L’Encyclopédie/1re édition/SYNAGOGUE des Juifs

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SYNAGOGUE des Juifs, (Critiq. sacrée.) ce mot grec qui signifie en général toute assemblée, se prend en particulier pour le lieu destiné chez les Juifs au service divin, lequel consiste principalement dans la lecture de la loi & des prophetes.

Il est très-vraissemblable que le peuple juif n’avoit point de synagogue avant la captivité ; ce fait paroît justifié, non-seulement par se profond silence de l’Ecriture, du vieux Testament, mais même par plusieurs passages qui prouvent évidemment qu’il falloit qu’il n’y en eût point alors : car la maxime des Juifs, que là où il n’y a pas de livres de la loi, il ne peut pas y avoir de synagogue ; c’est une proposition que le bon sens dicte ; en effet, comme le service essentiel de la synagogue consistoit à lire la loi au peuple, il en résulte que là où il n’y avoit point de livres de la loi il ne pouvoit pas y avoir de synagogue.

Quantité de passages de l’Ecriture nous marquent combien le livre de la loi étoit rare dans toute la Judée avant la captivité. Quand Josaphat envoya des missionnaires dans tous les pays, pour instruire le peuple dans la loi de Dieu, 11 Chron. xvij. 9. ils porterent un exemplaire de la loi, précaution fort inutile, s’il y en eût eu dans les villes où ils alloient : & il y en eût eu, sans doute, s’il y eût eu des synagogues : il seroit aussi ridicule de supposer parmi les Juifs une synagogue sans un exemplaire de la loi, que parmi les Protestans une église paroissiale sans bible. Or cette particularité prouve qu’on manquoit alors en Judée d’exemplaires de la loi, & qu’il n’y avoit point de Synagogue ; c’est donc vraisemblablement à la lecture qu’Esdras établit de la loi en public, après la captivité, que les Juifs ont été redevables de l’érection de leurs synagogues. Examinons présentement 1°. dans quel lieu on devoit ériger des synagogues ; 2°. quel étoit le service qui s’y faisoit ; 3°. dans quel tems ; 4°. enfin quels ministres y officioient.

1°. Voici la regle qu’on observoit par rapport au lieu : par-tout où il y avoit dix batelnim, c’est-à-dire dix personnes d’un âge mûr, libres, qui pussent assister constamment au service, on devoit y établir une synagogue. Selon les rabbins il falloit dix personnes telles qu’on vient de dire, pour former une assemblée légitime : & là où ce nombre n’étoit pas complet, on ne pouvoit faire légitimement aucune partie du service de la synagogue. Mais par-tout où l’on pouvoit s’assurer du service de dix personnes en état d’assister aux assemblées avec les qualités requises ; il falloit bâtir une synagogue. Cela ne se trouvoit que dans un endroit assez peuplé ; & on ne vouloit pas en avoir ailleurs. Car je regarde cette regle comme une défense d’en établir où ces conditions ne se trouvoient pas ; aussi bien qu’un ordre positif d’en bâtir où elles se trouvoient, & où le nombre des habitans étoit assez grand, pour compter qu’on auroit toujours sur semaine, aussi bien que le jour du sabbat, au moins dix personnes qui auroient le tems d’assister au service, qui ne pouvoit pas se faire sans ce nombre complet d’assistans.

D’abord il n’y eut que fort peu de ces synagogues ; mais dans la suite elles se multiplierent extremement, & devinrent aussi communes que le sont parmi nous nos églises paroissiales, auxquelles elles ressemblent beaucoup. Du tems même de notre Seigneur, il n’y avoit pas de ville de Judée, quelque petite qu’elle fût, qui n’eût pour le moins une synagoque. Les Juifs nous disent, qu’environ ce tems-là, la seule ville de Tibérias en Galilée en avoit douze, & celle de Jérusalem 480. Mais si l’on prenoit ce nombre à la lettre, il faudroit pour plusieurs de ces synagogues, avoir recours à l’expédient de quelques savans qui prétendent que ces dix résidens de synagogues, qu’on nomme batelnim, étoient des personnes gagées ; sans cela, comment s’assurer pour tant de synagogues, d’un nombre suffisant de gens sur semaine, pour former toutes ces assemblées ? Il y avoit au moins deux de ces jours qui en demandoient une solemnelle, aussi bien que le sabbat. Lightfoot, pour lever la difficulté, croit que les batelnims étoient les anciens & les ministres qui officioient dans la Synagogue.

2°. Passons au service de la synagogue : il consistoit dans la priere, la lecture de l’Ecriture & la prédication. La priere des Juifs est contenue dans les formulaires de leur culte. D’abord ce culte étoit fort simple, mais à présent il est fort chargé & fort long. La partie la plus solemnelle de leurs prieres, est ce qu’ils appellent Schémonehé Eshre, ou les dix-neuf prieres. Il est ordonné à toutes les personnes parvenues à l’âge de discrétion de les offrir à Dieu trois fois le jour, le matin, vers le midi & le soir. On les lit avec solemnité tous les jours d’assemblée ; mais elles ne sont néanmoins que comme le fondement d’autres prieres.

La seconde partie du service de la synagogue, est la lecture du vieux Testament. Cette lecture est de trois sortes. 1°. Le kiriath-shéma ; 2°. la loi ; 3°. les prophetes.

Le kiriath-shéma ne consiste qu’en trois morceaux de l’Ecriture. Le premier est celui qui commence au v. 4. du vj. chap. du Deutéronome, & finit par le 9. Le second commence au v. 13 du chap. xj. du même livre, & finit par le 21. Et le troisieme est tiré du xv. chap. du livre des nombres, & commence au 37 v. jusqu’à la fin du chap. Comme en hébreu le premier mot du premier de ces passages est shema, qui signifieécoute ; ils donnent à ces trois passages le nom de shema ; & à sa lecture celui de kiriath-shema, la lecture du shema. La lecture de ce shema est accompagnée de plusieurs prieres & actions de graces, devant & après ; mais la lecture du shéma n’est pas aussi rigide que celle des prieres ; il n’y a que les hommes libres qui y soient obligés le matin & le soir : les femmes & les serviteurs en sont dispensés ; quant à la lecture de la loi & des prophetes, nous en parlerons tout-à-l’heure.

La troisieme partie du service de la synagogue, est l’explication de l’Ecriture, & la prédication. La premiere se faisoit en la lisant, & l’autre après la lecture de la loi & des prophetes. Il est clair que Jesus-Christ enseignoit les juifs de l’une & de l’autre de ces manieres, dans leurs synagogues. Quand il vint à Nazareth, Luc, xvj. 17. &c. la ville où il avoit son domicile, on lui fit lire comme membre de la synagogue, le haphterah, ou la section des prophetes, qui servoit de leçon pour ce jour-là ; & quand il se fut levé, & qu’il l’eût lue, il se rassit & l’expliqua, comme cela se pratiquoit parmi les Juifs ; car par respect pour la loi & les prophetes, on ne les lisoit que debout ; mais quand on les expliquoit, celui qui officioit étoit assis en qualité de maître. Mais dans les autres synagogues dont il n’étoit pas membre, quand il y alloit, ce qu’il faisoit toujours, Luc, iv. 16. le jour du sabat, en quelqu’endroit qu’il se trouvât, il enseignoit le peuple par sa prédication, après la lecture de la loi & des prophetes. C’est aussi ce qu’on voit pratiquer à S. Paul, act. XIII. xv. dans la synagogue d’Antioche, dans la Pisidie : car l’histoire des actes remarque expressément que la prédication se fit après la lecture de la loi & des prophetes.

III. Le tems des assemblées de la synagogue, pour le service divin, étoit trois jours par semaine, sans compter les jours de fêtes & de jeûne : & chacun de ces jours-là, on s’assembloit le matin, l’après midi, & le soir. Les trois jours de synagogue étoient le lundi, le jeudi, & sur-tout le samedi jour du sabbat.

On y faisoit la lecture de la loi, ou des cinq livres de Moïse, qu’on partageoit en autant de sections qu’il y a de semaines dans l’année.

IV. Pour ce qui est du ministere de la synagogue, il n’étoit pas borné à l’ordre sacerdotal. Cet ordre étoit consacré au service du temple, qui étoit d’une toute autre nature, & ne consistoit qu’en oblations, soit de sacrifices, soit d’autres choses. Il est vrai que pendant le sacrifice du matin & du soir, les lévites & les autres chantres, chantoient devant l’autel, des pseaumes de louange à Dieu ; & que pour conclure la cérémonie, les prêtres bénissoient le peuple ; ce qui ressemble un peu à ce qui se faisoit dans la synagogue ; mais dans tout le reste, ces deux services n’avoient rien de commun : cependant pour conserver l’ordre, il y avoit dans chaque synagogue un certain nombre d’officiers ou de ministres fixes, qui étoient chargés des exercices religieux qui s’y devoient faire : on les y admettoit par une imposition des mains, solemnelle.

Les premiers étoient les anciens de la synagogue, qui y gouvernoient toutes les affaires, & régloient les exercices. Dans le nouveau Testament, ils se sont appellés les principaux de la synagogue ; il n’est marqué en aucun endroit quel étoit leur nombre ; tout ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il y en avoit plus d’un dans une synagogue : car il en est parlé au pluriel dans quelques passages du n. Testament, où il ne s’agit que d’une ; & à Corinthe où vraissemblablement il n’y avoit pas deux synagogues : on en voit deux à qui ce titre est donné, Crispe & Sosthènes.

Après ceux-ci, il y avoit le ministre de la synagogue. On ne sait pas bien même si ce n’étoit pas un de ceux dont on vient de parler ; mais enfin, il y avoit une personne affectée au service de la synagogue, qui prononçoit les prieres au nom de toute l’assemblée ; & par cette raison, comme il les représentoit tous, & étoit leur messager, pour ainsi dire, auprès de Dieu, on l’appelloit en hébreu, scheliach zibbor, l’ange, ou le messager de l’église. De-là vient que dans l’apocalypse, les évêques des sept églises d’Asie, sont appellés d’un nom pris de la synagogue, les anges de ces églises : car comme le scheliach zibbor de la synagogue des Juifs, étoit le premier ministre qui offroit à Dieu les prieres du peuple, l’évêque étoit aussi dans l’église de Christ, le premier ministre qui offroit à Dieu celles des chrétiens de son église.

Il est vrai que ce n’étoit pas toujours l’évêque qui faisoit cette fonction, parce que dans chaque église il y avoit des prêtres sous lui, qui la faisoient souvent au-lieu de lui. Mais dans la synagogue, ce n’étoit pas non plus toujours le scheliach zibbor qui officioit en personne : c’étoit bien son emploi, & ordinairement il le faisoit ; mais il ne laissoit pas d’arriver assez souvent, qu’on le faisoit faire extraordinairement par quelqu’autre, pourvû que ce fût un sujet que l’âge, la bonne conduite, l’habileté, & la piété, en rendissent capables. Celui qu’on choisissoit ainsi, étoit pendant ce tems-là le scheliach zibbor, ou l’ange de l’assemblée : car comme un héraut, un messager envoyé de la part de Dieu à son peuple, est un ange de Dieu, puisque le terme d’ange en hébreu, signifie proprement un messager ; tout de même un messager de la part du peuple auprès de Dieu, pouvoit fort-bien s’appeller l’ange du peuple. Ce n’est qu’en ce dernier sens qu’on donnoit le nom d’ange à ce ministre de la synagogue ; mais il appartient aux ministres de l’église chrétienne, dans l’un & dans l’autre.

Après le scheliach zibbor, venoient les diacres, ou les ministres inférieurs de la synagogue, que l’on nommoit en hébreu chazanim, c’est-à-dire surintendans. C’étoient des ministres fixes, qui sous la direction des principaux de la synagogue, avoient le soin & l’intendance de tout ce qui s’y faisoit : c’étoient eux qui gardoient les livres sacrés de la loi & des prophetes, & du reste de l’Ecriture sainte ; les livres de leur liturgie, & les autres meubles de la synagogue ; & qui les donnoient quand il falloit s’en servir. Ils se tenoient auprès de celui qui lisoit les leçons de la loi ou des prophetes, & les corrigeoient, s’il leur arrivoit de se tromper ; enfin c’étoit à eux qu’on rendoit le livre quand la lecture étoit finie. Ainsi il est dit de notre Seigneur, quand il fut appellé à lire la leçon des prophetes dans la synagogue de Nazareth, dont il étoit membre, que quand il eut fini la lecture, il rendit le livre au ministre, c’est-à-dire au chazan, ou au diacre de la synagogue.

Autrefois il n’y avoit point de personne fixe établie pour lire les leçons dans la synagogue. Les principaux de la synagogue appelloient celui de l’assemblée qu’il leur plaisoit, & qu’ils en connoissoient capable, lorsque le tems de les lire étoit venu ; s’il y avoit des prêtres dans l’assemblée, on appelloit d’abord un prêtre ; ensuite un lévite, s’il y en avoit : au défaut de ceux-là, on prenoit quelque israëlite que ce fût ; & cela alloit jusqu’au nombre de sept. De-là vient qu’autrefois chaque section de la loi étoit partagée en sept parties : c’étoit pour ces sept lecteurs. Dans quelques bibles hébraïques, elles sont encore marquées à la marge ; la premiere par le mot choen, c’est-à-dire le prêtre : la seconde par celui de lévi, le lévite : la troisieme par celui de schelishi, le troisieme : & ainsi du reste, par les noms hébreux qui marquent les nombres jusqu’à celui de sept, pour montrer par-là ce que devoit lire le prêtre, le lévite, & chacun des cinq autres, dont le choix étoit indifférent, pourvû qu’ils fussent israélites & membres de l’assemblée, & qu’ils sçussent lire l’hébreu, sans distinction de tribu.

Le premier officier de la synagogue, après le chazanim, étoit l’interprete, dont l’office consistoit à traduire en chaldéen les leçons qu’on lisoit au peuple en hébreu : comme cet emploi demandoit un homme bien versé dans les deux langues, quand ils en trouvoient un assez habile, ils lui faisoient une pension, & le retenoient au service de la synagogue, dont il devenoit alors ministre fixe.

Pour la bénédiction, s’il y avoit un prêtre dans l’assemblée, c’étoit lui qui la donnoit ; mais s’il ne s’y en trouvoit point, c’étoit le scheliach-zibbor, qui avoit lu les prieres, qui le faisoit par un formulaire qui lui étoit particulier.

Voilà ce qui nous a paru pouvoir être de quelque utilité à nos lecteurs, pour leur faciliter l’intelligence de l’Ecriture, en leur donnant une idée de l’ancien culte de la synagogue. Celui que les Juifs pratiquent aujourd’hui, s’en écarte en plusieurs points. Les gens curieux de plus grands détails, pourront consulter la synagogue de Buxtorf, & celle de M. Vitringa, écrites en latin, & sur-tout Maimonides ; particulierement dans les traités suivans, Tephillah, Chagigah, & Kiriath-shema. (Le chevalier de Jaucourt.)

Synagogue, (Critique sacrée.) lieu destiné chez les Juifs au service divin, qui consistoit dans la priere, la lecture de la loi & des prophetes, & leur explication, act. XIII. xv. Voyez en les détails à des Juifs.

Il suffira de remarquer ici que le mot grec συναγωγὴ, ne se prend pas seulement dans l’Ecriture pour l’assemblée religieuse des Juifs ; mais encore pour toute assemblée de juges & de magistrats, au sujet des affaires civiles. Salomon dit par exemple : peu s’en est fallu que je n’aie été maltraité dans la synagogue ; il ne s’agit point là d’une assemblée religieuse. De même dans l’Ecclésiast. j. 32. que le Seigneur vous abbatte au milieu de la synagogue ; & ch. xxiij. 34. rendez-vous aux volontés de la synagogue : c’est-à-dire soumettez-vous aux grands. Enfin ce mot marque une assemblée d’ennemis. David dit, ps. lxxxv. 14. une assemblée (synagoga) de gens violens a cherché ma perte. (D. J.)