L’Encyclopédie/1re édition/TROUBADOURS ou TROMBADOURS

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TROUBADOURS ou TROMBADOURS, s. m. (Littérat.) qu’on trouve aussi écrit trouveors, trouveours, trouverses & trouveurs, nom que l’on donnoit autrefois, & que l’on donne encore aujourd’hui aux anciens poëtes de Provence. Voyez Poésie.

Quelques-uns prétendent qu’on les a appellés trombadours, parce qu’ils se servoient d’une trompe ou d’une trompette dont ils s’accompagnoient en chantant leurs vers.

D’autres préserent le mot de troubadours qu’ils font venir du mot trouver, inventer, parce que ces poëtes avoient beaucoup d’invention, & c’est le sentiment le plus suivi.

Les poésies des troubadours consistoient en sonnets, pastorales, chants, satyres, pour lesquelles ils avoient le plus de goût, & en tensons ou plaidoyers qui étoient des disputes d’amour.

Jean de Notre-Dame ou Nostradamus qui étoit procureur au parlement de Provence, est entré dans un grand détail sur ce qui concerne ces poëtes.

Pasquier dit qu’il avoit entre les mains l’extrait d’un ancien livre qui appartenoit au cardinal Bembo, & qui avoit pour titre : les noms d’aquels firent temons & syrventes. Ils étoient au nombre de 96, & il y avoit parmi eux un empereur, savoir Frédéric I. deux rois, Richard I. roi d’Angleterre, & un roi d’Arragon, un dauphin de Viennois & plusieurs comtes, &c. non pas que tous ces personnages eussent composé des ouvrages entiers en provençal, mais pour quelques épigrammes de leur façon faites dans le goût de ces poetes. Les pieces mentionnées dans ce titre & nommées syrventes, étoient des especes de poëmes mêlés de louanges & de satyres, dans lesquels les troubadours célébroient les victoires que les princes chrétiens avoient remportées sur les infideles dans les guerres d’outre-mer.

Pétrarque au iv. chapitre du triomphe de l’amour, parle avec éloge de plusieurs troubadours. On dit que les poëtes italiens ont formé leurs meilleures pieces sur le modele de ces poëtes provençaux, & Pasquier avance positivement que le Dante & Pétrarque sont les vraies fontaines de la poésie italienne, mais que ces fontaines ont leur source dans la poésie provençale.

Boucher, dans son histoire de Provence, raconte que vers le milieu du douzieme siecle les troubadours commencerent à se faire estimer en Europe, & que la réputation de leur poésie fut au plus haut degré vers le milieu du xiv. siecle. Il ajoute que ce fut en Provence que Pétrarque apprit l’art de rimer, qu’il pratiqua & qu’il enseigna ensuite en Italie.

En effet outre les différentes sortes de poésies que composerent les troubadours, même dès la fin du xj. siecle, ils eurent la gloire d’avoir les premiers fait sentir à l’oreille les véritables agrémens de la rime. Jusqu’à eux elle étoit indifféremment placée au commencement, au repos ou à la fin du vers ; ils la fixerent où elle est maintenant, & il ne fut plus permis de la changer. Les princes de ce tems-là en attirerent plusieurs à leurs cours, & les honorerent de leurs bienfaits. Au reste ces troubadours étoient différens des conteurs, chanteurs & jongleurs qui parurent dans le même tems. Les conteurs composoient les proses historiques & romanesques ; car il y avoit des romans rimés & sans rimes ; les premiers étoient l’ouvrage des troubadours, & les autres ceux des conteurs. Les chanteurs chantoient les productions des poëtes, & les jongleurs les exécutoient sur différens instrumens. Voyez Jongleurs.

« Les premiers poëtes, dit M. l’abbé Massieu dans son histoire de la poésie françoise, menoient une vie errante, & ressembloient du-moins par-là aux poëtes grecs. Lorsqu’ils avoient famille, ils menoient avec eux leurs femmes & leurs enfans qui se mêloient aussi quelquefois de faire des vers ; car assez souvent toute la maison rimoit bien ou mal à l’exemple du maître. Ils avoient soin encore de prendre à leur suite des gens qui eussent de la voix pour chanter leurs compositions, & d’autres qui sussent jouer des instrumens pour accompagner. Ecoutés de la sorte ils étoient bien venus dans les châteaux & dans les palais. Ils égayoient les repas ; ils faisoient honneur aux assemblées, mais surtout ils savoient donner des louanges, appât auquelles grands se sont presque toujours laissés prendre ». Hist. de la poésie françoise, pag. 96.

« Quelquefois, dit M. de Fontenelle, durant le repas d’un prince on voyoit arriver un trouverse inconnu avec ses menestrels ou jongleours, & il leur faisoit chanter sur leurs harpes ou vielles les vers qu’il avoit composés. Ceux qui faisoient les sons, aussi bien que les mots, étoient les plus estimés. On les payoit en armes, draps & chevaux, & pour ne rien déguiser, on leur donnoit aussi de l’argent ; mais pour rendre les récompenses des gens de qualité plus honnêtes & plus dignes d’eux, les princesses & les plus grandes dames y joignoient souvent leurs faveurs. Elles étoient fort foibles contre les beaux esprits ». Hist. du théatre franç. pag. 5 & 6, œuv. de M. de Fontenelle, tom. III.

Les plus célebres troubadours sont Arnaud Daniel, né dans le xij. siecle à Tarascon ou à Beaucaire ou à Montpellier, d’une famille noble, mais pauvre, auteur de plusieurs tragédies & comédies, & entr’autres d’un poëme intitulé, les illusions du paganisme, des poésies duquel Pétrarque a bien su profiter. Anselme Fay dit, Hugues Brunet, Pierre de Saint-Remi, Perdrigon, Richard de Noues, Luco, Parasols, Pierre Roger, Giraud de Bournel, Remond le Proux, Ruthebœuf, Hebers, Chrétien de Troies, Eustace li peintre, &c.

Ces troubadours brillerent en Europe environ 250 ans, c’est-à-dire, depuis 1120 ou 1130, jusqu’à la fin du regne de Jeanne I. du nom, reine de Naples & de Sicile, & comtesse de Provence, qui mourut en 1382. Alors défaillirent les Mécènes, & défaillirent aussi les poëtes, dit Nostradamus. D’autres voulurent suivre les traces des premiers troubadours, mais n’en ayant pas la capacité, ils se firent mépriser ; de sorte que tous ceux de cette profession se séparerent en deux différentes especes d’acteurs ; les uns sous l’ancien nom de jongleurs, joignirent aux instrumens le chant ou le récit des vers, & les autres prirent simplement le nom de joueurs, joculatores, ainsi qu’ils sont nommés dans les anciennes ordonnances.

M. l’abbé Goujet de qui nous empruntons ceci, remarque que parmi ces poëtes il y en eut qu’on nomma comiques, c’est-à-dire comédiens, parce qu’en effet ils jouoient eux-mêmes dans les pieces qu’ils composoient, & peut-être dans celles qu’ils débitoient à la cour des rois & des princes où ils étoient admis. Suppl. de Morery.