L’Encyclopédie/1re édition/SAPIN

SAPINES  ►

SAPIN, s. m. (Hist. nat. Botan.) abies, genre de plante à fleur en chaton, composée de plusieurs sommets, & stérile. Les embryons naissent séparément des fleurs, entre les écailles ou les feuilles d’un épi, & qui deviennent dans la suite une semence garnie d’une aîle membraneuse, & cachée aussi entre les écailles qui sont attachées à l’axe, & qui constituent le fruit des plantes de ce genre ; ce fruit n’est autre chose que l’épi qui est devenu plus gros. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les feuilles naissent seules le long des branches, & non pas par paires comme celles du pin. Tournefort, Inst. rei herb. V. Plante.

Sapin, abies, très-grand arbre, toujours verd, qui se trouve sur les plus hautes montagnes de l’Europe, de l’Asie, & dans l’Amérique septentrionale. On peut admirer dans le sapin, la direction extrèmement droite & uniforme de sa tige, la position horisontale de ses branches, dont chaque étage marque la croissance d’une année, la régularité de son accroissement, la forme pyramidale de sa tête, & sa grande élévation, qui va quelquefois jusqu’à plus de cent piés. Son écorce est cendrée, assez unie, fort seche, & très-cassante. Cet arbre fait beaucoup de racines qui font rarement le pivot ; mais elles s’étendent pour la plûpart, se divisent en quantité de ramifications. Ses jeunes branches se garnissent d’un grand nombre de feuilles petites & étroites, d’un verd tendre & brillant en-dessus & blanchâtre en-dessous ; elles sont placées fort près & à plusieurs rangs de chaque côté des branches en maniere de peigne, & à-peu-près comme la feuille de l’if. Ses fleurs femelles ou chatons paroissent au commencement de Mai ; elles sont d’un assez beau rouge, mais dont l’apparence n’est sensible que de près. Les fruits que produit le sapin sont des cônes qui different de ceux du pin par leur forme qui est cylindrique, au-lieu que le cône du pin est de figure pyramidale. Sa graine aîlée comme celle du pin est plus mollasse, & les écailles qui la couvrent sont moins ligneuses. Il faut s’y prendre à tems pour cueillir les cônes du sapin proprement dit, ou sapin à feuille d’if, car ils ne tombent point en entier ; dès que leur maturité est parfaite, ce qui arrive de bonne heure en automne, les écailles & les graines qui forment le cône se détachent des filets qui les soutiennent, elles tombent & se dispersent de façon qu’il n’est guere possible de les retrouver : les cônes du sapin proprement dit, ont la pointe tournée en-haut, à la différence de ceux de l’épicea qui pendent en-bas.

Le sapin par rapport au volume & à l’utilité de son bois se met au nombre des arbres forestiers du premier rang. Il a de plus le mérite de croître dans des endroits où les arbres d’un bois de meilleure essence se refusent absolument. Il se plaît dans les pays froids & élevés, dans les gorges ténébreuses & sur le revers des montagnes exposées au nord, dans les lieux frais & humides, & dans les terres fortes & profondes ; cependant on le voit réussir aussi dans les terreins sablonneux, maigres & graveleux, pourvû qu’ils aient beaucoup de fond. Le sapin pénetre dans les joints des rochers, & jusque dans les fentes qui en séparent les lits ; c’est même dans cette position que cet arbre réussit le mieux ; il profite également dans le gravier humide, dans les terres rouges, limonneuses, & généralement par-tout où le hêtre réussit. Il peut venir aussi dans la glaise pure & dans un sol fort & grossier, mais il ne réussit pas si bien lorsque les terres sont engraissées de fumier ou qu’elles sont en culture. Il peut se soutenir encore dans les terres seches, pauvres & stériles, à-moins qu’elles ne soient extrèmement sablonneuses & légeres, trop superficielles & sans aucun mélange ; on l’a vû venir enfin sur des voûtes d’anciens bâtimens fort élevés, où ses racines perçoient à-travers la maçonnerie. Cependant il n’y avoit sur ces voûtes qu’une épaisseur d’un ou deux piés de terre fort légere. Cet arbre ne se refuse presqu’à aucun terrein, si ce n’est à l’aridité de la craie, à la dureté du tuf & au sable vif. Il ne craint jamais le froid, mais il ne fait que languir dans les pays chauds ; il ne réussit même sur les montagnes froides & élevées que quand les plants sont fort près les uns des autres ; c’est aussi le meilleur moyen d’en accélérer l’accroissement dans toutes sortes de terreins.

Dans les pays où il y a de vieux sapins, ces arbres se multiplient fort aisément d’eux-mêmes, mais quand on veut faire de nouvelles plantations, il n’est pas si facile d’y réussir. Quoiqu’à proprement parler cet arbre puisse venir de bouture & de branches couchées, ce sont des moyens trop longs, qui ne peuvent guere servir que pour la multiplication de quelques especes rares de sapins, & qui ne conviennent nullement pour faire des plantations en grand. Ce n’est qu’en semant qu’on peut bien remplir cet objet. Il y a deux façons d’y procéder ; l’une qui est la moins sure & la plus dispendieuse, est de mettre le terrein en bonne culture par plusieurs labours, comme si on vouloit lui faire porter du blé ; de le herser soigneusement sur le dernier labourage au printems ; d’y semer ensuite la graine à plein champ comme on répand le blé ; & de la recouvrir fort légerement en faisant traîner par un cheval des branchages sur le terrein, car cette graine ne leve point lorsqu’elle est trop enterrée. Ordinairement ces semis levent à merveille dans les terreins qui ne sont pas trop exposés au soleil, mais on court le risque de les voir dépeuplés, soit par les chaleurs de l’été ou par les gelées d’hiver. On peut parer le premier inconvénient en semant de l’avoine avec la graine de sapin. Cette avoine entretient une fraîcheur qui garantit les jeunes plants de l’ardeur du soleil ; on peut la couper ou faucher sans endommager le semis, mais l’inconvénient de la gelée reste, & c’est le plus à craindre ; car si le semis a été fait dans une bonne terre, les mauvaises herbes envahissent le terrein les années suivantes & étouffent les jeunes plants, à moins d’y donner des soins de culture qui iroient à grands frais dans un espace un peu considérable. Le sapin d’ailleurs ne peut souffrir la culture, les soins qui lui viennent de main d’homme lui sont contraires, il ne veut être garanti que par les secours de la nature. Une autre maniere de faire des semis du sapin, qui quoique moins expéditive que la précédente, est plus assurée & presque de nulle dépense, c’est de répandre la graine aussi-tôt qu’elle est recueillie, parmi les broussailles, les bruyeres, les genévriers, les ronces, les épines, &c. Plus le terrein sera couvert d’arbrisseaux, plus le semis prosperera. Il pourra sembler que ceci est en contrariété avec ce que j’ai dit sur les herbes qui étouffent les jeunes plants de sapin venus dans une terre cultivée ; mais il faut considérer que la culture prêtant faveur à la crue des mauvaises herbes, elles deviennent folles & couvrent le terrein, au-lieu que les arbrisseaux laissent peu d’herbes à leur pié, & forment un abri naturel aux jeunes plants qui levent ; c’est ainsi que seme la nature ; il est vrai que ses progrès sont lents dans les commencemens. Le tems n’est rien pour elle ; le succès est l’unique but qu’elle se propose. Aussi arrive-t-il que les semis faits de cette façon ne commencent à se montrer qu’au bout de quatre ou cinq ans. Cependant on est dédommagé par la suite des progrès que font ces arbres lorsqu’ils sont dans leur force ; on peut s’attendre que s’ils sont dans un terrein convenable, ils s’éleveront à plus de 30 piés en trente ans, & la plûpart auront jusqu’à deux piés de diametre à l’âge de quarante ans, & on remarque en Angleterre que des sapins âgés d’environ quatre-vingt ans avoient aussi quatre-vingt piés d’hauteur sur dix à onze de circonférence dans une terre argilleuse & forte ; mais si l’on ne veut faire que de petites plantations, on pourra semer les graines au mois d’Avril, dans des caisses plattes ou des terrines, ou même dans des planches de terre à potager qui soit meuble & légere, que l’on aura mêlée d’une moitié de vieux décombres.

Il faudra arroser bien légerement dans les tems de hâle & de sécheresse, soit le semis, soit les jeunes plants lorsqu’ils seront levés ; les sarcler au besoin, les garantir de la grande ardeur du soleil avec des branchages feuillus, & serrer les caisses ou terrines pendant l’hiver. A l’égard des planches, il sera à propos de leur faire de l’abri avec de la paille hachée, ou telle autre chose que l’on imaginera pouvoir les sauver des grandes gelées. Il faudra les transplanter au bout de deux ou trois ans sans différer davantage, car ces arbres ne reprennent pas lorsqu’ils sont âgés, à-moins qu’on ne les enleve avec la motte de terre. Les jeunes plants que l’on mettra dans les endroits où l’on voudra qu’ils soient à demeure, seront plantés à trois ou quatre piés de distance, parmi les broussailles & les épines qui s’y trouveront & qu’il faudra laisser, en faisant seulement un trou suffisant pour recevoir le sapin, mais peu profond, & on recouvrira les racines avec de la bonne terre que l’on aura réduite en bouillie dans un baquet. A l’égard dés plants auxquels on voudra faire prendre de la hauteur avant de les placer à demeure, il faudra les mettre en pepiniere à trois piés de distance, mais il faudra avoir grand soin de concentrer leurs racines en faisant bêcher à leur pié tous les ans à deux différentes fois, pour couper les fibres qui cherchent à s’étendre ; car la culture de ces arbres dans la pepiniere ne doit avoir pour objet que le moyen de pouvoir les enlever avec la motte de terre, sans quoi nul succès pour la transplantation, qui doit dans tous les cas se faire au mois d’Avril, par un tems doux & couvert ; mais il faut toujours avoir pour principe de ne leur donner que le moins de culture qu’il est possible. Si on plante les sapins trop près, les branches inférieures perdent leurs feuilles & se dessechent, ce qui fait un aspect desagréable ; la distance de douze piés est la moindre qu’on puisse leur donner, lorsque la ligne où on les plante est isolée ; mais si l’on veut former plusieurs lignes de ces arbres, il faut les espacer de dix-huit à vingt piés.

On peut tailler ces arbres sans inconvénient dans toutes les saisons, si ce n’est dans le tems qu’ils sont en pleine seve, & qu’ils poussent ; pourvû cependant qu’on ne leur fasse pas tout-à-la-fois un retranchement trop considérable. On doit considérer aussi que le mois de Septembre est le tems le plus propre à cette opération ; on peut même les arrêter à la cime, quand pour de certains arrangemens on ne veut pas qu’ils montent si vîte. Mais il ne faut pas croire que le retranchement des branches du pié puisse contribuer à leur accroissement ; jamais il n’est plus prompt que quand on laisse aller ces arbres à leur gré, & le retranchement des rameaux inférieurs ne leur profite que quand ils se dessechent & tombent d’eux-mêmes, lorsque les arbres sont plantés près les uns des autres. Il ne faut donc les élaguer que peu-à-peu & autant qu’il est besoin, pour leur former une tête à la hauteur que l’on desire.

Comme les forêts de sapins sont ordinairement sur le replat des montagnes, fort élevées & dans des terreins légers qui ont peu de profondeur, que d’ailleurs ces arbres pivotent rarement, qu’ils ont une grande hauteur & qu’ils donnent beaucoup de prise au vent ; il arrive souvent que dans des tems orageux il y a un nombre d’arpens dont tous les sapins sont renversés. Dans ces cas, comme il ne croît aucunes plantes sous les sapins, le terrein paroît entierement dénué de végétaux & sans ressource. Mais bien-tôt il vient des framboisiers, des fougeres, &c. qui par leur ombrage & leur fraîcheur, favorisent la germination des graines de sapin, dont la surface du terrein est toujours suffisamment garnie ; cependant leur succès dépendra sur-tout du soin que l’on aura d’empêcher le parcours du bétail, qui en détruisant l’herbe, laisseroit la terre exposée au desséchement ; d’où il arriveroit que les graines ne leveroient pas.

Il ne faut rien attendre des sapins qui ont été coupés ; ils ne donnent jamais de rejettons. Ce sont autant d’arbres supprimés pour toujours, & qui ne peuvent être remplacés que par les jeunes plants qui ont levé aux environs. Cet inconvénient doit engager à exploiter les forêts de sapins différemment des arbres qui ne sont pas résineux ; on doit donc laisser dans le tems des coupes beaucoup plus d’arbres en reserve que les ordonnances ne le prescrivent en général ; non-seulement pour répandre des graines dans le canton exploité, mais sur-tout pour procurer l’ombre & la fraîcheur qui sont absolument nécessaires pour les faire lever.

On ne fait nul usage du vrai sapin ou sapin à feuille d’if pour l’ornement des grands jardins & des parcs, malgré la beauté de son feuillage qui est d’un verd tendre, brillant & stable. Chacun s’étonne de ce qu’on lui préfere l’épicea que l’on trouve par-tout, & qui n’a pas à beaucoup près autant d’agrément. Mais la raison en est simple ; c’est que l’épicea est plus commun, qu’il se multiplie plus aisément que le sapin, qu’il souffre mieux la transplantation, & qu’il se contente d’un terrein plus médiocre.

On tire de grands services du sapin pour différens arts : le sapin proprement dit que l’on nomme sapin à feuille d’if, donne une résine liquide & transparente, connue sous le nom de térébenthine ; c’est sur-tout dans les montagnes de la Suisse où il y a beaucoup de sapins d’où l’on tire cette résine. Sur la façon de la tirer, de l’épurer & de la mettre en état de vente. Voyez le Traité des arbres de M. Duhamel, à l’article abies.

Le bois du sapin est blanc, tendre, léger, & il fend aisément ; cependant il est ferme & ne plie pas sous le faix. Il sert à quantité d’usages ; on en fait la mâture des plus grands vaisseaux ; on en tire des pieces de charpente de toutes sortes d’échantillons. Après le chêne & le châtaignier, c’est le bois le plus convenable pour cet objet. Il en est de même pour la menuiserie, où l’on fait très-grand usage des planches de ce bois ; il est excellent pour tous les ouvrages du dedans. Sa durée est très-longue, s’il n’est pas posé à l’humidité ou couvert de plâtre ; cependant il reste long-tems dans la terre sans pourrir, & il n’y noircit pas comme le chêne ; on en fait aussi les tables des instrumens à cordes. Enfin, ce bois est bon pour le chauffage, & on en peut faire du charbon. Si l’on ferme entierement une chambre avec des volets de sapin amenuisé au point de n’avoir qu’une ligne d’épaisseur, ils laissent passer autant de jour que les fermetures que l’on nomme sultanes ; mais le sapin paroît rouge, & rend le même effet que si la lumiere passoit à-travers un rideau d’étoffe cramoisie. Le bois du sapin est de meilleure qualité que celui de l’épicea, avec lequel on le confond souvent. Le sapin propre à la mâture des vaisseaux se tire ordinairement des pays du nord, & c’est le plus estimé. Cependant on en tire beaucoup du Dauphiné, de la Franche-Comté, de l’Auvergne, & des environs de Bordeaux ; mais tout le sapin que l’on employe à Paris vient de l’Auvergne. On peut donner en hiver aux moutons, les jeunes rejettons & les feuilles du sapin ; cette nourriture leur est fort saine. On fait aussi quelqu’usage en Médecine des plus tendres rameaux de cet arbre.

Voici les especes ou variétés que l’on connoît à présent dans le genre du sapin : je désignerai sous le nom de sapin, toutes les especes de cet arbre dont les cônes ont la pointe tournée en-haut ; & sous le nom d’épicea, toutes les autres sortes de cet arbre dont les cônes ont la pointe tournée vers la terre.

1. Le vrai sapin ou le sapin à feuille d’if, ou le sapin blanc ; c’est à cette espece qu’il faut particulierement appliquer ce qui a été dit ci-dessus. Il veut un meilleur terrein que l’épicea, il faut plus de soins pour l’élever & le transplanter, & les graines tombent dès le mois d’Octobre avec les écailles qui composent le cône ; ensorte que si l’on veut avoir des cônes entiers pour conserver la graine & l’envoyer au loin, il faut les faire cueillir bien à tems. Son accroissement n’est pas si prompt que celui de l’épicea ; il n’est ni si vivace, ni si agreste, mais il a plus de beauté, & son bois est plus estimé ; les plus beaux sapins de cette espece se trouvent sur le mont Olimpe, où ils donnent des cônes d’environ un pié de longueur.

2. Le petit sapin de Virginie ; c’est un arbre de moyenne grandeur, dont les feuilles sont disposées en maniere de peigne, comme celles du vrai sapin. Quoiqu’il en soit extrèmement robuste, il ne réussit bien que dans un terrein humide. On prétend que cet arbre n’a pas autant d’agrément que le vrai sapin, parce qu’il étend ses branches horisontalement & à une grande distance, ce qui, au moyen du peu d’élévation de la maîtresse tige, lui donne la forme d’un cône écrasé : mais la singularité même de cette forme peut avoir son mérite dans l’ordonnance d’un grand jardin.

3. Le sapin odorant ou le baume de gilead ; c’est le plus beau de tous les sapins. Aucun auteur n’a encore parlé de sa stature : ses feuilles quoique de la même forme & de la même nuance de verdure que celles du vrai sapin, sont néanmoins disposées comme celles de l’épicea, & c’est en quoi on fait consister sur-tout la beauté du baume de gilead. Ses cônes sont longs & se terminent insensiblement en pointe : ils viennent au bout des branches, la pointe tournée en-haut comme ceux du vrai sapin. Les graines & les écailles dont ils sont formés, tombent & se dispersent de bonne heure en automne ; ensorte que si l’on veut avoir de ces cônes pour en conserver la graine, il faut les surveiller au tems de la maturité. M. Miller, auteur anglois, assure que dans quelque terrein qu’on ait planté cet arbre en Angleterre, sa beauté ne s’y est pas soutenue pendant plus de dix ou douze ans ; que quand ces arbres ont passé leur jeunesse, on les voit déchoir, que leur dépérissement se manifeste par la grande quantité de chatons & de cônes qu’ils rapportent ; qu’ensuite ils ne poussent que de petites branches crochues ; qu’il transude de leur tronc une grande quantité de térébenthine ; qu’alors leurs feuilles tombent, & qu’enfin les arbres meurent au bout d’un an. Cependant le même auteur ajoute qu’il y a un grand nombre de plants âgés de cette espece de sapin qui sont vigoureux & d’une belle venue dans les jardins du duc de Bedford, dont le sol est un sable profond ; d’où on peut conclure que le baume de gilead ne peut prospérer que dans un terrein de cette qualité. On tire de cet arbre une résine claire & odorante, que l’on fait passer pour le baume de gilead, quoique l’arbre qui donne le vrai baume de ce nom soit une espece de térébinthe.

4. Le grand sapin de la Chine ; ses feuilles sont bleuâtres en-dessous, & disposées sur les branches en maniere de peigne. Ses cônes sont plus gros & plus longs que ceux des sapins d’Europe, ils ont sur l’arbre la pointe tournée en-haut ; leurs écailles ainsi que les feuilles sont terminées par un filet épineux.

5. Le très-grand sapin de la Chine ; c’est une variété qui ne differe de l’arbre précédent, que parce qu’elle prend encore plus d’élévation & que les écailles de ses cônes ne sont pas épineuses. Mais ces deux sortes de sapins de la Chine, n’ayant point encore passé en Europe, on n’en peut parler que fort superficiellement.

6. L’épicea ; c’est l’espece de sapin la plus commune en Europe, celle qui atteint une plus grande hauteur, qui se soutient le mieux dans un terrein médiocre, que l’on cultive le plus pour l’agrément, quoique ce soit l’espece de sapin qui en ait le moins. Il a l’écorce rougeâtre & moins cassante que celle du vrai sapin. Ses feuilles sont plus courtes, plus étroites, d’un verd plus mat & plus brun, & elles sont placées autour des nouvelles branches sans aucun ordre distinct. Ses cônes sont plus lisses & plus longs ; ils tombent de l’arbre tout entiers, & peu-à-peu pendant la seconde année, & le plus grand nombre durant la troisieme ; mais si on veut les cueillir pour avoir de la graine, il faut s’y prendre avant le hâle du printems de la seconde année ; car alors les cônes s’ouvrent & laissent tomber la graine qui est fort petite, & que les vents répandent au loin. Il transude de cet arbre une substance résineuse qui se durcit à l’air, & dont on fait la poix blanche & la poix noire, qui servent à différens usages. Voyez à ce sujet le Traité des arbres de M. Duhamel.

L’épicea se multiplie plus aisément que le vrai sapin. Les branches de cet arbre que l’on marcotte ont au bout de deux ans des racines suffisantes pour la transplantation, & même les jeunes rameaux qui touchent contre terre dans un lieu frais sont racines d’eux-mêmes. Il réussit assez bien de boutures ; si on les fait au commencement de Juillet, elles seront propres à transplanter en pépiniere au bout de quatorze mois. Par ces deux moyens de multiplication, la croissance s’accelere plus qu’en semant. L’épicea est l’un des derniers arbres que l’on trouve aux extrémités du nord avec le pin, le saule & le bouleau. Il fait le principal fond des forêts de ces climats froids où il s’éleve à une très-grande hauteur dans la terre forte & profonde des vallées ; quoiqu’il y soit entierement couvert de neige pendant six mois de l’année. Les Suédois, dans la disette des fourrages, donnent aux chevaux de jeunes branches d’épicea hachées & mêlées avec l’avoine. Le bois de cet arbre sert aux mêmes usages que celui du vrai sapin : il est vrai que la qualité en est inférieure, mais il est moins noueux & il se travaille plus aisément.

7. L’épicea dont les cônes sont très-longs ; ce n’est pas ici une simple variété, seulement établie sur la plus grande longueur des cônes ; car cet épicea qui est originaire de l’Amérique septentrionale, est très différent de celui d’Europe. Il fait un très-grand arbre, bien supérieur en beauté à notre épicea, par l’élégance de sa forme & l’agrément de ses feuilles, qui sont blanchâtres en-dessous & d’un verd de mer en-dessus.

8. L’épinette de Canada ; c’est une sorte d’épice, que les Botanistes spécifient par de courtes feuilles & de très-petits cônes. Cette épinette a en effet les feuilles plus minces & moins longues que celles de l’épicea commun, & ses cônes ne sont guere plus gros qu’une noisette. On prétend que cet arbre s’éleve dans son pays natal à 20 ou 30 piés ; mais en Angleterre où on le cultive depuis du tems, on ne l’a pas vû passer 8 ou 10 piés de hauteur. On croit que ce qui déprime sa croissance en Europe, c’est la trop grande quantité de cônes dont il se charge de très-bonne heure. En broyant entre les doigts des jeunes branches de cet arbre, elles rendent en tout tems une odeur balsamique assez forte & qui n’est point désagréable. On fait en Canada avec les rameaux de l’épinette une liqueur très-rafraîchissante & fort saine que l’on boit avec plaisir, sur-tout pendant l’été, quand on y est habitué.

9. L’épinette de la nouvelle Angleterre ; c’est encore une sorte d’épicea d’aussi petite stature que la précédente, dont les Botanistes la distinguent par ses feuilles qui sont plus courtes & par ses cônes, dont les écailles sont entr’ouvertes ; du reste cet arbre a les mêmes propriétés & autant d’agrément.

10. L’épicea du levant ; ses feuilles sont courtes & quadrangulaires, ses cônes sont très-petits & ont la pointe tournée en-bas. Cet arbre est du nombre des nouvelles plantes, dont M. Tournefort a fait la découverte dans son voyage au levant ; on le trouve aussi dans l’Istrie & dans la Dalmatie.

11. L’épicea à feuille de pin ; les feuilles de cet arbre sont beaucoup plus longues, que celles d’aucune autre espece de sapin ou d’épicea ; c’est tout ce qu’on en sait, tant il est encore peu connu. M. d’Aubenton le subdélégué.

Sapin, (Botan. Agricult.) cet arbre porte sa tête altiere jusqu’à la premiere région de l’air, æthereas ad auras vertice tendit : c’est sur les plus hautes montagnes, & sur-tout dans les forêts du nord, que la terre rassemble

Ces chênes, ces sapins qui s’élevent ensemble ;
Un suc toujours égal est préparé pour eux ;
Leur pié touche aux enfers, leur cime est dans les cieux ;
Leur tronc inébranlable & leur pompeuse tête
Résiste en se touchant aux coups de la tempête ;
Ils vivent l’un par l’autre, & triomphent du tems.

Tournefort compte quatre especes de sapin ; la principale est le sapin à feuilles d’if, dont le fruit taillé en cône se tourne en-haut, abies taxi folio, fructu sursùm spectante ; en anglois, the yewfir-tree with the fruit pointing upwards ; en françois le vrai sapin. C’est un grand & bel arbre, fort haut, fort droit, toujours verd : son bois est blanc, couvert d’une écorce lisse, blanchâtre & résineuse ; ses branches sont garnies de feuilles oblongues, étroites, dures, naissant seules le long de leurs côtes. Elles portent des chatons à plusieurs bourses membraneuses qui s’ouvrent transversalement en deux parties, & se divisent dans leur longueur en deux loges remplies d’une poussiere menue. Ces chatons ne laissent rien après eux ; les fruits naissent sur le même pié de sapin formé en plusieurs écailles en cône ou pomme de pin tournés en-haut ; les Latins les nomment strobili : on trouve ordinairement sous chacune de leurs écailles deux semences, &c.

Le sapin ou sapinette du Canada, abies minor pectinatis foliis, virginiana, conis parvis subrotundis, Pluk. Phytogr. tab. 121. fig. 1. est assez semblable à la pesse par son port ; ses feuilles sont cependant plus menues, plus courtes, & rangées en maniere de dents de peigne. Cet arbre est originaire du Canada, où l’on en tire une térébenthine qui est d’une odeur & d’un gout plus agréable que la terébenthine ordinaire ; & comme on donne de beaux noms à toutes les drogues, on appelle communément cette térébenthine, baume de Canada.

Le sapin est d’un grand usage pour la mâture des vaisseaux ; on l’éleve de graines, & on en fait des forêts entieres dans les pays septentrionaux. Les Anglois en élevent plusieurs especes, & particulierement le sapin d’Ecosse, le sapin argenté, le sapin de Norwege, & le sapin à poix ; mais nous ne connoissons en France que le sapin décrit ci-dessus, & la pesse, encore les confond-on d’ordinaire.

Sapin, (Mat. méd.) cet arbre appartient à la matiere médicale comme lui fournissant une espece de térébenthine, connue dans les boutiques sous le nom de térébenthine de Strasbourg, ou de térébenthine de sapin, & plusieurs autres matieres résineuses, soit naturelles, soit altérées par l’art, dont il a été fait mention à l’article Pin, & dont on parlera à l’article Térébenthine. Voyez ces articles. (b)