L’Encyclopédie/1re édition/SUPERSTITION

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SUPERSTITION, (Métaphys. & Philos.) tout excès de la religion en général, suivant l’ancien mot du paganisme : il faut être pieux, & se bien garder de tomber dans la superstition.

Religentem esse oportet, religiosum nefas.

Aul. Gell. l. IV. c. ix.

En effet, la superstition est un culte de religion, faux, mal dirigé, plein de vaines terreurs, contraire à la raison & aux saines idées qu’on doit avoir de l’être suprème. Ou si vous l’aimez mieux, la superstition est cette espece d’enchantement ou de pouvoir magique, que la crainte exerce sur notre ame ; fille malheureuse de l’imagination, elle emploie pour la frapper, les spectres, les songes & les visions ; c’est elle, dit Bacon, qui a forgé ces idoles du vulgaire, les génies invisibles, les jours de bonheur ou de malheur, les traits invincibles de l’amour & de la haine. Elle accable l’esprit, principalement dans la maladie ou dans l’adversité ; elle change la bonne discipline, & les coutumes vénérables en momeries & en cérémonies superficielles. Dès qu’elle a jetté de profondes racines dans quelque religion que ce soit, bonne ou mauvaise, elle est capable d’éteindre les lumieres naturelles, & de troubler les têtes les plus saines. Enfin, c’est le plus terrible fléau de l’humanité. L’athéisme même (c’est tout dire) ne détruit point cependant les sentimens naturels, ne porte aucune atteinte aux lois, ni aux mœurs du peuple ; mais la superstition est un tyran despotique qui fait tout céder à ses chimères. Ses préjugés sont supérieurs à tous les autres préjugés. Un athée est interessé à la tranquillité publique, par l’amour de son propre repos ; mais la superstition fanatique, née du trouble de l’imagination, renverse les empires. Voyez comme l’auteur de la Henriade peint les tristes effets de cette démence.

Lorsqu’un mortel atrabilaire,
Nourri de superstition
A par cette affreuse chimère,
Corrompu sa religion,
Son ame alors est endurcie,
Sa raison s’enfuit obscurcie,
Rien n’a plus sur lui de pouvoir,
Sa justice est folle & cruelle,
Il est dénaturé par zele,
Et sacrilége par devoir.

L’ignorance & la barbarie introduisent la superstition, l’hypocrisie l’entretient de vaines cérémonies, le faux zele la répand, & l’intérêt la perpétue.

La main du monarque ne sauroit trop enchaîner le monstre de superstition, & c’est de ce monstre, bien plus que de l’irreligion (toujours inexcusable) que le trône doit craindre pour son autorité, & la partie pour son bonheur.

La superstition mise en action, constitue proprement le fanatisme, voyez Fanatisme ; c’est un des beaux & des bons articles de l’Encyclopédie. (D. J.)