L’Encyclopédie/1re édition/TOURNOIS

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TOURNOIS, s. m. pl. (Hist. de la Cheval.) exercice de guerre & de galanterie que faisoient les anciens chevaliers pour montrer leur adresse & leur bravoure. C’est l’usage des tournois qui unissant ensemble les droits de la valeur & de l’amour, vint à donner une grande importance à la galanterie, ce perpétuel mensonge de l’amour.

On appelloit tournoi, dans le tems que régnoit l’ancienne chevalerie, toutes sortes de courses & combats militaires, qui se faisoient conformément à certaines regles, entre plusieurs chevaliers & leurs écuyers par divertissement & par galanterie. On nommoit joutes, des combats singuliers qui se faisoient dans les tournois d’homme à homme avec la lance ou la dague ; ces joutes étoient ordinairement une partie des tournois. Voyez Joute.

Il est difficile de fixer l’époque de l’institution des tournois, dont les Allemands, les Anglois & les François se disputent la gloire, en faisant remonter l’origine de ces jeux au milieu du jx. siecle.

L’historien Nithard parle ainsi des jeux militaires, dont les deux freres Louis le Germanique & Charles le Chauve se donnerent plusieurs fois le spectacle vers l’année 842, après avoir juré cette alliance qui est devenue si célebre par la formule de leur serment. Ludos etiam hoc ordine sæpe causâ excrcitii frequentabant … Subsistente hinc indè omni multitudine, primum pari numero Saxonorum, Vasconorum, Austrasiorum, Britannorum, ex utrâque parte veluti invicem adversari sibi vellent, alter in alterum veloci cursu ruebat … & plus bas, eratque res digna … spectaculo.

Il paroît assez clairement par la suite du texte de Nithard, que l’Allemagne fut le théatre de ces jeux qui avoient quelque ressemblance aux tournois qui succéderent. La plûpart des auteurs allemands prétendent que l’empereur Henri I. surnommé l’oiseleur, qui mourut en 936, fut l’instituteur des tournois ; mais quelques-uns avec plus de fondement en font l’honneur à un autre Henri, qui est postérieur d’un siecle au premier. En ce cas les Allemands auroient peu d’avantage sur les François, chez qui l’on voit les tournois établis vers le milieu du xj. siecle, par Geoffroi, seigneur de Preuilli en Anjou. Anno 1066, dit la chronique de Tours, Gaufridus de Pruliaco, qui torneamenta invenit, apud Andegavum occiditur.

Il y a même un historien étranger, qui parlant des tournois, les appelle des combats françois, conflictus gallici, soit parce qu’il croyoit qu’ils étoient nés en France, soit parce que de son tems les François y brilloient le plus. Henricus rex Anglorum junior, dit Mathieu Paris, sous l’an 1179, mare transiens in conflictibus gallicis, & profusioribus expensis, triennium peregit, regiâque majestate depositâ, totus est de rege translatus in militem. Selon les auteurs de l’histoire bysantine, les peuples d’orient ont appris des François l’art & la pratique des tournois ; & en effet notre nation s’y est toujours distinguée jusqu’au tems de Brantome.

La veille des tournois étoit annoncée dès le jour qui la précédoit, par les proclamations des officiers d’armes. Des chevaliers qui devoient combattre, venoient aussi visiter la place destinée pour les joutes. « Si venoient devant eux un hérault qui crioit tout en hault, seigneurs chevaliers, demain aurez la veille du tournoy, où prouesse sera vendue, & achetée au fer & à l’acier ».

On solemnisoit cette veille des tournois par des especes de joutes appellées, tantôt essais ou éprouves, épreuves, tantôt les vépres du tournoi, & quelquefois escrémie, c’est-à-dire escrimes, où les écuyers s’essayoient les uns contre les autres avec des armes plus légeres à porter, & plus aisées à manier que celles des chevaliers, plus faciles à rompre, & moins dangereuses pour ceux qu’elles blessoient. C’étoit le prélude du spectacle nommé le grand tournoi, le maître tournoi, la maître éprouve, que les plus braves & les plus adroits chevaliers, devoient donner le lendemain.

Les dames s’abstinrent dans les premiers tems d’assister aux grands tournois ; mais enfin l’horreur de voir répandre le sang céda dans le cœur de ce sexe né sensible, à l’inclination encore plus puissante qui le porte vers tout ce qui appartient aux sentimens de la gloire, ou qui peut causer de l’émotion. Les dames donc accoururent bientôt en foule aux tournois, & cette époque dut être celle de la plus grande célébrité de ces exercices.

Il est aisé d’imaginer quel mouvement devoit produire dans les esprits la proclamation de ces tournois solemnels, annoncés long-tems d’avance, & toujours dans les termes les plus fastueux ; ils animoient dans chaque province & dans chaque cour tous les chevaliers & les écuyers à faire d’autres tournois, ou par toutes sortes d’exercices, ils se disposoient à paroître sur un plus grand théatre.

Tandis qu’on préparoit les lieux destinés aux tournois, on étaloit le long des cloîtres de quelques monasteres voisins, les écus armoriés de ceux qui prétendoient entrer dans les lices, & ils y restoient plusieurs jours exposés à la curiosité & à l’examen des seigneurs, des dames & demoiselles. Un héraut ou poursuivant d’armes, nommoit aux dames ceux à qui ils appartenoient ; & si parmi les prétendans, il s’en trouvoit quelqu’un dont une dame eût sujet de se plaindre, soit parce qu’il avoit mal parlé d’elle, soit pour quelqu’autre offense, elle touchoit l’écu de ses armes pour le recommander aux juges du tournoi, c’est-à-dire pour leur en demander justice.

Ceux-ci, après avoir fait les informations nécessaires, devoient prononcer ; & si le crime avoit été prouvé juridiquement, la punition suivoit de près. Le chevalier se présentoit-il au tournoi, malgré les ordonnances qui l’en excluoient, une grele de coups que tous les autres chevaliers faisoient tomber sur lui, le punissoit de sa témérité, & lui apprenoit à respecter l’honneur des dames & les lois de la chevalerie. La merci des dames qu’il devoit réclamer à haute voix, étoit seule capable de mettre des bornes au châtiment du coupable.

Je ne ferai point la description des lices pour le tournoi, ni des tentes & des pavillons dont la campagne étoit couverte aux environs, ni des hours, c’est-à-dire des échafauds dressés au-tour de la carriere où tant de nobles personnages devoient se signaler. Je ne distinguerai point les différentes especes de combats qui s’y donnoient, joutes, castilles, pas d’armes & combats à la foule ; il me suffit de faire remarquer que ces échafauds souvent construits en forme de tours, étoient partagés en loges & en gradins, décorés de riches tapis, de pavillons, de bannieres, de banderoles & d’écussons. Aussi les destinoit-on à placer les rois, les reines, les princes & princesses, & tout ce qui composoit leur cour, les dames & les demoiselles, enfin les anciens chevaliers qu’une longue expérience au maniment des armes avoit rendu les juges les plus compétens. Ces vieillards, à qui leur grand âge ne permettoit plus de s’y distinguer encore, touchés d’une tendresse pleine d’estime pour cette jeunesse valeureuse, qui leur rappelloit le souvenir de leurs propres exploits, voyoient avec plaisir leur ancienne valeur renaître dans ces essains de jeunes guerriers.

La richesse des étoffes & des pierreries relevoit encore l’éclat du spectacle. Des juges nommés exprès, des maréchaux du camp, des conseillers ou assistans, avoient en divers lieux des places marquées pour maintenir dans le champ de bataille les lois des tournois, & pour donner leur avis à ceux qui pourroient en avoir besoin. Une multitude de héraults & poursuivans d’armes, répandus de toutes parts, avoient les yeux fixés sur les combattans, pour faire un rapport fidele des coups qui seroient portés & reçus. Une foule de menestriers avec toute sorte d’instrumens d’une musique guerriere, étoient prêts à célébrer les prouesses qui devoient éclater dans cette journée. Des sergens actifs avoient ordre de se porter de tous les côtés où le service des lices les appelleroit, soit pour donner des armes aux combattans, soit pour contenir la populace dans le silence & le respect.

Le bruit des fanfares annonçoit l’arrivée des chevaliers superbement armés & équipés, suivis de leurs écuyers tous à cheval. Des dames & des demoiselles amenoient quelquefois sur les rangs ces fiers esclaves attachés avec des chaînes qu’elles leur ôtoient seulement, lorsqu’entrés dans l’enceinte des lices, ils étoient prêts à s’élancer. Le titre d’esclave ou de serviteur de la dame que chacun nommoit hautement en entrant au tournoi, étoit un titre d’honneur qui devoit être acheté par des exploits ; il étoit regardé par celui qui le portoit, comme un gage de la victoire, comme un engagement à ne rien faire qui ne fût digne de lui. Servans d’amour, leur dit un de nos poëtes dans une ballade qu’il composa pour le tournoi fait à Saint-Denis sous Charles VI. au commencement de Mai 1389.

Servans d’amour, regardez doucement
Aux échafauds, anges de paradis,
Lors jouterez fort, & joyeusement,
Et vous serez honorés & chéris.

A ce titre, les dames daignoient joindre ordinairement ce qu’on appelloit faveur, joyau, noblesse, nobloy, ou enseigne ; c’étoit une écharpe, un voile, une coëffe, une manche, une mantille, un brasselet, un nœud, en un mot quelque piece détachée de leur habillement ou de leur parure ; quelquefois un ouvrage tissu de leurs mains, dont le chevalier favorisé ornoit le haut de son heaume ou de sa lance, son écu, sa cotte d’armes, ou quelqu’autre partie de son armure.

Souvent dans la chaleur de l’action, le sort des armes faisoit passer ces gages précieux au pouvoir d’un ennemi vainqueur, ou divers accidens en occasionnoient la perte. En ce cas la dame en renvoyoit d’autres à son chevalier pour le consoler, & pour relever son courage : ainsi elle l’animoit à se vanger, & à conquérir à son tour les faveurs dont ses adversaires étoient parés, & dont il devoit ensuite lui faire une offrande.

Ce n’étoit pas les seules offrandes que les chevaliers vainqueurs faisoient aux dames ; ils leur présentoient aussi quelquefois les champions qu’ils avoient renversés, & les chevaux dont ils leur avoient fait vuider les arçons.

Lorsque toutes ces marques, sans lesquelles on ne pouvoit démêler ceux qui se signaloient, avoient été rompues & déchirées, ce qui arrivoit souvent par les coups qu’ils se portoient en se heurtant les uns les autres, & s’arrachant à-l’envi leurs armes ; les nouvelles faveurs qu’on leur donnoit sur le champ, servoient d’enseignes aux dames, pour reconnoître celui qu’elles ne devoient point perdre de vue, & dont la gloire devoit réjaillir sur elles. Quelques-unes de ces circonstances ne sont prises à-la-vérité que des récits de nos romanciers ; mais l’accord de ces auteurs avec les relations historiques des tournois justifie la sincérité de leurs dépositions.

Enfin on ne peut pas douter que les dames attentives à ces tournois ne prissent un intérêt sensible aux succès de leurs champions. L’attention des autres spectateurs n’étoit guere moins capable d’encourager les combattans : tout avantage remarquable que remportoit quelqu’un des tournoyans, étoit célébré par les sons des ménétriers, & par les voix des héraults. Dans la victoire on crioit, honneur au fils des preux ; car, dit Monstrelet, nul chevalier ne peut être jugé preux lui-même, si ce n’est après le trépassement. D’autrefois on crioit, louange & prix aux chevaliers qui soutiennent les griefs, faits & armes, par qui valeur, hardement & prouesse est guaigné en sang mêlé de sueur.

A-proportion des criées & huées qu’avoient excitées les hérauts & les ménetriers, ils étoient payés par les champions. Leurs présens étoient reçus avec d’autres cris ; les mots de largesse ou noblesse, c’est-à-dire libéralité, se répétoient à chaque distribution nouvelle. Une des vertus les plus recommandées aux chevaliers, étoit la générosité ; c’est aussi la vertu que les jongleurs, les poëtes & les romanciers ont le plus exaltée dans leurs chansons & dans leurs écrits : elle se signaloit encore par la richesse des armes & des habillemens. Les débris qui tomboient dans la carriere, les éclats des armes, les paillettes d’or & d’argent dont étoit jonché le champ de bataille, tout se partageoit entre les hérauts & les ménétriers. On vit une noble imitation de cette antique magnificence chevaleresque à la cour de Louis XIII. lorsque le duc de Bukingham, allant à l’audience de la reine, parut avec un habit chargé de perles, que l’on avoit exprès mal attachées ; il s’étoit ménagé par ce moyen un prétexte honnête de les faire accepter à ceux qui les ramassoient pour les lui remettre.

Les principaux réglemens des tournois, appellés écoles de prouesse dans le roman de Perceforest, consistoient à ne point frapper de la pointe, mais du tranchant de l’épée, ni combattre hors de son rang ; à ne point blesser le cheval de son adversaire ; à ne porter des coups de lance qu’au visage, & entre les quatre membres ; c’est-à-dire au plastron ; à ne plus frapper un chevalier dès qu’il avoit ôté la visiere de son casque, ou qu’il s’étoit déhaumé, à ne point se réunir plusieurs contre un seul dans certains combats, comme dans celui qui étoit proprement appellé joute.

Le juge de paix choisi par les dames, avec un appareil curieux, étoit toujours prêt d’interposer son ministere pacifique, lorsqu’un chevalier ayant violé par inadvertance les lois du combat, avoit attiré contre lui seul les armes de plusieurs combattans. Le champion des dames, armé d’une longue pique, ou d’une lame surmontée d’une coëffe, n’avoit pas plutôt abaissé sur le heaume de ce chevalier le signe de la clémence & de la sauve-garde des dames, que l’on ne pouvoit plus toucher au coupable. Il étoit absous de sa faute lorsqu’on la croyoit en quelque façon involontaire ; mais si l’on s’appercevoit qu’il eût eu dessein de la commettre, on devoit la lui faire expier par une rigoureuse punition.

Celles qui avoient été l’ame de ces combats, y étoient célébrées d’une façon particuliere. Les chevaliers ne terminoient aucun exercice sans faire à leur honneur une derniere joute, qu’ils nommoient le coup des dames ; & cet hommage se répétoit en combattant pour elles à l’épée, à la hache d’armes & à la dague. C’étoit de toutes les joutes celle où l’on se piquoit de faire des plus nobles efforts.

Le tournoi fini, on s’occupoit du soin de distribuer le prix que l’on avoit proposé, suivant les divers genres de force ou d’adresse par lesquels on s’étoit distingué ; soit pour avoir brisé le plus grand nombre de lances ; soit pour avoir fait le plus beau coup d’épée ; soit pour être resté plus long-tems à cheval sans être démonté, ni désarçonné ; soit enfin pour avoir tenu plus long tems de pié ferme dans la foule du tournoi, sans se déhaumer, ou sans lever la visiere pour reprendre haleine.

Les officiers d’armes faisoient leur rapport du combat devant les juges, qui prononçoient le nom du vainqueur. Souvent on demandoit l’avis des dames, qui adjugeoient le prix comme souveraines du tournoi ; & quand il arrivoit qu’il n’étoit point adjugé au chevalier qu’elles en avoient estimé le plus digne, elles lui accordoient elles-mêmes un second prix. Enfin lorsque le prix avoit été décerné, les officiers d’armes alloient prendre parmi les dames ou les demoiselles celles qui devoient présenter ce prix au vainqueur. Le baiser qu’il avoit droit de leur donner en recevant le gage de sa gloire, lui paroissoit le plus haut point de son triomphe.

Ce prix que les dames lui portoient étoit adjugé tantôt sur les lices, & tantôt dans le palais au milieu des divertissemens qui venoient à la suite du tournoi, comme on le vit dans les fêtes du duc de Bourgogne à Lille en 1453. « Tandis qu’on dansoit, dit Olivier de la Marche, mém. liv. I. pag. 437. les roys d’armes & héraux, aveques les nobles hommes qui furent ordonnés pour l’enqueste, allerent aux dames & aux demoiselles, savoir à qui l’on devoit présenter le prix, pour avoir le mieux jousté & rompu bois pour ce jour, & fut trouvé que M. de Charolois l’avoit gagné, & desservy. Si prirent les officiers d’armes deux damoyselles, princesses (mademoiselle de Bourbon & mademoiselle d’Estampes), pour le prix présenter, & elles le baillerent à mon dict seigneur de Charolois, lequel les baisa, comme il avoit accoutumé, & qu’il étoit de coutume, & fut crié mont joye, moult hautement ».

Non-seulement le vainqueur recevoit le baiser, gage de son triomphe, mais il étoit désarmé par les mêmes dames qui lui présentoient des habits, & le menoient à la salle où il étoit reçu par le prince, qui le faisoit asseoir au festin dans la place la plus honorable. Son nom étoit inscrit dans les registres des officiers d’armes, & ses actions faisoient souvent la matiere des chansons & des lays que chantoient les dames & les demoiselles au son des instrumens des ménétriers.

Voilà le beau des tournois, il n’est pas difficile d’en voir le ridicule & les abus. Comme il n’y avoit qu’un pas des dévots chevaliers à l’irreligion, ils n’eurent aussi qu’un pas à faire de leur fanatisme en amour, aux plus grands excès de libertinage ; les tournois, presque toujours défendus par l’Eglise à cause du sang que l’on y répandoit, & souvent interdits par nos rois, à cause des dépenses énormes qui s’y faisoient ; les tournois, dis-je, ruinerent une grande partie des nobles, qu’avoient épargnés les croisades & les autres guerres.

Il est vrai néanmoins que si nos rois réprimerent souvent par leurs ordonnances la fureur des tournois, ils les ranimerent encore plus souvent par leur exemple ; de-là vient qu’il est fait mention dans nos anciens fabliaux, d’une de ces défenses passageres, qui fut suivie de la publication d’un tournoi fait à la Haye en Touraine. Ainsi ne soyons pas surpris que ces sortes de combats fussent toujours en honneur, malgré les canons des conciles, les excommunications des papes, les remontrances des gens d’église, & le sang qui s’y répandoit. Il en coûta la vie en 1240 à soixante chevaliers & écuyers, dans un seul tournoi fait à Nuys, près de Cologne. Charles VI. les soutint, & sa passion pour cet exercice lui attira souvent des reproches très-sérieux ; car contre l’usage ordinaire des rois, il s’y mesuroit avec les plus adroits jouteurs, compromettoit ainsi sa dignité, & exposoit témérairement sa vie, en se mêlant avec eux.

Enfin, le funeste accident d’Henri II. tué dans un tournoi en 1559, sous les yeux de toute une nation, modéra dans le cœur des François, l’ardeur qu’ils avoient témoignée jusque-là pour ces sortes d’exercices ; cependant la vie désœuvrée des grands, l’habitude & la passion, renouvellerent ces jeux funestes à Orléans, un an après la fin tragique d’Henri II. Henri de Bourbon-Montpensier, prince du sang, en fut encore la victime ; une chûte de cheval le fit périr. Les tournois cesserent alors absolument en France ; ainsi leur abolition est de l’année 1560. Avec eux périt l’ancien esprit de chevalerie qui ne parut plus guere que dans les romans. Les jeux qu’on continua depuis d’appeller tournois, ne furent que des carousels, & ces mêmes carousels ont entierement passé de mode dans toutes les cours de l’Europe.

Les lettres reprenant le dessus sur tous ces amusemens frivoles, ont porté dans le cœur des hommes le goût plein de charmes de la culture des arts & des sciences. « Notre siecle plus éclairé (dit un auteur roi, moins célebre encore par la gloire de ses armes que par son vaste génie), notre siecle plus éclairé n’accorde son estime & son goût qu’aux talens de l’esprit, & à ces vertus qui relevent l’homme au-dessus de sa condition, le rendent bienfaisant, généreux & secourable ».

De plus curieux que je ne suis pourront consulter sur les tournois Ducange au mot torneamentum, & sa Dissertation à la suite de Joinville ; le pere Menestrier, divers traités sur la chevalerie ; le pere Honoré de Ste. Marie, Dissertation historique sur la chevalerie ancienne & moderne ; Lacolombiere, Théatre d’honneur & de chevalerie, où il donne, tome I. pag. 519. la liste de plusieurs relations de tournois faits depuis l’an 1500 ; les Mémoires de littérature.

Mais le charmant ouvrage sur l’ancienne chevalerie, considérée comme un établissement politique & militaire par M. de la Curne de Sainte-Palaye, & dont j’ai tiré ce court mémoire, doit tenir lieu de tous ces livres. (Le chevalier de Jaucourt.)

Tournois, (Monnoie de France.) ancienne monnoie de France : il y avoit des petits tournois d’argent & des petits tournois de billon ; on nommoit autrement les petits tournois d’argent tournois blancs ou mailles blanches, & les tournois de billon, des tournois noirs. Dans une ordonnance de Philippe-le-Long, il est fait mention des turones albi & des turones nigri.

Tout le monde convient, dit M. Leblanc, que saint Louis fit faire le gros tournois d’argent. Il n’est rien de si célebre que cette monnoie dans les titres & dans les auteurs anciens ; tantôt elle est nommée argenteus turonensis, souvent grossus turonensis, & quelquefois denarius grossus. Le nom de gros fut donné à cette espece, parce que c’étoit la plus grosse monnoie d’argent qu’il y eût alors en France, & on l’appella tournois, à cause qu’elle étoit fabriquée à Tours, comme le marque la légende, turonus civis, pour turonus civitas ; cette monnoie pesoit 3 deniers 7 grains, trébuchans ; il y en avoit par conséquent 58 dans un marc. Cela se justifie par un fragment d’ordonnance que saint Louis fit l’an 1266, pour regler la maniere dont on devoit peser la monnoie, avant que de la délivrer au public ; enfin Philippe-le-Hardi fit faire des tournois de la même valeur que ceux de saint Louis.

Au-reste, il est certain que le parisis qui avoit cours dans le même tems, étoit plus fort d’un quart que le tournois qui a été aboli sous le regne de Louis XIV. & on ne connoit plus que le parisis qui est en usage dans le palais, où l’on ajoute le parisis, à l’estimation que l’huissier fait des effets mobiliers, en procédant à l’inventaire d’un décédé ; & quand l’estimation est faite par un expert, on n’y ajoute point de parisis. La livre tournois désigne une monnoie de compte valant vingt sols. Voyez Livre tournois. (D. J.)