DE L’ESPAGNE
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.[1]

PREMIÈRE PARTIE.

L’Espagne a fini par nous contraindre à nous occuper sérieusement de son sort. Il a fallu que les convulsions de son agonie exerçassent, à Paris, un contrecoup qui déterminât un changement ministériel, pour amener le pays à comprendre que le drame joué au-delà des Pyrénées avec des péripéties si brusques et si sanglantes, n’était pas étranger à ses destinées elles-mêmes. Alors seulement notre solidarité dans un conflit qui décidera de la vitalité des idées que l’Europe entière appelle à bon droit les idées françaises, s’est révélée éclatante à tous les yeux.

Il a pu sembler commode, pendant trois années, de ne prêter aux affaires de la Péninsule qu’une attention distraite et secondaire, et d’en remettre la solution au hasard des événemens ; on a pu prendre ses mesures pour s’arranger tour à tour avec MM. de Zea-Bermudez, Martinez de la Rosa, de Toreno, Mendizabal, peut-être même pour accueillir une combinaison toute différente si elle venait jamais à prévaloir ; mais cette politique, qui fut long-temps funeste à l’Espagne avant que la France comprît qu’elle pouvait lui devenir funeste à elle-même, semble près de toucher à son terme ; et quelles que puissent être les impossibilités actuelles de l’intervention, j’ose dire qu’il est peu de bons esprits qui ne déplorent comme un malheur et comme une faute le refus opposé en 1835 aux vœux du ministère espagnol. J’ajouterai qu’il n’est pas un homme de pénétration qui, sans prétendre déterminer aujourd’hui ou l’époque ou les conditions de notre concours, ne considère la coopération française comme inévitable dans la crise péninsulaire.

L’Espagne ne sortira du chaos où elle se débat entre deux principes également stériles, que par la prépondérance de la France venant en aide à un ordre politique analogue au sien : telle fut toujours notre inaltérable conviction ; et ceux qui ont pu garder quelque souvenir des vues émises par nous sur cette matière, pourront attester qu’à nos yeux, cette idée, long-temps avant les complications actuelles, s’était produite avec une autorité qui domine les résolutions les mieux concertées, les volontés les plus énergiques.

Il est sans doute d’une bonne politique de circonscrire la sphère de son action selon la mesure de ses véritables intérêts ; et c’est parce que ce rôle a été celui de la monarchie de 1830 dans les principales transactions diplomatiques de ces dernières années, qu’en maintenant la paix de l’Europe, elle y a solidement fondé son crédit. Mais la modération présuppose également la force et la prévoyance, et ce n’est qu’en réservant formellement certaines questions qu’on acquiert le droit d’abandonner certaines autres. Or, si à Lisbonne s’agitait une question anglaise, à Varsovie une question russe, à Constantinople une question européenne, la direction des événemens dont l’Espagne est le théâtre appartenait à la France par le poids même dont ils doivent peser dans la balance de ses propres destinées.

Elle y devait intervenir au même titre qu’en Belgique, car l’indépendance de ce nouveau royaume n’a pas plus d’importance, en ce qui touche nos intérêts au dehors, que la consolidation d’un bon système de gouvernement en Espagne ne doit en exercer sur notre régime intérieur.

Pour faire comprendre cette connexité, il faudrait pénétrer jusqu’au fond de l’abîme où s’agite la malheureuse Espagne, comme un malade qui se retourne sur un lit de tortures, poursuivi par des hallucinations fébriles qu’interrompent des défaillances soudaines. Ce n’est pas durant la crise seulement qu’il convient de l’observer, car la scène change d’heure en heure au point de ne présenter qu’une incompréhensible confusion. Les forces actives de ce pays, le peuple et l’armée, ses forces intellectuelles, la noblesse, le clergé, la propriété, l’industrie, semblent accepter sans plus d’enthousiasme que de résistance les hommes et les choses les plus disparates ; et à chaque changement nouveau, les mêmes phrases banales sur l’héroïsme espagnol se reproduisent avec une imperturbable régularité comme une perpétuelle ironie.

Au sein de ce peuple qui fit tant de grandes choses, et qu’on devine capable d’en réaliser encore tant d’autres, si une idée puissante le saisissait comme en 1808, pas un homme ne s’élève avec quelque autorité, pas une institution ne se présente avec quelque force et quelque prestige. Il y a là des généraux expérimentés, d’harmonieux discoureurs, des ministres de lumières et d’expédiens ; mais ni généraux ni hommes politiques ne peuvent rien, et leurs vainqueurs ne peuvent guère plus qu’eux-mêmes. Tout avorte, et la guerre civile qui se maintient sans s’étendre, et le jacobinisme qui, après s’être vautré dans le sang, se lave les mains pour paraître aux galas de la cour, et associe aux vieilles déclamations des clubs des hommages à la reine idolâtrée et à l’innocente Isabelle. Don Carlos ne franchit pas ses montagnes dans les circonstances les plus favorables que prétendant ait jamais rêvées, mais le mouvement ne semble pas plus appelé à en finir avec lui que la résistance. On dirait que l’Espagne, assez vivante pour ressentir toutes les douleurs à la fois, n’a plus assez de force pour se défendre contre aucune d’elles.

Au lieu d’écouter le bruit des fusillades de la Navarre, et de contempler ces révoltes prétoriennes, orgies de corps-de-garde où l’ivresse du vin remplace celle des passions qu’on feint encore et qu’on n’a plus ; sans chercher à peindre une situation dont les détails nous échappent, et que le flot révolutionnaire emporte avant qu’elle ait pu se fixer, remontons plus haut dans le passé de l’Espagne, jusqu’au moment solennel où elle se prit à secouer son sommeil séculaire, provoquée par la trahison du grand homme auquel elle s’abandonnait avec tant de confiance.

Nous voudrions dégager les idées qui tendaient alors à se faire jour dans la Péninsule, et dont le progrès fut interrompu par un concours de circonstances fatales, pour arriver à montrer sous quelles inspirations ont agi les cortès constituantes de 1812, et sur quelle force a pu s’appuyer à son tour Ferdinand VII pour renverser leur ouvrage. C’est ainsi seulement qu’on fixerait le sens de cette révolution de 1820, qui, acceptée d’abord avec enthousiasme, ne trouva pas après trois ans un corps d’armée pour la défendre.

Cette appréciation préalable une fois faite, on pourra se demander en connaissance de cause pourquoi les révolutions et les contre-révolutions s’opèrent en cette contrée avec de si terribles facilités ; où vont, soit qu’ils le sachent, soit qu’ils l’ignorent, les intérêts les plus respectables et les plus puissans, et de quel point de ce sombre horizon descendront enfin la lumière et la paix, si la main de Dieu ne s’est pour toujours retirée de cette terre de calamités.

Nous allons parcourir trente années durant lesquelles l’Espagne s’est montrée sous toutes ses faces, donnant tour à tour gain de cause à chaque parti, et ne traversant l’ordre et la liberté régulière que pour retrouver le despotisme ou succomber sous l’anarchie. Nous aurons à nous demander si rien ne lie des faits qui semblent se produire au hasard, et n’enfanter que d’atroces représailles ; et si au delà des essais impuissans des conservateurs, en deçà des imprudens essais des libéraux, il n’y aurait pas un point d’arrêt auquel tendît constamment l’élite de la nation espagnole, tendance qui aurait avorté par la fatalité des événemens, bien plus que par la puissance des idées contraires.

Il y a souvent de l’injustice à rendre les nations comptables de leur fortune, et à croire qu’elles ont voulu tout ce qu’elles ont souffert. La France de 91 s’estimait arrivée au terme des innovations révolutionnaires, et formait à cette époque des vœux à peu près analogues à ceux qu’elle s’efforce encore aujourd’hui de réaliser avec des chances plus favorables. Mais elle oubliait de tenir compte des résistances de l’émigration violemment dépouillée, résistances qui suscitèrent la guerre étrangère et l’exaltation de 92, d’où sortit l’affreux régime de la terreur, non par l’engendrement naturel des idées, mais par l’effet de leur froissement. Personne ne doute que la France du directoire, malgré tant d’illusions perdues, ne désirât aussi concilier l’ordre et la liberté, c’est-à-dire le repos avec l’honneur, l’unité administrative avec le respect des intérêts, l’égalité civile avec la hiérarchie des lumières et des services, les droits des citoyens avec les prérogatives d’un pouvoir limité ; mais pour introniser ce règne de modération et de paix, elle eut besoin de l’épée d’un homme, et cet homme était Napoléon. En 1814, la nation accueillit la maison de Bourbon, parce qu’elle en attendait ce pouvoir fort et libre qu’elle rêvait toujours : les ordonnances de juillet la rejetèrent dans les voies chanceuses des révolutions, et l’anarchie triomphante l’eût indubitablement repoussée vers le despotisme. N’en serait-il pas ainsi de l’Espagne ? n’y aurait-il pas là aussi quelque point fixe vers lequel graviteraient les esprits et les choses, quoique la violence des résistances n’ait pas encore permis de s’y arrêter ?

Une étude consciencieuse nous autorise à le croire, et peut-être est-ce un devoir de le dire en un temps où l’intérêt public, qui se lasse vite comme la pitié, semble se retirer de la glorieuse nation dont l’imposante physionomie se dérobe aujourd’hui sous le voile de ses humiliations et de ses douleurs.

Si l’on suit, en effet, avec l’attention désintéressée que les passions n’accordent guère aux événemens contemporains, l’histoire de l’Espagne depuis le commencement du siècle, on la verra d’abord dominée par les sympathies françaises qu’arrêta violemment la guerre de 1808, puis conduite par l’effet d’une position mal appréciée, autant que par l’inexpérience de ses représentans, à proclamer des principes inapplicables. On comprendra dès lors le concours momentané prêté par l’opinion populaire à la réaction de 1814, qui, manquant elle-même son but, amena le mouvement de 1820. Les premières cortès livrées à elles-mêmes se fussent alors trouvées dans une situation très favorable pour réaliser le bien qu’on en attendit d’abord ; mais elles avaient malheureusement en face d’elles un prince auquel la crainte arrachait des sermens d’autant plus faciles qu’il n’aspirait qu’à les violer. Ne pouvant se confier à sa foi, les cortès abusèrent trop souvent du dangereux moyen auquel le monarque ne savait pas résister. L’effet de cette lutte continue aggrava vite la position au point de rendre l’intervention nécessaire pour la France, ardemment désirée par l’Espagne ; elle y fut accueillie d’enthousiasme, peut-être par cet instinct qui révèle à la Péninsule que son salut viendra d’au-delà des Pyrénées, et qu’en tout temps, soit que la France exerce sur elle la pacifique influence de ses idées, soit qu’elle franchisse à main armée le rempart qui les sépare, l’Espagne devra s’écrier aussi en la voyant : Salus ex inimicis nostris. L’occupation fut mieux comprise dans ce pays qu’en France même, où un parti puissant alors altéra son véritable caractère, qui devait être une médiation armée entre les partis et le pouvoir ; aussi le gouvernement de Ferdinand VII, livré à lui-même, s’avança-t-il d’oscillations en oscillations jusqu’à la crise de 1833.

À cette époque, une ère nouvelle et plus heureuse sembla s’ouvrir pour ce royaume. Le système de M. de Zea, appuyé sur le parti des afrancesados, ne pouvait être, il est vrai, un but définitif, et le principal tort de ce ministre fut d’avoir paru le croire ; mais c’était un terrain sur lequel il fallait marcher dix années au moins avant de le dépasser. Malheureusement pour le pays, l’établissement de ce régime d’améliorations et de lumières pratiques, auquel il semblait donné de faire tant de bien, et qui déchaîna tant de maux, coïncidait avec une querelle dynastique et le commencement d’une guerre civile. Les idées françaises avaient besoin, pour s’épanouir en Espagne, d’une atmosphère pacifique, et elles se développaient dans la tempête ; aussi ceux qui s’y rattachèrent furent-ils brisés tour à tour, non que la liberté modérée ait cessé d’être le vœu de la Péninsule, mais parce qu’à l’exemple de la France révolutionnaire, elle est placée dans une situation où ce vœu doit nécessairement rester inexaucé. Son histoire, en se déroulant devant nous, va confirmer par un nouvel exemple cette assertion, triste peut-être, mais trop fondée, que pour atteindre un but et s’y fixer, il faut presque toujours commencer par le dépasser.

La décomposition du vieux régime espagnol, attaqué par Ferdinand-le-Catholique dans des vues nationales, par Charles-Quint dans l’intérêt égoïste de sa propre grandeur, était consommée au commencement du xviiie siècle[2]. Cette œuvre de démolition, à laquelle s’était ardemment attachée la maison de Bourbon, avait été d’autant plus facile, qu’à part les nations basques, dont nous exposerons plus tard la situation exceptionnelle, l’ancien droit public des royaumes péninsulaires n’existait plus que dans les incohérentes compilations des jurisconsultes, tous dévoués ou soumis au pouvoir royal. La seule chance que l’on coure en démolissant des ruines, c’est d’être écrasé sous leur masse, et ce danger n’existait plus en Espagne pour la dynastie nouvelle, car les pierres y jonchaient le sol, et les ruines mêmes avaient péri. Les doctrines du temps firent invasion par deux directions à la fois : une philosophie anti-religieuse y pénétra du même pied qu’un système administratif unitaire et centraliste. Nous n’avons pas à exposer ici pourquoi ces deux ordres d’idées se sont simultanément produits en Europe, ce qu’il serait facile de faire en repoussant la conclusion qu’on en tire trop souvent, quant à leur prétendue connexité nécessaire ; il suffit de constater un fait que mettent hors de doute les mesures combinées par le ministère espagnol sous le règne de Charles III. Pendant que ce prince chassait les jésuites, réprimait l’inquisition et contenait l’influence de Rome, il ouvrait des routes et des canaux, fondait des manufactures, des associations industrielles et savantes, et le chiffre de la population, combiné avec celui de la production, s’élevait dans une progression qui dépasse tous les calculs.

Les universités recevaient alors du pouvoir ministériel une impulsion qu’elles imprimaient à leur tour à la noblesse et au clergé. Le poète Valdez-Melendez, destiné à mourir exilé sur la terre d’où il avait reçu ses inspirations[3], introduisait la philosophie de l’époque dans son cours de belles-lettres à Salamanque. Les œuvres du savant bénédictin Feijoo propageaient des doctrines économiques qui trouvèrent bientôt dans Jovellanos et Cabarrus d’éloquens et habiles interprètes.

L’administration subissait cette influence, ou, pour mieux dire, elle en était le centre. Les comtes d’Aranda, de Campo-Manès, de Florida-Blanca, rivaux de puissance, mais disciples de la même école, secondaient ce mouvement de réorganisation administrative, qui seul pouvait alors rendre à l’Espagne quelque importance politique ; et les classes riches et éclairées lui prêtaient un concours expliqué par la nécessité de livrer à la culture d’immenses possessions stériles, et de faire fructifier les capitaux, ou, pour parler plus exactement, les métaux improductifs de l’Amérique.

Le prince de la Paix suivit, selon la mesure de ses forces, un système qui avait jeté de trop profondes racines pour pouvoir être abandonné. Si le bien essayé par une main dégradée n’était compromis par son origine même, il faudrait reconnaître que l’administration de Godoï ne manqua pas toujours de portée et de clairvoyance. Diverses améliorations administratives furent ou effectuées ou tentées. Peu d’années avant sa chute, le favori avait négocié avec Rome l’obtention d’une bulle pour régulariser la vente d’une portion des biens de mainmorte ; et le régime des majorats devait subir de notables changemens. L’influence française et l’alliance avec la France devinrent, plus que jamais, la règle du régime intérieur et la base des transactions diplomatiques. À partir de la paix de Bâle, le cabinet espagnol se montra l’auxiliaire constant et dévoué de tous les gouvernemens qui se succédèrent en France, depuis la convention jusqu’à l’empire ; et si cette intimité parut quelquefois sur le point de se relâcher, comme à la rupture de la paix d’Amiens et avant la bataille d’Iéna, la cause de ces refroidissemens gisait, non dans les sentimens du peuple espagnol envers la France, ni dans ceux de la maison royale, mais dans les intérêts personnels et les mobiles préoccupations du prince de la Paix.

Ce qu’il y avait de prestigieux dans la fortune de Napoléon avait fortement saisi l’imagination castillanne : enthousiaste et mystique, associant à son ardente foi quelque chose de la fatalité orientale, elle s’inclinait sous cette étoile qui n’avait pas encore pâli. Bonaparte apparaissait d’ailleurs à l’Espagne avec le caractère qui fit toute sa force en Europe, et que l’on comprit moins peut-être à l’intérieur qu’au dehors : on voyait en lui le réformateur providentiel de l’ordre social, la plus énergique expression du mouvement, sous lequel s’abîmait un passé décrépit pour enfanter un nouvel avenir.

Le restaurateur du culte était très populaire auprès du clergé du royaume catholique ; le fils de la révolution, symbole vivant de l’égalité plébéienne, le chef d’un pouvoir intelligent et fort, était devenu, dans la Péninsule, l’espoir et le héros de tous ceux qui aspiraient à relever leur patrie par l’extirpation des abus de son régime intérieur et l’exploitation de ses immenses ressources. Sous la pourpre impériale, Napoléon était resté, pour l’étranger, l’homme des idées de 89, qui, pour être couronnées, n’en étaient pas moins vivantes. L’instinct public était indulgent pour un despotisme qui allait à détruire d’un coup plus prompt et plus sûr tout ce qui restait de la hiérarchie antérieure, et qui, par l’établissement d’un système d’administration centrale, préparait le sol que féconderaient plus tard le travail industriel et la liberté politique.

Ce caractère fut celui de Napoléon pour l’Allemagne comme pour l’Italie, pour l’Italie comme pour l’Espagne. Ni les dérogations fréquentes de sa conduite au principe qu’il représentait, ni les plus coupables attentats contre l’indépendance des peuples ne purent l’effacer de son front ; et voyez en effet si, le jour de la colère une fois passé, ils ne se sont pas tournés vers la grande tombe de Sainte-Hélène. C’est que sur ce rocher où le Prométhée du monde politique expia ses fautes, reposent des restes qui sont pour l’Europe le signe et le gage de cette organisation unitaire basée sur l’égalité civile et la libre concurrence, vers laquelle elle tend, sinon comme à un but définitif, du moins comme au principe de tous les progrès.

L’Allemagne, durant une ardente réaction contre le régime français, a bien pu, dans ses méditations savantes et solitaires, fonder une école historique avec mission de ranimer l’antique Europe, en abaissant la prétendue stérilité de l’ordre administratif et constitutionnel sous la luxuriante végétation du régime des vieilles franchises et des institutions provinciales, contemporaines des nationalités primitives : mais tout cela n’a d’importance que pour les livres, car le mouvement européen marche au rebours de ce mouvement. On peut ainsi évoquer de grands souvenirs et avancer la science archéologique ; mais il faut se résigner à rester en dehors de la politique et des sympathies actuelles.

Ces réflexions nous sont venues à la lecture d’un ouvrage récent inspiré par la situation de la Péninsule[4], que l’esprit éminent du savant auteur, abusé par ses souvenirs de jeunesse et ses préoccupations d’études, nous paraît avoir fondamentalement méconnue. Il repose sur cette donnée, que des hommes très influens en Europe sont parfois disposés à admettre, qu’au-delà des couches superficielles et du badigeonnage moderne, il existe à la gêne, et comprimée, une antique Espagne d’avant la maison de Bourbon et les princes autrichiens, où vit encore l’esprit héroïque des vainqueurs de Boabdil, l’esprit provincial et fier des Bravo et des Padilla. On en infère que les maux de ce pays ont pour principe une funeste et impossible application des méthodes françaises, successivement essayés par les constituans de Bayonne en 1808 et les constituans de Cadix en 1812, puis reprises en sous-ordre sous le règne de Ferdinand, le régime constitutionnel et le gouvernement de la reine régente, par les afrancesados et les libéraux. Une telle opinion est à nos yeux le contre-pied de la vérité : avant d’entrer dans la longue appréciation des faits, éclairons un instant cette question qui les domine tous.

L’ancienne organisation fédérale de l’Espagne reçut le dernier coup par la guerre de l’indépendance. L’insurrection de 1808 fut le dernier soupir des vieux âges, comme l’émigration avait été chez nous le jet final de la flamme chevaleresque et nobiliaire. Les divers royaumes de la Péninsule, complètement abandonnés à eux-mêmes, retrouvèrent quelques étincelles de vie d’où sortirent les juntes insurrectionnelles provinciales ; mais le mouvement était si visiblement impuissant, que le premier et le plus universel besoin fut celui d’une autorité forte et centrale ; de là, la création de la junte suprême, qui, dominée à son tour par les idées contemporaines, après avoir essayé contre elles une vaine résistance, termina sa carrière par la convocation des cortès de Cadix.

Ainsi l’esprit des temps modernes se fit jour dans les circonstances qui semblaient devoir lui être le moins favorables, et la constitution de 1812 fut le résultat d’un mouvement dans lequel le peuple et le clergé, reprenant la longue alliance des guerres sacrées, exerçaient une héroïque et décisive prépondérance, tant est fatale la loi qui pousse les nations vers des destinées nouvelles, tant il est impossible de ranimer le passé même en mourant pour lui.

Le règne absolu de Ferdinand VII, le régime constitutionnel et le gouvernement mitigé de Christine se sont accordés en ce point qu’ils aspirèrent tous à constituer une Espagne unitaire, soumise à une même législation civile et politique. Sur cette question, l’absolutisme est, dans la Péninsule, du même avis que le libéralisme le plus exalté ; et don Carlos, jurant sous le chêne antique de Guernica les fueros de la Biscaye, devait jouer assez piteusement un rôle qui concorde peu avec l’idée dont il poursuit le triomphe.

Nulle part, si ce n’est dans les quatre provinces basques, ne se révèle un génie vraiment distinct et local en ce qui concerne les vieux politiques. Le type haut et sévère de l’existence aragonaise, tel qu’il resplendit dans les écrits du coroniste Zurita[5], la vie grandiose de la Castille, le génie d’entreprise que la Catalogne dut à son contact avec la race provençale et les nations maritimes, l’esprit vif et démocratique de Valence ; tout cela se confond dans des théories uniformes et des sympathies communes. D’un bout à l’autre du royaume, les passions répètent le même mot d’ordre et sont également dénuées de spontanéité. On pend et on égorge en Aragon comme en Castille, et Malaga a été souillé des mêmes crimes, dominé par le même joug que Barcelone. C’est une étrange illusion que de chercher dans les juntes libérales, devant lesquelles MM. de Toreno et Isturitz sont tombés tour à tour, quelques souvenirs de la junta santa d’Avila et de la noble guerre des communes contre Charles-Quint[6]. Ces juntes obéissent à l’impulsion la moins spontanée qui soit au monde, celle d’une loge maçonnique ou d’un comité central ; elles ont réussi bien moins par elles-mêmes que par l’excès de la désorganisation universelle ; et encore ne se sentirent-elles pas assez fortes pour assister, sans se dissoudre, à leur propre triomphe. On peut, d’ailleurs, tenir pour certain que si la république est jamais proclamée dans la Péninsule, son premier soin sera de s’y décréter une et indivisible. Qu’on ne se fasse à cet égard nulle illusion, et qu’on n’insulte pas les mânes héroïques des chevaliers communeros par une solidarité quelconque avec la ridicule armée du comte de Las-Navas.

Mais si l’ère du fédéralisme provincial est close pour l’Espagne, ce n’est point à dire que de grands souvenirs doivent cesser d’y féconder les ames. Il n’est pas de pays où la gloire des pères soit mieux comprise de leurs fils ; ce noble culte peut se conserver sous un bon régime administratif aussi bien que dans le chaos où se débat l’Espagne.

Ce qui caractérise notre âge, c’est la distinction bien tranchée de la vie idéale et de la vie pratique, mais nullement l’immolation de la première de ces existences à la seconde. J’accorderai volontiers aux ennemis de l’administration française, savans restaurateurs des nationalités enfouies, que ce qu’ils appellent, avec quelque raison, notre régime de bureau et d’avocasserie, ne parle pas à l’ame et ne suggère pas les dévouemens sublimes ; mais ils me permettront de croire que ce régime n’interdit pas de puiser à d’autres sources, et que l’on peut avoir des affaires en bon ordre, une agriculture et un commerce florissans, une police bien faite et du crédit financier, sans être excommunié de toute religion, de toute poésie, de tout patriotisme.

C’est sans doute une médiocre qualité que de faire valoir ses terres et de tenir régulièrement ses comptes ; cependant elle est fort essentielle dans la vie, et je plains quelque peu les poètes auxquels le ciel ne l’a pas départie avec des dons plus précieux. À plus forte raison plaindrais-je une grande nation si, pour conserver sa physionomie pittoresque, il lui était interdit d’aspirer à ce bienfait essentiel de l’existence sociale.

Telle est l’œuvre du régime administratif, tel est le principe de sa puissance et de son universalité. Le volumineux Bulletin des Lois est, je le confesse, une lecture fort insipide ; mais en s’introduisant en Espagne il n’en chassera pas Calderon, pas plus que le bill de réforme, ce premier pas de l’Angleterre hors de l’ordre historique, ne fera tort au vieux Shakspeare. Les ressorts compliqués de l’organisation administrative représentant un état social où les rapports des hommes entre eux tendent à se multiplier à l’infini, il faut que l’action régulatrice, peu sensible sous une civilisation moins compliquée, et dans un milieu moins dense, si je l’ose dire, soit toujours et partout présente.

Napoléon comprit, avec sa merveilleuse intelligence, quels étaient, sous ce rapport, les besoins de l’Espagne. Mais les troubles et les scandales intérieurs l’exposèrent à une tentation qui fut l’origine de toutes les calamités de ce pays, en même temps que de ses propres infortunes.

Il eut raison sans doute de vouloir continuer au delà des Pyrénées le système de Louis XIV, qui est plutôt un axiome qu’un système ; mais Godoï lui était vendu, la perspective d’une souveraineté aux Algarves avait amorcé son ambition, et si elle s’avisait jamais de se montrer exigeante, l’empereur doublait sa popularité en donnant, par la chute du favori, la satisfaction que réclamaient à la fois l’honneur des trônes et le vœu des peuples. Charles IV n’admettait pas qu’il fût possible de contrarier le grand monarque qui lui envoyait de si belles armes de chasse, et la faction du prince des Asturies n’aspirait au succès que pour se livrer à lui après la victoire. Ferdinand écrivait à l’empereur, du palais des rois catholiques, des lettres conçues avec une humilité d’antichambre, pour implorer de sa main une épouse, puis pour mettre à ses pieds et à sa discrétion la couronne que l’insurrection d’Aranjuez venait de lui déférer.

Napoléon occupant la Péninsule avec cent mille hommes en vertu du traité pour l’expédition du Portugal, commandant à Madrid par son ambassadeur, respectueusement sollicité d’unir son sang à celui des rois catholiques, n’avait évidemment qu’un intérêt comme un devoir. Il fallait profiter de cette unique occasion pour exercer une influence salutaire et décisive sur les destinées de la nation qui se confiait si noblement à sa bonne foi et à ses armes ; il fallait devenir le régénérateur de l’Espagne en y effectuant avec le concours du pouvoir royal les réformes qu’on a demandées depuis à la liberté avec plus de péril et moins de succès. Telle fut son intention première : tous les documens contemporains l’attestent, et l’attentat de Bayonne est trop coupable pour que l’histoire doive encore ajouter au crime lui-même celui d’une longue préméditation.

Malheureusement l’empereur reçut des informations incomplètes ; il ne comprit pas l’événement d’Aranjuez, qui, loin de nuire à l’influence française, n’allait qu’à la consolider ; et voyant la peur et l’imprévoyance déférer à ses invitations avec une miraculeuse imbécillité, enivré d’un succès sûr et facile, il « osa frapper de haut, comme la providence qui remédie aux maux des mortels par des moyens parfois violens et sans s’embarrasser d’aucun jugement[7]. »

Entre toutes les épreuves que la fortune réserve aux grands hommes, la plus dangereuse est la facilité d’user de toute leur puissance. Napoléon y succomba, lorsque la vue de cette triste famille eût dû lui inspirer quelque pitié, en le rassurant complètement sur les dangers qu’il n’affectait d’ailleurs de redouter que pour avoir le droit de les prévenir.

En vain son ministre des relations extérieures, dans un rapport présenté à Bayonne, lui disait-il, que « la dynastie qui gouvernait l’Espagne serait toujours, par ses affections, ses souvenirs et ses craintes, l’ennemie cachée de la France, et que l’Espagne ne serait pour elle une amie sincère et fidèle que lorsqu’un intérêt commun unirait les deux maisons régnantes[8]. » Napoléon ne pouvait prendre au sérieux de tels motifs qui servirent de prétexte et non de mobile à sa conduite, car il avait vu Charles IV et Ferdinand, ces princes si peu Bourbons, selon l’observation d’Escoïquiz à l’empereur, qu’entre Mme de Montmorency et les dames nouvelles de l’impératrice, ils ne savaient pas même la différence.

Mais tout était déjà consommé dans sa pensée, car le génie de la politique s’était tu devant le démon de l’ambition.

« Charles IV était usé pour les Espagnols, a-t-il dit depuis dans les amers ressouvenirs de cette époque de sa vie, il eût fallu user de même Ferdinand. Le plan le plus digne de moi, le plus sûr pour mes projets, eût été une espèce de médiation à la manière de celle de la Suisse. J’aurais dû donner une constitution libérale à la nation espagnole, et charger Ferdinand de la mettre en pratique. S’il l’exécutait de bonne foi, l’Espagne prospérait et se mettait en harmonie avec nos mœurs nouvelles ; le grand but était obtenu, la France acquérait une alliée intime, une addition de puissance vraiment redoutable. Si Ferdinand, au contraire, manquait à ses nouveaux engagemens, les Espagnols eux-mêmes seraient venus me solliciter de leur donner un maître. Cette malheureuse guerre m’a enlevé mes ressources et mon crédit en Europe ; elle a été la cause première de nos calamités[9]. »

On aime à retrouver dans la bouche de Napoléon cette haute et lucide appréciation des choses que l’infortune rend au génie en compensation de ce qu’elle lui ôte. Mais c’est surtout en se plaçant au point de vue espagnol qu’il convient de déplorer à jamais ce crime qui fut pour son auteur une immense faute, pour ses victimes une source inépuisable de calamités. Si l’on veut pénétrer l’origine des maux actuels de l’Espagne, il faut, en effet, remonter jusqu’à cette guerre de l’indépendance, toute légitime et toute glorieuse qu’elle pût être. Elle arrêta le mouvement des idées françaises dans leur application pratique, en n’en laissant dominer aux cortès de Cadix que la partie la plus théorique et la plus vague.

Cette lutte sanglante ne ranima pas sans doute le cadavre de l’antique Espagne, et ce ne fut pas l’ombre de ses grands justiciers qui apparut aux héroïques défenseurs de Saragosse ; mais elle donna aux masses populaires une prépondérance exorbitante, dont elles ont successivement abusé en faveur du pouvoir absolu et de l’anarchie ; elle inspira au clergé une opinion exagérée de son influence, et fit aux classes riches et lettrées, qui avaient été plus ou moins favorables aux Français, une sorte de position excentrique au sein de la nation. Elle eut surtout pour résultat de développer dans les populations rurales ces goûts d’héroïque vagabondage contre lesquels se débat depuis si long-temps la Péninsule.

La résistance avait été tout espagnole : un parti se prit à dire qu’elle avait été toute monarchique, parce que le nom de Ferdinand captif était prononcé avec amour ; un autre se prit à croire qu’elle avait été toute libérale, parce qu’elle avait eu lieu sous les cortès constituantes, et que le pacte de 1812 était sorti comme un éclatant météore de cette lutte acharnée contre le plus grand capitaine du siècle. Il faut oser le dire à l’Espagne : les souvenirs de la guerre de l’indépendance invoqués tour à tour dans le sens le plus opposé, n’ont guère eu d’autre résultat pour elle que d’inspirer à ses peuples un orgueil indicible et une haine de l’étranger, fort peu concordans avec les emprunts que leurs représentans lui avaient faits. Ce fut là surtout la véritable pierre d’achoppement. Tout imprégné qu’on était des maximes philosophiques et gouvernementales importées de France et d’Angleterre, on entendait avoir fait une œuvre bien véritablement espagnole, funeste persuasion à laquelle, plus qu’à toute autre cause, on doit les résurrections successives d’un code incohérent et inapplicable. Si l’on avait vu clairement combien peu on était original en cousant à la constitution de 91 quelques lambeaux de Bentham et quelques textes des Partidas, on ne se fût pas exalté pour cette œuvre en l’associant à des souvenirs plus glorieux et plus vivans qu’elle.

Les nations ont rarement deux chemins pour atteindre un but, et celui que Napoléon indiquait à Sainte-Hélène étant fermé pour l’Espagne, elle vit s’ouvrir devant elle une longue carrière où elle marcha toujours à faux, parce que l’ordre naturel des événemens et des idées avait été violemment interrompu.

Elle agit noblement sans doute en affrontant sans réflexion une lutte terrible, quelles qu’en aient été les conséquences politiques ; et Dieu me garde de discuter la question de savoir si, après l’insolent attentat de Bayonne, l’Espagne n’eût pas dû accepter le roi Joseph, pour reprendre encore la route où elle ne pouvait désormais marcher sans honte ! Cet avis fut celui de bon nombre d’Espagnols, parmi lesquels ni les lumières, ni la noblesse du cœur ne faisaient faute ; car, si de basses ambitions s’associèrent à la fortune de l’intrus, il eut également à sa suite des hommes éminens qui, en face des dangers de l’avenir, crurent pouvoir faire à leur patrie un sacrifice interdit aux nations comme aux citoyens, celui de leur considération personnelle. Leur donner raison, et croire qu’un mouvement admirable d’énergie et d’universalité puisse être complètement perdu pour l’avenir d’un peuple, ce serait blasphémer l’héroïsme et soumettre le dévouement à une dangereuse analyse. Disons-le donc : rien n’est à comparer dans l’histoire des nations modernes à cette émotion de tout un peuple qui, blessé au cœur par son hôte et son ami, se soulève en face de ses bataillons avec une sombre unanimité, des rochers des Asturies aux montagnes de Ronda, comme la mer montante dont les flots s’avancent et s’enlacent dans une harmonie sublime. Il est un fait cependant que l’Europe doit connaître et que l’Espagne confesse douloureusement, et toujours en secret, quand la torture qu’elle éprouve depuis vingt ans vient à lui causer de plus insupportables angoisses. Lorsque l’enthousiasme des souvenirs de 1808 tombe devant les misères de l’exil que les partis traversent pour ainsi dire à tour de rôle, les uns, écrasés par un despotisme sans intelligence et sans ame, les autres, épouvantés des horreurs des révolutions, et les voyant toujours stériles, s’interrogent et se demandent si la constitution de Bayonne, exécutée par un prince étranger qui aurait eu tant d’intérêt à se rendre populaire, si l’union intime de l’Espagne et de l’empire, son étroite association à notre gloire et à nos prospérités, n’auraient pas préparé de meilleures destinées à leur patrie. Si l’on étudie avec quelque soin la Péninsule, et qu’on interroge les proscrits que ce sol volcanisé nous jette en si grand nombre, on surprendra cette pensée dans les ames les plus fortes, et cette révélation sera sans doute féconde en enseignemens sur le passé comme sur l’avenir.

Les artères de l’Espagne palpitèrent à nu pendant cette crise, comme ces viscères que la science observe sous le scalpel. On vit du même coup d’œil tout ce qu’il y avait d’énergie vitale dans sa complexion, et tout ce qu’étala d’inertie cet ordre social où les apparences du pouvoir absolu ne recouvraient que l’impuissance.

Le premier cri poussé des gorges d’Oviedo, vieux refuge de l’indépendance, à la nouvelle des violences exercées à Madrid par Murat, dans la funeste journée du 2 mai, se propagea comme un écho des montagnes en Galice, en Léon, puis à Séville, à Grenade, dans toutes les Andalousies et l’Estramadure. En un mois, l’Espagne entière fut debout, sans distinction d’âge ni de classe ; et l’on doit reconnaître qu’à cet égard le dernier historien de ces grands événemens, tout en laissant au clergé la large part qui lui revient dans une résistance à laquelle il s’associa, mais sans en avoir été le mobile, a redressé quelques opinions erronées, et sécularisé, si je l’ose dire, la guerre de la Péninsule.

Disons cependant, sans rien ôter à la grandeur antique de ce spectacle, qu’il fut souillé par d’abominables cruautés. Sans rappeler les égorgemens de Valence, auxquels présida, pendant deux jours, un tigre à face humaine, et dont le souvenir ne trouve à s’associer dans l’histoire contemporaine qu’à celui du 2 septembre, il est trop certain que, dans le plus grand nombre des provinces, la déclaration d’indépendance coïncida avec le massacre des Français, de leurs partisans supposés, et souvent des autorités nationales, qui, sans s’opposer au mouvement, entendaient le régler, pour en rendre le succès plus sûr. Le sang africain de la Péninsule fit alors, sous le drapeau du patriotisme, ce long apprentissage du meurtre qu’il n’a pas désappris depuis sous celui des factions.

Ce qui caractérise le mouvement de l’Espagne, c’est que partout le peuple est en scène, et que tout se fait peuple pour être quelque chose dans ces terribles momens. Le pouvoir est nul. Les finances n’existent que par les secours reçus d’Amérique, les forces maritimes ne sont que sur le papier. Quant à l’armée, elle est courageuse, parce qu’elle aussi est du peuple ; mais elle est presque toujours battue, parce que ses chefs n’ont pas l’instinct du commandement, et qu’elle n’a pas celui de la discipline. Elle s’efface complètement devant les forces britanniques et ces nuées de guerilleros et de somatènes, hardis enfans de la Navarre et de la Catalogne, qui contractèrent alors ce dangereux amour de la vie d’aventure, l’un des plus grands obstacles à l’action de tous les pouvoirs réguliers dans la Péninsule.

Pour apprécier la portée des idées gouvernementales en Espagne, il suffirait de se rendre compte de ce que fut cette junte suprême, réunie d’abord à Aranjuez, puis à Séville. Là brillaient, chargés de travaux et d’années, les débris du règne de Charles III et de l’école philosophique, Florida Blanca et Jovellanos, le célèbre écrivain Quintana, D. Martin Garay. Quelques autres réputations légitimes s’y faisaient remarquer au milieu des grands d’Espagne, des hauts dignitaires, du clergé et des hommes les plus importans entre les membres des juntes provinciales. Cependant pas un plan habile, pas une idée féconde ne sortit de cette réunion si difficilement formée, si impatiemment attendue. La junte, dominée par l’esprit routinier, asservie à toutes les vieilles formules, après s’être conféré le titre de majesté, et avoir accordé à chacun de ses membres, avec celui d’excellence et un traitement de 120,000 réaux, le droit d’orner sa poitrine d’une large plaque représentant les deux mondes, sembla d’abord mettre moins de soin à organiser des armées et à créer des ressources qu’à constater sa suprématie vis-à-vis le conseil de Castille, et à négocier avec lui. Ce dernier corps, conservateur jaloux de l’état d’anarchie légale par suite duquel il cumulait des attributions politiques, administratives et judiciaires, aussi mal limitées que peu conciliables ; camp retranché de tous les abus, puissant par sa nombreuse clientelle et son invincible opiniâtreté ; ce corps, dont la conduite avait été plus qu’ambiguë à l’arrivée de Joseph à Madrid, se trouva tout à coup, à la sortie de ce dernier de la capitale, ressuscité par l’insurrection.

Mais il y avait en celle-ci quelque chose d’entreprenant et d’audacieux qui lui donnait des vertiges. Ne tenant compte ni de la lente procédure du conseil ni de son gothique protocole, l’insurrection tranchait de la souveraineté populaire ; et le plus souvent, pour la contenir, le conseil ne savait d’autre moyen que de rappeler les droits suprêmes des cortès. À chaque circonstance délicate, à chaque collision de pouvoir, ce cri partait aussi du sein des juntes provinciales. Le gouvernement central affectait le souverain pouvoir, comme représentant à la fois Ferdinand VII et cette assemblée suprême de la nation ; les assemblées locales le lui refusaient en contestant vivement la légitimité de cette représentation, comme on déniait en France les droits politiques du parlement dans leur prétention de suppléer les états-généraux. C’était ainsi qu’une idée nouvelle jaillissait de toutes parts comme la plus impérieuse des nécessités, pendant que l’ancienne magistrature, représentée par le conseil de Castille, aspirait à mettre la révolution à son pas, à la manière de bœufs qui prétendraient s’attacher à une machine à vapeur.

On comprendrait mal, en effet, le mouvement de 1808, si l’on voulait le réduire à la question unique de l’indépendance. Ce fut là sans nul doute ce qui mit les armes aux mains de la multitude ; mais sans parler des classes éclairées, dont on a déjà apprécié les tendances politiques, il est certain qu’au sein des masses populaires fermentait en ce moment un universel besoin de réformes. On y sentait plus douloureusement qu’ailleurs l’abaissement de la patrie, et, sans trop savoir par quel moyen, on entendait cependant guérir ses blessures.

« À peine, dit M. de Toreno, d’accord en cela avec tous les historiens de la guerre péninsulaire, y eut-il une proclamation, un manifeste, un avertissement des juntes, dans lesquels, après avoir déploré les maximes qui avaient précédemment régné, on ne fit voir la volonté de prendre une marche toute contraire, annonçant pour l’avenir, soit la convocation des cortès, soit le rétablissement des antiques libertés, soit la réparation des griefs passés. On peut inférer de là quelle était sur ces matières l’opinion générale, lorsqu’on voyait s’exprimer ainsi des autorités qui, formées pour la plupart de membres des classes privilégiées, essayaient plutôt de contenir que de stimuler cette universelle tendance[10]. »

Malgré les attributions mal définies et discordantes de l’antique représentation nationale dans les divers royaumes de la Péninsule, la mémoire des cortès se maintenait au fond du droit public, comme son principe vivifiant et régénérateur. Ce nom circulait partout. Le soldat le prononçait sous sa tente, le guerillero dans les montagnes, le peuple sur la place publique ; la presse, dont l’action se faisait sentir pour la première fois sur des imaginations vierges et ardentes, répétait ce mot mystérieux, comme un cri d’espérance et de salut ; et à chaque progrès nouveau de l’ennemi, ce cri devenait plus imposant et plus impérieux.

Quand une idée est devenue mot d’ordre, et lorsque le peuple répète sans comprendre, le triomphe en est infaillible et prochain. Tant que les provinces méridionales ne furent pas envahies, la junte centrale eut assez de crédit pour différer une convocation qui devait marquer le terme de sa vie politique. Mais au jour où la paix conclue avec l’Autriche, après la campagne de 1809, permit à Napoléon de rejeter sur la Péninsule ses légions victorieuses, on comprit que, pour résister à ce torrent nouveau, il fallait une nouvelle et immense force morale, et les cortès furent comme une dernière armée de réserve qu’en abdiquant ses pouvoirs, la junte lança contre l’ennemi.

« Espagnols, s’écriait-elle en ordonnant la convocation des cortès extraordinaires constituantes pour le 1er mars 1810, la Providence a voulu que, dans notre terrible crise, vous ne fissiez point un seul pas vers l’indépendance sans avancer aussi vers la liberté… Le premier soin du gouvernement central, à son installation, a été de vous annoncer que si l’expulsion de l’ennemi fut le premier objet de son attention, la prospérité intérieure et permanente de la nation était le principe important. La laisser plongée dans le déluge d’abus consacrés par le pouvoir arbitraire, ç’aurait été, aux yeux de notre gouvernement actuel, un crime aussi énorme que de vous livrer entre les mains de Bonaparte. C’est pourquoi, quand les troubles de la guerre le permirent, il fit retentir à vos oreilles le nom de vos cortès, qui a toujours été pour vous le boulevart de la liberté civile et le trône de la majesté nationale : nom jusqu’à présent prononcé avec mystère par les savans, avec défiance par les hommes d’état, avec horreur par les despotes ; mais qui signifiera désormais, en Espagne, la base indestructible de la monarchie… Cette auguste assemblée va devenir un immense et inextinguible volcan, d’où couleront des torrens de patriotisme pour revivifier toutes les parties de ces vastes royaumes, enflammant tous les esprits de l’enthousiasme sublime qui fait le salut des nations et le désespoir des tyrans[11]. »

Ce ne sont pas ici des banalités de tribuns enflammés par l’ivresse révolutionnaire. Ce manifeste descend d’un corps où dominent l’esprit des classes privilégiées et les anciennes traditions politiques ; ce sont des archevêques et des grands, des généraux et des hommes de cour, libres de toute coërcition matérielle, dominés seulement par d’urgentes nécessités morales, qui poussent ce cri passionné auquel il sera bientôt répondu par la constitution de Cadix.

Qu’on n’oublie pas que, peu après, et du fond du même palais, Joseph, pour atténuer l’effet de ces émouvantes paroles, promettait aussi la convocation des cortès du royaume[12] ; qu’on sache bien qu’au camp de Madrid, l’étranger, pour arrêter le feu de l’insurrection, promulguait surtout des décrets de réforme sur toutes les matières du gouvernement[13] ; lui, Napoléon, reconnaissant, pour la première fois de sa vie, l’impuissance de son épée ! Et qu’on dise si une irrésistible préoccupation ne possédait pas alors l’Espagne, et si les cortès ne reçurent pas leur mission de circonstances plus puissantes que toutes les volontés humaines !

Les cortès de Cadix, tout critiquable que soit leur ouvrage, sortirent donc d’un immense ébranlement de l’esprit public : comme notre assemblée constituante, elles furent entourées du même enthousiasme et des mêmes illusions. Si nous assistons en Espagne à des péripéties plus rapides, à des abandonnemens plus complets de la liberté ou du trône, si nous y rencontrons des contradictions brusques et soudaines, rappelons-nous que, dans la Péninsule, c’est le peuple seul qui est en scène, le peuple qui n’a jamais qu’une idée à la fois.

Le soin de prendre les dispositions nécessaires pour la réunion des cortès fut commis par la junte centrale à une régence de cinq membres que les progrès de l’ennemi contraignirent à s’enfermer dans l’île de Léon, ce boulevart de l’indépendance qui allait devenir le berceau de la liberté castillane, le théâtre de ses essais et de ses fautes.

Cette régence, où dominait la crainte des innovations politiques, ne céda, dans ce qui formait l’objet principal de ses attributions, l’installation du congrès national qu’aux exigences déjà presque menaçantes de l’opinion, et aux représentations de divers députés des juntes provinciales.

Il faut reconnaître, d’ailleurs, qu’à part les répugnances personnelles de plusieurs de ses membres, les difficultés d’une telle matière justifiaient amplement et les hésitations et les retards. Les embarras qu’on éprouva chez nous, lors de la convocation des états-généraux, ne donneraient qu’une faible idée de ceux qui devaient entourer le gouvernement espagnol en ressuscitant une institution qui ne représentait aucune idée précise et applicable à l’époque contemporaine.

Sorties des anciens conciles nationaux qui exercèrent la souveraine puissance sous la monarchie des Goths et les vieux rois de Léon, les cours ou cortès des divers royaumes péninsulaires n’avaient rien de fixe dans leurs attributions, pas plus que dans leurs formes et leurs élémens. Aucun droit incontesté ne se dégageait dans ce dédale, plus propre à exercer la sagacité des érudits qu’à fournir des bases aux hommes politiques.

Les cortès, composées de trois estamentos dans la plupart des provinces de la monarchie, étaient formées dans le royaume d’Aragon de quatre bras, brasos, tandis que chez les nations basques, heureux pays échappé à la domination arabe et au despotisme de Charles-Quint, ces assemblées se présentaient avec une physionomie exclusivement populaire et patriarcale. La confusion la plus complète régnait dans le mode de voter, dans le droit d’élection et dans les attributions politiques. Si celles-ci allèrent d’abord jusqu’au droit de disposer du trône, on sait que ces prérogatives furent successivement restreintes à partir du xve siècle, au point de se réduire, sous les princes autrichiens et français, à un stérile cérémonial, et que, dans les derniers temps, les cortès ne se composaient plus que des trente-sept caballeros procuradores envoyés par certaines villes, avec mission de rendre hommage au prince des Asturies dans une solennelle jura, où leur présence devenait l’accessoire inaperçu des fêtes de cour et des combats de taureaux.

Un seul fait restait acquis à l’Espagne comme titre et gage de liberté : c’est qu’elle avait admis les députés des villes au sein des assemblées nationales long-temps avant que la France ne les reçût à ses états-généraux, l’Angleterre à ses parlemens, l’Allemagne à ses diètes[14].

C’était ce fait qu’il s’agissait de régulariser par une application générale. Essayer de ranimer le droit obscur des partidas était une tentative un peu plus vaine encore que celle à laquelle un organe de la presse française s’est intrépidement dévoué : de plus, il fallait songer à la jeune Amérique qui n’avait, elle, à faire valoir ni carias ni fueros, mais dont on ne pouvait espérer de comprimer les mouvemens insurrectionnels que par la plus parfaite égalité et une large diffusion des droits politiques.

La junte centrale conçut la pensée de concilier le principe populaire avec les prérogatives des classes privilégiées, et de renouer aussi la chaîne des temps, œuvre toujours tentée et presque toujours infructueuse. Elle prit, à cet égard, des mesures trop peu connues en Europe, mais qui ne furent suivies ni de sa part, ni de celle de la régence, d’aucun commencement d’exécution.

Le décret primitif de la convocation des cortès portait qu’elles seraient composées des trois estamentos, ecclésiastique, militaire (nobiliaire) et populaire. Il ordonnait l’expédition de lettres convocatoires personnelles à tous les archevêques et évêques, à tous les grands d’Espagne, chefs de famille et âgés de vingt-cinq ans.

Une autre disposition prescrivait un mode d’élection basé sur la population, et qui devait traverser les trois degrés des juntes de paroisse, de canton et de province. À cette représentation devaient être adjoints un député pour chaque ville ayant la prérogative de voto a cortes, et un délégué de chaque junte provinciale. Des dispositions exceptionnelles étaient prises pour celles qu’occupait l’ennemi ; il prescrivait enfin, pour cette fois, à raison des distances, aux Américains résidant dans la Péninsule, d’élire la représentation d’outre-mer établie sur une base entièrement conforme à celle de la Péninsule.

Ce n’est pas sans un profond étonnement qu’on voit les dispositions du décret relatives aux élections scrupuleusement exécutées dans presque toutes les provinces, ici publiquement et avec enthousiasme, là en secret ou dans les courts intervalles laissés par les excursions de l’ennemi, tandis que pas une voix ne s’élève ni dans la presse, ni au sein des corps constitués, ni dans les juntes provinciales, pour réclamer l’admission des prélats et des grands convoqués par la junte centrale.

Le décret de celle-ci avait été adressé à toutes les juntes provinciales, qui parurent mettre autant d’empressement à convoquer les assemblées de paroisse, que de répugnance à adjoindre aux membres élus ceux des ordres privilégiés. Peu d’évêques étaient en mesure d’affronter en ces temps les périls d’un voyage à l’extrémité de l’Espagne envahie ; et quant à la grandesse, corporation de fraîche date qui n’avait jamais joui d’aucun droit politique, ses membres, personnellement peu connus, étaient si loin d’avoir hérité dans l’opinion des prérogatives de l’antique noblesse qui siégeait aux cortès de Castille et d’Aragon, que les prescriptions de la junte à leur égard demeurèrent inexécutées, beaucoup moins par un concert d’intentions que par l’effet d’une universelle inertie. D’ailleurs, plusieurs, entre les plus distingués des prélats et des grands, avaient directement reçu le mandat législatif ; et les idées constitutionnelles étaient si peu avancées en ce pays, que cela parut suffire pour garantir tous les droits, et que ceux-là même qui étaient favorables au maintien des trois estamentos comme hommage au passé de l’Espagne, ne se préoccupèrent point du danger de livrer son avenir aux entraînemens d’une assemblée unique.

Ce qu’il y a de plus étrange dans cet oubli complet où l’opinion laissa les corps privilégiés, sans que ceux-ci songeassent à réclamer, c’est que la régence, consultant les membres du conseil de Castille et le conseil d’état, corporations où dominait l’esprit de la vieille magistrature et de la noblesse, la majorité émit l’avis que les cortès extraordinaires devaient fermer une seule chambre, et procéder d’un même principe électif. Enfin, il est impossible de ne pas reconnaître que si, dans le cours de leurs travaux, les cortès soulevèrent contre elles bien des intérêts et bien des objections, il n’arriva jamais, jusqu’à la restauration, de contester la légitimité de leur mandat, à raison de l’absence des deux premiers ordres.

Cette indifférence ne s’explique pas facilement quant au clergé, dont le concours était indispensable pour modifier l’ancienne organisation, en ce qui concernait les rapports de l’état avec l’église et l’existence sociale de ses ministres, et pour faire accepter ces modifications à la conscience des peuples. Mais quiconque comprend l’Espagne, devra peu s’étonner de l’oubli où tomba en cette solennelle circonstance le corps des grands, qui ne s’est relevé plus tard à la chambre des procerès qu’en se confondant avec l’élite des notabilités civiles et militaires. Ce repoussement, ou pour parler plus juste, cette indifférence prenait moins sa source dans des théories démocratiques que dans un certain orgueil nobiliaire répandu dans ce royaume, où l’aristocratie de cour était depuis des siècles sans nulle prérogative sociale, et où la noblesse de race est une prétention à peu près universelle.

Ce fut un grand jour que celui où les cortès, réunies dans la cathédrale de l’île de Léon, au milieu d’un concours immense, appelèrent les bénédictions du ciel sur leurs travaux et sur le peuple auquel elles espéraient payer bientôt en prospérités le prix d’un dévouement sublime. Dans les grandes crises de l’existence publique et privée, celle-ci semble parfois se concentrer sur l’instant unique où elle s’est illuminée tout entière. On vit alors dans ce souvenir comme dans une sainte monomanie ; il survit à toutes les vicissitudes, et trop souvent à toutes les leçons de l’expérience et du malheur.

Qu’on ne s’effraie ni qu’on ne s’étonne de voir les souvenirs de 1812 résister, chez quelques hommes, aux épreuves des présides et de l’exil, à celles plus instructives encore des révolutions ; car ce sont là de ces émotions qui fascinent à jamais la vie. Quelles indélébiles empreintes elles durent, en effet, laisser dans les ames ! À l’extrémité de l’Europe, sur un rocher battu des mers, et qu’entourait une armée victorieuse dont le canon formait le sombre accompagnement des acclamations publiques, évoquer en face de Napoléon la liberté de l’Espagne, et peut-être celle du monde ; monter le matin à la tribune pour veiller peut-être le soir à la brèche ; commencer l’histoire de la délivrance de la patrie à la grotte de Pélasge pour la finir, après plus de mille ans, aux colonnes d’Hercule : gloire acquise à force de foi religieuse et nationale, et dont les fautes de l’inexpérience ne sauraient déshériter l’Espagne !

Les cortès, dès leurs premières séances, prirent, avec tout l’entraînement d’un esprit oisif et jeune, possession du vaste champ qui s’ouvrait devant elles. On se lança, avec une vive curiosité d’intelligence bien plutôt qu’avec de violentes passions, dans l’examen des doctrines les plus ardues de la sociabilité. La souveraineté et la représentation nationale, les limites respectives des pouvoirs, les fondemens de la justice et des droits, la liberté de la presse, toutes ces questions furent abordées, remuées, résolues avec cette facilité confiante qui se prend vite dans les livres, et se perd au long usage des affaires.

Dans l’émulation de réformes où s’abandonnèrent à l’envi les membres de l’assemblée, avec le généreux entraînement de notre nuit du 4 août, les uns étalaient à plaisir une érudition puisée en cachette dans les livres du xviiie siècle ; d’autres, clercs ou laïques, apportaient à la tribune un esprit aiguisé par les disputes scolastiques, et chargé de textes et d’autorités ; presque tous, étrangers au maniement des hommes et des intérêts publics, suppléaient par des hypothèses à ce qu’il leur avait été jusque alors interdit d’étudier. Ainsi l’on vit des dispositions inapplicables à la société contemporaine sortir à la fois et des théories philosophiques absolues et d’une étude incomplète du passé, auquel on fit des emprunts judaïques sans en saisir l’esprit et en le dépouillant de ses contrepoids.

Une sorte d’unanimité présida pendant trois ans à cette longue série de travaux, qui devait, plus tard, soulever de trop justes objections, et que l’opinion publique accueillait alors avec une irréflexion enthousiaste.

Complètement livrées à elles-mêmes, sans plan et sans direction, soit par l’impéritie, soit par la mauvaise volonté de quelques membres de la régence, les cortès eurent le malheur de commencer leur œuvre sans aucune influence pour contenir l’élan de chaque pensée qui se produisait au hasard ; et si la nullité presque absolue des résistances ne donna guère lieu à la verve révolutionnaire de s’allumer, cette dangereuse omnipotence exposait à la tentation des utopies ; et tel fut, en effet, le caractère dominant de leurs élucubrations législatives.

Il est juste de dire, néanmoins, que dans beaucoup de questions spéciales, résolues en courant au milieu des périls d’une guerre à laquelle s’attachaient toutes leurs pensées, les cortès extraordinaires firent preuve d’une sagacité que n’eût pas désavouée notre assemblée constituante dans ses meilleurs jours. Le congrès réforma l’administration provinciale, et refondit les diverses parties de l’organisation judiciaire, supprimant avec toutes les juridictions seigneuriales les prestations réelles et personnelles provenant d’une origine féodale ; faisant ainsi à Cadix ce que Napoléon et Joseph firent à Madrid : singulière coïncidence, qui est à elle seule une complète révélation de l’état moral de l’Espagne. Parmi les objets qui éveillèrent surtout la sollicitude de l’assemblée, figurèrent les finances et la dette publique ; et, malgré quelques fautes, au premier rang desquelles se place la tentative d’un impôt progressif, on doit reconnaître que les travaux de Canga Argüelles sur une matière entièrement neuve pour l’Espagne révèlent un esprit fort éclairé.

Mais que servirait de rappeler des lois abîmées, avec tant d’autres, dans le gouffre des révolutions, au-dessus duquel ne surgit plus de toute cette époque qu’un code dernièrement retrouvé dans le havresac d’un sergent, et imposé, pendant une nuit d’angoisses, aux terreurs d’une femme ? Nous nous bornerons à parcourir ses dispositions principales, n’attachant guère qu’une valeur historique, même depuis sa renaissance, à un document que les ministres sortis de la crise de Saint-Ildefonse affectent de considérer « moins comme une institution politique que comme un monument de gloire, dont il n’est pas un Espagnol éclairé qui puisse méconnaître les imperfections, suite inévitable de la fatalité des circonstances où elle a été votée[15]. »

Cette constitution, qui semblait destinée à régir le royaume de Salente, plutôt qu’à devenir par deux fois le drapeau d’une insurrection militaire, contient, dans ses trois cent quatre-vingt-quatre articles, nombre de dispositions niaises qui demandent grace pour celles qui sont absurdes. Si l’on veut des aphorismes, on en trouvera d’édifians, comme :

« L’amour de la patrie est une des principales obligations des Espagnols ; ils doivent aussi être justes et bienfaisans (art. 6). »

Ou bien encore :

« L’objet du gouvernement est la félicité de la nation, puisque le but de toute société politique n’est que le bien-être des individus qui la composent (13). »

Si l’on aime les théories sur la plus parfaite division des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, on pourra parcourir avec fruit ses longs chapitres. Les premiers contiennent une loi d’élection, élection indirecte s’il en fut, puisqu’elle traverse les trois degrés de la paroisse, de l’arrondissement et de la province, sans s’opérer directement même à ces divers échelons. Les habitans de la paroisse ne choisissent pas, en effet, l’électeur du premier degré ; cette fonction est commise par eux à onze délégués (compromissarios), du sein desquels sortent les électeurs de paroisse (41).

Ceux-ci élisent à leur tour les électeurs d’arrondissement dans la proportion de trois à un, relativement au nombre de députés à nommer (63) ; enfin les électeurs d’arrondissement, réunis en collége provincial, élisent le député aux cortès (78).

Ces opérations, irrévocablement fixées aux 1er octobre, 1er novembre et 1er décembre, concorderaient mal avec notre vivacité et le repoussement qu’a toujours rencontré en France l’élection indirecte ; mais ce n’est pas un motif pour condamner ce mode en Espagne, où quelques modifications pourraient peut-être permettre de l’appliquer heureusement.

Les sessions des cortès s’ouvrent de droit, et sans convocation préalable, au 1er mars de chaque année (106). La législature se renouvelle tous les deux ans (108), le droit de la dissoudre est refusé au roi ; celui de faire partie de la législature suivante est interdit aux députés (110).

Les ministres, conseillers d’état, employés de la maison royale, ne peuvent siéger au corps législatif ; les ministres, avec l’agrément des cortès, y obtiennent la parole, mais sans pouvoir assister aux délibérations (125). Les députés ne peuvent obtenir aucun emploi public pendant la durée de leur mandat et un an après sa cessation (130).

La plénitude de la puissance législative réside dans les cortès, le roi n’ayant qu’un veto suspensif pour trois années (149). En outre, elles approuvent, avant la ratification, tous les traités de quelque nature qu’ils soient, font les ordonnances relatives au service militaire et maritime, vérifient la comptabilité, règlent tout ce qui concerne l’administration des domaines de l’état, approuvent les mesures générales pour l’hygiène et la salubrité du royaume (131), etc., etc.

Toutes ces attributions, où se confondent celles d’un conseil de santé et d’une cour des comptes, doivent être exercées dans trois mois, ni plus ni moins : c’est là l’unique frein qu’on ait su trouver contre l’arbitraire d’une assemblée souveraine ; encore est-il rendu inutile par la présence d’une députation permanente, dont la seule mission déterminée est de veiller à l’observation de la constitution et des lois, pour en rendre compte à la session suivante (160) : vague et malencontreuse création, empruntée à la vieille législation aragonaise, de même que l’exclusion de siéger aux cortès pour les employés de la maison du roi, et la présentation de candidats sur triples listes pour certaines fonctions publiques ; singulière fatalité qui fit sortir une législation impossible et des théories modernes et des plus confus souvenirs de l’histoire !

On voit qu’entre elles et le roi les cortès se firent la part du lion, en vertu de ce principe qui n’est jamais plus vrai qu’en matière constituante : les absens ont tort. On lui défère, en thèse générale, la plénitude du pouvoir exécutif (170) ; mais on a déjà vu qu’il ne passe les traités qu’en en rendant compte aux cortès et avec leur préalable consentement ; de même, il ne choisit les membres du conseil d’état que sur une triple liste dressée par les cortès (234) ; il ne nomme les magistrats des tribunaux, les évêques et autres dignitaires ecclésiastiques que sur la présentation du conseil d’état. Il a le droit de grâce, mais « sous condition que son indulgence ne soit pas contraire aux lois ; » enfin, soumis dans les actes de sa vie civile à des restrictions contre lesquelles protesterait le dernier de ses sujets, le roi ne peut sortir du royaume ni se marier sans le consentement des cortès, la violation de ces dispositions équivalant de sa part à l’abdication de la couronne (172).

Tel était, en résumé, le régime auquel on faisait passer subitement l’Espagne de Philippe II, d’Alberoni et du prince de la Paix, tombant d’un despotisme dans un autre, et traversant la liberté. C’était là l’établissement que la constitution qualifiait du nom de monarchie tempérée héréditaire. L’hérédité, du reste, y demeurait à peu près aussi illusoire que les attributions royales, l’article 181 imposant aux cortès l’obligation « d’exclure de la succession la personne ou les personnes reconnues incapables de gouverner, ou qui auraient mérité par quelque action de perdre la couronne. »

Si un pareil code était sorti d’une lutte violente entre une assemblée populaire et une royauté qui cherche à se défendre ; si ces dispositions avaient sanctionné, pour ainsi dire, les défaites successives de celle-ci et les victoires de celle-là, les vices de la constitution de Cadix s’expliqueraient par l’effet ordinaire des résistances impuissantes. Mais il en fut tout autrement : les obstacles ne se présentèrent d’aucun côté, et quelques protestations sans résultat ne purent exercer d’influence sur l’ensemble des travaux législatifs. De plus, l’opinion, tout entière à une lutte acharnée, n’était guère en mesure d’exercer alors sur les cortès cette action révolutionnaire incessante qu’entretinrent, après 1820, et la guerre civile et les tentatives mal concertées, mais trop patentes, de la couronne. C’est donc ailleurs qu’il faut chercher ces circonstances fatales sur lesquelles le ministère Calatrava rejette avec justice les imperfections de l’œuvre de 1812.

Sans rappeler l’enseignement purement théorique et presque toujours pris en secret que l’ancien régime avait imposé en Espagne aux classes riches et lettrées, et leur antipathie trop légitime pour un ordre de choses qui avait failli amener l’anéantissement d’une glorieuse patrie, il ne faut pas un instant perdre de vue, lorsqu’on juge la constitution de Cadix, qu’à cette époque, aux yeux du congrès, la royauté, captive à Valençay, n’avait qu’une existence purement nominale. Si c’était encore un souvenir, ce n’était plus une espérance. Comme il était impossible à la prévision humaine de deviner et les résultats de la campagne de Russie et le soulèvement général de l’Europe, on doit reconnaître que, dans l’ordre naturel des événemens, le rétablissement de la maison de Bourbon sur le trône d’Espagne était soumis aux chances les plus éventuelles, et, il faut le dire, les moins probables.

De là, l’obligation de constituer le gouvernement du pays sous une forme dans laquelle l’action directe de la royauté ne fût pas essentielle, tout en conservant aux yeux des peuples le prestige de ce trône qui, pour être vacant, n’en était que plus sacré. D’ailleurs, quels qu’eussent été les refus opposés par les cortès aux premières ouvertures du gouvernement intrus, plus d’une fois, pendant le cours de la discussion du pacte constitutionnel, on dut être préoccupé de cette triste et sérieuse pensée, que les entraves préparées au pouvoir royal pourraient bien finir par s’appliquer un jour à la royauté étrangère que l’Espagne semblait alors impuissante à repousser de son sein, et qui venait de recevoir, dans quelques provinces, un accueil presque populaire. Enfin, si, à travers la distance et les événemens, il arrivait parfois aux députés de l’Espagne de reporter leurs pensées vers le château qu’on appelait la prison du monarque, quoiqu’il n’aspirât jamais à en sortir pour venir verser son sang sur la terre natale, ses hommages à Napoléon à chaque victoire des armées impériales, ses lettres même à l’usurpateur de sa couronne, tant et de si honteux indices, repoussés par l’incrédulité populaire, accueillis avec désespoir par les esprits sérieux, purent n’être pas sans influence sur la rédaction d’un pacte qui, au lieu d’être un contrat de fidélité réciproque entre la nation et le trône, devenait un monument de haine contre un triste passé, de précaution contre un menaçant avenir.

Mais dans ces combinaisons préparées pour une royauté absente, on avait omis de tenir compte de l’imprévu, qui partage, avec la prudence, le soin de décider des affaires humaines. Les premières cortès ordinaires étaient à peine installées à Madrid après l’évacuation française, que l’agonie de l’empire amena le traité de Valençay et la libération de Ferdinand VII. Ce prince franchit les frontières de son royaume au moment où la branche aînée de sa maison était rappelée au trône de ses pères.

Ici se déroule une péripétie soudaine, facile à comprendre, si l’on tient compte et de l’irrésistible mobilité des passions populaires, et des fautes de conduite commises par l’assemblée dont l’imprudence brusqua de front une situation qu’il fallait savoir tourner. Au lieu de s’associer à l’universelle ivresse, et de confesser auprès du roi les difficultés d’une position où l’on n’avait pu manquer de faire des fautes, les cortès se montrèrent froides, hautaines et pointilleuses. On prescrivit son itinéraire au monarque ; on lui interdit, jusqu’à la prestation du serment à la constitution, l’exercice de l’autorité royale que le peuple lui rendait avec transport ; la presse fit arriver à son oreille des paroles dédaigneuses, pendant que sur son passage les chemins se jonchaient de fleurs : contraste dont des hommes politiques eussent dû comprendre les dangers, dans un pays où tout était alors peuple et soldat, et où le dernier guerillero croyait avoir plus contribué à renverser Napoléon que n’avaient pu le faire la débâcle de Russie et le soulèvement de l’Allemagne.

Aux yeux des masses, ces glorieux souvenirs, devant lesquels se taisaient tous les autres, s’incarnaient dans la personne de Ferdinand ; et il devint tout puissant, moins comme roi que comme captif délivré par elles. Rétabli sur le trône par une guerre nationale, après y avoir été élevé par une insurrection populaire, vivante expression de la haine espagnole contre Godoï et Bonaparte, ce prince était pour ses sujets le symbole de toutes leurs passions et de toutes leurs antipathies, et ce n’est pas sans raison qu’il se crut fort de toute l’énergie du peuple qu’il avait derrière lui.

Il échappa seulement à l’intelligence de Ferdinand que les peuples ne règnent qu’un jour, et que, dans la situation nouvelle où la paix allait faire entrer l’Espagne, c’était moins à une ivresse passagère qu’aux intérêts permanens et aux idées d’avenir qu’il fallait confier les destinées de sa couronne. Est-il un gouvernement qui ne puisse tout au moment de son établissement ? Avant la promulgation de la charte et la déclaration de Saint-Ouen, le comte d’Artois n’était-il pas accueilli avec transport dans les rues de la capitale ? C’est qu’il représentait pour le peuple le plus impérieux de tous les besoins, la paix. Mais il y eut cette différence entre la restauration de Louis XVIII et celle de Ferdinand VII, que la première fut faite en pensant au lendemain, et l’autre, sous le coup seulement des aveugles passions du jour ; il y avait de plus, entre la France et l’Espagne de 1814, cette autre différence essentielle, qu’ici le peuple était sur le premier plan, tandis que là il n’occupait que le second.

Ferdinand venait de traverser plusieurs provinces, et partout il avait entendu retentir des acclamations qui ne s’adressaient qu’à sa personne. L’œuvre de 1812 semblait oubliée, et l’était en effet au milieu de ce débordement d’enthousiasme. Nombre d’ayuntamientos constitutionnels l’invitaient avec chaleur à repousser les nouveautés ; une minorité considérable des cortès, les soixante-neuf députés connus sous le nom de Perses, lui avaient transmis une adresse dans le même sens. Ce fut en alléguant ces témoignages, qu’on ne manquait pas de lui présenter comme unanimes, qu’il rendit, le 4 mai 1814, la fameuse déclaration de Valence.

S’appuyant sur l’irrégularité des élections, l’absence des deux premiers ordres au sein des cortès constituantes, l’omnipotence qu’elles s’étaient attribuée, enfin les changemens radicaux introduits brusquement dans les institutions fondamentales de la monarchie, Ferdinand annulait toutes les décisions, lois ou décrets rendus par les deux législatures, ordonnait la clôture immédiate des séances, déclarant coupable de lèse-majesté quiconque engagerait ou exciterait à l’observation de la constitution de Cadix.

Mais en même temps, et s’inclinant devant des nécessités qu’il reconnaissait alors, et dont il devait se jouer si tôt, le roi professait en termes chaleureux une profonde horreur du despotisme, et prenait à la face du monde l’engagement solennel de traiter bientôt avec les députés de l’Espagne et des Indes dans des cortès légitimement assemblées, pour régler avec leur concours tout ce qui conviendrait au bien du royaume, selon l’état des lumières et de la civilisation de l’Europe. La liberté individuelle, la liberté de la presse, « renfermée dans les bornes que la saine raison prescrit à tous, » le vote de l’impôt et d’une liste civile, garanties générales de réforme et de liberté au delà desquelles, on peut l’affirmer, l’opinion publique de l’Espagne n’allait pas plus en 1814 qu’en 1810 : telles étaient les promesses qui descendirent du trône et qui devaient être si promptement oubliées.

Les défauts évidens de la constitution de Cadix et l’impossibilité de la mettre en pratique, la conduite inconvenante des cortès et les traditions monarchiques de l’Espagne doivent faire apprécier l’acte du 4 mai d’un point de vue qui ne saurait être le nôtre. Un gouvernement constitutionnel pouvait en sortir aussi bien qu’un pouvoir de camarilla, et rien n’y révélait encore le système de persécution et d’ingratitude qui fut à la fois la honte et le malheur de la royauté. Mais bientôt la peine de mort, portée contre les défenseurs des institutions de 1812, devait atteindre ceux qui rappelleraient au trône ses engagemens de Valence.


Louis de Carné.


  1. Nous sommes heureux de pouvoir offrir à nos lecteurs, sur une question qui préoccupe aussi vivement l’attention publique, l’opinion développée d’un homme que ses études et sa haute sagacité ont mis à même d’en porter un jugement calme et approfondi. On ne saurait admettre trop de témoignages impartiaux et éclairés sur un sujet aussi compliqué. Dans deux articles insérés également dans cette Revue, un autre de nos collaborateurs a traité la question espagnole d’une façon non moins curieuse. Il est remarquable que, tout en différant sur certains détails, malgré quelques dissidences partielles, MM. de Carné et Viardot se soient rencontrés sur tous les points fondamentaux : la vérité ne peut que gagner à cette confrontation d’opinions consciencieuses.

    (N. du D.)

  2. Voyez notre article sur l’ouvrage de M. Mignet, no  du 15 juillet 1836.
  3. Nommé par Joseph directeur-général de l’instruction publique, Melendez mourut à Montpellier en 1817.
  4. De l’Espagne. Considérations sur son passé, son présent et son avenir, par M. le baron d’Eckstein. 1 vol. in-8o. Chez Paulin, rue de Seine.
  5. Historiographe d’Aragon. Zurita fut nommé à ce poste, en 1594, par les états du royaume.
  6. « Cette variété dans l’origine des provinces explique l’esprit des juntes, qui se réveille dans ce pays sous des formes facilement indépendantes. À cet égard, pour comprendre l’état présent de cette nation destinée à confondre plus d’une fois toutes les prévisions de la sagesse européenne, il faut constamment en interroger le passé. » (De l’Espagne, etc. Première partie.)
  7.  Mémorial de Sainte-Hélène. Juin 1816.
  8. Rapport du 22 avril, communiqué au sénat le 4 septembre.
  9. Mémorial, Ibid.
  10. Histoire du soulèvement, de la guerre et de la révolution d’Espagne, par le comte de Toreno, liv. iii.
  11. Manifeste à la nation espagnole, 28 octobre 1809. Annual Register.
  12. Décret de Séville du 18 avril 1810. Moniteur du 28 mai.
  13. Décrets de Napoléon, datés du camp de Madrid, supprimant l’inquisition, les droits féodaux, les justices seigneuriales, les douanes intérieures des provinces, organisant l’ordre judiciaire, réduisant le nombre des couverts, défendant l’admission des novices, etc. (4, 12 décembre 1808). Décrets de Joseph, supprimant les ordres religieux et militaires, les juridictions ecclésiastiques, le vœu de saint Jacques, l’un des impôts les plus onéreux pour l’agriculture, etc., etc. (18 août, 18 septembre, 16 décembre 1809.)
  14. On voit des députés des villes aux cortès de Léon dès le xiie siècle. À celles de Castille, tenues en 1188, le serment fut prêté par les députés de quarante-huit bourgs. Théorie des cortès, par M. Martinez Marina. Cadix, 1812.
  15. Exposition à sa majesté la reine-régente du 21 août 1836.