L’Espion anglais/Tome 1/03

L’Espion anglois
J. Adamson (p. 6-8).

PROSPECTUS

D’un Nouveau Journal intitulé :
L’observateur Hollandois à Paris.

« Preſque tous les Peuples de l’Europe ont éprouvé dans leur Conſtitution Politique des révolutions qui ont néceſſairement influé, plus ou moins, ſur leurs principes, leur mœurs, leurs uſages, leur façon d’être. La Nation Françoiſe, malgré la fiabilité des fondemens de la Monarchie, la plus ancienne du monde, n’a point été exempte de pareils changemens : elle a eu ſes tems de criſe, ſes ſecouſſes, ſes guerres civiles, ſemblable à la Planette où nous ſommes, qui, mue par un mouvement compoſé, tourne ſans ceſſe ſous un aſpect différent. Outre la cauſe commune de mutation avec les autres Peuples, elle a dans ſa vivacité, dans ſa légereté habituelle, une raiſon eſſentielle de ne s’offrir jamais ſous le même point de vue. Pour conſerver ſa véritable effigie (qu’on nous paſſe ce terme énergique) il faut la renouveller ſouvent, à-peu-près comme dans les monnaies, chaque luſtre on refrappe celle du Prince, dont la différence ne préſente, à certaines périodes, que des nuances preſqu’imperceptibles & de très-marquées à d’autres, ſur-tout s’il arrive une ſurabondance de ſanté, ou une altération conſidérable dans l’économie animale du Souverain. »

« Ce n’eſt donc pas à notre Obſervateur une entrepriſe téméraire, ou vaine, ou faſtidieuſe, de vouloir peindre de nouveau les François, malgré les excellens Ouvrages que nous avons ſur ce ſujet. Il a choiſi une époque d’autant plus favorable, qu’il vient de s’opérer chez ce Peuple une de ces grandes révolutions, dont, avec un nouvel ordre de choſes, il réſulte à coup ſûr un nouvel ordre d’individus. »

« D’ailleurs il est Hollandois, c’eſt-à-dire, qu’il aura ſa manière propre de voir & de ſentir ; qu’en retraçant les mêmes objets, il leur pourra trouver encore une face neuve, & les diverſifier par ſa touche libre & républicaine. »

« Il donne à ſa Correſpondance la forme de Journal, parce que la poſition la meilleure pour peindre une Nation, c’eſt de la peindre en mouvement, ſans lui en donner aucune, de les étudier, de les repréſenter toutes, & que dans une continuité de tableaux de cette eſpece, il est impoſſible de ne pas ſaiſir l’enſemble de ſon génie. »

« Ainſi cet Ouvrage, par eſſence, ni Politique, ni Moral, ni Littéraire, ni Hiſtorique entierement, fera cela tour-à-tour & peut-être à-la-fois ; il changera comme la Nation mobile dont il doit traiter. L’auteur ſe tournera avec elle vers les objets, à meſure qu’ils l’affecteront ; il parlera des matières de Religion & de Philoſophie, des Finances, du Commerce, des Arts, des Spectacles, des Actrices, des Courtiſannes, ſuivant qu’ils ſeront l’entretien du jour ; il enrichira, le plus qu’il lui ſera possible, ſon Porte-Feuille d’Anecdotes graves ou galantes, pour les reverſer au ſein de ſes Compatriotes. »

« Le François ſe plaint depuis quelque tems de ne plus rire, l’Obſervateur eſpere trouver encore des momens de gaité, le prendre ſur le fait, & lui en procurer d’autres, en les lui rappellant. »

« Avant d’entrer dans les détails particuliers dont il doit s’occuper, il a cru convenable de former, d’abord, un tableau général de l’état où il a trouvé le Royaume : introduction à ſon Journal d’autant plus curieuſe, que ce ſera par la ſuite un point d’appui dont le Lecteur pourra partir pour faire ſa comparaison. »