L’Encyclopédie/1re édition/TÉMOIN
TÉMOIN, s. m. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui étoit présent lorsqu’on a fait ou dit quelque chose, & qui l’a vu ou entendu.
La déclaration des témoins est le genre de preuve le plus ancien, puisqu’il n’y en avoit point d’autre avant l’usage de l’écriture ; il a bien fallu pour savoir à quoi s’en tenir sur une infinité de chose dont on ne peut avoir autrement la preuve, s’en rapporter aux témoins.
Un seul témoin ne fait pas preuve, testis unus testis nullus ; mais l’écriture même veut que toute parole soit constatée par déclaration de deux ou trois témoins, in ore duorum vel trium testium stabit omne verbum.
En général toutes sortes de personnes peuvent être témoins, soit en matiere civile, ou en matiere criminelle, à-moins que la loi ou le juge ne leur ait interdit de porter témoignage.
Non-seulement les personnes publiques, mais aussi les personnes privées.
Personne ne peut être témoin dans sa propre cause.
Le juge ni le commissaire, l’adjoint & le greffier ne peuvent être témoins dans l’enquête qui se fait par-devant eux.
Les clercs, même les évêques peuvent déposer en une affaire de leur église, pourvu qu’ils ne soient pas parties, ni intéressés à l’affaire.
Les religieux peuvent aussi être témoins, & peuvent être contraints même sans le consentement de leur supérieur à déposer, soit en matiere civile ou criminelle ; mais non pas dans des actes où l’on a la liberté de choisir d’autres témoins, comme dans les contrats & testamens.
Les femmes peuvent porter témoignage en toute cause civile ou criminelle ; mais on ne les prend pas pour témoins dans les actes. Et dans les cas même où leur témoignage est reçu, on n’y ajoute pas tant de foi qu’à celui des hommes, parce qu’elles sont plus foibles, & faciles à se laisser séduire ; ensorte que sur le témoignage de deux femmes seulement on ne doit pas condamner quelqu’un.
Le domestique ne peut pas être témoin pour son maître, si ce n’est dans les cas nécessaires.
Celui qui est interdit de l’administration de son bien pour cause de prodigalité, peut néanmoins porter témoignage.
Les parens & alliés, jusqu’aux enfans des cousins issus de germains, ne peuvent porter témoignage pour leur parent, si ce n’est lorsqu’ils sont témoins nécessaires.
On peut dans un même fait employer pour témoins plusieurs personnes d’une même maison.
Ceux qui refusent de porter témoignage en justice, peuvent y être contraints par amende, & même par emprisonnement.
La justice ecclésiastique emploie même les censures pour obliger ceux qui ont connoissance de quelque délit, à venir à révélation. Voyez Aggrave, Monitoire, Réagrave, Révélation.
Le mari peut déposer contre sa femme, & la femme contre son mari ; mais on ne peut pas les y contraindre, si ce n’est pour crime de lése-majesté.
Le pere & la mere, & autres ascendans, ne peuvent pareillement être contraints de déposer contre leurs enfans & petits-enfans, ni contre leur brus & gendre, ni ceux-ci contre leur pere & mere, ayeux, beau-pere, belle-mere, ni les freres & sœurs l’un contre l’autre ; on étend même cela aux beaux-freres & belles-sœurs, à cause de la grande proximité.
Les furieux & les imbécilles ne sont pas reçus à porter témoignage.
Les impuberes en sont aussi exclus jusqu’à l’âge de puberté.
Les confesseurs ne peuvent révéler ce qu’ils savent par la voie de la confession ; il en est de même de ceux qui ne savent une chose que sous le sceau du secret, on ne peut pas les obliger à le révéler ; il faut cependant toujours excepter le crime de lése-majesté.
La preuve par témoins ne peut pas être admise pour somme au-dessus de 100 liv. si ce n’est qu’il y ait un commencement de preuve par écrit, ou que ce soit dans un cas où l’on n’a pas été à portée de faire passer une obligation ou reconnoissance ; voyez l’ordonnance de Moulins, art. 54. & l’ordonnance de 1667, titre des faits qui gissent en preuve vocale ou littérale.
Sur les témoins en général, voyez au digeste & au code les tit. de testibus, & les traités de testibus par Balde, Farinacius & autres, celui de Danty sur la preuve par témoins. Voyez aussi les mots Confrontation, Enquête, Preuve, Récolement. (A)
Témoin auriculaire est celui qui ne dépose que de faits qu’il a ouï dire à des tiers, & non à la personne du fait de laquelle il s’agit.
Ces sortes de témoins ne font point foi, ainsi que le décide la loi divus 24. ff. de testam. milit. aussi Plaute dit-il, que pluris est oculatus testis unus quam auriti decem. Voyez Témoin oculaire.
Témoin confronté est celui qui a subi la confrontation avec l’accusé, pour voir s’il le reconnoîtra, & s’il lui soutiendra.
Témoin corrompu est celui qui s’est laissé gagner par argent ou par autres promesses pour céler la vérité.
Témoin domestique est celui qui est choisi dans la famille ou maison de celui qui passe un acte ou qui fait quelque chose, comme si un notaire prenoit pour témoin son clerc ; un testateur, son enfant ou son domestique ; le témoignage de ces sortes de personnes ne fait point foi.
Témoin, faux, est celui qui dépose contre la connoissance qu’il a de la vérité.
Témoin idoine est celui qui a l’âge & les qualités requises pour témoigner.
Témoin instrumentaire est celui dont la présence concourt à donner la perfection à un acte public, comme les deux témoins en la présence desquels un notaire instrumente au défaut d’un notaire en second.
Témoin irréprochable est celui contre lequel on ne peut fournir aucun reproche pertinent & admissible. Voyez Reproche.
Témoin muet est une chose inanimée qui sert à la conviction d’un accusé ; par exemple, si un homme a été égorgé dans sa chambre, & que l’on y trouve un couteau ensanglanté, ce couteau est un témoin muet, qui fait soupçonner que celui auquel il appartient peut être l’auteur du délit ; mais ces témoins muets ne font point une preuve pleine & entiere, ce ne sont que des indices & des semi-preuves. Voyez Conviction, Indice, Preuve.
Témoin nécessaire est celui dont le témoignage est admis seulement en certains cas par nécessité, & parce que le fait est de telle nature, que l’on ne peut pas en avoir d’autres témoins ; ainsi les domestiques dont le témoignage est recusable en général dans les affaires de leur maître, à cause de la dépendance où ils sont à son égard, deviennent témoins nécessaires lorsqu’il s’agit de faits passés dans l’intérieur de la maison, parce qu’eux seuls sont à portée d’en avoir connoissance, comme s’il s’agit de faits de sévices & mauvais traitemens du mari envers sa femme, ou de certains crimes qui ne se commettent qu’en secret ; dans ces cas & autres semblables, on admet le témoignage des domestiques, sauf à y avoir tel égard que de raison. Voyez la loi consensu, cod. de repud. & la loi 3. cod. de testibus.
Témoin oculaire est celui qui dépose de fait qu’il a vu, ou de choses qu’il a entendu dire à l’accusé même ou autre personne du fait de laquelle il s’agit : la déposition de deux témoins oculaires fait une foi pleine & entiere, pourvu qu’il n’y ait point eu de reproche valable fourni contr’eux.
Témoin recolé est celui auquel on a relu sa déposition avec interpellation de déclarer s’il y persiste. Voyez Recolement.
Témoin répété est celui qui étant venu à révélation, a été entendu de nouveau en information. Voyez Révélation.
Témoin reprochable est celui contre lequel il y a de justes moyens de reproches, & dont en conséquence le témoignage est suspect & doit être rejetté ; par exemple, si celui qui charge l’accusé, a quelque procès avec lui ou quelque inimitié capitale. Voyez Reproches.
Témoin reproché est celui contre lequel on a fourni des moyens de reproches. Voyez Reproches.
Témoins requis est celui qui a été mandé exprès pour une chose, comme pour assister à un testament, à la différence de ceux qui se trouvent fortuitement présens à un acte.
Témoins singuliers sont ceux qui déposent chacun en particulier de certains faits, dont les autres ne parlent pas. Chaque déposition qui est unique en son espece ne fait point de preuve : par exemple, si deux témoins chargent chacun l’accusé d’un délit différent, leurs dépositions ne forment point de preuve en général ; cependant lorsqu’il s’agit de certains délits dont la preuve peut résulter de plusieurs faits particuliers, on rassemble ces différens faits, comme quand il s’agit de prouver le mauvais commerce qui a été entre deux personnes, on raproche toutes les différentes circonstances qui dénotent une habitude criminelle. Voyez la loi 1. §. 4. ff. de quæst. & Barthole sur cette loi ; Alexandre, t. I. conseil 41. n°. 4. & t. VII. conseil 13. n°. 23. & conseil 47. n°. 19. Despeisses, t. III. tit. 10. sect. 2.
Témoins en fait d’arpentage et de bornes, sont de petits tuileaux, pierres plates ou autres marques que l’arpenteur fait mettre dessous les bornes qu’il fait poser, pour montrer que ces bornes sont des pierres posées de main d’homme & pour servir de bornes.
Quand on est en doute si une pierre est une borne ou non, on ordonne souvent qu’elle sera levée pour voir s’il y a dessous des témoins qui marquent que ce soit effectivement une borne. (A)
Témoin, (Critiq. sacrée.) celui qui rend témoignage en justice ; la loi de Moïse, Deut. xvij. 6. défendoit de condamner personne à mort sur le témoignage d’un seul témoin ; mais le crime étoit cru sur la déposition de deux ou de trois, selon le même loi. Lorsqu’on condamnoit un homme à la mort, ses témoins devoient le frapper les premiers ; ils lui jettoient, par exemple, la premiere pierre s’il étoit lapidé. En cas de faux témoignage, la loi condamnoit les témoins à la même peine qu’auroit subi l’accusé ; voilà les ordonnances de Moïse sur ce sujet.
L’Ecriture appelle aussi témoin celui qui publie quelque vérité. Ainsi les prophetes & les apôtres sont en ce sens nommés témoins dans le nouveau Testament. Enfin témoin désigne celui qui fait profession de la foi de Jesus-Christ, & qui la scele de son sang, un martyr de la religion, comme on regardoit le sang de saint Etienne son témoin, τοῦ μάρτυρος σοῦ, dit S. Paul dans les Act. xxij. 20. (D. J.)
Témoins, passage des trois, (Critiq. sacrée.) c’est le passage de la I. épît. de S. Jacques, chap. v. vers. 7. il y en a trois qui rendent témoignage au ciel, le Pere, la Parole & l’Esprit. Nous avons en latin les adumbrations de Clément d’Alexandrie sur cette I. épître de S. Jean. Il parle des trois témoins de la terre, l’esprit qui marque la vie ; l’eau qui marque la régénération & la foi ; & le sang qui marque la reconnoissance, & ces trois-là, continue-t-il, sont un. Edition de Potter, p. 1011. Clément d’Alexandrie ne dit pas un mot des trois témoins du ciel. Ce passage de S. Jacques manque, selon M. Asseman, non-seulement dans le syriaque, mais aussi dans les versions arabes & éthiopiennes, sans parler de plusieurs anciens manuscrits. Ce sont ses paroles : Non solum apud Syros desiderantur, sed etiam in versione arabicâ & æthiopicâ, ut antiquos plurimos codices mss. taceam. Bibl. orient. t. III. p. 2. p. 139. Voyez pour nouvelles preuves le Testament grec de Mill, & une savante dissertation angloise sur ce fameux passage. J’ai eu un Testament latin imprimé à Louvain dans le seizieme siecle, in-12. dédié au pape, & approuvé par les théologiens de Louvain, où ce passage manquoit aussi. (D. J.)
Témoin, c’est le nom qu’on donne, dans l’Artillerie, à un morceau d’amadou de même dimension que celui dont on se sert pour mettre le feu au saucisson de la mine. On met le feu en même tems à ces deux morceaux d’amadou ; celui qu’on tient à la main, sert à faire juger de l’instant où la mine doit jouer, & du tems que l’on a pour se retirer ou s’éloigner. Voyez Mine. (Q)
Témoin, s. m. (Commerce de blé.) on appelle témoin dans les marchés une ou deux poignées de blé que les bourgeois portent ou font porter à la halle, & qui sert d’échantillon pour vendre celui qu’ils ont dans leurs greniers. Les laboureurs & les blâtiers apportent communément leurs blés par charges ou par sommes à la halle, mais les bourgeois y envoyent seulement du témoin, & ceux qui en ont acheté sur ce témoin vont aux greniers des maisons bourgeoises, pour se faire livrer la quantité qu’ils ont achetée.
Témoins, s. m. pl. terme de Cordeur de bois, ce sont deux buches qu’on met de côté & d’autre de la membrure, lorsqu’on corde le bois au chantier. (D. J.)
Témoin, (Jardinage.) ce sont des hauteurs de terre isolées que laissent les terrassiers dans leurs atteliers, pour mesurer la hauteur des terres enlevées, & en faire la toise cube. On paye les terrassiers à la toise cube, qui doit avoir six piés de tout sens, & contenir en tout 216 piés en-bas.
Témoin, s. m. terme de Relieur, feuillet que les Relieurs laissent exprès sans rogner, pour faire voir qu’ils ont épargné la marge du livre. (D. J.)