Texte établi par Ernest Flamarion,  (Tome II : 1916-1918p. 73-84).


MARS 1917


— Au cinéma populaire, on acclame Roosevelt — il engage quatre fils, lève une division — et on reste de glace devant l’image de Wilson.

— Un préfet, mobilisé à Salonique, revenait d’inspecter des tranchées devant Monastir. Il siffle dans les boyaux le Largo de Haendel. Un chant sifflé lui répond des tranchées ennemies. C’est un duo émouvant d’un quart d’heure. Le préfet rend compte à son capitaine. Il y a donc des Allemands et non des Bulgares en face. Renseignement utile. Mais le capitaine, puis le commandant, le réprimandent d’avoir fredonné de la musique allemande !

— Je ne m’explique pas les mères, celles qui ont un fils soldat, encore vivant, celles dont on va prendre encore les petits (classe 1918) et qui s’en remettent au destin, déclarent qu’il faut bien « faire comme les autres ». — Les autres qui en disent autant ! — au lieu de créer, des deux côtés de la barricade, une âme collective d’amour, qui triomphe enfin de l’âme de haine, insufflée, entretenue…

— Le 3. Les Allemands, hiérarchiques, furent frappés du fait que l’académicien Lavedan fit une pièce chauvine comme Servir, avant la guerre.

— Le 5. Les bains publics sont fermés pour la plupart. Aujourd’hui, on raréfie les trains. Suppression des rapides. On s’inscrit trois semaines d’avance pour le Midi. Résignés, les gens viennent au bureau des renseignements demander quand ils pourront partir. Le retour à la nature.

— Au cinéma Gaumont, projection sur le Maroc, avec conférence. Le public force l’orateur à plier ses papiers et réclame le roman-cinéma Judex.

— On prétend que les Allemands préparent vers Roye une retraite analogue à celle de la Somme. Ils font sauter les ponts de l’Oise et leurs abris. Le communiqué met ces explosions à l’actif de notre artillerie.

— Tristan rapporte ce propos de Briand : « Si les Parisiens savaient ce qui se passe, ils danseraient de joie. »

— Dans la somptueuse maison des H… avenue d’Iéna, trois lampes Pigeon éclairent l’escalier. Le charbon manqua dix jours, où toute la famille mangea dans la cuisine. Les convives déclarent fièrement qu’ils ont eu deux degrés dans leur appartement.

— On dit à une jeune femme qu’il faut éviter une paix blanche. Elle réplique qu’on aura une paix rouge.

— Le sous-marin de commerce Deutschland serait pris depuis deux mois par les Anglais. Il emportait des pierres précieuses à vendre en Amérique. Les Anglais cachent leur prise.

— Lettre de Bouttieaux. Il se demande si le recul allemand est obligatoire ou voulu. Il compte toujours « sur un gros effort nécessaire pour terminer honnêtement la guerre ».

— Le 7. À la Sorbonne, manifestation des Associations françaises. Tout ce qui dirige les masses étaient là, Poincaré compris. Ce fut le symbole de cette guerre : les classes privilégiées s’excitant à la continuer. Dix-huit discours. Seul, le peuple de France n’était pas représenté.

— Le même jour, à la Chambre, Maurice Long, interpellant sur la situation économique, reproche au Gouvernement d’avoir voulu la guerre « agréable et populaire ». Il conclut : « Prenez garde que la France ne soit pareille à ces mourants glorieux à qui l’on n’apporte que des fleurs. » Début d’une aspiration vers la vérité ?

— On aurait trouvé sur un officier allemand l’ordre du Cabinet de l’Empereur, interdisant aux avions allemands d’aller sur Paris.

— Mode et nécessité, les grands bourgeois se restreignent à deux plats. Ils insistent : « Reprenez-en. Il n’y a que ça… »

— Les denrées augmentent toujours de prix. En un jour, le poisson augmente de 50 %. Plus de lait. Même plus de lait condensé chez les pharmaciens. De longues queues pour les pommes de terre. Nulle plainte.

— On me dit que les ouvrières se nourrissent peu, se soutiennent d’alcool et de vin et sont heureuses pourvu qu’elles aillent sur de hauts talons à la mode. Terribles à manier, paraît-il. La sortie des usines Citroën serait un spectacle peu banal.

— L’opinion a ses ondes. Actuellement, à cause des restrictions, on attache de l’importance à la famine. On revient à la formule japonaise : « La victoire à celui qui souffrira un quart d’heure de plus. »

— Le 9. L’Américaine Mme C…, du parti Roosevelt, assure que ses compatriotes, en rompant avec l’Allemagne, ont été vers les vaincus du moment, ne voulant pas de la prépondérance allemande.

— Comment refuser de voir que la guerre sert la réaction ? Dans les églises, le curé draine l’or des fidèles. Partout, des cérémonies d’expiation. Et quand l’Angleterre, obligée de se restreindre, se ferme aux importations, ses journaux réactionnaires célèbrent joyeusement l’abandon du Libre-Échange, le retour au protectionnisme, l’avènement d’une bonne vieille Angleterre féodale.

— De source belge, on me confirme l’armistice tacite sur le front russe.

— Les responsabilités de l’origine de la guerre, me dit-on, resteront difficiles à établir. Mais les hommes qui poursuivent indéfiniment la guerre, connaissant le fond des choses, ceux-là sont les vrais coupables, qu’il faudra désigner et frapper.

— Le magazine Je sais tout, contant la vie du Dr Carrel, dit qu’il a inventé un merveilleux procédé d’antisepsie, mais que la jalousie des médecins militaires se refuse à l’employer, et même qu’on ne lui envoie pas de blessés, dans l’hôpital qu’un Américain lui a organisé à Compiègne.

— Le 11. La carte de sucre fonctionne. On a exigé d’y préciser le sexe de chaque membre de la famille.

— Le 12. Visite de Georges Pioch, du journal d’avant-garde Les Hommes du Jour. Évincé des Munitions, il est reversé à la 20e section pour être garde-voie. Il y a ainsi, à l’École Militaire, de véritables parcs d’hommes, qui doivent être à l’appel à 6 h. du matin et se tenir à la disposition de l’autorité pour être lotis et expédiés selon les besoins. De même, on me disait qu’au Dépôt des Métallurgistes, rue d’Estrées, il y a parfois 600 hommes que l’on empêche de sortir pour les repas, afin de les envoyer par lots dans une usine. Ils peuvent attendre là plusieurs semaines.

— Affreux, de penser que la politique, avant tout, guide parlementaires et ministres et qu’une offensive, où des centaines de milliers d’hommes périront, peut être décidée pour des opportunités politiques. Ah ! Comme la guerre est contraire à la notion d’une démocratie, d’un peuple-roi.

— Le 13. Visite de Bouttieaux arrivant de Fismes. Il est certain que les Allemands se replient sur le front qu’il occupe. Ils bombardent Fismes de 20 kilomètres pour donner l’illusion de leur présence. Une note du G. Q. G. tire enseignement du repli devant les Anglais : villages brûlés, routes coupées ; certains abris intacts sont munis d’un explosif qu’on déclenche en déplaçant quelque objet, casque ou planche.

Bouttieaux estime cette opération du repli fâcheuse pour nous. Il faut faire avancer l’artillerie dans un terrain saccagé, repéré par l’ennemi, rétablir les plates-formes, reprendre le repérage d’obstacles ignorés, perdre tout le bénéfice des préparatifs passés. Et l’unanimité des journaux baptise ce recul : victoire.

— Le 14. Déjeuner « Shakespeare ». Gémier, Rosny aîné, général Ferry, l’Anglais Thomas Barclay, l’Américain Prince, le député Jean Hennessy, etc.

Je demande à Rosny si pour lui, qui avait foi dans le progrès, cette guerre n’est pas une faillite. Énorme faillite, répond-il. Mais l’humanité s’en consolera. Et les parents des morts ? dis-je. Réponse : la masse est si bête qu’elle accepte des sacrifices au nom de la Patrie ; et les intellectuels sont insensibles. Tant pis pour ceux qui ne rentrent pas dans ces deux catégories.

Hennessy déplore qu’on ne prépare pas le détail de la paix. Pourquoi, lui dis-je, les milieux financiers ne s’émeuvent-ils pas davantage d’une banqueroute possible ? Parce que le Moratorium a paralysé les banques, qui restent en torpeur.

Painlevé arrive au dessert. Nous partons ensemble. Nous causons en auto et nous « faisons salon » devant la Chambre. Je lui répète l’opinion de Bouttieaux sur le repli. Il approuve et reprend l’exemple coûteux de la réoccupation de Douaumont. Mi en boutade, mi sérieusement, je lui dis que je ne souhaite pas son retour au pouvoir, puisqu’il veut une guerre longue. À quoi il répond « que pour avoir la paix dans trois mois, il faut dire que la guerre durera dix-huit mois ».

— À minuit, on me téléphone la démission de Lyautey, son singulier discours, l’indignation des Gauches. Déjà le bruit court qu’il s’agit d’un coup monté par Briand pour préparer un remaniement. Mais non : ledit Briand a chargé Étienne de ramener Lyautey. On s’étonne d’autant plus de ce coup de tête — sinon d’État — que l’accord était fait entre Nivelle et Lyautey sur une offensive prochaine.

— Le 15. On était sans nouvelles de Russie depuis le 11. À peine quelques dépêches indiquaient-elles des troubles. Et ce soir on me dit, d’après les Affaires Étrangères, que le tsar a abdiqué, qu’il est remplacé par son cousin Dimitri Paulovitch, l’assassin de Raspoutine, germanophobe avéré, qui va anéantir tous les germanophiles.

— La nuit du 15 au 16, ces nouvelles courent sur les fils téléphoniques : le tsar assassiné, ou en marche sur Petrograd, le grand-duc Paul régent. Les journaux du matin du 16 sont magnifiquement muets.

— Le 16. La démission de Lyautey reste singulière. Il aurait lu son discours au Conseil des Ministres. On l’aurait adopté, sauf des retouches, qu’il ne fit pas. Mais il ne l’a pas lu en entier devant la Chambre. Les clameurs éclatèrent sur un malentendu. En réalité, Lyautey voulait s’en aller. Il était, disait-il, dans un bourbier. Son désir se serait cristallisé sous les huées.

Tristan Bernard prétend que se tramait un complot réactionnaire, qu’on évinçait les derniers officiers républicains, et que l’indignation des Gauches, à la Chambre, est née plutôt de ce soupçon que du langage de Lyautey.

— Les journaux ont des sourires. Sous le titre : « Voleuse mais patriote », le Journal conte qu’une femme volait des porte-monnaie et qu’elle échangeait l’or trouvé contre des billets, à la Banque de France. Elle récolta ainsi 119 certificats de civisme.

— Le 16. On me raconte le Conseil des Ministres du matin. Briand envisagea le départ du Cabinet. Viviani plaide : la Chambre n’a-t-elle pas montré, après l’incident Lyautey, son union étroite avec le gouvernement ? Le Cabinet se laisse émouvoir et convaincre par cette éloquence. Il ne s’agit donc que de remplacer Lyautey. Un militaire ? Il y aurait bien Dubail. Mais la Chambre ne veut plus de généraux à la guerre. Alors, un civil ? Albert Thomas, qui réunirait la Guerre et l’Armement. Barthou, soutenu par quelques fidèles. Painlevé, qui a les suffrages du Parlement. Ribot élève des objections : ainsi, Painlevé veut différer l’offensive.

— Les Russes auraient vendu aux Allemands, par la Suède, le plus clair de leur récolte de blé et leurs soldats crèveraient de faim.

— Bouttieaux me conte ses conversations avec le général Mangin. Celui-ci ne doute pas d’aller à Laon, de prendre l’artillerie lourde ennemie, de mettre les Allemands en déroute. Il a foi dans son étoile. Tout lui a toujours réussi. Rien ne lui coûte. L’objection, présentée par Bouttieaux, d’une seule mitrailleuse intacte qui suffit à arrêter un régiment, n’existe pas pour lui. Ni celle des réseaux à contre-pente dans la vallée de l’Ailette…

— Nuit du 16 au 17. Alerte de zeppelins à 4 h. 10 du matin. Le ciel est légèrement voilé, la nuit grise. L’air est plein de ronflements de moteurs. On croirait entendre des batteuses dans les campagnes. On voit briller les phares d’une demi-douzaine d’avions. À part cela, le silence où sonnent les pas des premiers travailleurs. Peu à peu, l’aube. Les vraies étoiles s’éteignent. Il ne reste au ciel clair-obscur que les lumières dorées des avions… À neuf heures on m’apprend qu’un zeppelin a été abattu à Compiègne.

— Le 18. Événements. Au matin, démission du Cabinet Briand. La Censure laisse imprimer que cette démission est due au refus de Painlevé de collaborer avec le Cabinet.

Puis, la réoccupation de Bapaume, Roye, Lassigny. Presse enthousiaste : « L’avance n’est plus consentie par l’ennemi… C’est une victoire, une vraie victoire. »

— Russie. Dans la note d’abdication du tsar, dans celle du grand-duc Michel, celle du gouvernement nouveau, la guerre est au second plan. Certains se demandent ce que feront les éléments extrêmes, libérés par la Révolution : travaillistes, étudiants pacifistes, etc.

— Le 18. Conversation de deux heures avec Anatole France. Il ne voit nulle part aucun indice de paix prochaine.

— Le 19. Réoccupation de Noyon (célèbre par le leit-motiv de Clemenceau : « Et les Allemands sont à Noyon »), de Péronne, Nesles, Chaulnes. « Le canon a vaincu, dit Ch. Humbert. Le front est brisé. Sus aux pessimistes, qui ne voulaient plus de sacrifices. »

— Lamentable vision des serres du Jardin d’Acclimatation. Toutes les plantes exotiques, entretenues à grands frais, ont péri faute de charbon. Ce n’est rien, mais quel symbole !

— Le 19. Les journaux insistent sur les incendies, destructions, pillages, empoisonnements commis par les Allemands dans la zone abandonnée par eux.

— Le ministère Ribot-Painlevé est constitué. Doumer et Klotz devaient en être. Les socialistes les aurait déclarés indésirables. Tristan Bernard donne de l’éviction de Klotz une autre version : s’il laissait libre la place de Président de la Commission du Budget, Caillaux la prendrait.

— Le 21. Théâtres et cinémas rouvrent chaque soir. Mais on ne cocoricote pas autour de cette remise partielle de la vie normale. Cela s’est fait sans éclat, en douceur. Est-ce parce qu’on n’a pas autorisé du même coup le métro à circuler après dix heures ?

— Le 21. Déjeuner avec Anatole France à l’Hôtel Powers. Il s’excuse sur la modestie du menu. Devant la bllanquette et la chicorée cuite, il s’écrie : « C’est le désastre ! »

Il dit que ce n’est pas le moment de faire du pacifisme à la Séverine. Je déplore que personne ne prononce la grande parole libératrice, j’affirme qu’il est le plus qualifié à cet égard. Et sa gouvernante lui dit : « Il n’y a que le Pape et vous. »

— On m’entraîne dimanche 18, au matin, avenue du Bois. C’est la promenade d’une énorme ville d’eaux, à l’heure achalandée. Nulle part on n’est plus loin de la guerre. Une volière. Et rien que des phrases comme : « Vous allez à Cabourg, cet été ? »

— Bouttieaux confirme le saccage systématique des Allemands en retraite. Il a vu les arbres fruitiers mutilés. Mais les journalistes ont chargé le trait jusqu’à le défigurer. Tout le monde sourit de la description du toit de la mairie de Péronne, « troué par un obus ». Hélas ! Obus anglais.

— Dans sa déclaration à la Chambre, le 21, Ribot promit la suppression de la Censure politique. « Et si nous parlons des buts de guerre ? » demande un socialiste. « Nous ne le tolérerons pas ! » s’écrie vertement Ribot. Une démocratie qui ne peut pas discuter du but qu’elle poursuit !

— Le 24. Boulevard Raspail. Deux « queues », face à face, sur les deux trottoirs. Même apparence grise et modeste. L’une attend la vente des pommes de terre. L’autre l’émission d’une souscription du Crédit Foncier.

— Je rougis quand je vois ceci : deux gardes républicains, grands, solides, confortables, remplis comme des mortadelles, arrêtant pour lui demander ses papiers un petit soldat émietté par trois ans de guerre…

— Sur les sources empoisonnées par les Allemands : le député Deguise, Ernest-Charles, qui approche quotidiennement Justin Godart au Service de santé, tous nient le fait. Et le Gouvernement en a fait état dans une note aux Neutres.

— Le 27. Les visiteurs des régions réoccupées sont tous frappés de l’affaiblissement des habitants. « Ils n’ont pas mangé de viande depuis un an », m’écrit Bouttieaux. On paraît oublier que le blocus, se proposant d’affamer l’Allemagne, affame tout ce qui est aux mains des Allemands : régions envahies, prisonniers…

— La classe 1918 est incorporée au 6 avril. Au Sénat, discours enflammé : « Ces jeunes gens font ce sacrifice nouveau avec une joie patriotique… Ils sentent la grandeur de la mission à laquelle ils vont participer… ils apporteront, avec l’éclat de leur jeunesse ardente et valeureuse, un joyeux rayon d’espérance en la victoire certaine… » Que de larmes et que de drames, sous ces mots !…

— Les destructions par les Allemands dans leur repli continuent de frapper l’opinion. Parmi les témoins, deux courants. Aux uns, elles arrachent un cri de vengeance. Un cavalier écrit : « Ils ont tout pillé, presque tout brûlé. » Les autres y voient une opération stratégique destinée à ralentir la poursuite des Alliés et rappellent que les Roumains, afin de ne rien livrer à l’invasion, détruisirent leurs propres récoltes et leurs puits de pétrole.

— L’instinct de prolonger indéfiniment la guerre est très vif dans nombre d’esprits. Fait-on l’hypothèse que le repli allemand est d’ordre diplomatique et que l’Allemagne, une fois la France libérée, va proposer : « Nous ne sommes plus chez vous : traitons ? » Alors ce vivant instinct suggère : « Ah ! Non. Il faudra les chasser de Belgique. »

— Le 29. Je vois Gheusi, dans son bureau de l’Opéra-Comique. Depuis son passage dans l’État-Major de Galliéni, il est resté l’adversaire de Joffre. D’après lui, Joffre était surtout l’homme de la Dépêche de Toulouse.

— On conte un peu partout que parmi les femmes emmenées par les Allemands dans leur repli, il en était de consentantes, parce qu’elles avaient eu des relations avec des Allemands et qu’elles appréhendaient de se retrouver devant leur famille.

— Une explosion à la mairie de Bapaume tue deux députés. Silence absolu de la presse sur l’origine de la catastrophe. Le bruit court qu’il s’agit d’une machine explosive laissée par les Allemands. Il est singulier qu’on n’en fasse pas état, comme des autres destructions, et qu’on n’en abreuve pas l’indignation générale.

— Au Sénat, séance du 30, d’Estournelles de Constant essayait d’attirer l’attention sur l’effroyable envahissement de l’armée par la syphilis, en particulier des jeunes classes. L’Officiel porte : bruits de conversations. On n’écoute pas. Et l’orateur constate en effet avec douleur que cela n’intéresse pas ses collègues. N’est-ce pas effroyable ?

— Visite du cavalier S… qui fut jusqu’à Saint-Simon, sur la route de Saint-Quentin. Des ordres étaient donnés, dit-il, de ne pas presser la poursuite, dans la crainte d’être attiré par les Allemands sur un champ de bataille choisi par eux.

Il s’étonne que l’État-Major ait paru ignorer cette retraite. Les troupes coloniales en 1re ligne dans la Somme ne s’avisèrent qu’elles n’avaient plus d’ennemis devant elles que douze heures après le départ de ceux-ci.

S… dit aussi l’extrême fatigue des soldats allemands, si déprimés qu’ils furent lassés par une retraite de 30 kilomètres exécutée en 24 heures. Ils sont nourris seulement de café (orge et maïs grillés) matin et soir et d’une soupe de légumes à midi. Ces soldats essayaient de dérober aux habitants ce que ceux-ci tenaient du ravitaillement américain.

La contrée est dévastée. Plus une bête vivante.

— Le 31. Le Conseil municipal envisage d’éclairer Paris au pétrole.