L’Exposition forestière de 1878
Revue des Deux Mondes3e période, tome 29 (p. 809-840).
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L’EXPOSITION FORESTIÈRE

I.
LES BOIS ÉTRANGERS.

Nous ne sommes pas de ceux que le succès de l’exposition a convertis à l’idée que le moment était opportun pour la France de convier tous les peuples à cette solennité internationale. Il nous semble qu’après les désastres sans nom dont nous avons été les victimes il eût été convenable de nous recueillir un peu plus longtemps, et qu’après la mutilation de notre patrie le temps n’était pas venu de faire fête à ceux qui nous avaient pris nos provinces, ou qui nous les avaient laissé prendre sans un mot de protestation. C’était surtout faire preuve de peu de mémoire et porter bien peu de temps le deuil de nos compatriotes que d’insister, comme on l’a fait, pour que l’Allemagne prît part à ce tournoi pacifique, après la guerre sans merci qu’elle nous avait faite. Son gouvernement a eu la pudeur de décliner nos invitations et de nous épargner la douleur de voir les produits alsaciens et lorrains, qui jusqu’ici avaient fait la gloire des expositions françaises, s’étaler sous les plis du drapeau prussien. Ils n’y eussent pas, il est vrai, fait une bien brillante figure, car l’annexion à l’Allemagne a été pour ces provinces, autrefois si prospères, une cause de ruine et de dépopulation. La seule exposition qui leur convienne en réalité est celle dont M. d’Haussonville a été le promoteur et qui représente le modèle des chalets que la société, dont il est l’infatigable président, a fait construire en Algérie pour ceux des habitans de l’Alsace-Lorraine qui ne peuvent se résigner à renoncer à leur qualité de Français ; elle caractérise parfaitement la situation morale et économique de cette malheureuse province, situation qui se résume par un mot, l’émigration de tous ceux qui ne sont pas forcés d’y rester. Il est regrettable que ces réflexions ne se soient pas présentées à l’esprit de nos législateurs quand la question d’une exposition universelle leur a été soumise, et que pas un d’eux n’ait demandé le renvoi à des temps meilleurs d’une solennité faite pour une situation moins troublée. Mais une fois l’exposition décidée et les fonds votés, il était du devoir de tous de chercher à la faire réussir. Il fallait, sans acception de parti, que chacun se mît à l’œuvre, pour montrer au monde que la France était restée elle-même. C’est à ce sentiment patriotique qu’ont obéi tous ces artistes, ces grands industriels qui, ayant leur réputation faite, indifférens à une récompense nouvelle, n’ont pas reculé devant les sacrifices considérables que devait leur imposer leur participation. Aussi n’est-ce pas sans quelque surprise qu’on voit le parti républicain chercher à attribuer tout l’honneur du succès à la forme du gouvernement qui nous régit. Disons-le bien haut, la république n’est pour rien dans l’affaire; elle est aussi innocente du succès de l’exposition de 1878 que l’empire l’a été de celui de l’exposition de 1867. Dans un cas comme dans l’autre, c’est à la France seule qu’en revient tout l’honneur ; j’entends à la France qui ne demande rien à la politique que de la laisser en paix. En 1878 comme en 1867, la moitié au moins des exposans se seraient abstenus s’ils avaient pu supposer que leur concours dût servir à célébrer les mérites du gouvernement existant, et, réduite à n’être qu’une œuvre de parti, chacune de ces deux tentatives eût piteusement avorté.

Il serait téméraire de prédire quels pourront être les résultats pratiques de l’exposition actuelle. A en juger par ceux des expositions précédentes, ils seront médiocres, et il ne faut pas s’en étonner. Lorsqu’on réunit sur un même point les produits du monde entier, ce devrait être avec l’arrière-pensée de les comparer, et de mettre le consommateur à même de savoir où il pourra se les procurer dans les meilleures conditions. Mais avec le régime douanier qui prévaut chez un grand nombre de peuples et qu’on cherche à rétablir chez nous, rien de semblable n’est possible. Nous n’avons plus sous les yeux qu’un spectacle, puisque, malgré la perfection de certains produits étrangers, nos protectionnistes veulent nous obliger à nous en passer et à nous contenter des leurs, quelque médiocres qu’ils soient. Au point de vue scientifique, les résultats ne seront pas beaucoup plus sérieux, car l’agglomération de tant d’objets divers disperse l’attention et rend les études spéciales fort difficiles. Tant que ces concours ne seront que des divertissemens d’oisifs, il n’y a que peu de profit à en tirer, et ils ne perdront ce caractère que lorsqu’on se décidera à faire des expositions spéciales par catégories de produits. Pour ne parler que des expositions forestières, quel profit peut-on tirer des collections de bois brut ou poli, de formes variées plus ou moins artistement groupées, que les diverses nations exposent à nos regards? Une exposition forestière n’a d’intérêt qu’au point de vue commercial ou au point de vue scientifique. Dans le premier cas, il faut qu’elle soit accompagnée de documens statistiques qui fassent connaître les prix, les qualités et la quantité disponible des bois mis en montre. Dans le second, il est nécessaire que des catalogues détaillés donnent non-seulement les noms botaniques, mais aussi les conditions dans lesquelles les arbres qui ont produit ces bois ont végété. Sauf la France, dont l’exposition à la fois scientifique et commerciale est admirable, aucune nation ne nous a fourni ces renseignemens et ne nous a mis à même de nous faire une idée quelque peu précise des richesses forestières qu’elle possède. Il eût été intéressant cependant de profiter de cette occasion pour faire l’inventaire de la production ligneuse dans le monde et pour se rendre compte de la distribution des forêts sur le globe. C’est cette étude que nous allons essayer d’entreprendre. A défaut de documens officiels, nous aurons pour nous guider dans ce travail le beau rapport sur la géographie forestière que M. Barbié du Bocage a lu au congrès des agriculteurs, et le savant ouvrage sur la Végétation du globe que M. Grisebach, professeur à Gœttingue, vient de livrer à la publicité[1].


I.

Les deux grands réservoirs dans lesquels les arbres, comme tous les autres végétaux, puisent les élémens dont ils sont formés sont l’air et le sol. Le premier fournit le carbone qui, provenant de la décomposition de l’acide carbonique, est absorbé par les plantes dans la proportion de 2,000 kilogrammes environ par hectare ; il cède également une partie de l’azote qu’il tient en suspension et qui, entraîné par les pluies, est absorbé par les racines. Quant au sol, il fournit les matières minérales qui constituent les cendres, et l’eau qui, soit à l’état hygrométrique, soit à l’état de composition, entre dans le tissu ligneux. Le sol manifeste son action sur la végétation forestière beaucoup plus par ses propriétés physiques que par ses propriétés chimiques; c’est par l’hygroscopicité, la pénétrabilité, la profondeur, qu’il devient favorable ou contraire à la croissance de telle ou telle essence d’arbres, bien plus que par les élémens dont il est composé. Ces élémens se substituent les uns aux autres sans que la végétation paraisse s’en ressentir, et l’on voit les mêmes espèces pousser sur les sols les plus divers. Les chênes viennent également bien dans l’argile et dans la silice, les plus prospèrent dans les sables purs comme dans les sols tourbeux ; le hêtre préfère les terrains calcaires, mais il croît dans tous les autres et ne redoute qu’un excès d’humidité. Ainsi, tout en ayant leurs préférences, les diverses essences ne sont pas exclusives et jouissent d’une certaine plasticité; aussi peut-on dire qu’en matière de forêt, il n’y a pas, à proprement parler, de bon ou de mauvais sol, puisqu’il n’en est pas qui ne convienne à une essence ou à une autre.

Si la nature du sol n’est pour la végétation forestière que d’une importance secondaire, il n’en est pas de même du climat. Pour que les arbres puissent se maintenir dans un lieu déterminé, il leur faut, outre certaines conditions de température, variables suivant les essences, une quantité d’eau suffisante pour faire face à tous les phénomènes de la végétation. L’eau et la chaleur sont les agens principaux de la vie des plantes, et c’est d’elles surtout que dépend la distribution des familles sur la surface du globe. Si donc on rencontre dans certaines régions de vastes espaces déserts ou dépourvus d’arbres, ce n’est pas à la stérilité du sol qu’il faut s’en prendre, mais à un climat défavorable à la végétation arbustive. Le climat lui-même étant la conséquence de la situation météorologique d’une contrée, il importe de rappeler en quelques mots les phénomènes qui la déterminent.

Les rayons solaires, aux environs de l’équateur, échauffant les masses gazeuses en contact avec la terre, les dilatent et les forcent à s’élever dans les régions supérieures de l’atmosphère. Ces masses d’air chaud se refroidissent en s’élevant et se déversent vers le nord et vers le sud; elles sont remplacées dans les régions inférieures par l’air plus froid qui vient des pôles et qui s’échauffe à son tour. Il s’établit donc, dans chaque hémisphère, un double courant qui va du pôle à l’équateur, dans les régions basses, et de l’équateur au pôle, dans les régions élevées; mais, par suite de la rotation de la terre, plus rapide à l’équateur qu’aux pôles, ce dernier s’infléchit vers l’est et tend, à mesure qu’il s’avance vers le nord, à devenir un vent d’ouest, tandis que le courant venant du pôle, en se rapprochant de l’équateur, dévie vers l’ouest et finit par souffler de l’est. — Suivant que ces courans traversent des continens ou des océans, ils se dessèchent ou se saturent d’humidité et amènent avec eux le beau temps ou la pluie. Aux environs de l’équateur, le soleil transforme en vapeurs une masse d’eau considérable dont une partie retombe immédiatement par suite du refroidissement des couches d’air dans les hautes régions; le surplus est emporté par le courant qui se dirige vers le pôle et se résout en pluie à mesure que la température s’abaisse ou que les circonstances locales provoquent la condensation des vapeurs; c’est pourquoi dans nos pays les vents de l’ouest et du sud-ouest sont ordinairement pluvieux. Lorsque ce courant revient du pôle, il a perdu l’humidité qu’il renfermait, et, comme il traverse d’ailleurs des contrées de plus en plus chaudes, qui augmentent sa puissance hygroscopique, il amène le beau temps et devient un vent desséchant.

Ces phénomènes généraux peuvent être modifiés par certaines circonstances locales telles que la présence d’une chaîne de montagnes qui change la direction des courans, ou la formation des bourrasques qui sont en quelque sorte les remous des grands fleuves atmosphériques. Lorsqu’un vent humide rencontre une chaîne de montagnes, il ne peut la franchir qu’en s’élevant dans l’atmosphère où le refroidissement condense les vapeurs qu’il contient et qui se résolvent en pluie; une fois la chaîne franchie, ce même vent, débarrassé de son humidité, devient un vent sec. Les forêts, comme les montagnes, en abaissant la température, provoquent la formation des pluies, et amènent la fertilité dans des contrées qui sans cela eussent été stériles. On peut, il est vrai, se demander si cette action bienfaisante ne s’exerce pas au détriment des contrées déboisées; c’est-à-dire si la présence d’une forêt augmente en réalité la quantité de pluie qui tombe sur le globe ou si elle en modifie seulement la distribution. Au premier abord, il semble que, le soleil ne pouvant évaporer qu’une certaine quantité d’eau, ce qui tombe sur un point est perdu pour les autres. Il n’en est rien cependant, car, s’il ne pleuvait jamais et si l’air restait saturé d’humidité, il ne se produirait aucune évaporation; mais chaque molécule de vapeur qui se condense est aussitôt remplacée par une autre, celle-ci par une troisième et ainsi de proche en proche; en sorte que l’atmosphère, en se desséchant peu à peu, provoque par cela même une évaporation plus active des eaux de l’Océan. Il en résulte que toute cause nouvelle de pluie, comme la création d’une forêt, dans une région qui en était dépourvue, est en même temps une cause nouvelle d’évaporation et devient pour cette région un bienfait dont elle profite sans préjudice pour aucune autre.

Au point de vue climatologique, le globe est divisé en cinq zones: la zone équatoriale, comprise entre les deux tropiques ; deux zones tempérées au nord et au sud de celle-ci, et deux zones polaires. Ces différentes zones ont leur végétation propre et leurs familles botaniques particulières ; mais elles ne suivent pas exactement les degrés de latitude, et se pénètrent les unes les autres. Ainsi, la flore septentrionale de la zone tempérée empiète sur plusieurs points sur le domaine de la flore arctique ; tandis que sur d’autres, c’est au contraire cette dernière qui vient échancrer la première. Les émanations provenant des grands courans de l’Atlantique et du Pacifique, le Gulf-stream et le Tessan, font pénétrer la flore de la zone tempérée jusqu’en Laponie et sur les rivages de l’Amérique russe, tandis que le courant polaire fait descendre la flore arctique jusqu’au Labrador et à la pointe méridionale du Groenland, c’est-à-dire à la latitude de Stockholm.

Les effets de la température ne se font pas seulement sentir dans le sens de la longitude, en allant de l’équateur aux pôles, mais aussi dans le sens de l’altitude, en s’élevant de la plaine au sommet des montagnes, et l’on peut souvent traverser, en quelques heures, plusieurs zones de végétation, depuis les champs de céréales qui jaunissent la plaine, jusqu’aux neiges perpétuelles, en suivant des pentes couvertes d’abord de vignobles, puis de bois feuillus, puis de bois résineux, puis de simples pâturages de graminées.

Nous avons dit plus haut que l’influence thermique était avec l’eau le facteur principal qui détermine l’habitat des diverses essences forestières dont les mêmes familles se retrouvent partout où la température moyenne est sensiblement la même. Cette influence thermique se manifeste soit par les extrêmes de température, soit par la température moyenne, soit par la durée de la végétation. Il y a en effet des limites de température que les plantes ne peuvent franchir et au-delà desquelles elles périssent inévitablement; ces limites varient suivant les espèces, car les unes peuvent supporter des froids qui font périr les autres, et l’on a reconnu que la température moyenne de 10 degrés, au mois de juillet, pouvait être considérée comme la limite de la végétation arborescente. Il est nécessaire en outre, pour que les arbres puissent se perpétuer, que la somme de chaleur annuelle soit suffisante pour en assurer la fructification; il faut enfin que la période comprise entre la première apparition des feuilles et la complète maturation du fruit soit assez longue pour que toutes les phases de la végétation puissent s’accomplir régulièrement. Si les arbres résineux supportent des climats plus rigoureux que les bois feuillus, c’est parce que, grâce à leurs feuilles persistantes, ils commencent à végéter aux premiers beaux jours, sans perdre, comme ces derniers, un temps précieux à refaire leur appareil foliacé; ils peuvent donc se contenter d’une période de végétation plus courte que ces derniers.

Les conditions que réclament les diverses espèces sont donc très variables, mais c’est l’accroissement du froid qui en limite généralement l’habitat; aussi le nombre de ces espèces augmente-t-il avec la température du climat. Très nombreuses dans les pays chauds, elles se réduisent successivement à mesure qu’on avance vers les pôles jusqu’à ne plus présenter que le pin sylvestre et le bouleau aux regards attristés.

Nous allons, à propos des collections exposées, examiner rapidement les conditions dans lesquelles se trouvent les divers pays du monde relativement à la végétation forestière et rechercher quelle est pour chacun d’eux l’importance de la production ligneuse. Commençons par l’Amérique.


II.

Au point de vue climatologique, l’Amérique du Nord peut être di- visée en trois régions principales : la première embrasse toute la partie comprise entre l’Amérique russe et la Floride ; la seconde est la région des prairies, et la troisième la Californie, c’est-à-dire la bande située à l’ouest des Montagnes-Rocheuses, sur le versant du Pacifique. La première a un climat plus froid que celui de l’ancien monde et présente, par rapport à ce dernier, un retard de 10 à 20 degrés de latitude. Cette différence tient à la direction principale des chaînes de montagnes qui, courant en Europe de l’ouest à l’est, opposent une barrière aux vents froids du pôle ; tandis que, dirigées en Amérique du nord au sud, elles laissent à ceux-ci, comme à ceux qui soufflent du golfe du Mexique, une libre carrière ; aussi les extrêmes de température y sont-ils très accentués. D’un autre côté, le Gulf-stream vient échauffer les côtes occidentales de l’Europe et reculer jusqu’au nord de la Norvège les limites de la zone tempérée, tandis que le courant polaire de retour longe la côte américaine et exerce une action réfrigérante.

Toute cette région était couverte autrefois d’une immense forêt dont les défrichemens ont fait disparaître aujourd’hui la plus grande partie. Le sapin blanc est l’essence qui s’avance le plus vers le nord ; il pénètre même dans la région de la flore arctique, dont le sol ne se dégèle que superficiellement, pendant les quelques mois d’été, et forme, mélangé au sapin baumier et au mélèze américain ou tamarac, le peuplement exclusif de la vaste forêt qui s’étend de l’Amérique russe au Labrador. Plus au sud, les bois feuillus se mélangent aux résineux : le pin rouge, le hemlork, le spruce, le pitchpine, s’entremêlent avec les bouleaux, les chênes, les châtaigniers, les érables, les noyers, les tulipiers, et comme la présence des grands lacs canadiens retarde en automne l’arrivée des froids, les feuilles se maintiennent sur les arbres jusqu’aux approches de l’hiver et donnent aux forêts cette infinie variété de tons qui a frappé tous les voyageurs. Les états du sud, qui correspondent par leur température au midi de l’Europe et qui sont exposés aux vents humides du golfe du Mexique, ont une végétation vigoureuse, caractérisée, pour les essences forestières, par la persistance du feuillage; on y trouve le chêne vert, l’olivier, le magnolia et surtout le pin à longues feuilles (pinus australis), qui, dans les parties basses et humides, forme à lui seul d’immenses forêts.

La côte occidentale de l’Amérique du Nord, baignée par le courant chaud du Tessan, jouit d’une température plus élevée que la côte orientale. Toute la bande comprise entre l’Océan-Pacifique et les sierras des Cascades et de Nevada, désignée sous le nom de région californienne, protégée pendant l’hiver contre les vents froids du nord, a un climat qui se rapproche de celui du midi de la France. Arrosée par les pluies bienfaisantes qui lui sont amenées du Pacifique, elle a une végétation luxuriante, dont les gigantesques échantillons se rencontrent surtout sur les pentes de la Nevada. Les conifères à aiguilles, comme ceux à feuilles de cyprès, y abondent; c’est là que croissent l’abies Douglasii, l’abies Mertensiana, le cèdre de l’Orégon, le thuya gigantea et les nombreuses espèces de sequoias, dont on connaît les dimensions prodigieuses et qui ont la précieuse faculté de repousser de souches. Tous ces arbres peuvent être considérés comme appartenant à une époque géologique antérieure à la nôtre, car ils couvraient autrefois les dépôts crétacés d’une grande partie de l’Europe, de l’Amérique et du Groenland.

La partie comprise entre les Montagnes-Rocheuses et la vallée du Mississipi forme la région des prairies ; abritée contre les vents humides du Pacifique, elle est pendant l’été absolument privée d’eau; mais elle reçoit pendant l’hiver, sous forme de neige, les vapeurs qui lui sont amenées par les vents du nord et du nord-est qui soufflent sans obstacle. Cette neige, en fondant au printemps, développe une végétation herbacée abondante, mais éphémère, et qui, pendant quelques mois du moins, donne à ces vastes plaines couvertes de fleurs et de graminées l’aspect d’un merveilleux pâturage ; mais la sécheresse ne tarde pas à survenir et à les transformer en désert. Pendant une période aussi courte, toute végétation ligneuse est impossible; aussi, sauf dans quelques oasis comme l’Utah, toute cette région est-elle dépourvue d’arbres.

Telle est dans son ensemble la physionomie générale de l’Amérique du Nord, qui est représentée à l’exposition par le Canada et les États-Unis.

Comme aux expositions précédentes, le Canada a tenu à honneur de nous montrer ses richesses forestières. Outre les expositions particulières, comprenant des bois déjà façonnés, tels que des roues de voitures, des châssis de fenêtres, des portes qu’on expédie jusqu’en Australie toutes fabriquées, des bois tournés de toute espèce, le gouvernement a fait construire dans le grand vestibule un magnifique trophée en planches de diverses essences, donnant une haute idée de la production ligneuse de ce pays. Une tronce d’abies Douglasii de 2 mètres de diamètre, provenant d’un arbre de 100 mètres de haut et âgé de 566 ans, montre quelle est la puissance de la végétation sur la côte du Pacifique.

L’exploitation des forêts est la principale industrie du Canada, elle est abandonnée à des concessionnaires qui, moyennant redevance, abattent des cantons tout entiers. C’est là un procédé barbare qui amènera inévitablement la ruine des forêts et qu’il serait bien utile d’enrayer pendant qu’il en est temps encore. Le parlement canadien ne recule pas d’ailleurs devant les sacrifices nécessaires pour améliorer le cours des fleuves qui doivent par le flottage amener les bois du fond des forêts jusqu’à Québec, où ils sont embarqués pour les diverses parties du monde. Ces bois sont contrôlés à la sortie par des inspecteurs spéciaux qui y appliquent une marque indiquant la catégorie à laquelle ils appartiennent. Grâce à ce procédé, le commerce se fait avec la plus grande loyauté et le consommateur est sûr de ce qu’il achète. Ce sont surtout des planches de chêne, de pin rouge, de sapin, d’érable et de noyer qui font l’objet des exportations, et c’est l’Angleterre qui en est le principal débouché. Le Canada ne fait avec la France qu’un commerce peu important, et que le gouvernement anglais ne cherche pas à développer de crainte de perpétuer les sympathies françaises qui sont toujours vivaces dans cette colonie. Celle-ci en effet n’a pas été comprise dans le traité de commerce fait en 1860 entre la France et l’Angleterre, et comme elle ne peut pas traiter séparément pour son propre compte, elle reste soumise vis-à-vis de nous au tarif général, qui, comme on sait, est un tarif presque prohibitif. Aussi les relations commerciales entre le Canada et son ancienne métropole sont-elles presque nulles, au grand détriment des deux pays qui auraient cependant beaucoup à gagner à des rapports plus fréquens. Cette situation a provoqué chez les Canadiens un profond mécontentement qui s’est, même pendant l’exposition, manifesté à plusieurs reprises.

L’exposition des États-Unis n’est pas moins intéressante que celle du Canada. Les collections, outre les nombreux échantillons d’essences similaires à celles de nos pays, eu renferment quelques-uns appartenant à des variétés particulières à l’Amérique; de ce nombre est le pitchpine dont on fait en Europe, depuis quelques années, une grande consommation. C’est un bois parfaitement veiné, dur et renfermant une grande quantité de résine que l’opération du gemmage a accumulée dans les tissus; employé dans la menuiserie, l’ébénisterie, la fabrication des wagons, il ne le cède sous aucun rapport à nos bois les plus recherchés. Il faut citer aussi l’hickory, espèce de frêne dont on fait grand cas comme bois de menuiserie et de charronnage. On en fabrique des roues de voitures d’une légèreté et d’une solidité remarquables.

Ce qui aux États-Unis se consomme et s’exporte de bois est inimaginable; employé dans les constructions civiles et navales, dans l’ébénisterie, dans les chemins de fer, utilisé pour la fabrication du papier, pour celle du charbon et de la résine, servant au chauffage des habitations et des locomotives, le bois est d’un usage si général que s’il venait à manquer la vie tout entière de la nation s’arrêterait pour ainsi dire brusquement. Cette perspective a frappé certains esprits, et le gouvernement paraît s’être ému de la disparition des massifs forestiers qui, il y a peu d’années encore, couvraient le continent américain. Le congrès a ordonné une enquête, et un rapport volumineux vient de lui être adressé par M. Hough sur ce sujet.

D’après ce rapport, les actes édictés jusqu’ici pour empêcher dans les forêts appartenant aux états l’exploitation des arbres propres aux services publics sont restés lettre morte. Les concessionnaires, soustraits à tout contrôle, abattent ce qui leur convient et souvent ont recours à l’incendie pour cacher leurs méfaits ; aussi commence-t-on à s’apercevoir des effets de cette dévastation. Non-seulement sur un grand nombre de points le bois devient de plus en plus cher, mais on constate déjà des perturbations climatériques inquiétantes ; ainsi en Californie, où les forêts ont été détruites pour la consommation des usines et des forges, la neige des sierras fond brusquement, et, au lieu d’alimenter les cours d’eau d’une manière continue, elle les transforme en torrens au printemps et les laisse à sec le reste de l’année. Les terres échauffées par le soleil de l’été fondent les premières neiges, et prolongent l’automne jusqu’au milieu de l’hiver, rendant ainsi la contrée plus sèche et plus chaude. Pour conjurer le danger, M. Hough ne craint pas de proposer l’adoption de lois restrictives ayant pour objet de régler les exploitations des forêts et d’imposer aux états l’obligation de ne plus vendre ni pâturage, ni terrain déboisé, sans exiger des acquéreurs qu’une partie en sera replantée. Il demande également la création d’une administration forestière semblable à celle qui existe dans la plupart des états de l’Europe, et comme il prévoit fort bien que la législation actuelle des États-Unis, qui soumet tous les emplois à l’élection, ne permettrait pas aux hommes capables et honnêtes de suivre une carrière exigeant des études spéciales sans être sûrs de la conserver, il n’hésite pas à demander pour eux des garanties qui font défaut en Amérique à tous les autres fonctionnaires. Si le congrès accepte ces propositions, il aura bien mérité du pays, car il pourra transmettre aux générations futures les massifs forestiers qui ont été la principale cause de prospérité des générations passées.

L’Amérique centrale, dont les différens états avaient également envoyé des collections de bois à l’exposition, est très accidentée; les montagnes voisines de la côte précipitent les vapeurs des deux Océans et donnent à cette contrée une grande puissance de végétation. Aussi les forêts y sont-elles considérables et même en partie inexplorées. Dans les parties basses les essences qui les peuplent sont celles des régions tropicales, mais sur les montagnes apparaissent celles de la flore tempérée, c’est-à-dire les chênes, les frênes et les résineux.

La Guyane, dont nous parlerons sans nous occuper des divisions politiques, puisque la nature ne connaît pas de frontières, paraît avoir été autrefois couverte d’une série de lacs qui, rompant un jour leurs digues, versèrent leurs eaux dans l’Océan. Elle est traversée de l’est à l’ouest par plusieurs chaînes de montagnes parallèles à la côte qui coupent presque à angle droit les nombreux cours d’eau et donnent lieu à des cataractes d’un aspect grandiose, mais qui empêchent toute communication entre l’intérieur et la plaine, qui forme le long de la côte une bande de 40 milles de largeur. Les vents du nord et du nord-est, chargés des vapeurs de la mer des Antilles, y soufflent presque sans interruption et amènent des pluies abondantes partout où se produit le plus léger abaissement de température. Une barrière de montagnes, une simple forêt suffisent pour provoquer la condensation de ces vapeurs, pour enlever à ces vents toute l’humidité qu’ils tiennent en suspension et pour stériliser complètement les régions qui se trouvent au-delà. C’est sur la côte que se sont installés les Européens et qu’ils ont établi leurs cultures. Le sol, composé d’une couche d’alluvion et d’une argile blanchâtre, y est très fertile et peut fournir pendant de longues années, sans aucun engrais, des récoltes abondantes de sucre, de café, de riz et de coton. Le delta de l’Orénoque et les montagnes qui longent le rivage sont couverts d’une immense forêt. Au-delà de la première chaîne sont des savanes qui, faute de pluie, restent absolument stériles ; puis reparaissent de nouvelles montagnes et avec elles des forêts qui s’étendent au loin dans l’intérieur et vont rejoindre celles du Brésil. Ces forêts ont un aspect dont celles d’Europe ne peuvent donner une idée. La végétation, sans cesse en activité, ne laisse à l’arbre aucun repos; les feuilles à peine tombées sont immédiatement remplacées par d’autres, et le plus souvent le même individu porte à la fois des fleurs et des fruits. Cette continuité dans la végétation ne laisse pas apparaître, comme dans les arbres de nos contrées, les accroissemens annuels du tissu ligneux : le bois forme une masse homogène, compacte, de coloration variée et le plus souvent susceptible d’un beau poli ; c’est ce qui le rend si précieux pour l’ébénisterie. Beaucoup de ces arbres n’ont pas encore de nom dans la science, mais ils enchantent les regards par la beauté du feuillage, la variété des formes et la prodigieuse hauteur des fûts; ils sont reliés les uns aux autres par des lianes qui, après avoir escaladé les plus hautes branches, redescendent vers le sol pour y reprendre racine. Des oiseaux, des insectes, des reptiles sans nombre peuplent ces solitudes, dernier refuge des tribus indiennes qui fuient la civilisation.

Les forêts des parties basses, fréquemment inondées, ne renferment que des essences de peu de valeur, des palétuviers, des manguiers, des fougères arborescentes, des bambous, etc. ; mais celles des régions montagneuses produisent les bois les plus précieux dont on peut voir des spécimens, non-seulement dans les expositions des colonies françaises, anglaises et hollandaises, mais aussi dans celles que les chambres de commerce du Havre, de Rouen, de Marseille et d’autres ports ont envoyées pour faire connaître les principaux élémens de leur commerce. Le Havre seul importe annuellement 83,488,900 kilogrammes de bois exotiques d’une valeur de 15,584,719 francs. Parmi ces essences précieuses, le Mora excelsa mérite une mention spéciale. Véritable géant végétal, il atteint 60 mètres de hauteur, pousse sur les terrains les plus rebelles à toute autre culture, et produit un bois dur, serré, à fibres entrecroisées, très recherché pour les constructions navales, et qui n’est pas, comme le chêne, exposé à la pourriture sèche. La graine du Mora est comestible, et son écorce, propre à la tannerie, est employée par les Indiens comme remède contre la dyssenterie. Le Green heart ou Warapou est également un des meilleurs bois de charpente qu’on puisse trouver, surtout pour les constructions navales et hydrauliques. Citons encore le Courbaril ou Locust-tree dont le bois très dur, de couleur brune, prenant un beau poli, est excellent pour l’ébénisterie; le Purple heart ou copaifera bracteata, qui atteint de très belles dimensions, dont le bois d’un rouge violacé est extrêmement résistant, mais qui est peut-être plus précieux encore par la résine qu’il distille; le dalbergia nigra ou palissandre; le cedrela odorata dont l’odeur aromatique le préserve des attaques des insectes et qu’on emploie à la confection des caisses de cigares ; le Quebracho, propre au charronnage, et dont le bois réduit en sciure sert au tannage des peaux ; enfin l’acajou qui, de tous, est le plus connu en Europe. Le meilleur acajou vient de Saint-Domingue, mais le prix élevé de celui-ci n’en permet pas l’emploi autrement que comme placage ; celui du Honduras et de la Guyane est de moins belle qualité, mais il est plus léger, plus tenace, de plus grandes dimensions que le premier, et plus apte par conséquent à être employé dans les constructions navales, car le prix n’en est pas beaucoup plus élevé que celui du chêne. Un grand nombre d’arbres de la Guyane donnent aussi des produits spéciaux susceptibles d’être utilisés dans l’industrie et la médecine ; les uns, comme le bois de campêche, le bois de Brésil, l’indigo, fournissent des matières tinctoriales ; d’autres sécrètent des gommes et des résines, comme le caoutchouc, la gutta-percha, le baume de Tolu. Tous ces arbres précieux sont depuis fort longtemps entrés dans le commerce et il en est un certain nombre qu’on trouve aujourd’hui quelque difficulté à se procurer. Les forêts accessibles sont exploitées et il faut pénétrer dans l’intérieur pour alimenter la consommation. Le gouvernement anglais paraît s’être préoccupé de cette situation et il a pris, paraît-il, quelques mesures pour empêcher les exploitations abusives ; mais il est douteux que ces mesures soient efficaces et qu’une surveillance quelconque puisse s’exercer dans ces solitudes où l’homme civilisé ose à peine s’aventurer.

Le Brésil, exposé aux vents humides de l’Atlantique, reçoit sur la côte sud-est les pluies dont la chaîne de la serra do Mar provoque la condensation. Toute cette partie est couverte d’une immense forêt dont la végétation ne se ralentit jamais. Dans l’intérieur, un plateau de 650 mètres de hauteur s’incline dans la direction du sud jusque vers le bassin de la Plata. Ce plateau, interrompu par les excavations de l’Amazone, du Madeira et du Paraguay, ne reçoit de pluies que pendant la courte période zénithale ; aussi est-il couvert de savanes appelées campos, partout où le sol n’est pas abreuvé par une eau courante. Lorsqu’il en est ainsi, les forêts reparaissent avec leur végétation désordonnée. Ces forêts n’ont pas l’aspect grandiose qu’on s’imagine, car si les détails sont merveilleux, l’ensemble manque d’harmonie et d’horizon ; toutes ces plantes parasites, ces épiphytes qui végètent sur les troncs déjà morts, ces lianes qui courent d’un arbre à l’autre, empêchent de voir es cimes, obscurcissent la lumière, arrêtent la circulation de l’air et vous entourent d’une atmosphère accablante imprégnée d’une forte odeur de pourriture qui serre le cœur. Ces forêts sont peuplées des arbres si nombreux que produit la région équatoriale, que nous avons déjà rencontrés dans la Guyane et dont l’énumération, même sommaire, est impossible; il faut cependant y mentionner l’araucaria, seul conifère que possède le Brésil et qui est connu sous le nom de pin du Brésil. C’est un arbre très élevé dont les branches partent du tronc en se recourbant comme les bras d’un candélabre et sont couvertes de feuilles imbriquées, d’un vert métallique, et munies d’un piquant au sommet. D’un port élégant et majestueux, cet arbre est l’un des plus beaux ornemens de ces forêts; il produit un fruit comestible et un bois compacte, facile à travailler, dont on exporte une grande quantité à Montevideo. Il est un autre arbre qui, pour certaines provinces, est une véritable providence, c’est le Copernicia cerifera, connu dans le pays sous le nom de Carnauba. Résistant aux sécheresses les plus prolongées, il fournit un excellent bois ; la partie centrale de la tige donne une espèce de sagou dont on peut faire du vin; la pulpe du fruit est comestible, l’amande torréfiée remplace le café ; les feuilles, dont il se fait une grande exportation, fournissent des fibres souples et ténues servant à la fabrication des chapeaux de paille, enfin ces mêmes feuilles sécrètent une cire dont on fait d’excellentes bougies.

Au sud du Brésil, la république argentine nous offre également le long des côtes de vastes forêts où se rencontrent le dalbergia nigra, connu chez nous sous le nom de palissandre, et en Angleterre sous celui de Rosewood; le Quebracho, dont nous avons déjà parlé, et dont le bois renferme 12 pour 100 de tannin, et les feuilles 25 pour 100; le Lapacho, qui est d’une belle couleur violette, et de nombreux arbrisseaux, dont beaucoup donnent des produits tinctoriaux ou médicinaux. Les pluies, abondantes sur la côte, diminuent à mesure qu’on s’avance dans l’intérieur, et finissent par ne plus se produire qu’accidentellement sous forme de pluies d’orage; avec elles aussi disparaissent les forêts que remplacent de simples graminées. C’est la seule végétation qu’on rencontre dans les vastes plaines appelées pampas qui s’étendent jusqu’au pied des Andes. Les plantations d’arbres y réussissent cependant, et il n’est pas douteux que, si l’on parvenait à créer artificiellement des forêts, le climat ne se modifiât bientôt et ne devînt plus humide.

Les Andes forment une double chaîne qui court parallèlement au Pacifique; mais les forêts n’y couvrent guère que les versans septentrionaux, qui reçoivent les émanations de la mer des Antilles; depuis le cap Blanco au Pérou jusqu’à Valparaiso, sur une longueur de 29 degrés, toute la chaîne est déboisée. Au Pérou, en Bolivie, dans la Nouvelle-Grenade, se rencontrent les forêts de chinchonas qui produisent le quinquina, mais qui sont dévastées partout où elles sont accessibles. Heureusement le précieux arbuste a pu être acclimaté sur d’autres points, notamment dans la chaîne des Nilgherries, dans l’Inde, à Java, à Queensland, en Australie, et même à la Réunion.


III.

Le climat de l’Australie ressemble à celui de l’Europe méditerranéenne, sauf dans la partie septentrionale où la proximité de l’équateur lui donne un caractère tropical. Les courans atmosphériques y sont réguliers et les pluies réglées d’une manière constante. Elles sont très peu abondantes au nord, et presque nulles dans l’intérieur où règne le désert. Au sud du tropique, elles persistent pendant la période hivernale, et c’est dans cette dernière région, qui occupe la partie sud-est du continent, et en Tasmanie que se sont concentrés les efforts de la colonisation. Nous ne reviendrons pas sur l’histoire de ces colonies dont tout le monde connaît le prodigieux développement ; bornons-nous à dire que le premier convoi d’émigrans fut débarqué à Port-Jackson le 20 janvier 1788, et qu’aujourd’hui, c’est-à-dire quatre-vingt-dix ans après, la colonie, peuplée de 1,500,000 habitans, a dû se diviser et former cinq gouvernemens séparés: la Tasmanie, l’Australie du sud, Victoria, Queensland et la Nouvelle-Galles du sud. L’agriculture n’y est développée que sur les côtes et dans la Tasmanie, mais le climat de l’intérieur, très favorable à la végétation herbacée, produit d’excellens pâturages, qui ont permis d’y élever d’immenses troupeaux de moutons dont le nombre s’élève aujourd’hui à plus de 20 millions; mais comme le continent ne renferme pas de hautes montagnes, les cours d’eau y sont rares et peu étendus. Aussi les années de sécheresse sont-elles calamiteuses pour les animaux qui périssent par milliers. Cette année même, plus de 5 millions de moutons sont morts au milieu des pâturages desséchés.

Dans les colonies de Queensland et de la Nouvelle-Galles du sud, les forêts ont un caractère équatorial, tandis que dans la Tasmanie et dans Victoria elles ont jusqu’à un certain point l’aspect européen. D’après l’intéressant catalogue publié par le gouvernement colonial, le sol forestier peut être partagé en trois régions distinctes: l’une ne renfermant que des buissons (scrubs) d’arbustes appartenant aux genres des bruyères et des proteacées, formant des fourrés impénétrables et indestructibles, même par le feu; la seconde est couverte de forêts claires (open forest), d’arbres très élevés, peu branchus, garnis de feuilles épaisses, dures, persistantes et riches en huiles essentielles, appartenant presque tous au genre eucalyptus. La troisième région, qui est aussi la moins connue, s’étend dans les profondeurs du continent en couvrant d’une multitude d’essences diverses les plaines, les vallées et les montagnes. La plupart de ces essences sont encore inconnues, car les arbres sont si élevés, les cimes si difficiles à distinguer au milieu des cimes voisines, leurs troncs tellement couverts de parasites, que le plus souvent on ne peut en constater l’identité qu’en les abattant. C’est là qu’on rencontre la fougère arborescente, l’ortie géante, (urtica gigas), le figuier géant (ficus gigantea), le cedrela australis, et une espèce d’araucaria connu sous le nom de pin de la baie de Moreton (Moreton bay pine) dont les fruits servent de nourriture aux Indiens.

Dans les colonies méridionales qui jouissent d’un climat tempéré, grâce à la chaîne des alpes australiennes qui les protègent contre le souffle brûlant de l’équateur, les essences se rapprochent de celles de nos contrées. Elles ont bien encore un peu le caractère tropical vers le sud-est, où se montrent certains palmiers, mais elles le perdent peu à peu à mesure qu’on s’élève, et l’on rencontre alors les espèces qui nous sont familières, comme le hêtre, le frêne et l’acacia. Sur les montagnes, l’eucalyptus s’élève jusqu’à une altitude de 2,000 mètres, mais, bien avant d’arriver à cette limite, la rigueur de la température en ralentit la croissance. Cet arbre remarquable nous paraît appelé à jouer dans le monde un rôle assez important pour mériter qu’on s’y arrête.

L’eucalyptus, dont les nombreuses variétés ont souvent été prises pour des espèces particulières, appartient à la famille des myrtacées; il a une croissance prodigieuse qui tient à la permanence de ses feuilles. Sèches, rigides, d’un gris bleuâtre, recouvertes d’un épiderme qui les protège contre la sécheresse, celles-ci persistent pendant toute l’année sans être affectées par le renouvellement des saisons. Pourvues de stomates des deux côtés et disposées perpendiculairement aux branches, de façon à être frappées par le soleil sur les deux faces à la fois, elles ont une puissance d’aspiration extraordinaire et font profiter l’arbre de la moindre humidité qui vient humecter le sol. Tant que celui-ci contient de l’eau, elles exercent leurs fonctions physiologiques avec une rare puissance et provoquent cette croissance extraordinaire qui nous étonne; mais que le sol vienne à se dessécher, la végétation s’arrête comme endormie, sans que l’arbre paraisse en souffrir, pour reprendre au moment des pluies, parfois après de longs mois, avec une nouvelle vigueur. On conçoit combien est précieuse une essence qui, s’accommodant des terrains les plus humides, est capable en même temps de résister aux sécheresses les plus prolongées; aussi a-t-on cherché à la propager partout où le climat paraissait pouvoir lui convenir. On en a planté en Californie, en Guyane, dans l’Inde, sur les côtes de la Provence et surtout en Algérie, où elle paraît appelée à rendre les plus grands services.

La variété la plus connue est l’eucalyptus globulus, appelée par les Anglais blue gum à cause de la résine qu’elle distille; elle n’a pu jusqu’à présent dépasser la zone méditerranéenne, car elle ne supporte pas un froid de plus de 4 degrés au-dessous de zéro; mais il n’est pas douteux que sur les 160 variétés d’eucalyptus il n’y en ait quelqu’une qui ne puisse s’accommoder à nos climats tempérés; on a remarqué d’ailleurs que les sujets, issus des graines des arbres qui ont végété en France, sont déjà plus robustes que ceux qui leur ont donné naissance et supportent des froids plus rigoureux. Cette essence serait pour nous une conquête des plus utiles, moins peut-être par les produits ligneux qu’elle fournit que par les services qu’elle peut rendre en assainissant le pays, en desséchant les marais, en mettant en valeur des terres incultes. L’eucalyptus en effet, ou tout au moins quelques-unes de ses variétés, s’accommode aussi bien des sols calcaires que des sols siliceux, des terrains secs que des terrains humides; mais il exige partout un sol meuble et perméable qui lui permette d’étendre au loin ses racines.

Le bois de l’eucalyptus est très dense et renferme peu d’aubier, ce qui est très remarquable pour un arbre qui s’accroît de 5 à 6 mètres par an ; exposé à l’air, il durcit et devient difficile à travailler; cette propriété est due à la solidification des gommes et des résines contenues dans le tissu ligneux, auquel elles donnent une durée remarquable, et qu’elles mettent à l’abri des ravages du taret, le rendant ainsi particulièrement propre aux constructions hydrauliques. Dans nos contrées, ce bois est disposé à se fendre et à se tourmenter, mais ne fût-il propre qu’au chauffage ou à la fabrication des traverses de chemin de fer, il n’en serait pas moins fort utile. A l’âge de cinq ans, des eucalyptus plantés près du lac Fetzara, en Algérie, fournissaient des poteaux télégraphiques et des perches de mines; à douze ans, ils avaient plus de 2 mètres de circonférence et 30 mètres de hauteur.

Le bois de l’eucalyptus n’est pas le seul produit qu’on en puisse tirer; l’écorce, épaisse et fibreuse, sert à fabriquer des cordes, des nattes et une sorte de feutre imputrescible pour les couvertures légères; les gommes et résines sont utilisées dans la pharmacie et la parfumerie; les feuilles fournissent une huile propre à l’éclairage, et, infusées dans l’alcool, elles donnent une liqueur antiseptique excellente pour le pansement des plaies de mauvaise nature et les affections cancéreuses; même desséchées, elles renferment encore 15 pour 100 de tannin et conservent pendant longtemps la propriété de chasser les insectes ; enfin les fruits passent pour avoir une propriété fébrifuge analogue à celle du quinquina.

Les services les plus importans peut-être que les eucalyptus puissent nous rendre sont ceux qui résultent de l’influence qu’ils exercent sur les conditions climatériques des régions où ils se trouvent. Leur puissance d’absorption est telle qu’ils dessèchent et assainissent les terrains marécageux, si bien qu’aujourd’hui il ne se crée pas un village en Algérie sans qu’on ne commence par mettre les habitans à l’abri des fièvres paludéennes au moyen de plantations d’eucalyptus. Ces propriétés fébrifuges ont été parfois mises en doute, mais elles sont aujourd’hui incontestables en présence des faits nombreux constatés en Algérie aussi bien qu’en Australie, et s’expliquent d’ailleurs facilement. En desséchant les marais, les eucalyptus empêchent la formation des miasmes qui s’en dégagent, et comme d’autre part leurs émanations éloignent les insectes, il est probable qu’elles produisent le même effet sur les animalcules qui paraissent être la cause première des fièvres paludéennes et probablement aussi des dyssenteries qui les accompagnent le plus souvent.

Au lac Fetzara, aux mines de Mokta-el-Hadid, les ouvriers employés aux exploitations ne pouvaient passer la nuit sur place et étaient obligés de quitter tous les soirs le centre de leurs travaux ; une plantation de 200,000 pieds d’eucalyptus sur les rives basses du lac a complètement transformé le climat et chassé là fièvre en même temps que les moustiques. Il en a été de même à la Maison-Carrée, près d’Alger, au pénitencier de l’Harrach, et sur un grand nombre d’autres points. L’Australie, dont l’eucalyptus occupe les quatre cinquièmes du territoire, est à l’abri des fièvres endémiques ou paludéennes, bien que, topographiquement et géologiquement, elle ne diffère pas des autres contrées. Cela est dû, d’après un rapport de M. Bosisto, à ce qu’elle est entourée d’une atmosphère imprégnée des émanations que les huiles et les acides volatils contenus dans les feuilles laissent échapper. Ces huiles, qui transforment une partie de l’oxygène de l’air en peroxyde d’hydrogène, provoquent la formation d’une grande quantité d’ozone qui assainit l’air ambiant. On peut du reste se convaincre de cet effet en laissant évaporer dans l’air vicié d’une chambre de malade ou d’une salle pleine de monde une certaine quantité d’huile d’eucalyptus; l’atmosphère se purifie aussitôt et la respiration redevient libre et facile. Quelles qu’en soient les causes, on ne peut méconnaître les propriétés sanitaires de l’eucalyptus, et à ce titre il faut considérer l’acclimatation de cette essence dans nos régions comme un bienfait pour l’humanité.


IV.

En Afrique comme dans le Nouveau-Monde, comme en Australie, la puissance de la végétation est proportionnelle à l’abondance des pluies. La région comprise entre les tropiques, d’un Océan à l’autre, est arrosée chaque fois que le soleil passe au zénith, et soumise à l’empire des vents alises secs, dès qu’il s’en éloigne. La végétation y est vigoureuse ; les graminées ont une forme arborescente ; le pays est couvert de bois, de lacs immenses et sillonné de grands fleuves. — Au nord de cette région est le Sahara, vaste plateau de 480 mètres d’altitude, où soufflent sans obstacle les vents alises, où l’atmosphère, dépourvue de vapeurs, ne laisse jamais tomber de pluie, où les vallées profondes demeurent sèches, où le sol n’est formé que de dépôts arénacés sans humus, où l’œil n’aperçoit qu’un désert rocailleux sans terre végétale, et où n’apparaissent de temps à autre quelques oasis que là où les eaux souterraines sont assez rapprochées pour que les racines des palmiers puissent aller s’y abreuver.

L’Algérie est mieux partagée, car la chaîne de l’Atlas condense les vapeurs que contiennent les vents du nord et provoque des pluies qui malheureusement ne sont pas encore assez fréquentes au gré de nos colons. L’exposition de l’Algérie, contenue dans l’élégant pavillon que tout le monde à visité, comprend une très belle et très complète collection de bois dans laquelle on retrouve la plupart des essences de nos climats, les chênes, les frênes, les ormes, les châtaigniers, les noyers, les pins, etc. ; on y voit aussi le cèdre, l’arbre algérien par excellence, qui ne se rencontre que dans l’Atlas et dans les montagnes du Liban, phénomène assez difficile à concilier avec l’hypothèse de l’unité des centres de création. À cette collection est joint un catalogue détaillé, rédigé par M. Mangin, conservateur des forêts à Alger, qui fait connaître les ressources forestières de la colonie et dans lequel nous puiserons les détails qui suivent. D’après les derniers relevés, l’étendue des forêts algériennes est de 2,360,747 hectares ; elles forment deux bandes parallèles à la mer, réunies par les massifs qui s’étendent le long de la frontière tunisienne. Elles sont aujourd’hui reléguées dans le fond des vallées abruptes ou sur le sommet des montagnes, car les terrains accessibles ont été défrichés depuis longtemps ou livrés au pâturage. Plusieurs de ces forêts, peuplées de pins, de cèdres et de chênes zéens, sont fort belles ; d’autres, formées de chênes-lièges, sont destinées à devenir plus tard une des richesses de la colonie.

D’après la loi musulmane, les forêts étaient la propriété du beylick, et c’est en se basant sur ce principe que les différens actes, qui ont constitué la propriété en Algérie, ont considéré les forêts comme appartenant de droit à l’état. Cependant les commissions chargées de délimiter les terres à laisser aux indigènes, instituées en vertu du sénatus-consulte de 1863, ont attribué à ceux-ci, soit à titre collectif, soit à titre particulier, la propriété de quelques forêts. Elles ont de plus attribué aux connu unes, sous forme de cantonnement, certaines portions de forêts représentant la valeur des droits d’usage que les habitans exerçaient précédemment sur la forêt entière. Enfin, il a également été abandonné dans ces derniers temps aux communes européennes, à titre de dotation forestière, des parties de forêts destinées à leur fournir les bois dont elles ont besoin.

A la suite de ces diverses opérations, les 2,360,747 hectares de forêts se trouvent répartis ainsi qu’il suit :


A l’état 1,969,247 hectares.
Aux communes 77,749 —
Aux particuliers . 313,751 —

L’état se trouve donc chargé, soit comme propriétaire, soit comme tuteur des communes, de la gestion de plus de 2 millions d’hectares de forêts. Il emploie à ce service 69 agens, 288 gardes et brigadiers français, 111 gardes indigènes, et y consacre un budget de 1,188,660 francs. Ce service comprend, outre la délimitation des massifs boisés et le cantonnement des communes usagères, la répression des délits et la surveillance des exploitations. De tous les délits les plus redoutables sont les abus de pâturage et les incendies. La sécurité que la domination française a donnée aux indigènes, qui ne sont plus comme autrefois exposés à des razzias de tribu à tribu, leur a permis d’élever plus de bétail en même temps qu’elle en a considérablement augmenté la valeur; aussi voit-on pendant la saison sèche des troupeaux entiers abandonner la plaine aride pour chercher dans les forêts des hauts plateaux une herbe plus abondante; mais pour empêcher que ces troupeaux ne dévastent les jeunes coupes, on les cantonne dans les parties où les arbres sont assez forts pour n’avoir plus rien à en craindre. Parfois, pour augmenter l’étendue des pâturages disponibles, les bergers mettent le feu aux forêts et occasionnent ainsi des incendies qui dévorent plusieurs centaines d’hectares. La loi du 17 juillet 1874 a prescrit des mesures énergiques pour mettre fin à ces dévastations, et il faut espérer que la responsabilité collective des tribus triomphera de ces pratiques sauvages.

La difficulté des transports a empêché jusqu’à présent l’exploitation des forêts de l’Algérie de prendre toute l’extension qu’elle aura un jour. Le bois n’ayant qu’une faible valeur, eu égard à son volume, ne peut supporter que des frais peu élevés ; dès que ceux-ci atteignent un certain chiffre, on a intérêt à le laisser périr sur pied plutôt qu’à l’exploiter. C’est le cas en Algérie, où dans les dernières années on n’a vendu que 74,000 mètres cubes, quand les forêts pouvaient en fournir cinq fois plus. D’une part, en effet, la population est trop peu dense pour consommer sur place tous les bois de feu, et d’autre part, la construction des routes forestières est subordonnée à celle des grandes voies de communication qui restent à ouvrir. Mais tout fait prévoir qu’avant peu les forêts de l’Algérie sortiront de la période d’attente où elles se trouvent et qu’elles commenceront à donner un revenu appréciable. Jusqu’ici les produits principaux qu’on en a tirés sont le liège et l’écorce à tan. L’étendue des forêts de chêne-liège est de 235,152 hectares, mais une très faible partie seulement en est exploitée. À cause des frais assez élevés que nécessitent les opérations préliminaires du démasselage et du débroussaillement, ces forêts sont ordinairement données à bail pour une période de quatorze ans, à l’expiration de laquelle elles doivent être rendues à l’état en pleine valeur. Les écorces à tan proviennent soit du chêne vert, soit des plus d’Alep ; ces dernières sont très recherchées, car elles donnent au cuir la couleur rouge caractéristique du cuir algérien ; elles se vendent jusqu’à 50 francs le quintal sur la place de Constantine. L’exportation des écorces à tan, en y comprenant, bien entendu, celle des forêts particulières, s’est élevée en 1877 à 20,278,000 kilog. ; celle du liège brut à 4,247,527 kilog., et celle du liège ouvré à 464,046 fr.

Les forêts produisent encore l’alfa, plante vivace de la famille des graminées, dont on fait des ouvrages de sparterie, des étoffes et surtout du papier. La mise en adjudication de ce précieux textile donne dans les trois provinces un revenu annuel de 64,407 francs. Enfin les indigènes sont autorisés à installer dans l’intérieur des massifs des fours pour y distiller les bois secs et gisans et en fabriquer du goudron. En résumé, les forêts de l’Algérie sont en bonne voie et ne tarderont pas à être sur le même pied que celles de la métropole.


V.

Si nous envisageons le continent asiatique dans son ensemble, nous retrouvons encore la loi qui préside à la distribution de la végétation sur le globe. Partout où les vents humides pénètrent dans l’intérieur et y déversent des pluies bienfaisantes, les plantes ligneuses et herbacées se montrent avec abondance; partout où ces vents n’arrivent qu’après avoir été dépouillés des vapeurs qu’ils contenaient apparaît le désert. Tel est le cas de presque toute l’Asie centrale, depuis la Mer-Noire jusqu’à la chaîne du Khian-chan, c’est-à-dire du tiers environ de cette partie du monde. Le climat de cette région, dite région des steppes, est caractérisé par un hiver très froid, auquel succède, presque sans transition, un été très chaud, dus l’un et l’autre au vent desséchant du nord-est; le printemps dure à peine quelques semaines, et la végétation, qui n’a que trois mois pour accomplir toutes ses phases, impuissante à produire aucun arbre, ne peut fournir aucun abri contre les ardeurs du soleil ou contre la bise glacée du nord.

Cette vaste région, dont la disposition des montagnes modifie par places le caractère général, comprend les plaines méridionales de la Russie, depuis la Mer-Moire jusqu’à la mer Caspienne, l’Asie-Mineure, l’Arabie, la Transcaucasie ; elle s’étend sur la Perse, vaste steppe qui se développe jusqu’à la vallée de l’Indus et ne présente quelque fertilité que sur une étroite bande de terrain aux bords de la mer Caspienne, habités par des peuplades nomades. Mais au-delà la région de l’Aral est un désert inhabitable où les hommes et les animaux ne peuvent trouver de nourriture, où les pluies qui tombent accidentellement sont aussitôt absorbées par le sol. Les pays situés à l’ouest des grandes chaînes de l’Asie centrale, l’Altaï et le Khian-chan, c’est-à-dire la Dzoungarie et la Kachgarie, sont d’une remarquable fertilité; abrités contre les vents desséchans par des hauteurs infranchissables, arrosés par de nombreux cours d’eau, ils peuvent être considérés comme la serre chaude de la vieille Asie; mais à l’est s’étendent la grande plaine de Gobi et la Mongolie, qui sont de véritables déserts; il en est de même du Thibet, où la sécheresse de l’air ne permet qu’une végétation pauvre sur un sol rocailleux. L’Asie-Mineure, il est vrai, n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui, et il est probable que des irrigations bien. entendues et des reboisemens faits sur une grande échelle pourront lui rendre son ancienne splendeur; c’est une tâche à laquelle il faut espérer que l’Angleterre ne faillira pas, puisqu’elle est aujourd’hui responsable de la prospérité de cette contrée.

La région chino-japonaise, qui s’étend du Thibet à l’Altaï et du tropique boréal au bassin de l’Amour, en y comprenant les îles japonaises, est, sous le rapport du climat, plus soumise que toute autre aux mouvemens généraux de l’atmosphère, et parmi eux les moussons ont une influence prépondérante. La mousson du nord-est, qui souffle du mois d’octobre au mois d’avril, donne au Japon et surtout à la Chine un climat d’automne et d’hiver sec et froid, puisqu’elle n’apporte à ces contrées qu’un air dépourvu d’humidité venant des régions glacées du pôle; la mousson du sud-ouest, au contraire, qui souffle d’avril à octobre, entraine avec elle un air chaud et saturé des vapeurs pompées dans les mers de l’Inde qui se condensent en s’avançant vers le nord et occasionnent des pluies abondantes. Ainsi partout où des circonstances locales n’y font pas obstacle, les hivers sont froids, les printemps pluvieux et les étés chauds. Ce sont là des conditions très favorables à la végétation forestière, puisque les plantes peuvent se développer vigoureusement au printemps avant de prendre, sous l’influence des chaleurs de l’été, une consistance ligneuse. Cette région devrait donc être et serait en réalité une des plus boisées du monde, si les défrichemens n’avaient en Chine relégué les forêts dans les montagnes de l’ouest. Il n’en est pas de même au Japon, où d’anciennes lois défendaient d’abattre un arbre sans le remplacer aussitôt par un autre ; aussi y trouve-t-on encore de fort belles forêts qui renferment des richesses considérables. Le paysage japonais, avec ses pentes boisées et ses vallées arrosées et cultivées, est un des plus beaux qu’on puisse voir.

La flore de cette région, qui ressemble à celle de la région méditerranéenne, est caractérisée par des arbustes au feuillage toujours vert et par une grande variété d’arbres résineux dont beaucoup sont spéciaux à ces contrées. Tels sont les plus parasols du Japon (sciadopitys), les cryptomerias, déjà complètement naturalisés dans nos jardins; les chamœcyparis, les thuyopsis, les plus à écorce blanche (bunageana) dont l’écorce, d’abord verte, blanchit en vieillissant, au point de paraître avoir été passée à la chaux; les ginkos (Salisburia adiantifolia), dont la croissance est extrêmement rapide et le travail très facile. Parmi les bois feuillus qui étaient également représentés dans les collections du Champ-de-Mars, citons diverses variétés de chênes, de frênes, de tilleuls, de sycomores, de hêtres, le camphrier (cinnamomum camphora), le planera cuspidata, variété d’orme à fibre ondulée, avec lequel les Japonais obtiennent par un débit de contre-maille un placage de toute beauté, le paulownia, dont le bois léger et poreux sert à fabriquer la plupart des objets laqués et dorés aujourd’hui si recherchés en Europe; mentionnons enfin le bambou, l’arbuste le plus précieux du pays par les usages divers auxquels on l’applique.

Au point de vue climatologique, l’Inde fait partie de la région des moussons, dans laquelle le passage du soleil d’un côté à l’autre de l’équateur détermine des courans périodiques qui souillent tantôt dans un sens, tantôt dans un autre et amènent alternativement la saison sèche et la saison pluvieuse. Toute cette région, qui comprend en outre la Birmanie, Siam, la Cochinchine, les îles tropicales de Java, Sumatra, Bornéo, etc., est couverte de forêts d’essences les plus variées. Dans les parties basses, ce sont des bambous, des fougères arborescentes, des palmiers, des mangliers, des banyans soutenus par des racines aériennes et dont les branches tombantes engendrent en touchant terre des sujets nouveaux. Tous ces arbres, mélangés d’arbrisseaux surchargés de parasites, donnent aux forêts l’aspect d’une serre en désordre dans laquelle on ne peut distinguer les individus, et non l’aspect majestueux des belles futaies de nos contrées qui les fait ressembler à une immense galerie de colonnes gothiques. Sur les points plus élevés paraissent le chêne vert, le châtaignier, le sâl (shorea robusta) estimé comme bois de construction et qui forme au pied de l’Himalaya une immense ceinture de forêts, l’acacia catechu, le santal (santalum album) au bois odorant, le teck (tectona grandis), le plus précieux des arbres de ces contrées, qui peuple encore en Birmanie, et surtout dans l’île de Java, d’immenses forêts, mais qui est depuis longtemps dans l’Inde l’objet d’exploitations abusives. Plus au nord enfin, sur les pentes orientales de l’Himalaya et dans les vallées étroites qui en descendent, les forêts prennent la physionomie des régions tempérées; on y rencontre la plupart des bois feuillus de l’Europe, auxquels succèdent les conifères. Ce sont les cèdres déodoras, les sapins de Webb, les plus élevés (pinus excelsa) et les plus à longues feuilles (pinus longifolia), qui, d’abord mélangés aux feuillus, constituent bientôt le peuplement exclusif.

Le gouvernement indien a envoyé à l’exposition une collection de plus de 600 échantillons se rapportant à 270 espèces, tous parfaitement étiquetés et classés avec le plus grand soin. Il faut dire à sa louange que depuis un certain nombre d’années il s’occupe avec sollicitude de la conservation et de l’amélioration des forêts de ce pays, pendant trop longtemps exposées aux dévastations des indigènes. Incendiées par eux pour avoir des terres à mettre en culture, elles ont disparu sur bien des points pour faire place à des jungles inextricables et qui servent de repaire aux bêtes fauves. Le gouvernement possède, sous le nom de forêts réservées, environ 24,380,000 hectares, et il a pour les gérer une administration spéciale dont un grand nombre d’agens ont fait leurs études à l’école de Nancy.

L’administration des colonies françaises a également exposé une collection de bois provenant de la Cochinchine, dont les essences diffèrent peu de celles de l’Inde. C’est dans la province de Bien-Hoa que se trouvent les forêts les plus considérables dont l’exploitation donnera lieu quelque jour à un commerce important; déjà aujourd’hui les indigènes commencent à s’y livrer et profitent de la saison des pluies pour faire flotter sur les cours d’eau les bois abattus dans l’intérieur. Les procédés employés jusqu’ici sont très rudimentaires, mais il est probable que cette industrie va se développer et se régulariser, car un agent supérieur de l’administration des forêts a été récemment chargé de l’organisation d’un service spécial.


VI.

Nous arrivons à l’Europe dont les côtes découpées forment des golfes et des mers intérieures qui permettent aux vents humides de pénétrer dans toutes les directions et d’amener la pluie sur les points les plus reculés. Au centre, et comme le noyau de cette partie du monde, s’élève la chaîne des Alpes, avec ses nombreuses ramifications, qui condense les nuages et distribue les pluies dans les vallées, en donnant naissance à de nombreux cours d’eau qui rayonnent de toutes parts. Les neiges qu’elles accumulent pendant l’hiver font l’office d’un puissant réservoir qui, pendant les chaleurs de l’été, alimente les fleuves et les rivières et atténue les effets des sécheresses. Mieux partagée que les autres continens, l’Europe n’a ni déserts, ni pampas, et si elle n’est pas tout entière couverte de forêts, c’est parce que la culture les a fait disparaître et les a remplacées. Elle appartient à la zone tempérée, sauf pour une petite partie qui pénètre dans la zone arctique. La flore de cette dernière est fort pauvre et ne comprend en fait d’arbres que des bouleaux, des plus et des mélèzes; le sol, qui pendant les quelques mois d’été ne se dégèle qu’à la surface, ne peut supporter que des essences à racines traçantes, car les autres ne pourraient puiser leur nourriture dans les couches glacées du sous-sol. Le surplus de l’Europe peut être divisé en deux régions : la région tempérée proprement dite et la région méditerranéenne.

Cette dernière comprend tous les pays baignés par les flots bleus de la Méditerranée : l’Espagne, la Provence, l’Italie, la Grèce, la Turquie jusqu’aux Balkans, la Syrie et toute la côte Africaine. Elle est caractérisée, au point de vue du climat, par la douceur de l’hiver, et par cette circonstance qu’il n’y pleut pas pendant l’été, parce que l’atmosphère échauffée du tropique et du Sahara aspire l’air des régions situées plus au nord et détermine la formation d’un vent de nord-est dépourvu d’humidité qui maintient le ciel toujours pur. Les hivers y sont doux sans que les étés y soient très chauds; mais des circonstances locales, telles que la disposition des chaînes de montagnes, modifient parfois ces caractères généraux. La marche de la végétation n’est pas la même que dans le nord ; les plantes ne se développent qu’au printemps ; elles restent stationnaires pendant la période estivale, pour se raviver sous l’action des pluies d’automne. Cette marche explique pourquoi la flore méditerranéenne comprend un si grand nombre d’arbres et d’arbustes toujours verts, comme l’oranger, l’olivier, le chêne vert, le laurier, le myrte, etc. Les feuilles de ces arbres sont épaisses et couvertes d’un épiderme luisant qui pendant la saison sèche les protège contre l’évaporation ; elles peuvent ainsi se maintenir jusqu’à l’automne, moment où elles reprennent leurs fonctions qu’elles continuent même pendant l’hiver, pourvu que la température ne tombe pas au-dessous d’un certain degré, car elles sont très sensibles au froid.

Les forêts qui autrefois couvraient la plus grande partie de cette région ont pour la plupart disparu ; dévastées par les incendies et les troupeaux, elles ont été remplacées par la végétation arbustive des maquis. Il existe cependant encore quelques massifs importans, peuplés dans les montagnes de chênes, de hêtres, de châtaigniers, parmi les bois feuillus ; de sapins, de plus sylvestres, de laricios, de pinsapos, parmi les résineux. Dans les plaines, les essences dominantes sont les chênes verts, les oliviers, les caroubiers, les cystes, les myrtes, les plus pignons, les plus maritimes et les pins d’Alep.

L’exposition espagnole, organisée par une société financière, contient des échantillons des principales essences des forêts de ce pays ainsi que des lièges, des charbons, des sumacs et des écorces ; mais elle pourrait faire illusion sur ses richesses. L’Espagne en effet est presque déboisée, et tous les soins du gouvernement tendent à conserver les massifs qui subsistent encore et à en reconstituer de nouveaux sur les montagnes. Cette opération serait pour la péninsule un véritable bienfait, car elle régulariserait le régime des cours d’eau qui, torrens pendant l’hiver, sont à sec pendant la plus grande partie de l’année, provoquerait des pluies plus fréquentes et diminuerait les sécheresses qui désolent fréquemment les plus belles provinces.

Ce que nous disons de l’Espagne s’applique au Portugal, qui a envoyé à l’exposition, outre une belle collection de bois, de nombreux échantillons de liège dont l’exploitation constitue une des principales industries du pays.

L’école forestière de Vallombrosa a exposé une collection des bois des principales essences du royaume d’Italie, parmi lesquels de magnifiques rondelles de plus maritimes et de plus laricios. Mais, ainsi qu’en Espagne, la situation des forêts est déplorable. Les sommets des montagnes sont dénudés ou à peine couverts de quelques broussailles que rongent des troupeaux affamés. Les pluies entraînent les terres des régions supérieures et n’y laissent que le roc nu. La Toscane, dont les chênes étaient autrefois si recherchés pour la marine et la fabrication du merrain, est presque dépeuplée et ne renferme plus que quelques taillis. Il semble cependant que le gouvernement se soit préoccupé de remédier à cette situation, car il a récemment proposé aux chambres, qui l’ont votée, une loi ayant pour objet de faire dresser par l’administration le tableau des forêts et des terrains dénudés qui, situés au-dessus de la zone des châtaigniers, doivent être assujettis à la servitude forestière; d’empêcher le défrichement des forêts et de reboiser aux frais de l’état ou des communes, même par voie d’expropriation, les terrains vagues qui se trouvent compris dans ce tableau. Il eût été bien plus facile d’empêcher la ruine des forêts pendant qu’elles existaient encore que de les reconstituer une fois qu’elles ne sont plus. Mais on n’apprécie l’importance des forêts que lorsqu’elles ont disparu, car il est dans la nature humaine de ne compter qu’avec le présent et de ne pas se préoccuper d’un mal lointain.

Si de la région méditerranéenne nous passons dans la région tempérée proprement dite, nous constatons que la flore n’y est pas uniforme, qu’elle est différente au nord et au midi, dans les plaines et dans les montagnes ; mais elle ne se modifie que d’une manière insensible, sans qu’on puisse établir de limites bien précises. Les arbres résineux, et particulièrement les plus à crochets et les mélèzes, sont ceux qui s’avancent le plus vers le nord et qui atteignent les plus hautes altitudes. Nous avons déjà dit que cette aptitude à supporter les climats les plus rigoureux tient à ce que, ne perdant jamais leurs feuilles, ils peuvent se contenter d’une période de végétation plus courte que les arbres dont la foliation annuelle exige un certain temps. Plus au sud, les essences feuillues, telles que le bouleau, le tilleul, le hêtre, le chêne, se mêlent aux résineux et finissent par rester les maîtresses exclusives du terrain.

Toute cette région n’était autrefois qu’une vaste forêt; mais la culture en a successivement défriché la plus grande partie. L’étendue de la surface boisée s’accroît à mesure qu’on s’avance vers le nord et vers l’est; ainsi, tandis qu’en France elle ne représente que 17 pour 100 de la surface totale du pays, en Allemagne elle est de 25 pour 100; dans les provinces d’Olonetz et de Vologda de 50 pour 100 et en Scandinavie de plus de 60 pour 100.

La Russie, qui a envoyé à l’exposition une très belle collection de bois, d’écorces et d’objets manufacturés, possède, abstraction faite de l’Asie, du Caucase et de la Finlande, 193,544,105 hectares de forêts ou 40 pour 100 de l’étendue totale de l’empire en Europe ; malheureusement ces forêts sont très inégalement distribuées, et tandis que dans les états du sud elles ne représentent qu’une proportion de 3 1/2 pour 100, dans ceux du nord elles entrent dans l’étendue totale pour plus de 60 pour 100. Surabondance excessive d’un côté, disette de l’autre, tel est donc l’état forestier de la Russie, sans que le commerce puisse rétablir l’équilibre en raison des distances énormes à traverser et de l’absence de voies de communication. Les forêts domaniales, plus ou moins grevées des droits d’usage ou affectées aux usines et mines de l’état, comprennent 126,859,723 hectares, celles de la couronne 5,995,028 hectares, et celles des particuliers, des communes ou des établissemens publics 60,689,354 hectares dont la jouissance n’est limitée par aucune loi.

Les essences qui peuplent les forêts de la Russie sont peu variées ; les plus importantes sont le pin sylvestre, qui fournit la majeure partie du bois de construction dont il se fait, sous le nom de pin de Riga, un commerce important avec l’Angleterre, la France et l’Allemagne ; l’épicéa ou sapin rouge qui alimente principalement la consommation intérieure, le sapin pectine, qu’on rencontre dans l’ouest au voisinage des Carpathes, le mélèze, abondant dans les forêts du nord-est ; le tremble, dont la fibre ligneuse sert à la fabrication de la pâte à papier ; le bouleau, qui se montre dans toute l’étendue de la Russie jusqu’au 45e degré, tantôt seul, tantôt mélangé aux arbres résineux et dont l’écorce distillée fournit l’huile empyreumatique appelée diogott. Cette écorce, qui sert aussi au tannage des cuirs de Russie, est en outre employée à la fabrication de boîtes, de corbeilles et d’autres menus objets. Le chêne pédoncule constitue également, soit seul, soit à l’état de mélange, de vastes forêts ; il y atteint de très fortes dimensions et est par la Baltique l’objet d’un commerce assez étendu avec l’Angleterre et avec la France par la Mer-Noire. Une des essences les plus précieuses de la Russie est le tilleul, qui est très répandu dans les gouvernemens de Viatka, de Kostroma, de Nijni-Novgorod et de Kasan. L’écorce sert à la fabrication des nattes, des cordes, des corbeilles et même des chaussures. On l’emploie concurremment avec celle de bouleau pour garnir l’intérieur des traîneaux et des chariots de paysans et pour couvrir les maisons. La préparation et la mise en œuvre de la tille font l’objet d’une industrie qui, pendant les mois de mai et de juin, au moment de l’ascension de la sève, absorbe des populations entières.

La consommation du bois, tant pour le chauffage que pour les constructions, est prodigieuse en Russie ; on en estime la valeur à plus d’un milliard de francs ; quant à celle du bois exporté, elle est de 65 millions. Jusque dans ces derniers temps, les forêts de l’état étaient exploitées par la méthode du jardinage, qui consiste à abattre çà et là les arbres arrivés à maturité. Depuis 1841, on a commencé à lever les plans de ces forêts et à les soumettre à un aménagement régulier; 11 millions d’hectares sont aujourd’hui dans ce cas, principalement dans les provinces du sud et du sud-ouest. Quelques grands propriétaires ont également suivi cet exemple, mais la plupart s’en tiennent aux anciens erremens. Un des principaux obstacles à l’application de la méthode rationnelle du réensemencement naturel est l’impossibilité de faire exécuter les exploitations d’une manière convenable par les ouvriers. Le personnel administratif est insuffisant et n’a pas assez d’autorité pour empêcher les abus.

La Suède et la Norvège sont au premier rang des régions forestières de l’Europe; la chaîne des Alpes scandinaves, abrupte sur le versant occidental, est inclinée en pente douce sur le versant oriental ; elle est formée de gneiss, roche qui se désagrège lentement et qui, ne produisant qu’une légère couche de terre végétale, est peu propre au développement de la culture; aussi est-elle couverte de forêts composées particulièrement d’essences traçantes. Dans le sud on rencontre le hêtre ; mais ce sont le pin sylvestre et l’épicéa qui constituent les principaux massifs et qui, par la lenteur et la régularité de leur croissance, donnent ces bois d’excellente qualité recherchés du monde entier. Si importante que soit la production forestière de ces deux pays, l’exposition qu’ils en ont faite n’en peut donner une idée, car sauf quelques échantillons envoyés par des marchands, celle-ci ne comprend que deux pavillons construits en bois du nord, et c’est aux notices publiées à l’appui qu’il faut demander les renseignemens statistiques qui permettent de se rendre compte des ressources de ces pays.

L’étendue des forêts de la Suède est de 17,569,000 hectares. Sur ce chiffre 3,427,000 appartiennent à l’état ou aux communes; le surplus est aux particuliers. Si les premières sont administrées à peu près régulièrement, il n’en est pas de même des autres, qui sont abandonnées à la dilapidation de leurs propriétaires, sans qu’aucune loi soit intervenue jusqu’ici pour en arrêter la ruine inévitable. On évalue la production totale de ces forêts à 30 millions de mètres cubes, sur lesquels 26 millions environ sont affectés à la consommation intérieure, soit comme bois de chauffage, soit comme bois de service, et 4 millions livrés à l’exportation. Ces bois représentent une valeur totale de près de 225 millions de francs, somme à laquelle on peut ajouter 3 millions pour représenter la valeur des produits secondaires, tels que la potasse, l’écorce, le goudron, etc.

La Norvège possède une étendue de 10 millions d’hectares de forêts, dans lesquelles les forêts domaniales n’entrent que pour 688, 800 hectares et qui sont sous le rapport cultural dans les mêmes conditions que celles de la Suède. L’exportation annuelle s’élève à 3,400,000 mètres cubes, représentant une valeur de 45,000,000 de francs. Quelque vastes que soient ces forêts, si le commerce continue à suivre la même progression, elles seront bientôt hors d’état de faire face aux besoins et l’on songera alors sans doute à faire des lois restrictives, qu’il serait peut-être sage de préparer dès aujourd’hui.

L’abstention de l’Allemagne nous dispensant heureusement de parler de ce pays, nous arrivons à l’exposition autrichienne, qui était des plus complètes.

L’Autriche cisleithane est un des pays les plus boisés de l’Europe et avait tenu à montrer ses richesses dont l’importance est d’ailleurs signalée par de nombreuses notices. Outre les collections envoyées par l’administration des forêts de l’état et par un certain nombre de grands propriétaires, des échantillons nombreux de bois ouvrés, tels que planches, bois tournés, parquets, bois de résonnance, merrains, etc., ont été exposés par des négocians du pays. Sur une étendue totale de 30,023,835 hectares, la Cisleithanie possède 9,260,662 hectares de forêts, soit environ le tiers de l’étendue totale. Dans ce chiffre les forêts domaniales n’entrent que pour 948,686 hectares; le surplus appartient à des communautés ou à des particuliers sur lesquels l’administration publique n’exerce aucun contrôle. Les forêts n’y sont pas également réparties et se rencontrent surtout dans les Alpes, les Carpathes, la Galicie et la Bukowine. Longtemps inexploitées par suite du peu de densité de la population, elles renferment un matériel accumulé considérable et des arbres de toute beauté. La consommation intérieure est énorme, car le bois est employé, non-seulement à construire les maisons, à clore les propriétés, à alimenter les forges et hauts-fourneaux de la Styrie et de la Carinthie, à chauffer les locomotives, mais aussi dans les forêts reculées à fabriquer de la potasse.

L’Autriche exporte en outre chaque année pour plus de 60 millions de bois. C’est au port de Trieste que sont embarqués la plus grande partie de ces produits, dont la France prend une part assez élevée sous forme de merrain; le surplus, par l’Elbe et la Vistule, est expédié dans les ports de la Mer du Nord et de la Baltique, à la destination de l’Angleterre. Dans les plaines de la Galicie et de la Bukowine, les forêts sont peuplées de plus sylvestres qui y forment des massifs étendus et y atteignent de très grandes dimensions, car on en voit de 60 mètres de hauteur sur 1 mètre de diamètre; le bois en est serré, dense, résineux, d’excellente qualité. Le hêtre peuple sur les contreforts des Carpathes de grandes forêts auxquelles la Bukowine doit son nom (buch, hêtre). Il se rencontre également dans le Tyrol, en Carinthie et en Styrie, mélangé avec le chêne rouvre et le chêne pédoncule. A une altitude plus élevée, sur les terrains calcaires, se montre le pin d’Autriche, variété du laricio; puis l’épicéa qui s’élève jusqu’à 2,400 mètres, et qui est lui-même distancé par le mélèze, par le pin de montagne et surtout par le pin cimbro, qui végète jusqu’à 2,700 mètres. Trois mois de froids non interrompus en hiver, et une somme totale, pendant l’été, de 1,450 degrés sont nécessaires à l’épicéa, tandis que le pin cimbro se contente d’une somme de température de 810 degrés, d’une durée de froid d’au moins soixante-sept jours. Parmi les élémens climatériques nécessaires à la végétation, il importe en effet de ne pas négliger celui de la durée de l’engourdissement des plantes, durée variable suivant les espèces, mais qui est aussi indispensable que la somme de température de l’été.

Ainsi que nous l’avons dit, dans toutes les parties reculées, les forêts sont encore fort belles et d’une richesse exceptionnelle; mais dans les parties plus accessibles, notamment en Bohème, en Moravie et en Silésie, elles sont, comme celles de l’état, exploitées en vue de la rente la plus élevée. On ne cherche donc pas à pousser les arbres jusqu’à un âge avancé pour avoir du bois de très fortes dimensions, on s’attache au contraire à raccourcir les révolutions pour tirer des forêts le plus tôt possible tout ce qu’elles peuvent donner; on se trouve conduit ainsi à substituer aux chênes et aux essences feuillues, dont la croissance est relativement lente, des épicéas et des plus sylvestres, qui atteignent une valeur marchande au bout d’un petit nombre d’années. Si ce système d’exploitation convient dans une certaine mesure aux particuliers qui ne peuvent immobiliser dans leurs bois un capital trop considérable, il est absolument contraire aux principes économiques qui doivent présider à l’exploitation des forêts de l’état. Aussi voit-on celui-ci abandonner les forêts qu’il possède et les livrer par des aliénations successives à la spéculation privée, représentée soit par des sociétés formées pour l’exploitation des forêts, soit par des propriétaires qui possèdent des biens fonds d’une très grande étendue, d’origine féodale, et qui en tirent directement parti. De nombreuses scieries, des fabriques de parquets, des usines à tourner le bois, des fabriques d’allumettes se sont établies à proximité des massifs et transforment incessamment les arbres qu’on leur amène et que dévore une consommation toujours croissante.

L’exposition de la Hongrie est distincte de celle de l’Autriche, et a été organisée par le ministère spécial de ce pays. Comprise entre les Carpathes et les frontières de la Turquie, la Transleithanie est, sauf la Croatie et la Transylvanie, une vaste plaine arrosée par le cours moyen du Danube et par ses affluens. Les forêts s’y divisent, comme celles de l’Autriche proprement dite, en forêts de l’état gérées par le ministère des finances, d’une contenance de 2,016,177 hectares ; en forêts de fondations appartenant aux universités ou aux établissemens religieux, dont la contenance est de 57,434 hectares et qui sont administrées par le ministère de l’instruction publique et des cultes ; et en forêts particulières dont la contenance est inconnue. Encore inexplorées, pour la plupart, privées de voies de communication, elles renferment un matériel énorme qu’on cherche aujourd’hui à réaliser peut-être avec un peu trop de précipitation, car on en livre les produits à vil prix en faisant appel à tous les spéculateurs de l’Europe. Le chêne et particulièrement le chêne pédoncule abonde dans ces forêts et couvre, mélangé au charme et à l’orme, d’immenses surfaces. Ces arbres au fût cylindrique, élevé, exempt de nœuds, de croissance régulière, à fibres droites, produisent des parquets magnifiques et le plus beau merrain qu’on puisse voir. Le merrain, qui se paie sur place, suivant les difficultés ou les facilités de l’extraction, de 5 à 36 francs le mètre cube, est expédié en France et en Allemagne. Le merrain français, destiné à des futailles de petites dimensions, est débité en douelles uniformes de 3 centimètres d’épaisseur, de 15 à 18 centimètres de largeur et de 1 mètre 15 centimètres de longueur ; il est embarqué à Trieste à la destination de Marseille, de Cette et de Bordeaux, et entre pour les 9/10e de la consommation totale de la France. Quant au merrain allemand, il est formé de larges douves plus minces au milieu qu’aux extrémités et dont la longueur varie de 4 à 8 mètres. Il représente, à destination de l’Allemagne, de la Suisse, de la Belgique et de la Hollande, une exportation de 8,750,000 francs.

Ces forêts renferment également des frênes, des hêtres et des ormes, et, sur les hauteurs, des pins, des sapins, des épicéas et des mélèzes. Un des produits les plus singuliers de ces résineux est le bois de résonnance. Fourni par l’épicéa des hautes régions, ce bois sert à la fabrication des tables d’harmonie et des divers instrumens de musique ; il doit sa sonorité à des canaux longitudinaux qui, se remplissant d’une résine concrète et dure, compriment le cambium et produisent sur les accroissemens ligneux annuels des inflexions particulières. Les arbres qui présentent cette particularité sont exploités avec soin, et se vendent, après avoir été débités en planchettes, jusqu’à 800 francs le mètre cube.

Après avoir parcouru rapidement les expositions forestières des différens pays, il nous reste à parler de celle de la France et des questions fort importantes qui s’y rattachent. Ce sera le sujet d’une prochaine étude.


J. CLAVE.

  1. La Végétation du Globe, d’après sa disposition suivant les climats, par M. Grisebach, traduit de l’allemand par M. Tchihatchef, 2 vol in-8o. Germer Baillière, 1878.