Charles, écoutant ce que son frère lui contait de Redclyffe, ou lui parlant de son séjour en Irlande. Madame Edmonstone et Amy, assises sur l’ottomane, leurs têtes rapprochées l’une de l’autre, causaient à voix basse ; M. Edmonstone entrait et sortait, allait d’un groupe à l’autre pour dire ou écouter des nouvelles, interrompant les conversations commencées. Alors madame Edmonstone quittait sa place pour féliciter Charles du bien qu’il avait fait à Amy, et Charlotte se glissait vers Amy pour lui parler de sa grand’maman. Elle ne disait rien d’Éveline, car la pauvre petite était si honteuse du rôle qu’elle avait joué dans cette affaire, que ce souvenir la rendait malheureuse. Sa mère en était bien aise ; elle avait toujours craint que Charlotte ne fût un peu trop hardie ; elle se félicitait de voir que sa seizième année lui donnait le sentiment des convenances, sans rien lui ôter de sa vivacité et de sa droiture.

Laura resta longtemps ce soir-là dans la chambre d’Amy, et, quand madame Edmonstone les eut quittées, elle s’écria : Amy, que je suis heureuse de me retrouver auprès de vous ! J’ai bien souffert !

— Mais vous voyez, dit Amable, qu’il est bien à présent.

— C’est vrai, Amy ! Vous ne savez pas tout ce que je vous dois, ni le soulagement que m’a causé votre lettre en m’apprenant que vous étiez près de lui !

Mais, quittant ce sujet pour en aborder un autre, qui semblait l’intéresser bien plus, elle ajouta :

— Qu’a-t-il pensé de moi ?

— Que voulez-vous dire ?

— A-t-il été bien affligé, en apprenant le rôle que j’ai joué dans l’affaire d’Éveline ?

— Maman n’a pas parlé de vous !

— Elle est toujours la même, cette bonne mère ! Amy, que diriez-vous de moi, quand vous apprendrez que je savais depuis longtemps le secret de cette pauvre Éva ? Que pouvais-je faire ? Elle s’appuyait de mon exemple. Le cas était pourtant bien différent, mais elle ne voulait pas le voir, et il me semblait que c’était ma faute. Charlotte me faisait envie.

— Eh bien ! il s’accuse lui-même comme vous vous accusez.

— C’est cependant ma faute à moi seule ! J’aurais dû tout dire à maman dès le premier jour.

— Que je suis heureuse de vous entendre enfin parler ainsi ! Vous aurez la paix à présent que vous reconnaissez votre faute.

— La paix, quand je me suis encore abaissée à ses yeux ? Je sais bien qu’il m’aime et qu’il m’aimera toujours ; mais je ne peux lui inspirer cette confiance, ce respect que vous avez mérité. J’aurais obtenu tout cela si j’avais tout avoué à notre mère. Que de souffrances et de reproches épargnés à Philippe, qui m’en aurait aimé davantage ! Éva n’aurait pas commis cette faute, ou, du moins, elle n’aurait pu s’autoriser de mon exemple, et j’oserais lever la tête !

Elle la baissait jusque sur ses genoux en parlant ainsi ; Amy la releva, baisa à plusieurs reprises le front et les joues de sa sœur en disant :

— Chère Laura, je vous plains ; mais, croyez-moi, vous serez plus heureuse maintenant que vous reconnaissez votre faute. Vous comprendrez mieux aussi les regrets de Philippe.

— Non ! non ! je n’ajouterai pas mes reproches à ceux qu’il s’adresse déjà !

— Vous avez raison, mais vous l’aiderez à trouver la seule consolation possible, le pardon de Celui qui efface tous nos péchés. — Mais vous êtes bien fatiguée ce soir, Laura. Couchez-vous et je vous ferai une lecture avant que vous vous endormiez.

Laura n’avait jamais été très disposée à cacher ses fautes, et avait trop senti les suites fatales de sa défiance, pour se conduire encore une fois comme elle l’avait fait. Le lendemain elle découvrit à Philippe toute sa conduite en Irlande, s’humiliant devant lui au point qu’il ne put le supporter.

— Nous avons été coupables tous deux, lui dit-il. Nous nous en souviendrons toute notre vie. Je vous avais accoutumée à prendre mes paroles pour loi, et j’ai perverti ainsi vos meilleures qualités. C’est donc moi qui suis le plus coupable, et je voudrais pouvoir porter toute la peine. Mais nous tâcherons, Laura, de nous soutenir l’un l’autre à l’avenir dans la bonne voie.

Laura pouvait à peine encore se résigner à l’entendre s’accuser ainsi, mais elle évita de le contredire ; ils furent tous deux plus heureux et plus paisibles, depuis qu’elle ne se fit plus une idole de son fiancé, et ne chercha plus en lui un modèle infaillible.