L’Enfer des femmes/Le couvent de Sainte-Marie

H. Laroche et
E. Dentu, éditeur. A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie (p. 23-28).


LE COUVENT DE SAINTE-MARIE


Quand on a traversé les ponts, laissant derrière soi les quartiers bruyants de Paris, la ville change d’aspect.

Le besoin de vivre, qui fait que des milliers d’individus se heurtent et se croisent, semble cesser pour laisser l’air pur au delà du fleuve.

On rencontre alors trois classes bien distinctes : le faubourg Saint-Germain, dont les vieux hôtels conservent précieusement quelques débris des anciennes familles de France ; des marquises en cheveux blancs conduisant leurs petits-fils à la messe. À côté, le quartier latin, où l’on voit l’étudiant rire et chanter ses illusions, la grisette de quinze ans qui donne ses premiers sourires et ses premiers baisers sans songer au lendemain. Puis, dans les rues les plus désertes des endroits clos de murailles sévères, tristes, laids en dehors, au dedans remplis de verdure, d’herbes luxuriantes, de fleurs libres, de grands arbres ; image de la vie religieuse : l’isolement, l’austérité, l’apparence d’une tombe extérieure ; à l’intérieur, une béatitude paisible, grasse et presque joyeuse.

Ce fut à la porte de l’un de ces asiles que Jacques vint sonner. Une sœur tourière, vêtue de noir, lui ouvrit et lui demanda d’une voix flûtée ce qu’il voulait. Sur sa réponse, elle l’introduisit dans une petite pièce qui prenait jour par une porte vitrée, puis se retira.

Peu à peu le domestique s’habituant à l’obscurité, distingua sur les murs plusieurs mauvaises gravures représentant le Christ, le sacré cœur de Jésus, la Vierge au pied de la croix, etc…

Il eut le loisir de contempler tout cela fort longtemps.

— Mon Dieu ! se disait-il, voici ce qu’on appelle un lieu saint et ce que je nommerais un lieu humide, moi. Ces images-là sont toutes tachées de moisi, j’ai très peur de m’enrhumer.

On était en récréation et les pensionnaires se trouvaient au jardin. Une jeune religieuse s’approcha de Lydie de Cournon et lui dit :

— On vient vous chercher de la part de votre tuteur, habillez-vous au plus vite pendant qu’on va réunir vos effets.

— Je pars, pour toujours ? s’écria la jeune fille.

— Oui, notre mère vous attend pour recevoir vos adieux.

— Le Seigneur me donne enfin la liberté. Oh ! qu’il soit béni !

— Vous êtes donc bien heureuse de quitter le couvent ?

— Oui ; et cependant j’ai peur.

— On dirait que vous pleurez, ma chère enfant, ne vous troublez pas ainsi.

— Je ne sais pourquoi je pleure, c’est de joie sans doute.

Elle fit quelques pas pour rentrer, ses yeux s’obscurcirent, elle perdit connaissance et tomba. Les élèves s’empressèrent autour d’elle, on la transporta dans le dortoir.

Elle reprit bientôt l’usage de ses sens.

— Pauvre enfant ! lui dit la supérieure, si vous éprouvez tant d’émotion en quittant le couvent, votre vocation est peut-être d’y rester. Je crois que vous feriez bien de suivre le conseil que je vous ai donné souvent. Votre fortune serait une belle offrande à faire aux pauvres, et votre âme un beau présent à faire à Notre Seigneur.

— Non, ma mère, je ne suis ni légère, ni désireuse des plaisirs du monde ; mais je ne puis trouver le bonheur dans le détachement des affections de la terre. J’en ai fait la triste épreuve depuis que je suis dans cette maison. Ne craignez pas que mon salut soit compromis, je ne m’écarterai jamais de mes devoirs. Je me rappelerai toutes vos leçons, et j’espère rester toujours une enfant de Dieu.

— Je tremble en vous voyant quitter cet asile de paix, car les épreuves vous attendent dans le monde ; et il y a dans votre âme une fierté qui m’alarme. Vous êtes obéissante, mais si l’on vient à vous ordonner une chose qui n’est pas tout à fait juste, il n’est point de puissance capable de vous soumettre. Nous avons pu l’observer. Cette fierté, quoiqu’elle défende la cause sainte, en croyant à l’accomplissement des commandements de Dieu, est un peu voisine de l’orgueil.

Sans doute il faut aimer la perfection et s’en approcher le plus possible ; mais il ne faut pas s’attendre à la trouver ici bas, elle est au ciel et non sur la terre. Il faut de l’indulgence pour les pécheurs et une grande résignation aux maux de la vie. Vous allez trouver des hommes pervertis, des erreurs consacrées, vous n’y pourrez rien, le monde est ainsi fait. Il faudra souffrir avec patience en pensant au ciel où votre âme trouvera la perfection et l’amour. Ce doit être votre consolation sans cela vous succomberiez ; votre corps est moins fort que votre esprit, ma pauvre enfant. Partez donc, puisque vous le voulez, et que Notre Seigneur Jésus vous ait en sa sainte garde.

Venez dire adieu à notre chapelle et vous mettre sous la protection de la très sainte Vierge.

Lydie alla faire une prière au pied de l’autel, dans la petite église qui l’avait vue si souvent pleurer ses parents perdus.

Enfin la porte étroite par laquelle les oiseaux captifs prenaient leur volée se ferma sur Lydie.

La mère Saint-Bernard revint au milieu de ses élèves.

— Mes chères enfants, leur dit-elle, vous venez de quitter une de vos compagnes que je recommande à vos prières pour lui épargner les dangers qu’elle peut courir dans le monde. Elle a été pour vous toutes un sujet d’édification par sa piété, son obéissance et son amour du prochain ; je voudrais pouvoir en dire autant de toutes celles qui nous quittent. Nous allons réciter pour elle un « Souvenez-vous » et, si vous le voulez bien, nous prierons chaque jour la sainte Vierge de protéger son innocence et de maintenir son âme dans la crainte de Dieu.