L’Enfer des femmes/Un homme chez Violette

H. Laroche et
E. Dentu, éditeur. A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie (p. 335-340).


UN HOMME CHEZ VIOLETTE


Le duc et la duchesse rentrèrent à l’hôtel sans s’adresser un seul mot.

Edmond, frappé par cette terrible scène, s’accusait d’avoir trempé dans le crime de Dunel ; il avait été son ami, il avait partagé la vie et les plaisirs qui venaient de tuer une pauvre femme, et malgré tous les arguments que sa raison opposait à sa conscience, des remords vagues le jetaient dans le trouble le plus affreux.

Le duc ne craignait ni Dieu ni les hommes ; mais il comprit pour la première fois qu’un juge était devant lui. Violette accablée d’une douleur immense lui représentait la justice divine qui nous montre les effets du crime et menace de nous châtier en raison du mal qu’il a causé.

Ils descendirent de voiture et se séparèrent pour monter chacun dans leur appartement.

La duchesse se débarrassa de sa toilette de bal ; se vêtit d’une robe de couleur foncée, s’enveloppa d’un burnous noir, et sortit avec la plus grande précaution. Dans la première pièce qu’elle traversa elle crut distinguer à la lueur incertaine que projetaient çà et là deux grandes fenêtres, une ombre noire de forme humaine, elle s’arrêta pour s’assurer qu’elle ne se trompait pas, l’ombre s’avança.

« Un homme chez moi, » pensa-t-elle.

Depuis que le vicomte lui avait serré la main, elle n’avait pu le chasser de son souvenir ; pour la première fois il avait une part dans ses pensées tristes. La gravité des circonstances qui pesaient sur la vie de Violette rendait sérieuses les moindres sensations qui l’assaillaient. L’homme qu’elle vit fut d’abord M. de Magnet, sans qu’elle prît le temps de se demander tout ce que cette supposition avait d’impossible.

Elle regarda plus attentivement, le jeune homme était beaucoup plus grand que la personne qu’elle voyait.

Ce ne peut être qu’un malfaiteur, pensa-t-elle aussitôt.

— Que faites-vous ici ? Qui êtes-vous, monsieur ? dit-elle.

— Vous n’êtes pas couchée, madame, répondit la voix du duc.

— Je pourrais vous faire la même demande. Quelle nouvelle fantaisie vous pousse à venir ici la nuit dans ce salon voisin de ma chambre ?

— Vous sortiez ?

— Oui.

— Où alliez-vous à cette heure avancée de la nuit ?

— Vous le savez bien.

— Croyez-moi, ne sortez pas, madame, il est dans la vie des drames qui doivent s’oublier dans l’ombre ; des drames que le scandale rendrait mille fois plus affreux qu’ils ne le sont déjà. Vous compromettriez votre nom dans un bruit nuisible même à l’objet de votre tendresse.

— Il est des circonstances où l’on ne se souvient ni de son nom, ni de sa position. Monsieur, laissez-moi passer.

— Vous n’avez donc rien compris ?

— Si. Elle est morte.

— Et vous croyez que, pour le monde, elle sera morte avant demain ?

— Que m’importe à moi !

— Vous croyez qu’Adolphe n’aura pas fermé les portes ?

— La femme de chambre me donnera sa clef. Laissez-moi sortir, vous dis-je.

— Au nom du ciel demeurez, n’allez pas dans cette maison, je vous en supplie, madame, vous me brisez le cœur.

— Vous me faites rire avec votre cœur. Que croyez-vous donc qui se passe dans le mien, depuis que j’ai quitté la maison de la baronne ?

— Je ne veux pas que vous sortiez.

— Vous ne le voulez pas ! Il suffit.

Violette rentra chez elle.

Edmond prit pour un reproche l’obéissance apparente de la duchesse, il était honteux d’avoir, pour la première fois, employé son autorité. Je ne dis pas un mot, je ne fais point un pas, pensa-t-il, sans me perdre un peu plus dans son esprit.

Quelques minutes se passèrent sans qu’il osât frapper à la porte de sa femme pour lui demander d’excuser une phrase qui, dans leur situation, ressemblait à une brutalité ; enfin il se hasarda.

Aucun bruit ne se fit entendre, il frappa de nouveau et ne recevant pas de réponse, il alla chercher de la lumière et entra doucement. Le duc visita vainement toutes les pièces de l’appartement de Violette qui était évidemment partie. Il ne pût s’expliquer cette disparition.

La chambre que la duchesse venait de quitter donnait d’un côté sur les salons de réception, de l’autre sur un boudoir, dans lequel se trouvait, soigneusement dissimulée par la tapisserie, une porte communiquant avec un escalier dérobé qui conduisait au jardin. L’origine de cette sortie mystérieuse remontait à l’une des plus jolies femmes auxquelles l’hôtel avait appartenu. Depuis, ce secret restait sans cesse ignoré des propriétaires mâles. C’est ce chemin que Violette s’était déterminée à prendre.