L’Encyclopédie/1re édition/TOULOUSE

TOUPET  ►

TOULOUSE, (Géog. mod.) ville de France dans le haut Languedoc, dont elle est la capitale, comme de toute la province de Languedoc. Cette ville, située sur le bord oriental de la Garonne, dans le pays des Tectosages, est une des plus anciennes des Gaules, puisque Trogue Pompée & plusieurs autres auteurs assûrent qu’elle étoit la patrie des Tectosages, qui ravagerent la Grece du tems de Brennus, près de 280 ans avant J. C. Elle est nommée Tolosa par César, lib. I. bell. gal. c. x. Tolosa colonia ; par Ptolomée, l. II. c. xx. urbs Tolosatium par Sidonius Apollinaris, l. IV. epist. xvij. & civitas Tolosatium, dans la notice de la Gaule. C’étoit une ville d’une grande étendue, & divisée en cinq parties, suivant ce vers d’Ausone, epist. xxiij. v. 83.

Quincuplicem socias tibi Martic Narbo Tolosam.

On lui donna l’épithete de Palladia, soit à cause du culte que les habitans rendoient à Pallas, soit à cause des oliviers qui sont l’arbre de cette déesse, & qui croissent en quantité dans le territoire de cette ville ; soit enfin à cause du goût que ses habitans avoient pour les sciences, selon ce distique de Martial, l. IX. epigram. 101.

Marcus Palladiæ non inficianda Tolosæ
Gloria, quam genuit pacis alumna quies.

Le premier vers de cette épigramme fait voir que Martial entend parler de l’étude des Belles-Lettres.

Marcus amat nostras Antonius, Attice, musas.

Toulouse étoit encore considérable par sa magnificence ; car il y avoit un capitole. On y voyoit aussi un temple dans le voisinage, fameux par ses richesses auxquelles personne n’osoit toucher. Justin & quelques autres historiens ont dit que les Tectosages pillerent le trésor du temple de Delphes ; & que pour appaiser la colere d’Apollon qui les désoloit par une cruelle peste, ils jetterent ce trésor dans le lac de Toulouse.

Cette ville fut prise sur les mêmes Tectosages par Servilius Cæpion, l’an 648 de la fondation de Rome, 106 ans avant l’ere chrétienne. Ce consul y fit un grand butin, & enleva le trésor du temple d’Apollon. Les historiens assûrent que Cæpion finit ses jours malheureusement, ainsi que tous ceux qui avoient eu part à son sacrilége : c’est de-là qu’est venu le proverbe aurum tolosanum, de l’or funeste.

Ce temple d’Apollon, qui étoit à Toulouse, a fait confondre, même dans l’antiquité, cet or de Toulouse avec celui du temple de Delphes ; & quelques-uns se sont imaginés que Brennus, général des Gaulois, ayant pillé le temple de Delphes, les Gaulois, & sur-tout les Tectosages, avoient remporté leur butin dans leur pays. Strabon a réfuté ce conte, d’autant mieux que le temple de Delphes avoit été pillé par les Phocéens, avant la venue des Gaulois, lesquels, bien loin de prendre la ville de Delphes, & de pouvoir piller son temple, furent repoussés avec perte, & périrent tous les uns après les autres.

Quoique Toulouse fût une des villes célebres de l’empire romain, néanmoins elle ne fut jamais métropole ou capitale de province sous les empereurs. Ce fut sous les rois Visigoths, qui y établirent leur résidence, qu’elle devint une ville royale, reconnoissant toutefois pour métropole ecclésiastique Narbonne, dont elle n’a été soustraite que l’an 1317 par Jean XXII. Ce pape divisa le grand diocèse de Toulouse en plusieurs, où il mit des évêques, leur donnant pour métropolitain le cardinal Jean Raymond de Comminges, qui fut le premier archevêque de Toulouse.

A l’égard de la jurisdiction temporelle, après avoir été entre les mains des officiers de l’empire romain, elle fut assujettie aux Visigoths, lorsque le roi Ataulphe s’établit dans les Gaules, au commencement du cinquieme siecle.

Cent ans après ou environ, Clovis ayant défait Alaric, s’empara de Toulouse, & laissa cette ville à ses successeurs, qui la gouvernerent par des officiers qu’on nommoit comtes. Dagobert la donna l’an 628 à son frere le roi Aribert, qui y établit sa résidence : mais ce prince ayant à peine régné trois ans, mourut, & son état revint sous la domination de Dagobert, qui laissa la ville de Toulouse à son fils Clovis II. roi de Neustrie.

Les princes mérovingiens en ont toujours été les maîtres jusqu’au commencement du huitieme siecle. Ce fut pour lors que le duc Eudes, qui se rendit absolu dans l’Aquitaine, s’empara de Toulouse, qu’il défendit contre les Sarrasins l’an 721. Onze ans après ils la prirent, & la saccagerent avec Bordeaux & la plûpart des villes d’Aquitaine qu’ils ne conserverent point, parce qu’ils furent défaits près de Poitiers par Charles-Martel, maire du palais : ainsi Eudes jouit comme auparavant de l’Aquitaine, & laissa cet état à son fils Hunaud, à qui son fils Gaifre succéda. Le roi Pépin, fils de Charles Martel, fit une cruelle guerre à Gaifre, qui perdit enfin ses états & la vie.

Pépin s’empara l’an 767 de la ville de Toulouse, que lui & ses successeurs gouvernerent par des comtes qui n’étoient que de simples officiers, jusqu’au tems de Charles le Simple, qui fut déposé & mis en prison où il mourut. Ce fut sur la fin du regne de ce prince, que Régimond ou Raymond se rendit absolu à Toulouse vers l’an 920. Il eut pour héritier son fils Raymond Pons. Ces premiers comtes de Toulouse prenoient la qualité de ducs d’Aquitaine, quoiqu’ils n’eussent qu’une petite portion d’un si grand pays, n’étant maitres au commencement que de l’ancien territoire de Toulouse, & n’ayant aucune autorité sur le reste de la Gothie ou Septimanie, appellée aujourd’hui le Languedoc.

Les comtes descendans du premier Raymond jouirent de cet état de pere en fils, jusqu’à Guillaume, qui vivoit dans l’onzieme siecle. Il ne laissa qu’une fille nommée Philippia, qui épousa le duc Guillaume, pere du dernier duc d’Aquitaine : elle ne succéda pas à son pere, parce que son oncle Raymond de Saint-Gilles comte de Querci, & frere de Guillaume comte de Toulouse, se trouvant le plus fort en cette ville, s’en empara. Il prit ensuite le premier le titre de duc de Narbonne, sans aucun droit, & désigna comte de Toulouse son fils Bertrand, qui mourut sans enfans l’an 1115.

Après la mort de Bertrand, Guillaume duc d’Aquitaine, soutenant les droits de sa femme, prit Toulouse ; mais il en fut dépossédé par Alfonse, fils de Raymond de S. Gilles. Le dernier Guillaume, duc d’Aquitaine, & sa fille Eléonor, hériterent des droits de Philippia, qu’Henri II. roi d’Angleterre, mari d’Eléonor, soutint contre Raymond, comte de Toulouse, fils d’Alfonse, & en demanda justice à Louis le jeune, roi de France.

Le roi Louis accorda les parties à cette condition, que la propriété du comté de Toulouse demeureroit à Raymond, qui seroit tenu d’en faire foi & hommage au roi d’Angleterre, duc de Guienne, ce qui fut exécuté.

Richard, fils du roi Henri & d’Eléonor, demanda l’hommage du comté de Toulouse ; mais cette affaire fut terminée l’an 1196, lorsque Raymond, dit le vieux, comte de Toulouse, fils d’Alfonse, ayant épousé Jeanne, fille d’Henri & d’Eléonor & sœur de Richard, ce roi céda tous ses droits sur le comté de Toulouse au comte Raymond.

Ce fut le même Raymond, qui s’étant déclaré protecteur des Albigeois, fut poursuivi par le pape Innocent III. qui donna le comté de Toulouse à Simon de Montfort, général des catholiques, du consentement de Philippe Auguste : Raymond, abandonné par le roi son seigneur féodal, reconnut un autre seigneur ou souverain, qui fut Pierre roi d’Arragon, à qui le comte fit foi & hommage. C’est-là l’origine du droit que les Aragonnois prétendoient sur le comté de Toulouse, auquel ils renoncerent par la transaction passée entre S. Louis & Jacques roi d’Aragon, l’an 1258.

Simon de Montfort ne put se maintenir dans sa conquête, de sorte que son fils Amaury céda ses droits à Louis VIII. pere de S. Louis. Raymond le jeune, fils & successeur de Raymond le vieux, fit sa paix avec le roi de France, & transigea l’an 1228 avec S. Louis. Par ce contrat, la princesse Jeanne, fille de Raymond, fut accordée avec Alfonse, comte de Poitiers, & frere du roi. On convint que Jeanne succéderoit aux états de son pere, & qu’en cas qu’elle ou son mari vinssent à mourir sans enfans mâles, le tout seroit réuni à la couronne.

Raymond mourut l’an 1249, & eut pour successeur sa fille Jeanne & son gendre Alfonse, qui finirent leurs jours l’un & l’autre, peu après la mort de S. Louis, l’an 1270, après quoi le roi Philippe le hardi prit possession du comté de Toulouse, & le réunit à la couronne.

Il y avoit dans l’ancienne Toulouse un amphithéatre, un capitole, & plusieurs autres monumens superbes ; mais les Wisigoths, nation barbare, ayant choisi Toulouse pour être la capitale de leur empire, ruinerent tous ses beaux monumens de fond en comble, ensorte qu’il n’en reste d’autres vestiges, que quelques masures de l’amphithéatre.

Quoiqu’il n’y ait point de ville dans le royaume plus avantageusement située pour le commerce que Toulouse, il ne s’y en fait cependant presqu’aucun. Le génie des habitans les porte quand ils sont aisés, à acquérir des charges de robe, ou à viser au capitoulat ; de-là vient que Toulouse, une des plus grandes villes du royaume, est une des plus pauvres & des plus dépeuplées. Il y a présidial, sénéchaussée, hôtel des monnoies, généralité, parlement & université, mais tous ces beaux titres ne l’enrichissent pas ; son académie est comme du tems des troubadours ; ses prix consistent dans une amaranthe d’or, une églantine, une violette, & un souci d’argent. Son évêché fut érigé en archevêché par le pape Jean XXII. & c’est un bénéfice de 80 mille livres de rente.

Sous Raymond V. comte de Toulouse, s’éleva dans cette ville un tribunal d’inquisition, au sujet de l’hérésie des Albigeois, & bien-tôt ce tribunal fit trembler par sa rigueur les personnes mêmes les plus innocentes ; le soulevement fut si grand, qu’on fut obligé de l’abolir ; mais ce qu’il y a de singulier, c’est qu’il en reste des vestiges ; car d’un côté M. de Montchal, archevêque de Toulouse, se fit attribuer le droit d’examiner si dans l’élection des capitouls, il n’y a personne qui soit suspect d’hérésie ; & de l’autre les dominicains continuent de faire pourvoir par le roi un religieux de leur ordre de l’office d’inquisiteur de Toulouse, parce qu’il y a quelques gages attachés à cette charge, qui par bonheur n’est aujourd’hui qu’un vain titre sans fonction.

On peut lire sur Toulouse l’abbé de Longuerue, Piganiol, description de la France, Nicol Bertrand des gestes des Toulousains, & mieux encore la Faille annales de Toulouse, ainsi que l’histoire de cette ville, qu’on y a imprimée en 1759 in-4°.

Long. suivant de la Hire, 18. 11. 30. suivant Lieutaud,des Places & Cassini, 18. 56. 30. lat. suivant de la Hire, 43. 30. suivant Lieutaud, des Places & Cassini, 43. 37.

Je n’entrerai dans aucune description de Toulouse moderne, ayant à parler des hommes illustres dans les armes & dans les lettres, à qui cette capitale du Languedoc a donné la naissance, & dont on voit les bustes en marbre dans l’hôtel-de-ville. Je commence par Antonius, auquel je m’arrêterai quelque tems, à cause du grand rôle qu’il a joué dans le monde.

Antonius Primus (Marcus), étoit ami de Martial, & son Mécene ; aussi ce poëte l’éleve jusqu’aux nues. Il dit qu’Antonius pouvoit se rappeller chaque jour de sa vie sans remords, & qu’il n’en avoit passé aucun, que d’une maniere qui fût propre à lui en rendre le souvenir agréable.


Jam numerat placido felix Antonius ævo
Quindecies actas, primus, olympiadas :
Proeteritos dies, & totos respicit annos,
Nec metuit Lethes jam propioris aquas.
Ampliat ætatis spatium sibi vir bonus hoc est
Vivere bis, vitâ posse priore frui.

L. X. epigr. 23.

Martial ne se borne pas à cet éloge ; il nous représente Marcus Antonius au-dessus du reste des mortels, & nous assure, que s’il pouvoit dépeindre son esprit & son caractere, ce seroit le portrait le plus accompli de la nature humaine. Voici les propres termes qu’il emploie.

Hæc mihi, quæ colitur violis pictura rosisque,
Quos referat vultus, Cœciliane, rogas ?
Talis erat Marcus mediis Antonius annis,
Primus in hoc juvenem se videt, ore senex.
Ast utinam mores, animumque effingere posset !
Pulchrior in terris nulla tabella foret
.

L. X. epigr. 32.

Combien il faut se défier des louanges des poëtes ! Horace & Virgile nous l’avoient déjà prouvé dans leurs adulations pour Auguste ; Martial nous le confirme dans celles qu’il prodigue au nouvel héros de sa fabrique ; voici donc la vérité. Marcus Antonius fut un des premiers capitaines de son tems, & qui a joué un grand rôle dans l’histoire romaine ; c’étoit un homme éloquent dont Tacite nous a conservé quelques fragmens d’harangues, mais un homme chargé de crimes, & dont la scélératesse égala la valeur. Sous le regne de Néron, il fut convaincu d’être un indigne faussaire, & d’avoir forgé un testament ; aussi fut-il condamné pour ce crime à être banni de Rome.

Comme c’étoit un homme intrigant, hardi, & entreprenant, il trouva le moyen d’y rentrer, & d’obtenir de Galba le commandement d’une légion. Sur le déclin des affaires de Vitellius, il prit le parti de Vespasien, lui rendit de grands services, & le plaça, pour ainsi dire, sur le thrône. Il s’empara de Padoue, d’Ateste (aujourd’hui Est), embrasa, détruisit & saccagea Crémone, avec la barbarie la plus incroyable. Ensuite il ravagea l’Italie comme un pays de conquête, ruina la discipline dans les troupes, & se servit de ce moyen pour s’enrichir par le pillage.

Il attaqua l’armée de Vitellius aux portes de Rome, & la poursuivit jusques dans Rome même ; là le combat se renouvella, & continua pendant quelque tems, en trois différens endroits avec beaucoup de furie & de carnage, jusqu’à ce qu’enfin les Vitelliens furent défaits, & Antonius demeura maître de Rome ; alors il dévoila pleinement son exécrable avarice, enlevant des palais sans scrupule, or, argent, meubles, esclaves, comme s’il eût encore pillé Crémone. C’est ainsi qu’il termina la guerre civile, & qu’il affermit la couronne impériale sur la tête de Vespasien.

Mais la jactance, l’orgueil, les richesses & l’avidité d’Antonius, le perdirent ; tous les chefs de l’armée, ayant Mucien à leur tête, se liguerent contre lui. Ils l’accuserent auprès de Vespasien d’être un esprit dangereux, d’avoir perdu la discipline militaire pour se faire des créatures, d’être arrivé trop tard au secours de Sabinus, & d’avoir voulu élever à l’empire Crassus Scribonianus, à quoi ils ajouterent le détail de tous ses crimes précédens. Enfin, il déchut peu-à-peu de son crédit, & se vit obligé de se retirer à Toulouse, où il mourut sans honneur, âgé de 65 ou 75 ans.

Voilà le portrait qu’en fait Tacite dans son histoire, l. II. l. III. & l. IV. où vous trouverez de grands détails.

Pour les assembler en deux mots, Antonius étoit un homme d’intrigue & d’exécution, hardi de la langue & de la main, maniant la parole avec une adresse merveilleuse, propre à décrier qui il vouloit, habile à gagner les bonnes graces des soldats, vrai boute-feu de guerres civiles, prompt à piller & à prodiguer, pernicieux dans la paix, & de grand prix à la guerre. Je serai court sur les autres toulousains, dont les bustes sont en marbre dans l’hôtel-de-ville de Toulouse.

Statius Surculus, ou Urculus, rhéteur qui vivoit du tems de Néron, vers l’an 60 de J. C. parut peu de tems avant Antonius. Ne le confondez pas avec le poëte Publius Papinius Statius, qui florissoit du tems de Domitien.

Æmilius Magnus Arborichus, rhéteur, enseigna, dit-on, dans Toulouse les belles-lettres au frere de Constantin.

On voit ensuite les bustes de Théodoric I. & II. rois de Toulouse ; de Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse ; de Bertrand comte de Toulouse, de Guillaume & de Jean de Nogaret. Parlons à présent des hommes de lettres nés à Toulouse, dont les bustes sont dans la galerie.

Bunel (Pierre), l’un des plus polis écrivains du seizieme siecle, se distingua par sa vertu, son desintéressement & sa science. Il mourut à Turin en 1545 à l’âge de 47 ans. On a des lettres latines de cet honnête homme, qui sont écrites avec la derniere pureté. Charles Etienne les imprima en 1551, & Henri Etienne, fort correctement, en 1581. L’édition de Toulouse 1687 est estimable par les notes de Graverol : mais le texte est rempli de fautes. On trouve à la bibliotheque du roi quelques lettres de Bunel, qui n’ont pas encore été imprimées.

Catel (Guillaume), conseiller au parlement de Toulouse, mort en 1726, s’est fait connoître par une histoire des comtes de Toulouse, & des mémoires du Languedoc.

Caseneuve (Pierre de), né en 1591, mort en 1652, a donné les origines ou étymologies françoises, qui sont à la suite du dictionnaire de Menage. Ses autres petits ouvrages sont dans l’oubli ; le P. Niceron a mis l’auteur parmi les hommes illustres ; mais le suivant Cujas étoit digne de ce titre.

Cujas (Jacques) Cujacius, le plus célebre jurisconsulte du xvj. siecle, naquit à Toulouse en 1520 de parens obscurs ; c’étoit un de ces génies rares & heureux, qui apprennent tout d’eux-mêmes, & qui l’enseignent merveilleusement aux autres. Toulouse ne connut point son mérite, elle lui préféra un indigne compétiteur pour la chaire de droit ; il se retira à Bourges, se fit adorer des étudians, & mourut dans cette ville en 1590, à l’âge de 70 ans. La meilleure édition des œuvres de ce grand jurisconsulte est celle de Fabrot, en 10 vol. in-fol. Papyre Masson a écrit sa vie.

Duranti (Jean Etienne), premier président au parlement de Toulouse, & l’un des plus savans magistrats de son siecle, est auteur de l’excellent livre intitulé de ritibus ecclesiæ. Il soutint avec zèle le parti de son roi contre la ligue, & fut tué d’un coup d’arquebuse dans une émeute populaire après la nouvelle de la mort du duc de Guise, le 10 Février 1589 à cinquante-cinq ans.

Faur, seigneur de Pibrac (Gui du), est trop connu par les charges qu’il a exercées avec gloire, pour donner ici sa vie. Il devint chancelier de la reine Marguerite de Navarre, femme d’Henri IV. & mourut à Paris le 27 Mai 1584, à 56 ans. On a de lui des plaidoyers, des harangues & des quatrains dont j’ai parlé ailleurs.

Faur (Pierre du), premier président au parlement de Toulouse, cultiva les lettres avec éclat, & mit au jour des ouvrages pleins d’érudition ; tels sont trois livres des semestres, celui des agonistiques, c’est-à-dire, des exercices & des jeux des anciens, & son traité des magistrats romains. Il mourut en 1600 d’apoplexie, en prononçant un arrêt à l’âge de soixante ans.

Ferrier (Arnould du), président au parlement de Paris, ensuite maître des requêtes, fut employé par Charles IX. à diverses ambassades, mourut en 1585 à 79 ans, & en faisant profession ouverte du protestantisme. Il harangua dans le concile de Trente, & s’exprima d’une maniere vigoureuse sur les abus de la cour de Rome. Il est très-vraissemblable que zélé pour la grandeur de la monarchie françoise, il forma le projet conjointement avec le chancelier de l’Hôpital, de couper le nœud qui attachoit le roi très-chrétien au saint siége, & d’assembler un concile national où le roi de France à l’imitation de celui d’Angleterre, fût déclaré chef de l’Eglise gallicane, & indépendant à tous égards du pontife romain.

Gouduli (Pierre), fit dans une langue provinciale qui n’eut jamais d’écrivains, en langage gascon, des vers où regne beaucoup de douceur, d’agrément, & qui ne sont dépourvus ni d’élégance, ni quelquefois de fictions heureuses ; on les a imprimés plusieurs fois à Toulouse, & même en Hollande. Il mourut en 1649 à l’âge de 70 ans.

Maignan (Emmanuel), minime très-célebre. Il apprit les mathématiques sans maître, & devint professeur à Rome, où il y a toujours eu depuis en cette science un professeur minime françois. Ses ouvrages philosophiques n’ont plus de cours, mais son traité sur les horloges & les cadrans solaires, intitulé perspectiva horaria, Romæ 1648 in-fol. montre beaucoup d’habileté. Il inventa plusieurs machines qu’il avoit travaillées de ses propres mains. Il mourut dans son couvent de Toulouse en 1676, à 75 ans.

Maynard (François), poëte, disciple de Malherbe, & secrétaire de la reine Marguerite, naquit en 1582, & mourut en 1646.

« On peut le compter, dit M. de Voltaire, parmi ceux qui ont annoncé le siecle de Louis XIV. Il reste de lui un assez grand nombre de vers heureux, purement écrits. C’est un des auteurs qui s’est plaint le plus de la mauvaise fortune attachée aux talens. Il ignoroit que le succès d’un bon ouvrage, est la seule récompense digne d’un artiste ; que si les princes & les ministres veulent se faire honneur en récompensant cette espece de mérite, il y a plus d’honneur encore d’attendre ces faveurs sans les demander ; & que si un bon écrivain ambitionne la fortune, il doit la faire soi-même.

» Rien n’est plus connu que son beau sonnet pour le cardinal de Richelieu ; & cette réponse dure du ministre, ce mot cruel, rien. Le président Maynard retiré enfin à Aurillac, fit ces vers qui méritent autant d’être connus que son sonnet.

Par votre humeur le monde est gouverné,
Vos volontés font le calme & l’orage,
Vous vous riez de me voir confiné
Loin de la cour dans mon petit ménage :
Mais, n’est-ce rien que d’être tout à soi,
De n’avoir point le fardeau d’un emploi,
D’avoir dompté la crainte & l’espérance ?
Ah ! si le ciel, qui me traite si bien,
Avoit pitié de vous & de la France,
Votre bonheur seroit égal au mien.

» Depuis la mort du cardinal, il dit dans d’autres vers que le tyran est mort, & qu’il n’en est pas plus heureux. Si le cardinal lui avoit fait du bien, ce ministre eût été un dieu pour lui. Il n’est un tyran que parce qu’il ne lui donne rien. C’est trop ressembler à ces mendians qui appellent les passans, monseigneur, & qui les maudissent s’ils n’en reçoivent point d’aumône. Les vers de Maynard étoient fort beaux. Il eût été plus beau de passer sa vie sans demander & sans murmurer. L’épitaphe qu’il fit pour lui-même est dans la bouche de tout le monde ».

Las d’esperer & de me plaindre
Des muses, des grands & du sort,
C’est ici que j’attends la mort,
Sans la desirer, sans la craindre.

Les deux derniers vers sont la traduction de cet ancien vers latin,

Summum nec metuas diem, nec optes.

« La plûpart des beaux vers de morale sont des traductions. Il est bien commun de ne pas desirer la mort : il est bien rare de ne la pas craindre ; & il eût été grand de ne pas seulement songer s’il y a des grands au monde ».

Pin (Jean du), en latin Pinus, mourut vers l’an 1536. Il alla chercher en Italie la culture de l’éloquence, fut ensuite conseiller au parlement de Toulouse, & enfin évêque de Rieux. Il fit un traité de vitâ aulicâ, & un livre de claris fæminis, des femmes illustres, qui parut à Paris en 1521 ; la politesse du style latin regne dans ces deux ouvrages. Erasme dit à la gloire de l’auteur : posset inter hujus laudis (Tullianæ dictionis) competitores numerari (Joannes Pinus), nisi negotiorum tumultus à studiis avulsisset. Nunc episcopum audio factum ; quid accesserit eloquentiæ nescio ?

On voit aussi dans la galerie de Toulouse le buste en marbre de Nicolas Bachelier, éleve de Michel-Ange, distingué dans l’architecture & dans la sculpture ; il falloit y joindre pour pendant le buste de François de Troy un des peintres illustres de nos jours. Mais Toulouse est encore la patrie d’autres savans, dont plusieurs méritoient sans doute d’avoir leur effigie dans la même salle du capitole ; c’est ce dont on jugera par la liste que je vais donner de leurs noms.

Campistron (Jean Galbert), né en 1656, & mort en 1723, fut eleve & imitateur de Racine. Le duc de Vendôme, dont il devint secrétaire, fit sa fortune, & le comédien Baron fit une partie de sa réputation. Il y a des choses touchantes dans ses pieces, quoiqu’elles soient foiblement écrites, mais le langage en est assez pur. Il a composé pour l’opéra Acis & Galatée, pastorale, que l’on redonne quelquefois, & qui a été mise en musique par Lully.

Coras (Jean de), Corasius, conseiller au parlement de Toulouse, chancelier de Navarre, l’un des savans jurisconsultes du xvj. siecle, & l’ami du chancelier de l’Hôpital ; il mit au jour d’excellens ouvrages en latin & en françois, qui ont été recueillis en 2 vol. in-fol. on estime sur-tous ses Miscellaneorum juris civilis libri tres. Ce savant homme n’avoit que 59 ans quand il fut enveloppé dans le massacre de la saint Barthelemi, le 4 Octobre 1572 ; sa vie a été imprimée en 1673, in-4°.

Doujat (Jean), né en 1609, & mort à Paris en 1688, comble d’honneurs & de pensions. Il étoit tout ensemble jurisconsulte & littérateur. Il fut reçu de l’Académie françoise en 1650, & devint précepteur de M. le dauphin. On a de lui 1°. Prænotiones canonicæ & civiles, qui passent pour son meilleur ouvrage ; 2°. l’histoire du Droit canon, & celle du Droit civil ; 3°. institution du Droit canonique de Lancelot, avec des notes ; 4°. un abrégé en françois de l’histoire grecque & romaine, tiré de Velleius Paterculus, & des notes sur Tite-Live, à l’usage du dauphin, &c.

Grégoire (Pierre) fleurissoit au xvj. siecle. Ses livres de droit, & entr’autres l’ouvrage intitulé, Syntagma juris universi, ainsi que celui de republicâ, libri xvj. sont remplis d’une vaste érudition, mais des plus mal digérés. Eruditione non vulgari luxurians, dit Naudé, omnia ingerit, non digerit ; cæterum valdè utilis, quòd ibi meliorum auctorum gemmas possis invenire. Il mourut en 1597.

Laloubere (Simon de) né en 1642, & envoyé à Siam en 1687, finit ses jours en 1729 à 87 ans. On a de lui une relation de son voyage de Siam en deux vol. in-12 ; cette relation est estimée ; mais elle laisse bien des choses à desirer, qui y manquent, pour nous donner de vraies connoissances de ce pays. Son traité de la résolution des équations prouve qu’il étoit assez profond dans cette science, & Paschal ne lui a pas tout-à-fait rendu justice.

Maussac (Philippe Jacques) savant critique du xvij. siecle mourut en 1650, âgé d’environ 70 ans. On a de lui des opuscules estimés & de savantes notes sur Harpocration.

Péchantré, poëte françois & latin, mort à Paris en 1708. Sa tragédie intitulée Géta se représente encore quelquefois. On rapporte une anecdote assez singuliere sur sa tragédie, la mort de Neron, piece qui n’a point eu de succès. Péchantré la faisoit dans une auberge ; il laissa sur sa table le papier où il disposoit sa piece, & sur lequel il avoit écrit après quelques chiffres, ici le roi sera tué. L’aubergiste ayant lu ces mots, avertit aussitôt le commissaire du quartier, & lui remit le papier en main. Le poëte étant revenu le soir à l’auberge, fut bien surpris de se trouver entouré de gens armés qui vouloient le saisir. Que veulent ces gens-là, dit-il au commissaire, & vous, monsieur, avec ce papier, sur lequel il jetta les yeux ; comment, s’écria-t-il, vous l’avez volé sur ma table ? c’est précisément la scene où je dois placer la mort de Néron. Le commissaire honteux de sa bêtise, lui fit des excuses, lui rendit son papier, & congédia les archers.

Tourreil (Jaques de) mourut à Paris en 1714, à 58 ans. Il étoit de l’académie françoise & de celle des Inscriptions. Ce fut par ses intrigues que l’abbé de Chaulieu ne fut pas de l’académie françoise, & ce procédé ne lui fit pas honneur. Il doit sa réputation à la traduction de Démosthènes, laquelle l’a fait beaucoup plus connoître lui-même, qu’il n’a fait connoître l’orateur grec ; mais il a orné son ouvrage d’une très-belle préface pleine d’érudition & de recherches sur l’histoire de la Grece. La meilleure édition est celle de Paris 1721, en deux vol. in-4°. & en quatre vol. in-12.

Serre (Jean Puget de la) fut garde de la bibliotheque de Monsieur, & eut le titre d’historiographe. Il mourut en 1666, & publia quantité d’ouvrages en vers & en prose qui souffrirent plusieurs éditions, mais dont Despreaux & toutes les personnes de goût parlerent avec mépris. La Serre convenoit lui-même du peu de mérite de ses ouvrages, quoiqu’ils lui valussent beaucoup d’argent. On raconte qu’il eut un jour la curiosité d’aller entendre les conférences que Richesource faisoit sur l’éloquence dans une maison de la place Dauphine. Après que celui-ci eut débité toutes ses extravagances, la Serre en manteau long & en rabat, se leva de sa place, & en allant embrasser Richesource : ah, monsieur, lui dit-il, je vous avoue que depuis vingt ans j’ai bien débité du galimathias ; mais vous venez d’en dire plus en une heure que je n’en ai écrit en toute ma vie.

Marcel (Guillaume) mort en 1708 à 61 ans, est auteur d’une histoire de l’origine de la monarchie françoise, de tablettes chronologiques, & de quelques autres ouvrages de ce genre.

Voilà presque tous les hommes de lettres que Toulouse a produits jusqu’à ce jour ; il y en a plusieurs qui sont illustres. N’auront-ils point de successeurs ? (Le Chevalier de Jaucourt.)